UNE PETITE VENGEANCE
Tous les hommes devraient s’efforcer d’être forts et rusés. Le Grand Ver se vengera de ceux qui se révéleront faibles et idiots, en les châtiant de façon exemplaire.
Vulgnash éprouvait une envie très particulière.
Les morts ne sont pas sujets aux passions, du moins, pas au même degré que les humains. Ils ressentent la faim comme un besoin d’énergie vitale, un besoin lancinant dans toutes les cellules de leur corps, un besoin aussi fort que le besoin d’air chez un homme en train de suffoquer. En revanche, il n’y a guère de place en eux pour le désir, la vanité ou la compassion.
Aussi cette envie ennuyait-elle Vulgnash.
Le Chevalier Éternel brûlait de se venger. La femme ailée lui avait échappé ; elle l’avait humilié devant le Seigneur Désespoir. Vulgnash avait bien vu que son maître n’était pas content de lui.
Encore ce donjon, songea-t-il en descendant l’escalier de pierre en colimaçon qui y menait. Je passe ma vie là-dedans !
Il avait soif d’une mission plus dangereuse, plus excitante. Surveiller le magicien Fallion Orden n’était certes pas sans danger, mais le jeune homme ne représentait qu’une faible menace.
Le plancher de la Cellule Noire était désormais couvert de givre ; des congères se formaient sur les barreaux et les murs. Fallion était toujours inconscient, plongé dans un sommeil proche du coma.
Il en allait de même pour les autres prisonniers. La fille wyrmling semblait morte. Serre et Daylan du Marteau Noir respiraient à peine. Seul l’émir grognait et s’agitait dans son sommeil, comme en proie à un cauchemar.
Vulgnash tenta de secouer les portes. Elles étaient en fer massif, et chacune d’elles pesait une demi-tonne. Il ne pouvait pas les ébranler. Et les serrures étaient solides.
Avant de ressortir, il alla de nouveau voir Fallion. Le jeune homme était enchaîné au mur par une jambe. Vulgnash décida de s’amuser un peu avec lui.
À l’aide d’une vieille corde, il attacha les bras et les jambes de Fallion assez serré pour lui couper la circulation. Puis il alla chercher une paillasse dans une cellule vide et la traîna jusque dans la Cellule Noire. Il y allongea le prisonnier sur le dos, lui tenant la tête renversée en arrière afin que Fallion ne puisse pas voir son propre corps. Cela fait, il lui envoya juste assez de chaleur pour le ramener à la conscience.
Fallion revint à lui graduellement. Des secousses le parcoururent ; il marmonna entre ses dents. Une fois réveillé, il tenta de remuer ses bras et ses jambes. Comme il ne les sentait plus, une horreur grandissante se peignit sur son visage.
Vulgnash savait très bien ce qu’il devait penser. Des dizaines de ses Dédiés avaient été mutilés, amputés de leurs quatre membres. Fallion était incapable de dire s’il avait encore les siens.
— Sans bras ni jambes, tu ressembles à un ver de terre, siffla Vulgnash. Vas-y, tortille-toi. Tortille-toi pour ton maître.
— Non, pitié, gémit Fallion en tentant de remuer pour voir son corps.
Mais Vulgnash se contenta de poser un pied sur son front pour qu’il ne puisse pas redresser la tête.
— Tu as remercié mon maître de t’avoir transmis la douleur de ses sujets. Pour te récompenser, il a amputé des milliers d’entre eux, et il t’a laissé sentir leur souffrance. Tu veux les voir ?
Soudain, Fallion projeta ses pouvoirs vers les murs de la cellule pour absorber leur chaleur. Mais la pierre était glacée, et sa tentative pitoyable n’aboutit à rien.
Une fois de plus, Vulgnash aspira la chaleur corporelle du petit magicien afin de le rendormir. Ça devrait suffire à l’empêcher de se réveiller pendant quelques heures. Fais de beaux rêves, Fallion Orden.
Vulgnash quitta le donjon, alla chercher Kryssidia et apporta ses quatre derniers forceps au chef officiant de Rugassa. Il ne fallut qu’un quart d’heure pour trouver des Dédiés humains et arracher la Vue de deux d’entre eux.
Au début, l’effet parut assez minime à Vulgnash. Il n’y voyait pas mieux dans le noir, mais les vers luminescents posés sur les murs lui apparaissaient d’une couleur nouvelle – un vert sourd.
Avec ses deux derniers forceps, Vulgnash prit deux Dons de Métabolisme et ordonna à Kryssidia de le rejoindre dans ses appartements. Puis il s’élança dans les tunnels du labyrinthe, remontant les escaliers telle une chenille qui escalade une branche, jusqu’à ce qu’il atteigne sa crypte.
Le soleil se mourait à l’horizon, disque ensanglanté qui s’enfonçait peu à peu dans sa tombe. Des nuages rouges promettaient une tempête.
Pour la première fois de sa vie, Vulgnash contemplait un monde en couleurs : les bleus et les violets du ciel crépusculaire, les gris, les bruns et les verts de la forêt.
C’est donc ainsi que voient les humains, s’émerveilla-t-il.
Le transfert d’attribut avait produit l’effet escompté. La lumière du jour l’irritait toujours, mais elle ne lui blessait plus les yeux. Elle était encore assez vive pour qu’il n’ait pas envie de se mettre en route immédiatement, mais la nuit ne tarderait pas à tomber.
Traversant ses quartiers à l’ameublement spartiate, Vulgnash se dirigea vers sa penderie, en sortit une robe rouge propre et ceignit une épée longue noire comme de l’obsidienne. Un instant, il s’immobilisa près de la porte de son balcon et jeta un regard plein de regret à sa propre tombe.
Ah, se dit-il. Dormir ; rêver, peut-être.
Vulgnash se sentait en paix. Torturer Fallion avait été un baume apaisant sur les plaies de son ego ; ça avait en partie satisfait son besoin de vengeance. Mais surtout, il était rasséréné de penser qu’il irait au combat avec le Seigneur Désespoir à ses côtés.
En tant que Chevalier Éternel, Vulgnash n’avait jamais été réellement vivant. Il n’avait pas d’âme, et ne pouvait donc pas servir d’hôte à un locus. Aussi n’avait-il aucun moyen de communiquer à distance avec son maître comme le faisaient les Seigneurs de la Mort.
Mais à présent, grâce à ses pouvoirs de Roi de la Terre, le Seigneur Désespoir parlait dans la tête de Vulgnash, même s’il ne pouvait pas entendre les pensées de ce dernier. Cela faisait quasiment de Vulgnash l’égal d’un Seigneur de la Mort, et ça augmentait sa valeur aux yeux de son maître tout en préservant son intimité.
Bref, Vulgnash était enchanté.
Néanmoins, il avait une mission à accomplir. S’il tardait trop à châtier les Gardes-Crocs, le Seigneur Désespoir ne se montrerait pas aussi indulgent cette fois.
Kryssidia ne tarda pas à rejoindre Vulgnash. Ils se dirigèrent vers la fenêtre la plus proche et sautèrent depuis le balcon en déployant leurs ailes écarlates.
Ils descendirent assez bas pour profiter de l’ombre des montagnes lointaines. Ils rasèrent la cime des arbres à une vitesse folle, effectuant des tonneaux et profitant de leur élan pour accélérer toujours davantage.
Le jour céda la place au crépuscule, et le crépuscule à la nuit.
Tout en volant au niveau de Vulgnash, Kryssidia lui expliqua la situation à Caer Luciare. Les Gardes-Crocs avaient pris des Dons et se croyaient désormais assez puissants pour défier l’empire. Ils étaient dirigés par un idiot mégalomane nommé Chulspeth, qui ignorait encore que le Désespoir s’était incarné et résidait désormais à Rugassa. Bien entendu, il ne savait pas non plus que le Grand Ver disposait des pouvoirs protecteurs d’un Roi de la Terre.
Vulgnash connaissait Chulspeth. C’était le chef de la Garde-Croc. Vulgnash l’avait choisi personnellement pour avoir l’honneur d’être le premier à recevoir un Don de Violence. Une fois de plus, il songea qu’il n’avait pas bien servi son maître.
Comme Kryssidia avait faim, les Chevaliers Éternels ralentirent et s’écartèrent quelque peu de leur trajectoire afin de chasser. Bientôt, ils aperçurent de la fumée qui s’élevait de plusieurs feux de camp, et ils découvrirent un poste de garde occupé par des petites gens. Ce n’était pas à proprement parler un village de montagne, juste un mur en bois muni de quelques tours. Mais des enfants jouaient derrière la palissade.
Les deux Chevaliers Éternels piquèrent, zigzaguant pour esquiver les flèches des défenseurs. Ceux-ci hurlèrent des avertissements qui firent sursauter les enfants, mais trop tard.
Alors que les jeunes humains levaient vers eux un regard terrorisé, Vulgnash et Kryssidia se saisirent chacun d’un petit de deux ou trois ans. Les parents hurlèrent et poursuivirent les Chevaliers Éternels en agitant le poing.
Nous sommes comme des geais qui pillent le nid des autres oiseaux, songea Vulgnash en plaçant sa main sur le visage du petit garçon qui se débattait dans son étreinte.
Il commença à drainer ses forces vitales. Enfant ou adulte, l’esprit de tous les humains lui fournissait la même subsistance.
Après avoir vidé leurs proies, Vulgnash et Kryssidia lâchèrent leurs corps, et les deux petites coquilles vides allèrent s’écraser sur le sol en contrebas.
Quelques instants plus tard, Vulgnash entendit la voix de son maître dans sa tête. Quand tu auras fini de punir mes ennemis, reviens en toute hâte. Et ramène du sang-métal pour faire des forceps.
— Oui, seigneur, chuchota Vulgnash dans le vent, car il savait que le Seigneur Désespoir ne pouvait pas l’entendre.
Comme les deux Chevaliers Éternels approchaient de Caer Luciare, la voix du Désespoir résonna de nouveau dans la tête de Vulgnash.
Sois prudent, mon ami. Sois très prudent. Les Gardes-Crocs t’ont tendu un piège. Ils attaqueront dès que tu te poseras. Ce n’est pas avec une épée que tu remporteras cette bataille.
Vulgnash agita une aile pour faire signe à Kryssidia. Tous deux virèrent à gauche et se posèrent dans les bois.
— Notre maître veut que nous employions le feu, annonça Vulgnash.
Sans préambule, il assembla à coups de pied un tas de feuilles mortes et de brindilles, puis utilisa la chaleur de son corps pour donner naissance à une petite flamme. Il laissa celle-ci lécher les feuilles un moment pour lui permettre de grandir, puis il la tordit afin de la diriger vers un petit aulne.
Une brise tiède soufflait, aiguillonnant la flamme. Très vite, celle-ci se démultiplia et monta à l’assaut de l’arbre tout en se propageant à travers les détritus qui jonchaient le sol.
Vulgnash s’avança dans le brasier en formation pour se repaître de sa chaleur, tel un lézard paressant dans la lumière du soleil. Quand la chaleur en question eut imprégné ses chairs, Kryssidia et lui reprirent leur envol.
Sur le flanc de la montagne, les wyrmlings tués pendant la prise de Caer Luciare jonchaient toujours le sol à l’endroit où ils étaient tombés. Au sein de leur culture, c’était considéré comme un grand honneur. Ils pensaient que les guerriers abandonnés ainsi se relèveraient, arme à la main, le jour où le Grand Ver engagerait l’ultime bataille à la Fin des Temps.
Les trois grandes arches de Caer Luciare n’étaient plus éclairées par l’esprit des ancêtres de ses occupants humains. Des glyphes vulgaires ornaient désormais les murs blancs comme l’os, signalant que la forteresse appartenait aux wyrmlings.
Les portes ne semblaient pas gardées. Peut-être ne restait-il pas assez de guerriers valides pour ça. Pendant le trajet, Kryssidia avait décrit à Vulgnash le spectacle qui s’offrirait à eux à l’intérieur de la forteresse : le grand hall jonché de wyrmlings impotents, qui s’étaient tous vus arracher un attribut. Très peu d’entre eux tenaient encore debout.
Jamais Vulgnash n’avait entendu parler d’une telle dépravation.
Il se posa devant l’arche centrale et cria :
— Ici, Chulspeth !
Au bout d’un moment, une voix aiguë, au timbre presque hystérique, lui répondit :
— Suis-je donc un chiot désobéissant pour que tu m’appelles au pied de la sorte ?
Visiblement, Chulspeth avait pris trop de Dons de Métabolisme – sans doute une vingtaine ou plus. Il tentait de ralentir son débit pour que ses paroles soient compréhensibles par les manants, mais Vulgnash entendait la différence.
— Tu n’es pas un chiot désobéissant, répondit-il calmement dans l’espoir d’attirer son ennemi à découvert. Je t’ai respecté et honoré. Tu as été le premier des serviteurs de notre maître à goûter le baiser des forceps. On raconte qu’il t’est monté à la tête comme du vin et t’a fait perdre ton jugement. Je suis venu te faire entendre raison et t’offrir une chance de servir notre maître une fois de plus. Tu pourras devenir son guerrier le plus puissant.
— Je préférerais servir la bite d’un taureau plutôt que ce gros poltron d’empereur, couina Chulspeth.
Toujours pas le moindre signe de mouvement à l’intérieur de la forteresse, nota Vulgnash.
— L’empereur ne règne plus à Rugassa, répliqua-t-il. Le Désespoir s’est incarné, et il arpente désormais le labyrinthe parmi nous.
La nouvelle aurait dû frapper Chulspeth de respect, voire d’émerveillement, et déclencher chez lui un zèle fanatique. Mais le chef de la Garde-Croc se contenta de pousser un glapissement, auquel succédèrent un aboiement et une menace.
— Je n’ai pas peur du Désespoir ! Tu n’es rien qu’un laquais qui apporte le dîner de ton maître avant de le sucer ! Tu devrais être assis à sa droite au lieu de ramper à ses pieds !
Chulspeth fit alors à Vulgnash l’inévitable offre que le Chevalier Éternel avait déjà entendue un millier de fois avec d’infimes variations.
— Ta place est parmi nous, Vulgnash. Tu serais le bienvenu ici. Nous te traiterions comme le grand seigneur que tu es, et nous t’honorerions. Tu aurais droit à la meilleure nourriture et aux plus belles femmes.
Un léger gloussement monta de la gorge de Vulgnash.
— Je ne désire aucune de ces choses, répliqua-t-il froidement. Et ce ne serait pas un honneur pour moi que d’être considéré comme un des vôtres. Le Seigneur Désespoir marche parmi nous, et il possède de nouveaux pouvoirs dont jamais les mortels n’avaient entendu parler jusqu’ici. Si je me joignais à vous, il nous écraserait tous sous son talon comme de vulgaires souris.
Chulspeth poussa un rugissement furieux.
Attaque ! ordonna le Désespoir dans l’esprit de Vulgnash.
Celui-ci leva une main, prêt à décocher une boule de feu.
Soudain, Chulspeth jaillit de l’ombre de la forteresse et se rua vers Vulgnash à une vitesse inimaginable – bien plus de cent lieues de l’heure, estima le Chevalier Éternel surpris. Dans sa main, le chef des Gardes-Crocs tenait un javelot de fer noir.
Vulgnash projeta une boule de feu blanc, incendiaire et rugissant. Le projectile, qui faisait la taille de son poing quand il l’avait lancé, grossit en filant vers Chulspeth. Il avait atteint quatre mètres de diamètre quand il rencontra sa cible.
L’espace d’un battement de cœur, Vulgnash crut que Chulspeth allait passer au travers des flammes sans encombre, tel un enfant qui s’amuse à sauter par-dessus un feu de camp. Mais une fraction de seconde avant que la boule de feu ne l’atteigne, le chef des Gardes-Crocs hésita le temps de projeter son javelot.
L’arme fila vers Vulgnash bien plus vite que n’importe quel carreau de baliste. Grâce aux centaines de Dons de Force que Chulspeth avait pris, c’était une attaque d’une puissance dévastatrice. La pointe du javelot atteignit Vulgnash au plexus et le transperça de part en part, aussi facilement qu’un couteau tranche une motte de beurre.
Peu importe, songea le Chevalier Éternel. Mes chairs se ressouderont toutes seules.
Puis Chulspeth fonça à travers la boule de feu.
Il aurait mieux fait de l’esquiver.
Peut-être ne pensait-il pas que les flammes seraient aussi chaudes. Ou peut-être s’imaginait-il qu’avec tous ses Dons d’Endurance, il était quasiment invincible. À moins que tous ses Dons de Violence lui aient fait perdre la raison.
Quoi qu’il en soit, il bondit à travers les flammes et ressortit de l’autre côté en rugissant de douleur, la peau noircie et suintante, les vêtements en feu. Mais malgré ses cris atroces, il continua à charger Vulgnash en dégainant son épée courte. Il avait l’intention de se battre contre le Chevalier Éternel jusqu’à ce que l’un d’eux succombe.
Fuis ! ordonna la voix du Roi de la Terre.
Vulgnash battit des ailes et fusa vers le ciel tel un éclair. Chulspeth voulut sauter pour l’atteindre, mais soumis à une telle pression, les os de ses jambes se brisèrent, et il retomba sans avoir pu toucher sa cible.
Vulgnash abandonna le chef de la Garde-Croc à terre, fumant et gémissant dans les affres de l’agonie.
Il décrivit un arc de cercle dans les airs et plongea vers l’arche centrale de Caer Luciare, dont sa boule de feu avait fait fondre le revêtement doré. Il est temps d’en finir, songeait-il.
Il craignait de rencontrer une forte résistance à l’intérieur, mais nul avertissement du Seigneur Désespoir ne résonnait dans sa tête. Se posant de l’autre côté de l’arche, il fit une nouvelle provision de chaleur. Kryssidia se tenait derrière lui. Ensemble, ils s’enfoncèrent dans le tunnel d’un pas décidé.
Ils trouvèrent le grand hall tel que Kryssidia l’avait décrit. Des guerriers wyrmlings gisaient en tas sur le sol, comme s’ils s’étaient écroulés ivres morts les uns sur les autres. Vulgnash savait pourtant que leur torpeur ne devait rien à l’alcool : elle venait de ce qu’ils avaient concédé un attribut. Déjà, certains d’entre eux se relevaient. La mort de Chulspeth leur avait permis de récupérer la force, l’endurance ou la vitesse précieuse qui leur manquait.
Vulgnash fut écœuré par un tel gaspillage de pouvoir. Ces imbéciles de Gardes-Crocs ne se rendaient pas compte de ce qu’ils faisaient. Ils avaient laissé leurs Dédiés sans protection, sans réfléchir au fait que s’ils étaient tués, leur maître perdrait le bénéfice de leurs attributs. Si les humains étaient revenus, ils n’auraient pas eu beaucoup de mal à reprendre la forteresse, songea Vulgnash.
Devant lui, dans le couloir, le Chevalier Éternel vit soudain des Gardes-Crocs lui barrer le chemin. Une demi-douzaine d’entre eux se tenaient épaule contre épaule. La peur autant que la rage déformait leurs traits, et tous les muscles de leur corps semblaient tendus, comme s’ils s’apprêtaient à bondir. Pourtant, ils ne semblaient pas impatients de se battre.
— Êtes-vous donc si stupides ? cria Vulgnash. Je pourrais tous vous tuer plus facilement encore que je n’ai réglé son compte à Chulspeth. Je devrais vous laisser à la merci des humains. Mais j’aurai besoin de guerriers de force pour protéger cette forteresse en attendant leur retour. Car ne vous y trompez pas : ils reviendront bientôt, et en plus grand nombre. Ils ont laissé une montagne de sang-métal derrière eux.
Le petit discours de Vulgnash acheva de convaincre les Gardes-Crocs. Mû par l’espoir d’être pardonné, l’un d’eux jeta sa hache de bataille, qui s’écrasa sur le sol avec fracas, et se laissa tomber à genoux en signe de soumission. Les autres l’imitèrent aussitôt.
Kryssidia s’avança parmi eux.
— Tremblez devant moi, tonna-t-il. Car le Grand Ver m’a choisi et a fait de moi votre seigneur. Le Grand Ver s’est incarné à Rugassa, depuis laquelle il gouverne désormais le monde. Mais ici, à Caer Luciare, je serai votre empereur, et vous serez mon peuple.
La bataille remportée, Vulgnash s’attela à sa mission suivante. Il réclama du sang-métal, et les wyrmlings le conduisirent à une fonderie où des centaines de livres de minerai avaient déjà été versées dans des moules.
Vulgnash sourit. Son maître serait content, et il le récompenserait sûrement en lui accordant davantage de Dons. Et puis, le Chevalier Éternel avait obtenu une chose qu’il désirait très fort en cette journée : une petite vengeance.