CHAPITRE III

L’ACCUEIL FAIT À RHIANNA

Quand vous savez que personne – ni parent, ni ami, ni aucune force dans l’univers – ne se soucie de vous, alors seulement, vous pouvez commencer à apprendre l’autonomie : c’est-à-dire, à n’avoir confiance qu’en vous-même, et à ne rester fidèle qu’à vous-même. Car l’autonomie est la Mère de Toutes les Vertus, l’indispensable mélange de férocité, de ruse et de détermination inébranlable auquel un individu doit parvenir pour rester en vie.

Extrait du catéchisme wyrmling

Cet après-midi-là, Rhianna filait vers la Cour des Marées en chevauchant les courants d’air chauds qui s’élevaient depuis les plaines en contrebas. Le soleil brillait sur son dos, tiédissant ses ailes magiques. Cela faisait moins d’une journée que Rhianna les avait remportées au combat, en les arrachant au corps du Chevalier Éternel qu’elle venait de tuer. Encore peu habituée à les utiliser, la jeune femme se sentait comme un oisillon maladroit.

Apprendre à voler était aussi difficile qu’apprendre à marcher pour un enfant humain. Pour parcourir plus de cent cinquante lieues dans la journée, Rhianna avait dû faire de nombreux arrêts. À peine ses pieds touchaient-ils terre que la jeune femme s’écroulait, épuisée. De la sueur ruisselait de tous ses pores, un peu à cause de la chaleur et un peu à cause de sa fatigue.

Mais comme le jour avançait, elle s’était aperçue que des courants d’air chauds s’élevaient le long des flancs des collines, et qu’en tenant ses ailes bien raides, elle pouvait planer dessus tel un faucon.

Depuis le ciel, Rhianna voyait à plusieurs lieues dans toutes les directions. Elle était déjà passée par là une semaine auparavant ; elle avait traversé à pied ces champs et ces forêts de pins, pataugé dans ces marais. Elle connaissait tous les points de repère.

Mais le terrain avait changé. Les arbres et l’herbe se mouraient, le bord des feuilles brunissait. À cause de la fusion, la nielle se propageait lentement au monde des petites gens. Cette malédiction des wyrmlings tuait les plantes saines, n’épargnant que les chardons, les buissons épineux et les ajoncs les plus résistants.

Désormais, des ruines jaillissaient du sol un peu partout : étranges bâtiments monolithiques, tours brisées, épais murs de pierre. C’étaient les anciennes demeures des guerriers du clan, ceux qui avaient fini par se regrouper à Caer Luciare. Rhianna n’imaginait pas que leur culture ait pu être aussi développée autrefois.

Les vestiges d’immenses canaux sillonnaient le paysage. Mais la jeune femme n’avait pas le temps de les étudier. On lui avait confié une mission urgente : mettre les petites gens en garde contre la menace constituée par les wyrmlings, et voir si elle pouvait unir les hommes qui avaient autrefois été ennemis.

Plus important encore, Fallion, dont Rhianna était amoureuse, avait été capturé et emmené à Rugassa. Elle aurait besoin d’aide pour le libérer. Elle n’avait pas grand-chose pour acheter des faveurs : seulement quelques forceps dissimulés dans son paquetage. Mais combinés à la promesse d’un véritable trésor de sang-métal, ils suffiraient peut-être.

Tout en virant vers la Cour des Marées, Rhianna s’émerveilla des changements survenus dans cette région. Depuis un millénaire, la Cour des Marées était la cité la plus riche de tout le Rofehavan, bâtie sur sept îles de la Mer de Carroll reliées entre elles par des ponts. Mais à son emplacement, le sol s’était soulevé, donnant naissance à des champs d’oursins et d’algues pourrissantes à l’est de la ville. Une odeur d’iode et de décomposition assaillit les narines de Rhianna. En contrebas, la plaine était jonchée de carcasses de baleines, parmi lesquelles se trouvait même un léviathan.

Les îles étaient devenues des collines. Les bateaux ancrés dans le port se retrouvaient échoués à plusieurs lieues du nouveau rivage. Rhianna scruta l’est, cherchant à apercevoir l’océan. Il lui sembla distinguer de l’eau très loin, à dix ou quinze lieues vers l’horizon. Mais ce n’était peut-être que des vapeurs s’élevant du sol désormais asséché.

Rhianna piqua vers l’ancien palais de la Cour des Marées. Celui-ci dressait toujours sa haute silhouette immaculée vers le ciel. Ses tours blanches étincelaient dans la lumière du jour. Un vent vif agitait les étendards qui les coiffaient : des drapeaux blancs ornés de l’orbe rouge d’Internook.

Là où des alcôves ouvraient jadis sur la mer, là où des ondines avaient jailli des vagues pour conférer avec les rois d’antan, Rhianna ne voyait plus que roche et ruine. Le long des anciens rivages insulaires, des huttes de pêcheurs et des auberges lépreuses penchaient les unes vers les autres, semblables à des morceaux de bois flotté que la marée aurait abandonnés là en se retirant.

Plus bas, là où il y avait encore quinze mètres d’eau la semaine précédente, des enfants sondaient les flaques en quête de crabes et d’oursins, tandis que les adultes exploraient les épaves de bateaux dans l’espoir, peut-être, qu’elles contiendraient quelque trésor perdu.

Rhianna infléchit sa trajectoire vers la gauche et replia ses ailes pour se laisser tomber vers la route principale qui menait au palais. Deux cents mètres l’en séparaient encore lorsqu’un carreau de baliste fusa vers elle depuis le chemin de ronde. La jeune femme serra ses ailes autour d’elle plus étroitement afin de faire une cible moins facile et se posa en hâte.

Ce fut un atterrissage raté. Rhianna perdit l’équilibre et culbuta cul par-dessus tête. Et cela lui sauva peut-être la vie. Les gardes postés sur le chemin de ronde cessèrent de tirer comme quelqu’un criait :

— Je l’ai eue ! En plein dans le mille !

D’autres hommes se réjouirent bruyamment.

Rhianna se redressa sur les genoux et cria :

— Paix ! Je suis venue négocier. Je souhaite parler au seigneur de guerre Bairn à propos d’une question urgente, concernant la sécurité de ses frontières.

Bairn était l’actuel usurpateur qui siégeait à la Cour des Marées. Il ne la dirigeait pas réellement : la cité devenait peu à peu un ghetto où des gangs se disputaient nourriture et abri. Bairn était un vulgaire vautour qui se repaissait des restes de Mystarria.

Rhianna ne remarqua les corps que lorsqu’elle leva les yeux vers les remparts. Ils étaient au nombre de trois, suspendus par les poignets à l’ombre des créneaux, juste au-dessus du pont-levis. C’étaient des humains, mais pas des petites gens : des guerriers du clan de Caer Luciare, comme le prouvaient la plaque osseuse sur leur front et les ébauches de cornes sur leurs tempes. Deux hommes et une femme, morts et exposés à la vue de tous.

Rhianna comprit aussitôt ce qui s’était passé. Certains habitants de son monde d’origine possédaient un double dans le monde des wyrmlings. Quand Fallion avait lié leurs deux mondes, ces gens avaient fusionné avec leur alter ego, conservant les souvenirs et les compétences de leurs deux incarnations. C’était arrivé à Serre, la sœur adoptive de Rhianna, et au magicien Sisel.

Mais pour des raisons que la jeune femme ne s’expliquait pas, les gens en question avaient été éparpillés sans logique apparente. Les deux moitiés de Serre s’étaient combinées à Château Coorm, alors que l’une d’elles se trouvait des centaines de lieues plus loin, à Caer Luciare. Et d’après les informations que Rhianna était parvenue à glaner, les deux moitiés du seigneur Borenson avaient dû fusionner de l’autre côté du monde, car Aaath Ulber avait disparu de la forteresse.

Peut-être qu’une des deux personnalités était plus forte que l’autre, et qu’elle restait dominante après la fusion, supputa Rhianna. Peut-être y avait-il un autre facteur à l’œuvre, ou peut-être n’était-ce qu’un phénomène aléatoire. Mais ces trois malheureux avaient fusionné ici, à la Cour des Marées. Et à cause de leur étrange apparence, on les avait exécutés.

— Halte ! cria le capitaine de la garde. N’avance pas !

C’était un colosse aux cheveux d’un roux doré, qui portait une armure en peau de phoque mais ne s’encombrait pas d’un casque. Il détailla Rhianna avec curiosité.

— Quel genre de créature es-tu ?

— Une femme. Je viens en amie. J’ai un message pour vous.

Le capitaine l’étudia d’un air soupçonneux. Mue par quelque instinct, Rhianna battit doucement des ailes pour se rafraîchir. Cela amusa son interlocuteur, qui se pencha par-dessus les remparts comme pour mieux regarder dans l’échancrure de sa tunique.

— Je n’avais jamais vu une colombe avec d’aussi grandes ailes et d’aussi beaux seins, ricana-t-il. (Derrière lui, les gardes posés sur le chemin de ronde gloussèrent de sa plaisanterie.) Si tu es vraiment une femme, prouve-le !

Il tournera à la dérision tout ce que je lui dirai, réalisa Rhianna. Refusant de mordre à l’hameçon, elle resta immobile et se contenta de foudroyer l’homme du regard. Il mourait sans doute d’envie de savoir où elle s’était procuré ses ailes, et elle était bien décidée à ne pas le satisfaire.

— Donc, finit par lâcher le capitaine, tu espères parler au seigneur de guerre Bairn. À quel sujet ?

Rhianna voulut piquer son intérêt.

— Une montagne de sang-métal vient de jaillir du sol à l’intérieur des frontières de Mystarria. J’ai pensé que Bairn serait content de l’apprendre avant ses ennemis.

Le capitaine se redressa brusquement.

— Une montagne de sang-métal ? Où se trouve-t-elle ?

— Je vendrai cette information au seigneur de guerre Bairn, et à lui seul, répondit fermement Rhianna.

Les yeux bruns du capitaine pétillèrent de malice. Il leva une main.

— Archers ! commanda-t-il.

Et soudain, des dizaines d’entre eux se dressèrent derrière les merlons au pied desquels ils étaient tapis.

— Préparez-vous à tirer.

Ils encochèrent une flèche et bandèrent leur arc tandis que leur capitaine observait Rhianna, guettant sa réaction.

— Tuez-moi, promit la jeune femme, et Bairn vous fera pendre au-dessus de la porte de la ville avant le coucher du soleil.

Le capitaine réfléchit.

— Ne la laissez pas s’enfuir, ordonna-t-il.

Puis il se détourna et s’éloigna en courant.

Rhianna s’assit pour attendre, repliant ses ailes artificielles dont les plis formèrent comme une robe écarlate autour d’elle. Les archers la tinrent en joue pendant de longues minutes, jusqu’à ce que leurs bras fatiguent et qu’ils baissent leur arc.

Bairn n’invita pas Rhianna à le rejoindre dans sa salle du trône. Peut-être craignait-il de recevoir cette mystérieuse femme ailée. Au lieu de ça, il monta en personne sur les remparts pour discuter avec elle, tel un roi assiégé et prêt à négocier sa reddition.

C’était un homme à l’aspect dur. Ses cheveux noirs formaient une pointe sur son front. Il avait un visage large et cruel, aux lèvres très fines. Ses yeux semblaient dépourvus de couleur et vitreux, comme s’il avait trop bu.

— Ton nom, réclama-t-il.

Il portait une cape noire. Lorsqu’il sauta sur les remparts pour s’asseoir avec désinvolture sur un merlon, Rhianna eut la vision d’un énorme vautour s’acharnant sur un cadavre.

— Rhianna, répondit-elle. Rhianna Borenson.

Elle ne voulait pas utiliser son vrai nom, aussi avait-elle donné celui de son père adoptif.

— Borenson, répéta Bairn. Ça me dit quelque chose.

— Mon père était autrefois le garde du corps du Roi de la Terre, qui siégeait ici même, révéla Rhianna.

Bairn hocha la tête.

— Tu as hérité de ses cheveux roux.

Bien entendu, il se trompait. Rhianna les tenait de sa vraie mère. Mais elle se garda bien de le préciser. Le nom de Borenson commandait le respect.

— Je suis venue vous prévenir, déclara la jeune femme. Un nouveau danger arpente ces contrées : une race de géants appelés wyrmlings.

— Nous en avons trouvé quelques-uns, acquiesça Bairn en désignant les trois pendus. Ils sont responsables de ce… chantier.

Du regard, il balaya les champs d’algues pourrissantes en contrebas.

Rhianna hésita à le détromper. Le seigneur de guerre Bairn était connu pour son tempérament susceptible et belliqueux, du genre à s’offenser pour des insultes imaginaires. Mais surtout, elle avait besoin qu’il l’aide à sauver Fallion – le vrai responsable de ce « chantier ».

— Les wyrmlings sont plus grands que ça, dit-elle avec un signe du menton vers les pendus. Ces pauvres gens sont humains, ou ce qui passait pour humain dans le Monde d’Ombres. Les wyrmlings, eux, mesurent une tête de plus, et ils sont également plus larges d’épaules. Ils ont la peau blanche comme de l’os et les yeux pareils à des fosses glacées. Ils ne supportent pas la lumière du jour. Ils ne mangent que de la viande, et ils trouvent la chair humaine parfaitement à leur goût.

— Dois-je en déduire que ces humains étaient leurs ennemis, ou qu’ils les considéraient seulement comme du bétail ? interrogea Bairn.

— C’étaient leurs ennemis jurés, répondit Rhianna.

— Combien sont ces fameux wyrmlings ? s’enquit Bairn en bon commandant.

— Des millions. Ils disposent d’une magie étrange. Leurs seigneurs et leurs empereurs sont des spectres, que nulle arme ordinaire ne peut tuer. Ma mère, dame Myrrima, est une magicienne de l’eau. Elle avait béni mes armes, ce qui m’a permis d’abattre un de leurs Chevaliers Éternels – une créature plus morte que vive. C’est à lui que j’ai pris mes ailes, révéla Rhianna.

Et elle les déploya dans la lumière du jour.

Jusqu’à cet instant, elle soupçonnait Bairn de ne l’avoir crue qu’à moitié. Mais le seigneur de guerre ne pouvait nier le témoignage de ses propres yeux.

— Tu dis que les wyrmlings disposent de sang-métal ?

— Une montagne entière, confirma Rhianna, qui a jailli de terre lorsque les deux mondes ont fusionné. Dans celui des wyrmlings, personne n’en avait vraiment l’usage. À présent, c’est un trésor d’une valeur incommensurable.

Bairn prit une expression méfiante.

— Et pourquoi viens-tu me raconter tout ça – toi, la fille du célèbre seigneur Borenson ?

Rhianna envisagea de mentir et finit par opter pour une demi-vérité. Elle sentait que la discussion ne prenait pas le tour voulu.

— Parce qu’il aimait ce royaume et son peuple. Il ne voudrait pas qu’il leur arrive malheur. Vous pourriez être un allié puissant durant les affrontements à venir.

Bairn parut réfléchir un moment.

— Tu voudrais que nous déclarions la guerre à des géants – des géants qui se battent déjà contre les humains de leur propre monde, si j’ai bien compris. Pourquoi nous allierions-nous avec le moins puissant des deux camps ? Pourquoi pas plutôt avec ces wyrmlings ?

— Ne m’avez-vous pas écoutée ? Ils mangent de la chair humaine. Ils disposent d’une montagne de sang-métal. Ils… Dans le meilleur des cas, ils vous réduiraient en esclavage, même si je pense qu’ils préféreraient vous mettre au menu de leur dîner.

Cela parut satisfaire Bairn qui redressa le dos – et, du coup, ressembla moins à un vautour.

— Et où se trouve cette fameuse montagne de sang-métal ? D’après mon capitaine, tu souhaitais me vendre cette information.

— Voyons d’abord si vous êtes prêt à en payer le prix, répliqua Rhianna.

Bairn ricana, mais ce n’était qu’une formalité. Il donnerait n’importe quoi pour une montagne de sang-métal.

— Que désires-tu donc ?

Rhianna ne sentait pas cet homme. Il jeta un coup d’œil vers le nord, puis vers le sud. Il se comportait comme s’il était trop occupé pour perdre son temps avec elle, mais Rhianna pensait plutôt qu’il avait peur de la regarder en face.

— Deux hommes sont retenus prisonniers dans la forteresse des wyrmlings. Quand vous aurez mis la main sur le sang-métal, je veux que vous preniez des attributs et que vous alliez les libérer.

— Fournis-moi assez de forceps, et je massacrerai ces géants jusqu’au dernier pour toi. Alors, tu n’auras qu’à descendre toi-même dans leur donjon pour délivrer tes amis.

— Entendu, acquiesça Rhianna.

Mais elle ne le sentait toujours pas.

— Maintenant, où est cette montagne de sang-métal ? demanda Bairn d’un air avide.

Rhianna répugnait à lui dire la vérité. Elle voulait voir comment il réagirait une fois en possession de l’information. Aussi conçut-elle une ruse. Si c’est un homme honorable, je pourrai toujours lui dire la vérité plus tard.

— Elle est cachée sous une forteresse wyrmling, sur les pentes d’un volcan, quarante lieues au nord-ouest de la cité de Sorneille.

Rhianna venait juste de fournir à Bairn l’emplacement de Rugassa. S’il suivait ses indications, le seigneur de guerre entraînerait ses hommes à l’attaque de toute la horde wyrmling.

Bairn lui adressa un sourire chaleureux. Puis il jeta un coup d’œil au capitaine de sa garde.

— Tuez-la.

Il se détourna pour partir au moment où le capitaine levait et baissait rapidement sa main, donnant aux archers le signal de tirer.

Rhianna était prête. Pivotant vers la droite, elle sauta par-dessus le pont tandis que des flèches et des carreaux de baliste ricochaient sur les pavés derrière elle.

Elle se laissa tomber sur quinze mètres avant d’ouvrir ses ailes pour que le vent s’y engouffre. Virant sous le pont, elle rasa des rochers encore immergés trois jours plus tôt, et désormais recouverts d’anatifes blancs et d’étoiles de mer colorées. Puis elle battit des ailes et reprit de l’altitude en utilisant le pont comme bouclier.

Une pluie de flèches s’abattit sur elle depuis les remparts de la Cour des Marées, mais même si les archers faisaient de leur mieux, les projectiles se brisèrent sur la pierre sans atteindre leur cible. À présent, Rhianna se trouvait hors de leur portée, et elle s’éloignait à tire-d’aile.

La jeune femme était chagrinée par la trahison du seigneur de guerre. Elle avait espéré s’en faire un allié, mais n’avait trouvé en lui qu’un ennemi supplémentaire. Pourtant, elle était certaine que Bairn mènerait ses hommes à la guerre contre les wyrmlings. Il ne pourrait pas se permettre d’ignorer ce risque.

Mais qui va m’aider à sa place ? se demanda Rhianna.

Elle consulta sa carte mentale. De Mystarria, il ne restait rien à sauver. Les seigneurs de guerre d’Internook avaient pris la côte. Beldinook s’était emparé de l’est, tandis que le Crowthen Méridional s’appropriait le centre du pays. Le royaume de Gaborn n’existait plus. Il ne valait plus la peine qu’on se batte pour lui.

Alors, vers où puis-je me tourner ?

Beldinook était désormais la plus puissante des nations du Rofehavan avec ses armures rutilantes, ses lanciers robustes et ses destriers lourds. La guerre précédente avait épargné ses châteaux et ses forteresses. Mais Beldinook était aussi l’ennemi juré de Mystarria et sa souveraine, Allonia Lowicker, ne serait pas disposée à monter une expédition pour délivrer Fallion Sylvarresta Orden.

Rhianna envisagea de se rendre en Heredon. Jadis, ce royaume avait été celui de la reine, riche en acier et en forces vives. Mais depuis, l’ombre du Crowthen Méridional s’était abattue sur lui.

Où puis-je quérir de l’aide ?

Restait Fleeds, le royaume des clans de cavalières. L’endroit où Rhianna avait grandi. Sa mère y était née ; sa grand-mère en avait été la reine. Les années qu’elle-même avait passées là-bas étaient sans conteste les plus heureuses de sa vie.

Fleeds n’était pas riche en acier, mais un puissant Seigneur des Runes n’avait que faire de ce genre de défense. Fleeds n’avait pas de grandes forteresses, mais le cœur de ses cavalières était immense. Et elles aimaient et respectaient le Roi de la Terre. Si elles pouvaient aider son fils, elles le feraient.

Je rentre à la maison, songea Rhianna.

Battant des ailes, elle vira vers la gauche et jaillit de dessous le pont, à découvert dans le ciel. En proie à une impatience nouvelle, elle prit la direction de l’ouest et du soleil couchant qui luisait telle une perle blanche enveloppée d’une brume opalescente.