LES ORDRES

Sans faire appel à la magie, avec pour seule énergie sa fureur, Zarcofo brisa la lourde chaîne qu’il tenait à deux mains.

— Offre les gardiens en pâture aux dragons ! ordonna-t-il à Gork.

Le géant se pencha pour ramasser les corps des six fougres écrasés sur le sol. Dans un premier élan de rage, le sorcier s’était acharné sur ses gardiens avec son sceptre d’or, brisant leurs os et massacrant leur chair. Il ne restait plus qu’un amas sanguinolent de membres disloqués. En chargeant ce paquet informe dans ses bras, le géant perçut quelques sursauts de vie agonisante.

Zarcofo resta seul à regarder la cage vide. Il s’était retenu de supplicier le chien-cheval jusqu’à ce que mort s’ensuive en espérant le tourmenter sous les yeux de l’Élu et voilà que la vilaine bête s’était enfuie. Malgré le peu d’eau et la quasi-absence de nourriture, l’animal avait réussi à préserver ses pouvoirs magiques, échappant courageusement au piège de vouloir mourir pour que cesse la souffrance.

Une vive colère enflamma le sorcier. Il avait l’impression que du feu liquide coulait dans ses veines et qu’à force d’être parcouru de décharges furieuses son corps entier allait s’embraser. Le pire, c’est qu’il se savait coupable. Il s’était laissé abrutir par l’hydransie. C’était là une marque de faiblesse impardonnable. Il aurait dû résister. Et sans doute y serait-il parvenu si les fées n’avaient pas été plus puissantes qu’il ne l’avait cru. Malgré leur reine mourante et leur princesse égarée dans ses songes, les fées continuaient de lui faire obstacle et de l’éprouver.

Cela signifiait que l’Élu avait acquis des forces neuves. Sinon, les fées se seraient épuisées à le garder vivant pour l’aider à poursuivre misérablement sa route. Or le pouvoir des fées avait trop peu diminué sous les derniers soleils. L’équilibre des forces n’était pas suffisamment menacé. Zarcofo restait condamné à partager son règne avec celles qu’il s’était promis d’écraser.

Il devait agir rapidement. Fouetter la colère de l’Élu pour réveiller les dernières forces maléfiques qui sommeillaient en lui. Alors, seulement, il pourrait le faire tomber. Et par tous les sorciers, passés et à venir, il s’en amuserait de la plus abjecte manière.

Zarcofo attendit le retour de Gork. Lorsqu’il le vit arriver, ragaillardi par le spectacle des dragons happant le corps des fougres, Zarcofo sut que Gork pourrait l’assister. Il n’avait pas l’âme aussi grise que les fougres, il était bien moins perfide que Fakar, mais il saurait leur en imposer. Autant de malignité dans un corps si immense ne pouvait qu’impressionner.

— Nous attaquons sur-le-champ ! annonça le sorcier. Je te nomme commandant d’armée. Libère les mille fougres les plus affamés, deux colonies de filifous et autant de guilledoux, ces vieilles sangsues détestables que je garde en réserve depuis trop d’années.

Pendant un bref moment, Gork se crut dépassé. Il n’eut cependant pas à douter longtemps de lui. Un fort courant d’énergie maligne l’envahit alors que Zarcofo usait de magie pour attiser les braises noires de son âme. Lorsque le sorcier exposa le plan d’attaque à son nouveau général d’armée, Gork poussa un gloussement de plaisir.