Psychoses Puerpérales

PATHOLOGIE PSYCHIATRIQUE DE LA MATERNITÉ

Il est classique de décrire sous ce nom tous les accidents psychiatriques de la grossesse, de la puerpéralité et de l’avortement. Ces accidents revêtent les aspects les plus divers : de la réaction névrotique légère à la psychose de long cours. Dans le déterminisme, on doit faire intervenir outre les facteurs génétiques, hormonaux et toxi-infectieux, la situation actuelle, c’est-à-dire la maternité avec tous ses aspects biologiques et psycho-sociaux et les rapports entre cette situation actuelle et la personnalité. Autant dire que la puerpéralité est une occasion de vérifier, d’une manière peut-être plus claire que dans tous les autres cas, l’aspect multidimensionnel de l’étiologie des affections psychiatriques et l’absence de spécificité des réponses cliniques à une situation pathogène complexe réalisant un terrain « psycho-puerpéral » (Balduzzi, 1951).

A. — FACTEURS ÉTIO-PATHOGÉNIQUES

I. — FRÉQUENCE

Les données anciennes sur la fréquence sont inutilisables. Elles étaient d’ailleurs loin de concorder, allant de 1 cas sur 80 accouchements (Barker) à 1 sur 2 000 (Rigden). Mais la diminution considérable du nombre des cas est certaine depuis la décennie 1950-1960, au point que les psychoses puerpérales sont devenues rares. A l’origine de cette diminution, on peut invoquer :

II. — FACTEURS ÉTIOLOGIQUES

Comme nous l’avons souligné, ils sont multiples :

1° Facteurs héréditaires et constitutionnels. — La non-spécificité .des accidents a entraîné certains auteurs de la fin du xixe siècle à porter l’accent sur le rôle du terrain (dégénérescence mentale) : les accidents puerpéraux seraient seulement « révélés » par la grossesse chez des femmes portant une tare psychiatrique latente (Magnan, 1877; Toulouse, 1893; Gilbert-Ballet, 1911); il arrive en effet assez souvent qu’une psychose puerpérale ne soit qu’un épisode d’une évolution psychotique intermittente ou chronique.

Le rôle du terrain ne peut pas être négligé et c’est le groupe des familles comportant une hérédité maniaco-dépressive qui offre les relations génétiques les plus significatives (D. Hill, 1951). Mais les auteurs contemporains ont tendance à donner plus d’importance aux facteurs étiologiques actuels, soit psychosociologiques, soit physiopathologiques. Le caractère prépsychotique ou la prédisposition névropathique existerait dans 50 % des cas (G. Schneider, 1957) sous forme d’inhibition du développement de la personnalité et de réactivité émotivo-végétative anormale. On notera spécialement l’infantilisme morphologique et fonctionnel souvent très prolongé dans les antécédents des femmes qui présentent des troubles psychiques puerpéraux (Smalldon, 1940; Jacobs, 1943 ; Ryle, 1961).

2° Facteurs psycho-sociaux. — La grossesse en tant qu’événement représente un facteur psycho-social de première importance, modifiant toutes les conditions et les perspectives de la vie de la femme (Hélène Deutsch). De là les protections multiples dont elle est entourée, les unes d’ordre social, les autres d’ordre psychologique, magique ou rationnel.

Même dans la grossesse normale, la fréquence de modifications psychologiques légères (les « envies ») est bien connue (H. R. Klein et coll., 1950). On passe insensiblement de ces modifications à des modes névrotiques de défense contre l’événement désiré et redouté : l’enfant, le mari, le groupe entrent dans ce complexe de nouvelles relations, souvent ambiguës et anxiogènes. C’est que la maternité actualise et remanie les problèmes de l’intégration psychosexuelle (Tetlow, 1955 ; Daniels, 1964).

Les travaux des sociologues et des ethnologues nous ont appris que la structure sociofamiliale (matriarcat, égalité entre les sexes, etc.), la place de la femme dans la société (comportement passif, agressif, etc.), la nature des rapports entre la mère et l’enfant interviennent dans le comportement de la mère à l’égard de sa maternité (M. Mead). Il semble que les femmes des sociétés primitives connaissent peu ou pas de psychoses puerpérales. Toutes ces voies d’étude aboutissent à la conclusion que l’attitude de la femme envers la séquence : « conception-grossesse-accouchement-allaitement-maternité » joue un rôle fondamental dans le déterminisme des accidents. Notons que cette attitude ne peut être définie en termes simples. Telle femme socialement bien intégrée et psychiquement non tarée peut refuser la grossesse pour des raisons actuelles, conjugales, économiques ou professionnelles. Telle autre aux prises avec des conditions objectives défavorables et avec des dispositions psychopathiques connues peut supporter l’événement parce qu’il la valorise ou l’intègre à son groupe. Une autre encore se trouve aux prises avec des conflits profonds que la grossesse actualise dangereusement.

3° Facteurs endocriniens. — L’événement biologique que la grossesse réalise est, lui aussi, d’une grande importance : tous les métabolismes sont modifiés pendant la grossesse comme aussi la masse sanguine et le taux du fer, du calcium, du phosphore, etc. Mais ce sont surtout les modifications endocriniennes qui sont en corrélation avec les troubles mentaux (hypophyse, surrénales, thyroïde).

A l’activité hypophyso-ovarienne habituelle se substitue une production hormonale nouvelle, due au corps jaune, au placenta et aux glandes mammaires. Deux maxima de sécrétions endocriniennes nouvelles apparaissent d’après Jayle. A la fin du 3e mois, se manifeste la poussée des hormones gonadotropes et à la fin de la grossesse se produit une élévation considérable des stéroïdes. Après l’accouchement le retour des chiffres hormonaux à la normale est rapide. On a cherché les relations entre les psychoses puerpérales et des perturbations hormonales suivies par les dosages directs des hormones ou par les renseignements indirects tirés du cytodiagnostic vaginal. Il est incontestable que les psychoses puerpàrales sont accompagnées généralement par des modifications significatives. Pour Hemphill, le facteur hormonal joue pour la « dépression puerpérale » comme pour les dépressions de la ménopause. La thèse soutenue par Delay et ses collaborateurs incite à chercher les corrélations endocriniennes des psychoses puerpérales dans le défaut de retour à la normale du cycle ovaro-hypophysaire par suite de l’état de la muqueuse utérine. Ce serait un cas particulier des « métroses de réceptivité » (Moricard).

4° Rôle de l’infection. — Le facteur infectieux qui n’est pas négligeable dans certains cas a pu être apprécié exactement depuis les antibiotiques qui en ont réduit le rôle. Il joue le rôle fondamental dans certaines psychoses qui accompagnent les suites de couches septiques mais il n’est qu’un facteur d’appoint dans les autres cas et encore s’agit-il d’une éventualité assez rare.

B. — DESCRIPTION CLINIQUE

Schématiquement, la plupart des accidents névrotiques et des accidents neuro-psychiques se voient pendant la grossesse, tandis que la plupart des accidents psychotiques s’observent après l’accouchement.

I. — ACCIDENTS GRAVIDIQUES

Ce sont essentiellement des réactivations de l’angoisse à formes névrotiques ou psychosomatiques.

1° Les vomissements. — On admet qu’ils sont « physiologiques » jusqu’au 3e mois. Leur signification psychosomatique est cependant constante. Ils se rattachent aux incidents mineurs qui accompagnent le bouleversement à la fois biologique et psychosocial de la grossesse. Après le 3e mois, la perturbation psychosomatique devient un véritable problème qui peut être posé au psychiatre. Voici une statistique de Gladstone Roberts (1946) montrant que sur 100 femmes étudiées après le 3e mois, il existait 57 vomisseuses et 43 non vomisseuses. Une étude psychologique a permis de retenir, parmi d’autres, les facteurs suivants :

Dyspepsie neurotonique antérieure.. Groupe avec vomissements (57 cas) Groupe sans vomissements (43 cas)
6 0
Attachement excessif à la mère … 20 4
Relations sexuelles troublées …. 40 4

image

Les vomissements gravidiques graves imposent donc la nécessité d’une étude psychosomatique (cf. aussi Schneider, 1957 ; Robin, 1962).

2° Des manifestations d’hystérie peuvent apparaître avec le polymorphisme habituel à cette névrose. Signalons la négation hystérique de la grossesse, image symétrique et inversée de la grossesse nerveuse ou hystérique.

3° Les manifestations anxieuses sont très fréquentes. Elles se présentent sous l’aspect de symptômes isolés (douleurs diverses, angoisses, palpitations), ou sous celui de la névrose d’angoisse subaiguë (état dépressif à forte charge anxieuse qui peut aller jusqu’aux confins de la mélancolie), ou encore, soit sous l’aspect de phobies, forme spécialisée de l’angoisse qui se fixe sur un « objet » maléfique (peur de la rue, peur de la solitude, etc.), soit sous formes d’obsessions-impulsions (obsession du suicide ou impulsions à des actes saugrenus ou délinquants). Sans doute l’angoisse que ces manifestations expriment est-elle un remaniement ou une actualisation de positions antérieures. Mais l’attitude de la femme envers la grossesse joue un rôle maximum. Généralement ces incidents ou accidents ne survivent pas à l’accouchement. Le rôle éducatif de l’entourage et de la préparation à l’accouchement « sans douleur » doit diminuer ces sortes de réactions anxieuses ou paniques.

4° A côté de ces réactions névrotiques, nous citerons les accidents psychosomatiques sévères, comme les ulcères digestifs, les spasmes viscéraux (coliques hépatiques, néphrétiques, etc.), l’asthme, certaines hypertensions ou dermatoses. Relevant de mécanismes plus complexes, ces accidents signalent, comme les précédents mais par des expressions somatiques parfois graves, la lutte de l’organisme contre l’angoisse de la gravidité, lutte qui se déroule alors à un niveau plus profond.

5° C’est pendant la grossesse qu’on observe encore certains syndromes neuro-psychiques graves et rares : la psycho-polynévrite gravidique est un syndrome de Korsakov classique avec paralysie atrophique douloureuse et confusion mentale ; il est souvent associé aux vomissements incoercibles. La chorée gravidique apparaît généralement chez d’anciennes choréiques. Elle guérit à l’accouchement. L’épilepsie peut survenir pour la première fois pendant la grossesse. Elle ne pose aucun problème particulier, sinon son diagnostic avec les crises de l’éclampsie qui surviennent à l’acmé de la maladie, au milieu des signes d’une néphrite hypertensive avec albuminurie et œdème.

— On peut assister au cours de la grossesse à des accidents psychotiques des types qui vont être maintenant décrits. Les tableaux cliniques sont les mêmes : on note cependant une prépondérance des mélancolies. La note confusioftnelle apparaît souvent au moment de l’accouchement. Ces accidents sont rares pendant les huit premiers mois de la grossesse, qui paraît même exercer un rôle protecteur à l’égard des psychoses en évolution (Rancurel et coll., 1968).

II. — PSYCHOSES PUERPÉRALES PROPREMENT DITES (POST-PARTUM)

Le « Post-partum Blues », épisode d’angoisse survenant dans 30 à 80 % des cas dans les suites immédiates de l’accouchement, évoque la dépression par les crises de : larmes, l’irritabilité, l’anxiété. De nombreuses études ont été consacrées à ce syndrome bénin. Dans moins de 10 % des cas, la dépression persiste plus d’une semaine. C’est un moment de flottement psychologique devant l’adaptation à la nouvelle situation (d’après Lempérière et coll., 1984).

La psychose puerpérale du post-partum se produit dans les jours qui suivent l’accouchement.

Le début est brutal, deux à dix jours après l’accouchement (assez souvent encore vers le 15e ou le 20e jour). La confusion apparaît d’emblée, sans période prémonitoire, en l’absence de tout cortège infectieux.

L’état confusionnel peut être discret (simple obnubilation) ou grave et confiner à la stupeur. Généralement il s’agit d’un état confuso-onirique à tonalité anxieuse. La malade vit une suite de scènes non enchaînées qui se succèdent comme des séquences inachevées. Généralement tristes, funèbres, voire terrifiantes, ces scènes expriment un état d’anxiété qui, comme la confusion, est d’une profondeur variable : de la perplexité à la terreur. Confusion et onirisme paraissent indépendants l’un de l’autre à l’observateur, c’est-à-dire qu’il existe des états confusionnels profonds avec une expérience oniroïde et inversement des états richement oniriques avec peu de désorientation spatio-temporelle.

Cet état réalise une désorganisation complète de l’expérience actuelle dans laquelle l’angoisse et la confusion se mêlent à l’onirisme pour réaliser un tableau très polymorphe : on y voit s’associer ou se succéder par phases des aspects mélancoliques, maniaques, voire catatoniques… La richesse et le polymorphisme de cet état confusionnel sont d’ailleurs assez caractéristiques de toutes les psychoses confusionnelles puerpérales.

L’examen général dans cette forme ne montre pas de syndrome infectieux. S’il existe de la fièvre, elle est à mettre au compte de la déshydratation, de l’agitation et des perturbations centrales.

A côté de cette forme typique, on observe aussi des formes dans lesquelles la prépondérance des troubles thymiques permet de distinguer : des mélancolies puerpérales ; une forme exciîo-maniaque ; des états mixtes, par mélange ou alternance rapide des signes maniaques et mélancoliques. Ces troubles thymiques émergent le plus souvent d’un épisode confusionnel initial. Ils sont assez nombreux (40 % des cas, d’après Lempérière) pour que le problème de la maniaco-dépressive et de l’utilisation préventive du lithium soit posé. On ne voit plus qu’exceptionnellement le délire infectieux puerpéral, contemporain des complications infectieuses de l’accouchement. Certains auteurs (Zilboorg, 1928-1957) ont parlé de « schizophrénies du post-partum », mais il s’agit plutôt soit d’une interprétation de l’état confuso-onirique typique, soit de l’aggravation d’un état psychotique antérieur (cf. p. 731). On lira sur cette discussion : Osterman, Encéphale, 1965, n° 3.

Si les traitements obtiennent souvent des succès pour faire sortir la malade du trouble de conscience, il faut connaître la redoutable tendance aux rechutes de la psychose puerpérale, ce qui impose le maintien de la thérapeutique neuroleptique, sédative ou antidépressive pendant un certain temps après la fin des manifestations. Le pronostic lointain est maintenant favorable.

III. — PSYCHOSES DE LA LACTATION

Il est classique de désigner sous ce nom les psychoses puerpérales tardives. Il faut revenir sur leur rareté : la « vraie » psychose puerpérale est celle du post-partum immédiat. Elles peuvent revêtir le type confuso-onirique ou délirant qui vient d’être décrit. Mais il faut insister sur la fréquence à cette période des réactions dépressives. Nous ne reprenons pas la discussion sur la schizophrénie : voir plus haut.

Ce peut être une dépression névrotique : état d’angoisse plus ou moins profond, avec désintérêt pour l’enfant, sentiment d’incapacité, manifestations derrière lesquelles se découvre une position névrotique latente que la maternité révèle. Ces états d’inadaptation à la maternité peuvent prendre toutes les formes, aiguës ou subaiguës, de la dépression. C’est dans de tels cas que le psychothérapeute devra étudier à fond l’expérience vécue par la mère dans sa relation avec l’enfant et avec l’ensemble de son milieu.

Un tableau assez particulier peut être réalisé par ces états dépressifs s’ils prennent un long cours. On parlait autrefois alors de « neurasthénie post-puerpérale » pour désigner les cas dans lesquels persistaient pendant des mois un état d’asthénie, d’anxiété, de ralentissement intellectuel et de dysmnésie, avec amaigrissement, troubles du sommeil et de l’appétit qui faisaient penser à un « épuisement » post-puerpéral. On aura tendance aujourd’hui à comprendre ces faits plutôt dans le cadre d’une névrose, généralement de structure hystérique, avec dépression, que comme une conséquence d’un épuisement endocrinien. On peut toutefois rechercher le syndrome de Selye (effondrement des cétostéroïdes) si l’on veut en faire la preuve.

C. — ÉVOLUTION GÉNÉRALE ET PRONOSTIC

Cette évolution et ce pronostic sont souvent controversés, car l’opinion de chacun (accoucheurs, psychiatres) est fonction des conditions de son observation.

II. — ÉVOLUTION CHRONIQUE DES PSYCHOSES PUERPÉRALES

Le pronostic à long terme des psychoses puerpérales est considéré comme généralement favorable (Régis, Dupouy et plus récemment Staehlin, 1946 et G. Schneider, 1957), mais le pronostic éloigné demeure dans tous les cas grevé par l’hypothèque d’une psychose latente révélée par la puerpéralité (Sivadon). Si l’on admet avec les modernes une étiologie multidimensionnelle des troubles, il reste un certain nombre de cas dans lesquels une psychose puerpérale parait engager ou aggraver l’évolution classique d’une psychose maniaco-dépressive ou d’une schizophrénie. — Pour G. Schneider (1957),0020 l’évolution vers la chronicité est rare (13 % des cas), ce qui revient à dire que les psychoses chroniques comportent peu de cas d’origine puerpérale (seulement 20 schizophrénies ou psychoses maniaco-dépressives sur 141 femmes psychotiques ayant enfanté ou présenté des troubles puerpéraux). Pour Osterman (1963) 10 % de risque de chronicité.

III. — LE RISQUE DE RÉCIDIVES POUR LES GESTATIONS ULTÉRIEURES

Dans l’état actuel des connaissances, comment répondre à la famille qui pose le problème du risque en cas de grossesse ultérieure ? On se référera pour les éléments de réponse à l’étude étiologique du début de ce chapitre. On sera réservé lorsque se groupent de « mauvaises chances » héréditaires, des traits de personnalité prépsychotique, une mauvaise adaptation à la situation conjugale et socio-économique. On sera plus optimiste lorsque les circonstances particulières d’une maternité paraîtront avoir joué un rôle important dans la détermination de la psychose, alors que le passe de la femme était dépourvu d’incident psychiatrique et que les perspectives de vie sont jugées bonnes, La rapidité et la qualité de la guérison sont encore des facteurs favorables. L’expérience clinique montre que, même dans des cas estimés défavorables, il peut se produire d’autres grossesses sans incident. Dans certains pays, l’avortement prophylactique pour des antécédents de psychose puerpérale est admis. Il n’en va pas de même en France où l’on estime avec assez de raison que le pronostic de ces psychoses est bien loin d’être très grave et plutôt favorable.

D. — DIAGNOSTIC

Nous n’insisterons que sur deux points difficiles :

1° Pendant la grossesse l’apparition de troubles psychiques peut signaler le début d’une éclampsie : ce sont souvent l’altération de l’humeur et l’obscurcissement de la conscience qui font soupçonner cette grave complication dont la preuve sera faite par la recherche des signes de néphrite hypertensive et œdémateuse.

2° Dans les suites de couches, on connaît la possibilité d’une thrombophlébite cérébrale, traduction d’une infection veineuse inaperçue d’origine pelvienne. Le début par des troubles neuro-psychiques est là encore de règle, puisque le premier symptôme de la maladie est souvent une crise convulsive localisée ou généralisée. Le diagnostic se fait sur la constatation d’un tableau clinique avec signes neurologiques focaux plus ou moins nets et comportant le coma ou des troubles de la conscience associés.

E. — TRAITEMENT

1° Les névroses gravidiques ou puerpérales exigent une conduite essentiellement psychothérapique destinée à obtenir le plus rapidement possible un rassurement efficace. On pourra la combiner avec les techniques de préparation à l’accouchement sans douleur. Le problème d’une psychothérapie profonde sera généralement remis à une période ultérieure. Dans le but d’une efficacité rapide, il y a souvent intérêt à appuyer la psychothérapie par des méthodes suggestives : l’isolement suffit généralement à calmer les vomissements. L’hypnose a été préconisée ; les sédatifs dont nous disposons actuellement réduisent les spasmes de l’angoisse. Dans certains cas rebelles, la cure de sommeil peut être employée à la condition que l’on soit sûr de l’intégrité hépatique et rénale. On utilisera le minimum possible de médicaments, surtout au début de la grossesse, et après s’être informé de leur innocuité pour le fœtus.

2° Devant une psychose gravidique, les thérapeutiques de choc peuvent être utilisées à l’exclusion de l’insulinothérapie. L’électrochoc est bien toléré par la femme enceinte et ne provoque pas de risque utérin. Les médicaments neuroleptiques et antidépressifs peuvent être utilisés sans danger à la fin de la grossesse.

3° Les psychoses du post-partum. — L’évolution des conceptions du traitement des psychoses puerpérales reflète les changements d’interprétation dont elle a été l’objet au cours des récentes années, comme le souligne Racamier (1964). Aux notions anciennes, qui considéraient la puerpéralité comme un « stress » endocrino-végétatif survenant sur un « terrain » plus ou moins fragile, tend à se substituer une conception plus large, comprenant l’ensemble de la situation de la mère dans sa relation avec « l’événement maternel » ou « maternalité » de Racamier. Ce qui veut dire que la psychologie de la maternité va être prise en considération comme aspect central du traitement : relations non seulement de la mère avec son enfant, mais aussi avec sa propre mère, et aussi avec tout le vécu de sa propre vie (cf. aussi Leeks, 1967).

Cela ne veut naturellement pas dire que les traitements biologiques seront négligés : les états confuso-oniriques seront traités soit par quelques électrochocs, soit par des neuroleptiques. Tous les neuroleptiques usuels sont utilisables. L’avantage des électrochocs est d’agir à la fois sur la composante anxieuse et sur la composante délirante du syndrome habituel (On peut combiner les deux méthodes (Laboucarie et Faure-Amiel, 1962). Si c’est l’aspect mélancolique qui domine, les antidépressifs sont indiqués.

Un aspect original du traitement biologique concerne l’étage endocrinien des psychoses puerpérales. Depuis des lustres, les psychiatres avaient cherché un traitement dans cette voie, et Guiraud avait même proposé d’appeler ces psychoses « vitamino-hormonales » parce qu’il pensait à l’association d’une hypovitaminose E à des perturbations ovariennes. Les travaux de Delay et Corteel ont engagé le traitement endocrinien dans une voie nouvelle.

Delay et Corteel ont montré que dans les psychoses puerpérales on rencontre constamment à l’examen de la muqueuse utérine (biopsie de Tendomètre) des images caractéristiques : la reconstitution de la muqueuse ne se fait pas ou se fait mal. Alors que normalement la régénération de la muqueuse utérine se fait en trois étapes et est complète en quarante jours environ (Portes et Thoyer-Rozat), l’examen des coupes montre chez les malades des images qui seraient pathognomoniques : coexistence de plages normales avec des plages de destruction ; densité particulière du stroma avec noyaux filamenteux « en virgule » très éosinophiles ; tubes informes sans lumière ou plicaturés « en labyrinthes » ou ouverts dans le stroma « en fer à cheval ». De telles images persistent tant que dure la psychose ; elles disparaissent rapidement à la guérison. On les constate même dans les formes tardives ou extrêmement longues.

L’interprétation de ces faits est encore obscure. On incline à penser que cet aspect spécial de la muqueuse utérine montre Varrêt de la reprise du cycle endocrinien hypophyso-ovarien qui serait bloqué par l’absence de « réceptivité » utérine. Delay et Corteel voient une confirmation de leur thèse dans un fait qui paraît au premier abord une objection : chez certaines patientes, il existe une reprise d’écoulements plus ou moins périodiques qui font croire à un « retour de couches ». Mais ils ont pu montrer qu’il ne s’agit pas de la reprise normale du cycle : ce sont des hémorragies folliculaires du type des hémorragies du 14e jour.

La conclusion thérapeutique importante de ces considérations réside dans le conseil de cureter l’utérus. En pratique, il convient devant une psychose puerpérale de faire pratiquer une biopsie de l’endomètre. L’examen des fragments va montrer si l’on est en présence d’une série d’images conformes à la description de Delay et Corteel. Dans ce cas, il arrive que la simple manœuvre de la sonde de Novak suffise à déclencher une amélioration décisive, comme si cette irritation utérine permettait la reprise de l’involution normale. L’efficacité des nouvelles méthodes de soins (chocs et neuroleptiques) n’a pas permis une large vérification de cette méthode.

Mais si ces traitements biologiques sont efficaces, il s’en faut naturellement qu’ils règlent le problème de la relation mère-enfant. Il est donc toujours nécessaire que le traitement tout entier soit pris dans une psychothérapie. L’originalité de la position de Racamier consiste à montrer que cette psychothérapie consiste dans la présence réelle de l’enfant auprès de sa mère malade pendant le cours de la psychose et après la disparition des symptômes. « La relation de la mère avec son enfant, écrit-il, constitue le foyer, le centre fonctionnel et l’axe dynamique de toutes les manifestations psycho-puerpérales ». Il conseille que, pendant la maladie elle-même, et tout en pratiquant le traitement classique, on assure auprès de la mère la relation avec son enfant, en la faisant participer à l’élevage de son nourrisson. L’équipe soignante doit comporter une mère-substitut qui soignera à la fois la mère et l’enfant, assurant à la mère une possibilité d’identification heureuse. Après la guérison des symptômes, il estime que cette conduite permet, mieux que toute autre, d’assurer la guérison de la maladie relationnelle que constitue la psychose puerpérale. « Les troubles, dit-il encore, sont un avortement des processus psychiques de la maternalité ».

Il est superflu d’insister pour montrer que cette vue de la psychose puerpérale rejoint ce que nous savons de par ailleurs de la nécessité d’une bonne relation primitive avec la mère pour l’enfant. Il est permis de trouver une solidarité du plus grand intérêt entre les conduites obstétricales nouvelles, centrées sur la prise de conscience de la mère et du père à l’égard de la naissance, la conduite thérapeutique préconisée par Racamier à l’égard des psychoses puerpérales, et les notions d’origine psychanalytique sur l’avenir de la vie psychique du nouveau-né (cf. Winnicot, 1957-1961).