Sous le nom de perversions sexuelles, on décrit des comportements sexuels régressifs qui se substituent avec prédilection et parfois avec exclusivité aux conditions normales de l’orgasme ou aux conduites qui s’y rattachent. Mais la perversion sexuelle ne vicie pas seulement le comportement ou les rapports sexuels, elle entraîne aussi, conformément à l’aberration du désir sexuel, des altérations notables dans l’ordre du caractère, de la personnalité et de la vie sociale. Il arrive même que seuls ces troubles soient cliniquement apparents.
On pourrait parler à leur sujet de « déséquilibre privé » plus ou moins toléré par le sujet et par la société. L’importance de l’étude des perversions ne résulte pas uniquement de leur place dans la pratique psychiatrique, mais plus encore de l’importance théorique que l’école psychanalytique lui a donnée pour la compréhension des névroses et des psychoses.
Le concept de normalité, inclus dans la définition des perversions, ne concerne pas la norme sociale, par rapport à quoi la place des perversions est variable selon les époques et les lieux, nous le dirons plus loin à propos de l’homosexualité, qui n’est pas, à proprement parler, une perversion (F. Pasche, 1969), et que nous décrirons à part. Il s’agit de la norme du développement personnel, c’est-à-dire de l’organisation progressive de la personne et de son unification, qui s’opèrent par la subordination des plaisirs partiels (infantiles) au plaisir génital pleinement élaboré (après l’acceptation de la différence des sexes qui accompagne la résolution du complexe d’Œdipe). Il faut nécessairement se référer ici à la psychanalyse qui, dans l’étude des perversions, nous a presque tout appris. C’est de cette vue dynamique des perversions, dans la durée du développement, que provient leur plus grand intérêt, car elles illustrent par des conduites manifestes la trajectoire qui va du besoin au désir, de l’organisme physiologique et de ses instincts à l’existence consciente, à travers l’élaboration des fantasmes et des conduites. Ce qui vient d’être exprimé dans le langage de la psychanalyse parce qu’il est concret et précis, répond bien à l’intuition ancienne des écrivains, des cliniciens, des théologiens, et des philosophes pour qui les concepts de normalité et de perversion ne peuvent être opposés, dans une antithèse, mais doivent se composer dans une structure hiérarchisée, qui est celle de la « nature humaine ».
Il est important d’ajouter dans ces généralités sur la perversion que ces conduites ne constituent pas de par elles-mêmes un diagnostic suffisant. Elles demandent un examen des structures de la personnalité, car elles peuvent faire partie d’un ensemble plus vaste, être incluses, par exemple, dans un diagnostic de névrose ou de psychose, ou dans celui d’une personnalité psychopathique.
L’abord scientifique des problèmes sexuels est récent (fin du xixe siècle). Les observateurs préanalytiques avaient étudié les perversions comme des anomalies de l’instinct, une sorte de tératologie instinctive émergeant impulsivement d’une vie psychique normale par ailleurs. Leur mérite avait été cependant de reconnaître le caractère sexuel de certaines perversions pour lesquelles ce caractère n’est pas évident (Kraft-Ebing, 1869 ; Havelock Ellis, 1890-1900).
La découverte de la sexualité infantile et du rôle qu’elle continue à jouer chez l’adulte dans les fantasmes inconscients permit à Freud d’approfondir le conditionnement psycho-social des perversions en les considérant comme des conduites infantiles anachroniquement fixées. On comprend le scandale soulevé par Freud au début du siècle lorsqu’il révéla la persistance chez l’adulte normal de la trace des perversions dans les préliminaires de l’acte sexuel, dans les fantasmes et les rêves, ce qui veut dire qu’elles sont immanentes ou virtuelles en chacun de nous. C’est de cette thèse que provient directement la conception de Freud, si souvent répétée et si importante, selon laquelle la névrose est le négatif de la perversion. Nous y reviendrons.
Après Freud, les psychanalystes ont discuté sur l’origine des perversions, considérées par Mélanie Klein comme des moyens de défense contre l’angoisse, et non comme une pure et simple régression à un niveau ancien de la conduite et du désir, ce qui est la théorie classique, adoptée par la plupart des auteurs.
En réaction contre la psychanalyse accusée par eux de réduire la vie psychique à ses soubassements inconscients, certains auteurs (école phénoménologique, surtout de langue allemande), insistent sur les perturbations profondes de la personnalité et de l’existence du pervers ; ils mettent en valeur l’altération qui atteint, au-delà de la satisfaction du « plaisir partiel », les relations du sujet avec autrui et avec son « Monde » (von Gebsattel, Strauss, Binswanger, Kunz, 1942 ; Boss, 1947 ; H. Ey, 1950). Plusieurs de ces travaux fournissent sur certaines conduites perverses de véritables monographies d’un grand intérêt clinique. Mais ces auteurs ne semblent pas distinguer perversion et perversité. La perversion est une activité de nature auto-érotique qui a pour condition le déni du statut de sujet chez le partenaire (F. Pasche, 1983). La perversité au contraire est de nature destructrice et vise la réalité psychique de l’Autre qui est agressé.
On peut les classer en anomalies du choix de l’objet (le partenaire) et en anomalies du but (érotisation substitutive d’une partie du corps, d’une situation réelle ou fantasmée). Nous ne saurions décrire toutes ces conduites, variables presque à l’infini par leurs combinaisons.
Voici une liste des principales perversions :
1) par anomalie du choix de l’objet : auto-érotisme (onanisme), pedophilie, gérontophilie, inceste, zoophilie, fétichisme, nécrophilie, vampirisme, travestisme, trans-sexualisme, etc. ;
2) par anomalie du but ou de l’acte : voyeurisme, exhibitionnisme, viol, attaques substitutives (les « piqueurs », les « frotteurs », cas historique des « coupeurs de nattes » ; l’érotisation peut porter sur une zone du corps — orale, anale, uréthrale, ou autre — ; elle peut se rapporter aux excrétions (ondinisme, coprophagie). Le sadisme et le masochisme méritent une place à part : ce sont les satisfactions liées à la souffrance infligée ou subie. Enfin toutes sortes de pratiques associées peuvent constituer la perversion élue : les « partouses » combinent hétéro et homosexualité, voyeurisme et exhibitionnisme. Le Donjuanisme, et d’autres conduites appartiennent au domaine des perversions en tant que recherches d’une situation particulière pour atteindre l’orgasme. Nous avons cité plus haut les perversions incluses dans des conduites agressives particulières (pyromanie, escroquerie, kleptomanie) ou associées aux diverses toxicomanies (l’alcool est un support assez souvent utilisé pour faciliter le passage à l’acte pervers). La toxicomanie elle-même, nous le verrons, constitue une perversion sexuelle, en tant que conduite régressive substituée à la satisfaction sexuelle normale, et, dans ce sens, d’autres conduites encore pourraient être citées, d’ordre alimentaire (certaines anorexies et boulimies) ou excrétoire.
Ces deux perversions ne peuvent être tout à fait séparées, puisqu’elles constituent deux pôles complémentaires, ainsi que Freud l’a bien montré : « Un sadique est, en même temps, toujours un masochiste » (1905). On devrait donc étudier le comportement sado-masochique si important dans l’étude des névroses et aussi pour la compréhension de la sexualité normale. C’est dire que, ici encore, l’intérêt du sujet déborde le cadre strict de la perversion sexuelle auquel nous nous limitons autant que possible, dans ce chapitre. Pour la clarté de l’exposé nous étudierons séparément les manifestations du sadisme et du masochisme, comme conduites prévalentes, même si elles se renvoient l’une à l’autre, mais nous interpréterons ensemble les deux conduites.
Le sadisme consiste dans la recherche et la provocation de la douleur chez le partenaire pour obtenir la satisfaction sexuelle. Bien des degrés peuvent en être décrits, depuis le crime (Barbe-Bleue, Jack l’Éventreur, le vampire de Düsseldorf), jusqu’au plaisir furtif des « piqueurs » de seins ou de fesses, en passant par les flagellations, tortures, enchaînements, brûlures, morsures, etc. Le sadisme peut se dégrader en conduites symboliques, dont la composante sexuelle n’apparaît pas à l’esprit du sujet : c’est le « sadisme moral », que l’on retrouve dans nombre de comportements personnels, éducatifs ou sociaux (violences, châtiments corporels, abus de puissance, etc.). La guerre correspond au déchaînement organisé du sadisme, approuvé par le groupe, car le sadisme peut être collectif (un autre exemple en est fourni par les supplices publics). Si loin que soient la plupart de ces conduites de celle des criminels cités en premier, il est juste de dire avec Steckel que le meurtre est en puissance dans le sadisme.
Le masochisme peut se définir, à l’inverse du sadisme, par la recherche et la provocation de sa propre souffrance pour l’obtention du plaisir sexuel. Mais il existe d’assez profondes différences entre les deux conduites pour ne pas nous contenter de cette définition par symétrie. Tous les auteurs insistent sur les contenus imaginaires du masochisme, qui s’opposent à la conduite active du sadisme. C’est un scénario d’humiliation plutôt qu’un véritable appétit de douleur qui caractérise cette conduite : le masochiste impose au partenaire une mise en scène dont l’equus eroticus fournit le meilleur exemple. C’est un rituel, un « contrat » (Rosolato), où le fantasme joue un grand rôle. D’où l’abondance des documents littéraires. Comme pour le sadisme, il existe de multiples formes dégradées du masochisme : masochisme moral, si fortement impliqué dans les conduites d’échec et les névroses, et sur lequel nous ne nous étendrons pas ici (cf. à ce sujet le livre de S. Nacht, 3e édit., 1965).
Interprétation du sado-masochisme. — La littérature psychanalytique est sur ce chapitre énorme, puisqu’il s’agit de la place et de la nature des pulsions élémentaires, en particulier de l’agressivité qui est à l’œuvre dans toutes les conduites humaines. Aussi les discussions théoriques se poursuivent-elles sur la nature et le sens du sado-masochisme. Nous nous bornerons à évoquer quelques points :
I — La place du sado-masochisme est particulière parmi les perversions, du fait de son articulation avec tous les éléments du développement prégénital. Tout échec de l’intégration œdipienne y renvoie et, pour cette raison, le sadomasochisme est inclus dans toutes les autres perversions. Certains auteurs privilégient la phase orale dans le sadisme ; d’autres la phase anale, qui paraît en effet lui conférer la plupart de ses traits. Il s’agit de l’élaboration du couple activité-passivité, de l’apprentissage du contrôle pulsionnel, de la nature et de la place de l’agressivité, etc.
II — Les mouvements sadique et masochique sont nécessairement liés, comme sont liés activité et passivité, plaisir et douleur, tension et détente, etc. Cliniquement et théoriquement, ils constituent un couple dialectique.
III — Les discussions portent sur le rôle premier du sadisme ou du masochisme ; sur l’existence d’une pulsion de mort et de sa place dans les automatismes de répétition ; sur la relation du sado-masochisme avec les images parentales ; sur la place des contraintes culturelles dans l’organisation sado-masochique, etc. Nous ne pouvons que renvoyer, pour toutes ces discussions, à la littérature psychanalytique qui a consacré de multiples travaux surtout aux problèmes du masochisme. On peut dire que la compréhension du sado-masochisme est nécessaire pour l’étude de toute la psychopathologie, dont il forme l’arrière-fond, comme il forme aussi, par sa sublimation, un ressort important de l’activité normale.
Cette perversion n’est connue que chez l’homme. Chez la femme, un auteur comme Phillis Greenacre (1951) retrouve seulement dans l’enfance un épisode fétéchiste repris au début de l’adolescence dans une perversion zoophile. Il s’agit de l’attachement érotique à un objet, qui peut être une « chose » inanimée ou une partie du corps d’autrui : vêtement, gant, sous-vêtement, etc. Certains tissus ou caoutchoucs peuvent être recherchés pour leur contact, comme aussi les cheveux, tétines ou les poupées. Ou bien ce sont les pieds et ce qui les recouvre (chaussures, bottes, etc.).
L’objet fétiche est dans tous les cas remarquable par son aptitude à la pérennité, spatialement délimité, coupé du corps et en continuité avec lui. Rosolato souligne que c’est un objet de « douleur » qui supporte d’être malmené. Le sousvêtement utilisé comme fétiche, que l’acte pervers vise à mettre puis à arracher, sert à affirmer la castration à travers le vêtement qui cache le pénis, puis en le découvrant, à le restaurer à la vue. Les coupeurs de nattes affirment la castration déplacée sur la chevelure qui, en repoussant, nie la castration. Quel qu’il soit, l’objet est nécessaire à l’excitation sexuelle, et il est manipulé soit au cours d’une masturbation soit dans les rapports sexuels.
L’interprétation psychanalytique, très riche, peut être schématisée autour de deux pôles d’organisation :
Rosolato inscrit le désaveu (Verleugnung) au centre de l’élaboration théorique de la clinique du fétichisme. Il distingue ce concept des autres concepts freudiens de refoulement (Verdrangung), qui est lié à l’étude des névroses, et, celui de dénégation (Verneinung), qui se manifeste dans un discours. Ceci permet de souligner le lien du concept de désaveu à une perception et aux représentations. Ainsi, le désaveu permet-il, au prix d’un clivage du moi, de retenir et d’écarter la castration. Le père, symbolisé par la loi, est remplacé par la référence à un père idéalisé qui supporte la projection de la toute-puissance narcissique du sujet. La mère apparaît sous les traits d’une femme phallique, dominatrice et cruelle, qui protège contre la reconnaissance consciente de l’homosexualité. L’investissement narcissique du père idéalisé est moins terrifiant que la figure paternelle du Surmoi et la mère phallique protège contre la mère archaïque toute-puissante à un niveau oral de dévoration.
L’objet fétiche représente le pénis attribué par l’enfant à sa mère (avant l’Œdipe), avec laquelle il garde, par l’intermédiaire de ce que Winnicot a appelé « l’objet transitionnel », un lien symbolique et évocateur. Le premier pôle est donc celui de la régression, tandis que le second est celui de la fixation, dont Pasche et Renard ont montré les aspects divers : fixation orale, souvenir des objets suçotés par l’enfant ; fixation anale, sur des objets séparables du corps (d’où le rôle des extrémités, mains, pieds) ; tous pouvant être en même temps des représentants phalliques servant à désavouer la castration perçue autrefois sur un mode traumatique. L’effet traumatique est mieux compris par référence à la notion freudienne de souvenir-écran. S. Stewart (1972), avec d’autres, met ainsi l’accent sur l’économie du Moi. Les expériences intenses de la petite enfance, et en particulier celles qui comportent une forte stimulation visuelle, jouent un rôle différent selon qu’elles se produisent dans la période pré-œdipienne, sous la domination du sadisme, ou plus tard dans la période de latence, après l’organisation d’un Surmoi nuancé. Ces expériences traumatiques sont par la suite relayées dans les fantasmes qui se stabiliseront pendant l’adolescence quand l’apparition de l’éjaculation traduira visiblement l’orgasme masculin, alors que l’orgasme lui-même reste invisible quel que soit le sexe.
Chez la femme, certains auteurs ont attribué à la kleptomanie (cf. p. 97), la valeur d’un équivalent du fétichisme. L’étude du fétichisme est d’un grand intérêt comme exemple d’une perversion sexuelle souvent assez « pure ». Mais les rapports du fétichisme avec les autres perversions (en particulier le sadomasochisme) sont fréquents. Ses rapports avec les névroses apparaissent aussi comme le montre la description de certains objets contra-phobiques (cf. p. 339).
Grâce aux fétiches, le pervers fétichiste assure la puissance de son narcissisme. La demande d’aide thérapeutique est toujours la conséquence de la rupture de cet équilibre qui prend la forme d’une dépression. Pour s’épargner des malentendus, il faut noter que le pervers ne cherche pas une voie nouvelle pour sa sexualité, mais qu’il souhaite trouver le moyen de rétablir son pouvoir sur les autres pour leur faire désirer de se soumettre à ses fantasmes sadiques.
Exhibitionnisme. — Besoin incoercible d’obtenir un plaisir auto-érotique par l’exhibition des organes génitaux, l’exhibitionnisme est une perversion essentiellement masculine. Le scénario est stéréotypé, comme dans toutes les perversions : le sujet recherche un type de femme, une situation élective. Il se poste à la sortie d’un pensionnat de jeunes filles, ou sous les fenêtres de religieuses. Le « satyre » exhibe sa verge et souvent se masturbe, puis s’enfuit. La conduite est en réalité complexe. Il s’agit toujours de se rassurer sur sa virilité par la peur inspirée à l’autre. Mais si la composante sadique est ainsi la plus importante, le renversement masochiste n’est pas rare. Certains sujets cherchent presque ouvertement la punition, jouent anxieusement avec elle. L’aspect névrotique peut être assez important pour justifier une cure analytique. Parfois la recherche de la catastrophe sociale est telle que la conduite s’interprète comme un symptôme dépressif, un équivalent de mélancolie. Elle apparaît alors isolée dans la vie d’un sujet, émergeant comme une défense contre la dépression, après une déception ou un déboire professionnel, ou parfois même spontanément, véritable équivalent dépressif, à traiter comme tel. L’exhibitionnisme pervers est, à l’opposé de ces formes curables, une conduite répétitive, peu accessible aux soins.
Voyeurisme. — Il s’agit encore de la peur exercée sur les autres par la découverte de leurs jeux sexuels. Le voyeur se cache pour surprendre les autres. Le jeu visuel est donc valorisé et devient la « pulsion partielle » préférée, terme freudien si important pour le concept de perversion. Le caractère passif du voyeurisme constitue une sorte d’agression détournée et cynique, qui rassure le sujet sur sa « puissance ».
Travestisme. Transvestisme. — Le travesti est un homme qui recherche l’excitation sexuelle par le port de vêtements féminins. Le jeu avec le danger, si fréquent dans les perversions, peut s’exalter par le vol de sous-vêtements féminins. L’excitation obtenue aboutit soit à une masturbation, soit à la recherche d’un partenaire qui se laissera abuser. Nouveau jeu avec le risque d’être humilié. Le « triomphe » sera celui de la virilité démontrée par la révélation du phallus. On voit que cette perversion combine des éléments sado-masochistes et fétichistes. On parle de transvestisme lorsque la recherche des vêtements féminins aboutit au déguisement permanent.
Stoller (1975) distingue nettement cette perversion du transsexualisme, dans lequel le sujet se vit comme « une femme dans un corps d’homme ». Il cherche souvent à obtenir une transformation anatomique conforme à son désir. Le transsexuel recherche des relations avec des hommes hétérosexuels. On n’est pas ici devant l’érotisation d’une pulsion partielle, mais devant un trouble radical de l’identité sexuelle, parfois associé à des perturbations psychotiques.
Autres perversions. — On a pu voir le style et la nature des déviations sexuelles : la lutte contre l’acceptation de la castration, c’est-à-dire contre l’acceptation de son propre sexe, c’est-à-dire encore la limitation de sa propre puissance, en constitue le fond permanent. Le pyromane se démontre son pouvoir imaginaire par la réalité de l’incendie qu’il allume. Le joueur transpose son fantasme de toute puissance dans la réalité d’un jeu plein de risques. Le kleptomane trouve son risque, et sa jouissance, dans le vol souvent symbolique. Coprophilie et coprophagie consistent dans l’érotisation des fonctions excrétoires, les siennes ou celles d’autrui, etc. Le niveau et le type de la régression sont ici les mêmes que chez l’obsédé, dont nous avons vu qu’il lutte contre des réalisations et des fantasmes scatologiques. L’intérêt pour les selles peut se combiner avec la scoptophilie, avec le sadisme et l’exhibitionnisme. La coprolalie (émission de mots obscènes) ou l’intérêt pour la pornographie réalisent des conduites substitutives des plaisirs qui s’attachent aux objets les plus honteux et les plus interdits. L’intérêt de l’homme pour la miction féminine (ondinisme) peut aussi se combiner avec la coprophilie, l’ensemble étant destiné à nier la différence des sexes par un retour aux plaisirs de la période de leur indifférenciation primitive (phantasmes du cloaque).
La pédophilie, attirance sexuelle pour les enfants, associe souvent homosexualité, voyeurisme et sadisme.
Nous venons de présenter succinctement la physionomie plus analytique que clinique des perversions pour bien montrer dans quel sens l’étude de ces déviations de l’instinct sexuel s’oriente depuis Freud. Sans doute y aurait-il lieu d’enrichir et aussi de discuter chacune des interprétations. Quoi qu’il en soit, l’analyse de la personnalité du pervers (Boss, 1947) rejoint les grands ouvrages littéraires, médicaux et philosophiques anciens et nouveaux (Sade, Restif de la Bretonne ; Krafft-Ebing, Havelock Ellis, Genet, Sartre, etc.) pour montrer que la « perversion sexuelle » est un aspect fondamental de l’humanité toute entière. L’école psychanalytique a seulement précisé par sa méthode d’exploration de l’inconscient que l’enfance ne doit être considérée ni comme une angélique innocence ni comme une monstruosité mais comme une immaturation qui contient toutes les virtualités de perversions.
On conçoit alors que ce que les anciens auteurs avaient bien vu en recourant aux concepts de « dégénérescence » ou de « dysgénésie » se recoupe ici avec les notions de fixation et de régression à des types infantiles de sensibilité et d’imagination. D’une part, en effet, le pervers pathologique est un être malformé, et à cette malformation s’appliquent les études sur la morphologie, la typologie, la biologie, l’hérédité, les parentés psychopathologiques du pervers. D’autre part c’est un être rivé à ses formes primitives de pulsions (plaisirs et interdictions de la phase prégénitale, ou premières relations d’objet, et complexes de la phase œdipienne ou phase du choix objectai). Voyons à ce sujet ce que nous dit l’école de Freud sur l’origine des perversions et leurs rapports avec les névroses.
En ce qui concerne la genèse des perversions, la psychanalyse insiste sur la fixation à certaines formes de conduites et de relations objectales. Au stade prégénital du développement, ces conduites constituent des expériences primaires de plaisirs auxquelles le sujet tend à régresser lors des conflits de la phase œdipienne. La régression pure et simple est la thèse de Freud et des psychanalystes classiques, tels en France Pasche et Renard. Pour Mélanie Klein et son école, il existerait, dès la phase prégénitale, des expériences de défense contre l’angoisse de séparation provoquée par l’interdiction des plaisirs primaires, avec déjà une lutte entre le Moi primitif et l’ébauche du Sur-Moi, lutte génératrice d’ambivalence à l’égard des premiers systèmes pulsionnels de relation objectale. Quoi qu’il en soit, il résulte des difficultés vécues dans le développement libidinal une série de situations fantasmatiques où la libido se satisfait dans des systèmes symboliques d’équilibre ou de compromis. Ce sont des images effrayantes ou attirantes du Père, de la Mère, du pénis paternel, et des propres organes sexuels. Les péripéties de cette histoire des pulsions, de leurs images et de leur charge libidinale positive ou négative marquent ainsi d’une particulière vulnérabilité le développement ultérieur. Les perversions représentent à cet égard des sortes de plaisirs défendus ou originels dont l’existence est quasi absolue. Mais les psychanalystes insistent au moins autant sur la régression, c’est-à-dire sur la force qui repousse le sujet vers les systèmes primitifs de satisfaction. Autant dire que la fixation représente l’élection première, le choix de la perversion, et que la régression est la force qui « rétropulse » l’individu vers ces premières expériences, à partir de l’échec d’une expérience nouvelle non intégrée, celle du propre sexe. L’idée claire qui se dégage de ces théories est donc que la perversion est un phénomène anachronique dont le dynamisme désaxe ou dévie la sexualité.
Pour ce qui est des rapports entre névrose et perversion, une autre idée claire se dégage d’innombrables travaux. C’est celle qui a été émise par Freud : la névrose est l’envers de la perversion. C’est-à-dire que dans la névrose, comme nous le verrons, tous les symptômes sont formés contre le système pulsionnel actif, qui n’est pas accepté par le Moi tandis que, dans la perversion, la conduite archaïque est assumée et désirée par le Moi. Le pervers laisse passer sa perversion. Le névrosé interpose entre elle et lui un jeu de défenses compliquées. Mais pour si clair que soit ce schéma, il se complique nécessairement, car la perversion en tant que « pulsion partielle » puise sa force dans une sorte d’isolement qui la rejette ainsi du Moi. Celui-ci est toujours, en effet, plus ou moins ambivalent à l’égard de la perversion tout à la fois désirée et assumée par lui, mais aussi vécue comme une force extérieure à lui-même. C’est pourquoi les cliniciens observent que névrose et perversion ne sont jamais « pures », c’est-à-dire parfaitement isolées l’une de l’autre dans une personnalité. Par là nous voyons encore qu’en définitive c’est l’organisation même du Moi qui est (comme dans la névrose) pathologique. Mais tandis que le Moi névrotique est un Moi qui ne parvient pas à assurer l’unité de sa personne au travers des conflits qui compromettent son image, le Moi pervers est un Moi qui aboutit à son unité, mais seulement à la condition de trouver une libre issue — une soupape — à ses pulsions. Le mécanisme essentiel en est le clivage du Moi, dont une partie accepte la réalité tandis que l’autre la dénie, au profit de son désir.