CHAPITRE 15

OUI, IL LE VEUT !

Marie-Claude compte arborer une tenue unique lors de son mariage, à des lieues des robes portées habituellement lorsqu’on lie officiellement sa destinée à l’être aimé : elle aura une robe courte, blanc et bleu, confectionnée avec des échantillons de tissu par le costumier Denis Sperdouklis. Opération périlleuse dans le tourbillon qu’est la préparation d’un mariage, le costumier est venu la veille de la cérémonie à vingt-trois heures trente pour l’essayage de la robe ! Le bleu sera aussi la couleur du complet de Normand, plus traditionnel. Le marié aura toutefois les cheveux coiffés sur le côté. Une coquetterie. Le prêtre les unira à l’Église catholique de Saint-Lambert, le matin du 26 avril 1991.

Plus d’un an s’est écoulé depuis la demande en mariage de Normand qui est désormais éperdument amoureux de Marie-Claude. Elle et lui sont devenus inséparables. Le couple a emménagé au début de l’année 1991 dans une grande maison de la rue des Landes, à Saint-Lambert, acquise par Marie-Claude grâce à une somme d’argent héritée d’une tante. Élizabeth et Mylène, leurs filles respectives qui ont toutes les deux six ans, y ont leur chambre.

Les accrochages marquent encore le quotidien de Normand et de Johanne qui élève Élizabeth à Ville Mont-Royal. Alors qu’ils venaient de se séparer, ils ont multiplié les discussions quant au partage et à la vente de leurs biens, de leurs propriétés de Beaconsfield et de Sainte-Anne-des-Lacs. Puis, concernant la façon de s’occuper d’Élizabeth. Pour éviter les engueulades devant leur enfant, les discussions ont eu lieu par avocats interposés, avant que la mère de Johanne et celle de Normand n’aillent au front. Naturellement, par la suite, Marie-Claude a hérité du rôle de messagère. Heureusement pour Normand, son ex et sa future épouse ont des rapports civilisés. « Quand j’ai rencontré Normand, je lui ai dit : je veux que les enfants soient la priorité, affirme Marie-Claude Tétreault. On ne nourrira pas de conflits par rapport à nos ex. Déjà que notre métier tire tout notre jus. J’ai donc toujours eu de bons rapports avec Johanne. »1

Une chose est toutefois claire : au grand bonheur de Marie-Claude et de Normand, leurs filles s’entendent à merveille. Dès leur première rencontre, à Beaconsfield, dans la maison que Normand a gardée un temps, elles deviennent complices. Rapidement, elles se considèrent comme des sœurs.

— Elles ont défoncé le sofa et viré la maison sens dessus-dessous, dit Normand à Marie-Claude. J’imagine qu’elles s’entendent bien si elles aiment planifier les mêmes mauvais coups !

Professionnellement, tout roule pour Normand qui a retrouvé, pour une deuxième saison, son micro à CKOI en septembre. Les auditeurs entendent maintenant un animateur en confiance, qui maîtrise les rouages de la radio FM et qui a un plaisir fou en studio avec ses coanimateurs François, Christian et Joane.

Il faut croire que la chimie est palpable, car on se presse désormais sur la bande FM pour écouter Yé trop d’bonne heure. « En décembre 1990, la première saison, on a eu notre sondage le plus dévastateur, raconte Pierre Arcand. C’était en deçà de tout. On avait quarante-cinq mille auditeurs au quart d’heure alors que la compétition (Le zoo de Montréal à CKMF) en avait cent cinquante-cinq mille. Je m’étais fixé une limite : si le show ne décollait pas de dix pour cent en juin, on le retirait des ondes. »2

Les cotes d’écoute ont lentement augmenté. Puis, le miracle s’est produit à l’automne de la deuxième saison. « Un raz-de-marée de cent quarante mille auditeurs au quart d’heure ! lance Pierre Arcand. La panique était prise à CKMF ! »3

« L’engouement fut graduel, mais quand le feu a pogné… Le monde capotait ; les employés de la station autant que les auditeurs, qui étaient nombreux à envoyer des fax et à téléphoner, relate François Pérusse. Tout ça, au grand désarroi de Pierre Arcand qui nous a vus monter dans son bureau pour renégocier nos contrats ! La deuxième année, j’ai donc doublé mon salaire. Et je l’ai encore doublé de la deuxième à la troisième. »4

La recette gagnante ? Beaucoup de rires sentis en ondes. En studio, Normand le timide devient un tout autre personnage. Les anecdotes sur sa vie familiale laissent de plus en plus place à des histoires embarrassantes sur les artistes québécois et à des coups pendables. Normand devient un animateur sans filtre. Pourvu qu’il fasse rire l’auditoire et ses camarades de micro.

Cela dit, l’animateur ne s’arroge pas tout le crédit du succès du Yé trop d’bonne heure des premières années. Il a à ses côtés un François Pérusse qui offre maintenant des capsules des 2 minutes du peuple de première qualité et qui s’apprête même à lancer un CD (son Album du peuple, tome 1) mettant en vedette ses personnages chéris. Et Normand est l’heureux ambassadeur d’une chronique qui fait tordre de rire des centaines de milliers d’auditeurs : Les hallucinations auditives, une idée du directeur des programmes de CKOI, André St-Amand.

Chaque matin, les auditeurs avalent, en effet avec grand plaisir, des extraits de chansons dans lesquels des paroles chantées en anglais semblent à leurs oreilles être des rimes françaises. C’est ainsi qu’on a découvert que Paul McCartney et son groupe The Wings pouvaient chanter « Bernard Derome » au lieu de « Band on the Run » ou que Mick Jagger et Keith Richards des Rolling Stones avaient écrit « Ah, le blé d’Inde » pour la chanson Wild Horses. Que dans un de ses succès, Enya osait même ces mots : « Enfonce le tibia, ti-mousse » ! « C’était un rendez-vous à sept heures cinquante-cinq qui a aidé à la popularité du show », dit André St-Amand.5

Normand cache mal sa joie lorsqu’il pousse une hallucination auditive en ondes. On le sent, chaque matin, pressé de partager les plus récentes découvertes des auditeurs.

Le plaisir est palpable en ondes et il se propage en dehors du studio avec François et Christian avec qui Normand s’en permet plusieurs.

— Christian, tu devrais aller chercher un petit train ! demande Normand tous les matins vers sept heures.

Un petit train ? Le synonyme de trois bières achetées au dépanneur près de la station. « On les buvait sur-le-champ, relate Christian Tétreault. Eh bien, un matin, on a reçu en studio la chanteuse Véronique Sanson qui m’a aperçu avec ma canette de bière et mon sac de chips. Elle a levé le nez sur un buffet à trois cents dollars, elle m’a pointé du doigt et a dit : “ C’est ça que je veux ! ” Je suis retourné au dépanneur lui chercher une Labatt Bleue et un chip barbecue ! »6

Régulièrement, après une émission, Normand s’attable au Café Cherrier, rue Saint-Denis, pour déboucher une bouteille de vin blanc et redéjeuner en compagnie de François. « J’étais sur le party pas mal. Normand aussi, admet François Pérusse. Ce furent mes plus belles années de radio. On faisait les caves en ondes. On pouvait imiter Lionel Richie avec une perceuse de dentiste. On multipliait les niaiseries de collégiens. C’était merveilleux les deux premières années. C’était excitant. Il y avait beaucoup d’audace. Notamment dans les choses que Normand révélait en ondes. Il osait rire de certaines personnalités. Il n’y avait pas beaucoup de retenue. »7

Après avoir feuilleté la rubrique des anniversaires du jour dans Le Journal de Montréal, Normand aime bien téléphoner à une personnalité pour lui souhaiter bonne fête en ondes. L’appel, qui a lieu à six heures trente, fait office de réveille-matin pour les victimes. « Un matin de la première saison, on a décidé de téléphoner à Michel Stax, chanteur de Oh ! ma Lili, raconte Christian Tétreault. La conversation fut courte : “ Allo ! Hey, Michel Stax, c’est Normand Brathwaite à CKOI. Ça va ? — Non, ma mère est décédée hier. — Ah… mes sympathies… Ben bye… ” Il y a eu un gros malaise en ondes, puis on a continué notre émission ! »8

CKOI devient vite un endroit confortable où Normand se permet d’arriver tout juste une minute avant le début de son émission. Et ce, sans s’attirer les plaintes de ses camarades ou les sermons des patrons. Au contraire ! Sa facilité à improviser en ondes le sauve. « Normand était le magicien de l’impro, souligne Christian Tétreault. Il arrivait en studio alors que le thème de l’émission se faisait déjà entendre. Il n’avait aucune idée du gagnant du match de hockey de la veille. Il mettait son casque d’écoute et c’était parti. »9

François finit par faire partie du cercle restreint des amis de Normand. « Il était comme mon grand frère du métier, dit le créateur des 2 minutes du peuple. Il me mettait en garde sur certaines choses. Comme je ne savais pas comment me vendre, il me disait comment me présenter aux gens de l’industrie et au public. J’étais fier de travailler avec lui. On s’échangeait aussi des disques. On parlait du bassiste électrique Jaco Pastorious, mon idole… qui est tombé dans la dèche, l’alcool, l’autodestruction et qui a fini sa vie sur un banc de parc en 1987. Avec moi, Normand s’est aussi ouvert facilement. Il me parlait de ses défauts. Je pouvais pleurer devant lui. Il me ramassait lors de mes peines d’amour. Je suis introverti, mais je peux m’ouvrir à mes bons amis. »10

Sans surprise, François et Christian composent le bouquet d’invités au mariage de Normand. En ce samedi ensoleillé d’avril, ils sont en fait près de deux cents à avoir reçu l’invitation pour la réception qui a lieu dans un immense local du boulevard Saint-Laurent. Normand a confié l’organisation de l’événement à sa comptable qui a envoyé des faire-part à des tantes et des cousines, à Denise Filiatrault, Marc Labrèche, Véronique Béliveau, Judi Richards, Yvon Deschamps et la bande de Samedi de rire, celle de Beau et chaud, de CKOI et à plusieurs autres comédiens, humoristes, chanteurs, musiciens, producteurs et réalisateurs avec qui Marie-Claude et lui ont travaillé à la télé et à la radio.

Mais avant les festivités, il y a le sacrement qui a lieu rue Lorne, à Saint-Lambert. À l’église, les futurs époux souhaitent échanger les vœux dans l’intimité. Il n’y aura que les mères, les conjoints de celles-ci et les frères de Marie-Claude et de Normand qui verront le prêtre les unir devant Dieu. Ah ! et Ginette Reno qui, postée au balcon, entonnera la chanson L’essentiel lorsque les époux s’avanceront vers le prêtre.

Près de quarante ans après Denise et Walter, Normand officialise son amour pour Marie-Claude devant Dieu. Normand aurait bien aimé partager ce moment avec son père, mais il est néanmoins heureux de savoir que sa mère vient à l’église au bras de Mario, son compagnon des dernières années. « Un gars aimable et gentil qui a pris la place de mon père, raconte Normand Brathwaite. Mes frères et moi étions contents, car ma mère n’était plus seule. »11

Les futurs époux arrivent à l’église à bord d’une Alfa Roméo décapotable que conduit Marie-Claude. Il est près de onze heures. La future mariée porte des verres fumés et grille une cigarette pour assoupir une grande nervosité. « Marie a tellement fumé, cette journée-là, se souvient Normand. On était très nerveux. C’est la fois où je l’ai le plus été. On venait de traverser la ville et de contourner des bouchons de circulation pour aller chercher Élizabeth chez Johanne. Marie, qui croyait arriver en retard à l’église, a éclaté en sanglots dans la voiture. En plus, nos filles qui étaient bouquetières semblaient fâchées, peut-être parce que ce n’était pas maman qui se mariait avec papa. Elles m’apparaissent tristes sur les photos de mariage. »12

Mylène Benoit, la fille de Marie-Claude, confirme partiellement la chose : « En fait, j’étais déçue de ne pas pouvoir aller au party après la cérémonie, puisque je n’avais que six ans, dit-elle. Mais je me rappelle que j’étais très contente d’avoir été coiffée, maquillée, qu’on m’ait arrangée comme une princesse. Et je me rappelle d’avoir trouvé Élizabeth tellement belle. »13

Au moment de pénétrer dans l’église, Normand est remué par la voix de Ginette Reno et éclate à son tour en sanglots.

— Mon Dieu, faites que je me rende jusqu’à l’autel sur mes deux jambes, supplie intérieurement le futur époux.

Son rythme cardiaque ne ralentira qu’une fois les vœux et le baiser échangés. Après celui-ci, Marie-Claude et Normand s’étreignent longuement. Qui immortalisera l’événement ? On imagine la meute de photographes postés devant l’église. Un seul, qui travaille pour Échos-Vedettes, a toutefois eu l’autorisation du couple de les approcher dans la journée. Et encore, il ne lui est même pas permis de s’immiscer dans l’église. Puis, lors du repas, il lui faudra l’autorisation verbale de chaque invité pour le prendre en photo.

Si la réception a comme première qualité d’être mondaine, elle rassemble aussi une brochette d’invités qui n’a que des accolades senties à faire aux époux. Normand et Marie-Claude ne voient pas les heures filer et les plats leur passer sous le nez, tout occupés qu’ils sont à saluer les convives et à se faire souhaiter le plus grand bonheur du monde.

— Dire qu’il y a deux ans, tu ne pensais qu’à te noyer dans ma baignoire, lui lance Josée Fortier.

Normand et Marie-Claude quittent le loft complètement épuisés à deux heures du matin, après une prestation de Lulu Hughes : My Funny Valentine… susurrée juste pour les nouveaux mariés. Deux taxis remplis de cadeaux reconduisent les époux à Saint-Lambert. Juste avant que le nouveau marié ne ferme la portière du taxi, Ginette Reno glisse sa tête près de Normand :

— Toi, si tu fais de la peine à Marie-Claude, je t’étrippe !

— Ça n’arrivera pas, promet Normand. Ginette, tu as été merveilleuse ce matin. Je t’adore !

Le taxi roule vers leur nouvelle vie et demain, ils partiront en Gaspésie pour leur lune de miel.

— On va avoir une semaine à nous seuls pour nous reposer, chuchote Normand au creux de l’oreille de Marie-Claude sur la banquette arrière du taxi.

— C’est beau, Paspébiac ? demande l’épouse.

— Tu vas avoir un coup de foudre en arrivant à l’Auberge du Parc.

— Si seulement on pouvait y aller autrement qu’en avion. Tu sais à quel point j’ai le mal de l’air.

Difficile de croire que Marie-Claude obtiendra en 2008 son permis pour piloter des hélicoptères, elle qui s’est longtemps cramponnée au bras de Normand en montant dans un avion. Le vol nuptial vers le Nouveau-Brunswick, étape imposée avant d’arriver en Gaspésie, demeure d’ailleurs mémorable. De forts vents et de la turbulence rendent l’épouse malade à la fin du trajet. Se convaincre qu’un éden l’attend en fin de course calme à peine son estomac.

Pour s’assurer que Marie-Claude revienne en Gaspésie, Normand devra se résigner à y aller en train de nuit ou en voiture. Car il y aura une prochaine fois, et une fois suivante, puis une autre… Après deux heures de route, de l’aéroport de Charlo au Nouveau-Brunswick à Paspébiac, Marie-Claude ressent en effet le même émerveillement que Normand quelques années plus tôt en arrivant à l’Auberge du Parc.

Ils sont à peine à quelques heures de Montréal, mais les nouveaux mariés se sentent au paradis. Même si elle est affectée par le récent décès de sa fille, Madame Lemarquand accueille chaleureusement mari et femme. Comme le couple ne veut pas s’éloigner d’Élizabeth et de Mylène plus d’une semaine, les vacances sont de courte durée. La Gaspésie, frisquette en avril, n’a pas les couleurs ni la douceur des bords de mer de Tahiti ou de la Guadeloupe, mais les amoureux estiment avoir trouvé le coin idéal pour méditer.

— Je souhaite vraiment qu’on ait de belles années devant nous, souffle Marie-Claude.

Normand offre un regard attendri à Marie-Claude pour lui signifier qu’il désire la même chose. Cette lune de miel lui confirme qu’il a trouvé son âme sœur. Un soir qu’il se promène au bord de la Baie des Chaleurs, il lève les bras et remercie le ciel d’être tombé sur une femme aussi belle, douce et attentive, avec qui il veut vivre jusqu’à la fin de ses jours.