C
ŒUR DE FEU GRAVIT LA PENTE DU RAVIN en quelques bonds. La neige crissait sous ses pattes. Le soleil brillait dans un ciel bleu clair, et malgré la pâleur de ses rayons, le chat roux fut revigoré : la saison des feuilles nouvelles ne saurait plus tarder.
Plume Grise le talonnait. Il s’écria :
« L’éclaircie fera peut-être sortir le gibier !
— Pas s’il t’entend arriver, gros ballot ! » le taquina Tempête de Sable avant de le dépasser au trot.
Nuage de Fougère, l’apprenti du matou cendré, s’empressa de protester :
« Plume Grise est la discrétion même ! »
Son mentor, lui, se contenta de pousser un grognement amusé. Cœur de Feu sentait une énergie nouvelle lui couler dans les veines. Même s’il s’agissait d’une punition, personne ne leur avait interdit d’aller chasser en groupe, et la compagnie de ses amis lui réchauffait le cœur.
La déception mêlée de peine d’Étoile Bleue quand elle avait appris leur faute l’obsédait. Il comptait se faire pardonner en ramenant autant de proies que possible. La tribu en avait bien besoin. Dès la mi-journée, les réserves de gibier épuisées, la plupart des félins étaient contraints de partir à la chasse. Cœur de Feu avait croisé Griffe de Tigre dans le ravin, de retour au camp avec la patrouille du matin. À sa gueule pendait un écureuil dont la queue traînait dans la neige. Les yeux du vétéran jetaient des éclairs, mais il n’avait pas lâché sa proie pour lui adresser la parole.
Au sommet de la pente, Tempête de Sable prit la tête tandis que Plume Grise expliquait à Nuage de Fougère comment chercher des souris entre les racines des arbres. Le cœur du chat roux se serra : Nuage Cendré, son apprentie, aurait dû être avec eux si son accident sur le Chemin du Tonnerre ne l’avait pas laissée boiteuse. Depuis, elle ne quittait plus la tanière de Croc Jaune, la guérisseuse de la tribu.
Pour se changer les idées, il se mit en chasse, le nez au vent. Une légère brise soulevait la neige et lui apporta une odeur familière. Un lapin !
La petite bête à fourrure brune reniflait le pied d’un bouquet de fougères, où quelques brins d’herbe verte pointaient à travers la neige. Il se tapit et s’approcha à pas furtifs. Au dernier moment, le rongeur le sentit arriver et bondit en avant. Trop tard ! Sans lui laisser le temps de pousser un seul cri, Cœur de Feu sauta et lui brisa la nuque d’un coup de dent.
Triomphant, il retourna au camp en traînant le lapin derrière lui. Aussitôt entré dans la clairière, il vit, soulagé, que la patrouille du matin avait bien regarni le tas de gibier. Étoile Bleue se tenait près de la réserve.
« Bravo, Cœur de Feu ! lui lança-t-elle. Peux-tu apporter ta proie à Croc Jaune dans son antre ? »
Rasséréné par l’encouragement de leur chef, il traversa la clairière avec son fardeau. Un tunnel de fougères sèches menait au rocher fendu où la guérisseuse du Clan avait installé son gîte, un peu à l’écart.
À l’autre bout du passage, le guerrier aperçut Croc Jaune, couchée à l’entrée de son repaire, les pattes ramenées sous elle. Nuage Cendré était assise en face d’elle, sa fourrure grise gonflée pour se protéger du froid, ses prunelles bleues fixées sur sa compagne.
« Bon. Maintenant, les coussinets d’Un-Œil sont craquelés à cause du froid, disait la vieille reine de sa voie éraillée. Que peut-on faire pour elle ?
— Feuilles de souci en cas d’infection, répondit aussitôt sa cadette. Onguent de mille-feuille pour adoucir et faire cicatriser la peau. Graines de pavot contre la douleur.
— Parfait ! »
Nuage Cendré se redressa de toute sa taille, les yeux brillant de fierté. Croc Jaune était avare de compliments.
« Bien, tu peux lui apporter les feuilles et l’onguent, ajouta la guérisseuse. Elle n’aura besoin de pavot que si ses plaies s’aggravent. »
La jeune chatte se releva ; elle s’approchait de la tanière quand elle vit Cœur de Feu près du tunnel. Avec un miaulement ravi, elle se précipita vers lui, la démarche encore gauche.
Le cœur de son ancien mentor se serra. Avant d’être renversée par un monstre sur le Chemin du Tonnerre, son apprentie était une véritable boule d’énergie. À présent, elle ne pourrait plus jamais courir, ni devenir une guerrière à part entière.
Heureusement, l’accident ne l’avait pas privée de sa vivacité. Espiègle, elle s’écria :
« Du gibier ! C’est pour nous ? Génial !
— Il était temps, grommela Croc Jaune, toujours assise devant son gîte. Ce lapin tombe à pic ! Depuis le lever du soleil, la moitié du camp a défilé ici pour se plaindre d’une douleur ou d’une autre. »
Il alla déposer l’animal aux pieds de la vieille chatte, qui le tâta du bout de la patte.
« On dirait que celui-là a un peu de chair sur les os, pour une fois, reconnut-elle à contrecœur. Nuage Cendré, apporte les feuilles de souci et la mille-feuille à Un-Œil, et reviens aussitôt. Si tu te dépêches, je te laisserai peut-être un peu de lapin. »
La petite s’esclaffa et caressa l’épaule de son aînée du bout de la queue en entrant dans le repaire.
« Comment va-t-elle ? souffla Cœur de Feu. Elle retrouve ses marques ?
— Elle va bien, jeta Croc Jaune, excédée. Cesse de t’inquiéter pour elle. »
Il aurait bien voulu en être capable. Il se sentait en partie responsable de l’infirmité de son apprentie : le jour de l’accident, il aurait dû l’empêcher de se rendre seule dans un endroit aussi dangereux.
Cœur de Feu étouffa un soupir avant de faire ses adieux à Croc Jaune pour repartir à la chasse. Sa détermination à révéler la culpabilité de Griffe de Tigre s’était encore renforcée : pour Plume Rousse, assassiné, pour Nuage de Jais, banni du Clan, pour Nuage Cendré, infirme à vie. Et pour les autres chats de la tribu, vivants ou à naître, menacés par la soif de pouvoir de ce traître.
Le félin roux avait décidé de rencontrer Rivière d’Argent sans tarder afin de s’assurer des causes exactes de la mort de Cœur de Chêne. Le lendemain de leur journée de chasse, il avait gagné la lisière de la forêt, d’où il contemplait à présent le torrent gelé. Le vent secouait les roseaux séchés qui dépassaient des congères.
Près de lui, Plume Grise flairait la brise, aux aguets.
« Je sens des chasseurs du Clan de la Rivière, chuchota-t-il. Mais l’odeur n’est pas récente, je pense qu’on peut traverser sans crainte. »
Cœur de Feu était plus inquiet à l’idée de croiser ses propres congénères que de rencontrer une patrouille adverse. Griffe de Tigre le soupçonnait déjà de trahison. Si le vétéran découvrait ce qu’ils s’apprêtaient à faire, ils étaient perdus.
« Très bien, répondit-il. Allons-y. »
D’un pas assuré, son ami s’engagea le premier sur la glace. Il traverse le torrent en secret depuis des lunes pour aller voir Rivière d’Argent, se rappela Cœur de Feu, le premier étonnement passé. Le rouquin, qui redoutait de voir la glace craquer sous son poids, suivit son camarade à pas feutrés. Là, en aval des Rochers du Soleil, le cours d’eau servait de frontière entre les deux Clans. La fourrure hérissée, le jeune guerrier ne cessait de se retourner, craignant d’être épié.
Une fois de l’autre côté, ils se glissèrent à l’abri d’un bouquet de joncs et humèrent l’air, toujours à l’affût de l’ennemi. La peur de Plume Grise était palpable : chacun de ses muscles semblait tendu à craquer. Il risqua un coup d’œil à travers la forêt de tiges.
« On est fous, murmura-t-il. Tu m’as fait promettre de ne plus rencontrer Rivière d’Argent qu’aux Quatre Chênes, et pourtant nous revoilà en plein territoire adverse !
— Je sais. Mais il n’y a pas d’autre solution. Il faut qu’on leur parle et, à part elle, qui accepterait de nous aider ? »
Le félin roux était aussi terrifié que son compagnon. Si, autour d’eux, se trouvaient de nombreuses preuves du passage du Clan de la Rivière, aucune d’entre elles n’était récente. La forêt lui semblait aussi inconnue et effrayante que la première fois où il y avait pénétré quand il était chat domestique.
Sous le couvert des roseaux, les deux bêtes se dirigèrent vers l’amont. Cœur de Feu s’efforçait de progresser d’un pas léger, plaqué au sol, comme s’il était en chasse. Son manteau couleur de feu se détachait sur la neige immaculée. Comme l’odeur de l’ennemi se faisait plus forte, il devina qu’ils approchaient du camp.
« C’est encore loin ? souffla-t-il.
— Non. Tu vois cette île, là-bas ? »
Ils étaient arrivés à un endroit où la rivière s’éloignait du territoire du Clan du Tonnerre et s’élargissait. Une petite île entourée de roseaux se dressait devant eux. Des saules poussaient sur ses berges, leurs branches les plus basses piégées par la glace.
« Une île ? Et si la rivière dégèle, que font-ils ? Ils la traversent à la nage ?
— D’après Rivière d’Argent, l’eau n’est pas très profonde, ici, lui expliqua Plume Grise. Mais je ne suis jamais entré dans le camp moi-même. »
Près d’eux, le sol montait en pente douce. Au sommet, ajonc et aubépine poussaient en épais fourrés, agrémentés çà et là d’un buisson de houx aux feuilles vertes et luisantes. Entre les roseaux où ils se cachaient et les taillis de la crête, le sol nu ne fournissait aucun abri.
Le nez au vent, le chat cendré regarda soudain autour de lui avec méfiance. Sans prévenir, il quitta les roseaux et gravit la pente à vive allure.
Cœur de Feu le suivit à la hâte en pataugeant dans la neige. Il finit par atteindre le rempart des broussailles et s’arrêta, hors d’haleine. Il dressa l’oreille : le silence régnait sur l’île. Il s’affala sur les feuilles mortes avec un soupir de soulagement.
« D’ici, on peut voir l’entrée du camp, lui apprit Plume Grise. C’est là que j’attendais Rivière d’Argent. »
Le rouquin priait pour qu’elle se montre sans tarder. À chaque instant qui passait, le risque qu’ils soient découverts augmentait. Il rampa sur le côté afin d’avoir une meilleure vue : à travers le rideau d’arbustes, il distinguait à peine les silhouettes des félins du camp. Absorbé par ce spectacle, il ne vit pas tout de suite que le danger était plus près : une reine passait à quelques pas de leur cachette. Un petit écureuil dans la gueule, elle fixait le sol gelé.
Il se figea, prêt à bondir si elle les repérait. Heureusement pour eux, l’odeur de sa proie devait masquer la leur. Il s’aperçut soudain qu’un groupe de quatre bêtes était sorti du camp. Parmi eux, Taches de Léopard, le lieutenant ennemi : une chatte très hostile au Clan du Tonnerre depuis qu’elle avait surpris Cœur de Feu et Plume Grise sur son territoire. Ce jour-là, l’un de ses chasseurs était mort au combat, et elle avait la rancune tenace. Si elle les trouvait terrés là, elle ne leur laisserait pas la moindre chance.
Au lieu de se diriger vers eux, la patrouille entreprit de traverser le cours d’eau gelé en direction des Rochers du Soleil. Soulagé, le jeune guerrier devina qu’ils partaient surveiller la frontière.
Une silhouette familière finit par apparaître.
« Rivière d’Argent ! » chuchota Plume Grise.
Cœur de Feu regarda sa silhouette gracieuse avancer sur la glace. Avec ses traits délicats, sa fourrure épaisse et lustrée, elle était ravissante. Pas étonnant que son ami soit fou d’elle.
Le matou cendré se redressait, prêt à l’appeler de nouveau, quand deux autres félins se glissèrent dehors pour la rejoindre. À son corps élancé perché sur de longues pattes, ils reconnurent Griffe Noire, un combattant au poil charbonneux rencontré à l’Assemblée. Un jeune le suivait – son apprenti sans doute.
« Ils partent chasser », murmura Plume Grise.
Les trois animaux s’engagèrent sur la pente. Cœur de Feu poussa un grognement où la peur le disputait à l’impatience. Il avait espéré pouvoir parler à Rivière d’Argent seul à seul. Comment la séparer de ses compagnons ? Et si son escorte décelait leur présence ? Eux n’avaient pas de gibier à la gueule pour brouiller les odeurs…
Griffe Noire allait en tête, le novice sur les talons. La chatte les suivait à quelques pas. Lorsque le petit groupe passa devant les buissons, elle se figea, aux aguets, comme si elle discernait une senteur familière, mais inattendue. Plume Grise poussa alors un petit cri aigu ; les oreilles de la reine se dressèrent.
« Rivière d’Argent ! » souffla-t-il.
Quand elle agita la queue, ils poussèrent un soupir de soulagement. Elle avait entendu.
« Griffe Noire ! lança-t-elle. J’ai entendu une souris dans les buissons. Ne m’attends pas. »
Le mentor acquiesça avant de s’éloigner. Un instant plus tard, la reine se glissait à travers les branches jusqu’à la cachette des deux amis. Elle se frotta contre le flanc de Plume Grise en ronronnant ; les deux amoureux se touchèrent le museau, éperdus de joie.
« Je pensais que tu ne voulais plus me rencontrer qu’aux Quatre Chênes, s’étonna-t-elle. Que fais-tu là ?
— Cœur de Feu voulait te parler. Il a une question à te poser. »
Le chat roux revoyait Rivière d’Argent pour la première fois depuis la bataille où il l’avait laissée s’échapper. Elle aussi devait s’en souvenir, car elle s’inclina avec grâce, sans lui manifester la moindre hostilité, contrairement à autrefois.
« Qu’y a-t-il ?
— Que sais-tu de la bataille des Rochers du Soleil où Cœur de Chêne a perdu la vie ? commença-t-il sans préambule. Tu y étais ?
— Non, répondit-elle, pensive. C’est très important ?
— Oui. Pourrais-tu demander des détails à un des combattants ? Je dois…
— Je vais même faire mieux que ça, l’interrompit-elle. Je vais t’amener Patte de Brume. »
Les deux chats échangèrent un regard. Était-ce vraiment une bonne idée ?
« Ne t’inquiète pas, le rassura-t-elle, comme si elle devinait ses craintes. Elle sait que je fréquente Plume Grise. Elle n’aime pas ça, mais elle ne me dénoncera jamais. Elle viendra si je le lui demande. »
Après un instant d’hésitation, il acquiesça.
« D’accord. Merci. »
Rivière d’Argent fit aussitôt demi-tour, s’engouffra dans les buissons et dévala la pente enneigée.
« Elle est incroyable, non ? » murmura le chat cendré.
Sans répondre, Cœur de Feu se prépara à une longue attente. Le temps passait, sa nervosité augmentait. S’ils restaient en territoire ennemi plus longtemps, on ne pouvait manquer de les découvrir. Et là…
« Écoute, si Rivière d’Argent ne peut… »
À ce moment, la jeune reine ressortit du camp, son amie derrière elle. Elles grimpèrent la côte au pas de course avant de se faufiler dans les fourrés. Svelte, sa compagne avait le poil gris, une robe épaisse et les yeux très bleus. Le rouquin songea qu’il avait déjà dû la voir aux Assemblées, car elle lui rappelait quelqu’un.
Quand elle aperçut les deux mâles, la nouvelle venue s’arrêta net. L’échine hérissée, elle coucha les oreilles en arrière.
« Patte de Brume ! murmura Rivière d’Argent. Ce sont…
— Des chats du Clan du Tonnerre ! grinça-t-elle. Que font-ils sur notre territoire ?
— S’il te plaît… » la supplia sa camarade, qui tenta en vain de la pousser vers les intrus.
L’hostilité de la chatte intimidait Cœur de Feu. Comment avait-il pu s’imaginer qu’un membre du Clan de la Rivière accepterait de l’aider ?
« Passe encore pour celui-là, déclara Patte de Brume, les yeux fixés sur Plume Grise. Mais si tu fais venir tout le Clan du Tonnerre ici…
— Ne dis pas de bêtises !
— Calme-toi, Patte de Brume, s’empressa de chuchoter le félin roux. Nous ne sommes là ni pour chasser ni pour vous espionner. Nous voulons parler à un chat qui aurait participé à la bataille des Rochers du Soleil.
— Pourquoi ?
— C’est… difficile à expliquer. Mais le Clan de la Rivière ne risque rien. Je le jure sur ma vie. »
La reine sembla se détendre un peu, fit quelques pas hésitants, et finit par s’asseoir à côté d’eux.
Le chat cendré se leva.
« Bon, Rivière d’Argent et moi, on va vous laisser discuter. »
Avant que Cœur de Feu puisse protester, les deux félins s’étaient coulés dans les broussailles. Juste avant de disparaître, Plume Grise se retourna.
« Au fait, avant de rentrer, roule-toi dans de la tourbe pour couvrir l’odeur du Clan de la Rivière. Le mieux, c’est la crotte de renard.
— Attends ! »
Trop tard : ils avaient disparu.
« Ne t’inquiète pas, lui lança Patte de Brume, les yeux pétillant de malice. Je ne vais pas te manger. Tu es Cœur de Feu, non ? Je t’ai vu aux Assemblées. Il paraît que tu étais un chat domestique, avant. »
Elle parlait d’un ton mesuré, l’air méfiant.
« C’est vrai, avoua-t-il, le cœur lourd, toujours aussi peiné par le mépris des chats sauvages pour son passé. Mais je suis un guerrier, désormais. »
La chatte se lécha une patte qu’elle se passa lentement sur l’oreille, sans le quitter des yeux.
« Bon, finit-elle par jeter. J’ai participé à cette bataille. Que veux-tu savoir ? »
Il réfléchit un instant à la meilleure manière de procéder. Il n’aurait pas d’autre chance de découvrir la vérité.
« Dépêche-toi, grommela Patte de Brume. J’ai laissé mes petits seuls pour venir te parler.
— Ce ne sera pas long. Connais-tu les causes de la mort de Cœur de Chêne ?
— Cœur de Chêne ? » Elle baissa les yeux, respira à fond et releva la tête. « C’était mon père, tu le savais ?
— Non. Je suis désolé. Même si je ne l’ai jamais rencontré, on dit que c’était un grand guerrier.
— Le plus grand et le plus brave. Il n’aurait jamais dû mourir, ce jour-là. C’était un accident. »
Le cœur du félin se mit à cogner dans sa poitrine. Voilà ce qu’il était venu découvrir !
« Tu en es certaine ? Personne ne l’a tué ?
— Il a été blessé dans la bataille, rien de grave. Ensuite, on a retrouvé son corps sous un éboulement. D’après notre guérisseur, c’est ce qui l’a achevé.
— Alors personne n’est responsable… marmonna Cœur de Feu. Nuage de Jais n’avait pas menti.
— Comment ? »
La reine au poil gris-bleu rabattit ses moustaches contre ses joues.
« Rien ! se hâta-t-il de répondre. Rien d’important. Merci, Patte de Brume. C’est exactement ce que je voulais savoir.
— Si tu n’as pas d’autre…
— Attends ! Une dernière question. Au cours de la bataille, Cœur de Chêne aurait déclaré qu’aucun chat du Clan du Tonnerre ne devait jamais faire de mal à Pelage de Silex. Sais-tu ce qu’il entendait par là ? »
Elle resta silencieuse un instant, les yeux perdus dans le vague. Elle finit par secouer la tête comme pour s’éclaircir les idées.
« Pelage de Silex est mon frère.
— Alors Cœur de Chêne était son père ! Voilà pourquoi il voulait le protéger de nous…
— Non ! » s’insurgea-t-elle. Ses yeux lançaient des éclairs. « Cœur de Chêne n’a jamais essayé de nous protéger plus que les autres. Il voulait faire de nous des guerriers dignes de notre Clan.
— Alors pourquoi…
— Je ne sais pas. »
Elle semblait sincèrement déconcertée. Cœur de Feu ravala sa déception. Au moins, il savait comment Cœur de Chêne était mort. Il ne pouvait cependant s’empêcher de penser que les paroles du vétéran avaient leur importance.
« Ma mère, Lac de Givre, le saurait peut-être… » reprit Patte de Brume.
Surpris, le rouquin se tourna vers elle, les oreilles pointées en avant.
« Si quelqu’un sait quelque chose, c’est elle, continua la chatte.
— Tu pourrais le lui demander ?
— Peut-être… » En dépit de sa méfiance, elle semblait aussi curieuse que lui de connaître le sens des paroles de Cœur de Chêne. « Mais il vaudrait sans doute mieux que tu lui parles toi-même. »
Il resta d’abord interdit devant cette suggestion. L’hostilité de la reine semblait s’être évaporée.
« Je peux ? Maintenant ?
— Non. Tu ne dois pas rester plus longtemps, c’est trop risqué. La patrouille de Taches de Léopard ne va pas tarder à rentrer. Et puis, Lac de Givre est vieille à présent, elle ne quitte presque plus le camp. Elle ne sortira que si je parviens à l’en persuader. Ne t’inquiète pas, j’y arriverai. »
Il s’inclina à contrecœur. Malgré sa hâte de rencontrer l’ancienne, il n’ignorait pas que Patte de Brume avait raison.
« Comment saurai-je où et quand la retrouver ?
— Rivière d’Argent me servira de messagère. Va-t’en, à présent. Si notre lieutenant te trouve ici, je ne pourrai rien pour toi. »
Cœur de Feu acquiesça. Reconnaissant, il aurait aimé lui toucher le museau en guise d’adieu, mais il craignit un coup de griffes en représailles. Même si elle se montrait cordiale, elle n’était pas près d’oublier qu’ils appartenaient à deux tribus rivales.
« Merci, Patte de Brume. Je m’en souviendrai. Si je peux un jour te rendre…
— File ! » s’écria-t-elle.
Il se dirigeait vers une trouée dans les broussailles quand il l’entendit ajouter, espiègle : « Et n’oublie pas la crotte de renard ! »