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Sésame baye aux corneilles. Il se réveille doucement. « Quoi, lui dis-je, tu dormais, tout ce temps? Ça valait bien la peine d’insister pour que je raconte! » Il me dit qu’il s’est endormi après Sanguine et les ébats qui suivirent. Il avait l’impression d’avoir capté l’essentiel. « Bon, tant mieux. Et qu’est-ce que tu en penses? » je lui demande. Il me regarde avec un air désenchanté et me dit qu’il s’attendait à des révélations percutantes ou, à tout le moins, croustillantes, mais qu’il ne s’agit, selon lui, que de quelques vétilles d’adolescence. Il lève les yeux au ciel et ajoute dans un miaulement plaintif qu’il ne comprend pas de quel bois je suis faite. « Comment diable peut-on s’en faire pour si peu? » conclut-il nonchalamment.

Il s’en va, l’air détaché. Ce chat se fout de moi. Qu’il ne s’avise pas de me demander un collier en pierres du Rhin. Ce sera non!

— Chérie, ça va? Tu te sens bien?

Je sursaute. C’est Ludwig qui arrive dans mon atelier.

— Tu parlais avec quelqu’un ou bien…

— Je me parlais, oui c’est ça.

— C’est bien ce que je craignais.

— Quoi?

— M’est avis que tu as besoin de vacances.

— Tu crois?

Il a un drôle de ton. Je commence à m’inquiéter.

— Chérie, je vais devoir t’envoyer dans une station thermale comme on le faisait autrefois avec les tuberculeux. On t’enrobera dans une couverture de mohair telle une mémé et tu attendras ma visite le dimanche après-midi. Je t’apporterai de petits fours.

Je rigole. C’est bien là l’humour de Ludwig.

— Tu es bête! Des petits fours!

— Pourquoi pas? Ou des madeleines. Avec une verveine, ce sera très proustien. Tu te sentiras en pays de connaissance.

Il me prend dans ses bras et me serre très fort.

— Je m’inquiète pour toi, tu sais. Je trouve que tu passes beaucoup d’heures dans ton atelier. Tu en oublies de manger, quand tu crées. Tu es toute pâle.

— Non, ça va, je t’assure.

Il m’adresse un regard suspicieux et finit par déclarer :

— Dans ce cas, je crois que c’est l’heure de la crème de menthe verte, non?

J’éclate de rire. C’est notre façon codée de parler de sexe. Je ne me rappelle pas où nous avons pêché cette expression ridicule, mais elle me fait rire chaque fois.

— Oui, c’est l’heure de la crème de menthe verte, dis-je en tentant de reprendre mon sérieux.

— C’est parfait dans ce cas, gente dame. Je m’en vais de ce pas enfiler ma robe de chambre en ratine de velours grenat et vous attendrai en position du lotus. J’espère que vous porterez votre négligé garni de marabout.

Je pouffe encore.

— Ludwig, tu sais que je t’aime follement? dis-je avec douceur.

— Cela reste à prouver, me répond-il d’un ton badin.

Puis, sur un ton aristocratique, il ajoute :

— Nous vérifierons cela dans l’alcôve, madame.

Sans le savoir, Ludwig est un fin stratège. Non seulement il me fait rire, excellent antidote à l’angoisse existentielle, mais un détour par l’alcôve fera à coup sûr son petit effet et musellera pour l’heure mes préoccupations, quelles qu’elles soient.