Chapitre IV

La période romaine

Rome exerça son autorité sur la totalité de l’Afrique du Nord, de l’Égypte à l’atlantique, durant moins de trois siècles. Dès 285 apr. J.-C., l’intérieur de la Maurétanie tingitane, l’actuel Maroc, fut évacué ainsi que les zones de faible implantation de l’actuelle Oranie et la région des hauts plateaux de l’actuelle Algérie. En Tripolitaine, Rome se replia sur le littoral. Le mouvement général fut celui d’un « recentrage » sur l’Afrique du Nord urbaine et « utile133 ». La période romaine s’acheva avec l’intrusion vandale en 429-430.

L’occupation romaine qui se fit avec l’appui de certaines tribus berbères134 fut territorialement inégale. Dans la seule Berbérie, l’actuel Maghreb, si plus de 500 établissements romains de type urbain ont été identifiés et répertoriés, les trois-quarts le furent dans une région comprise entre l’ouest d’Alger et la Tunisie actuelle.

I- L’Afrique romaine

Nous avons vu que ce fut à partir de 146 av. J.-C., à la faveur de la troisième guerre punique que Rome s’installa dans la région de Carthage et en Tripolitaine. En 96 av. J.-C., elle prit possession de la Cyrénaïque puis, en 30 av. J.-C., de l’Égypte. Au premier siècle de l’ère chrétienne, toute l’Afrique du Nord était sous souveraineté romaine.

Rome et les Berbères

Mort en 148 av. J.-C., deux ans donc avant le sac et la destruction de Carthage, Massinissa avait confié par testament à Scipion Emilien le soin d’organiser sa succession. Voulant éviter que se constitue une Numidie trop puissante, ce dernier prit appui sur la tradition successorale berbère pour répartir le pouvoir entre les trois fils légitimes du défunt, donnant ainsi au royaume numide une direction collégiale.

L’aîné, Micipsa, reçut le gouvernement civil, la justice revint à Mastanabal et les armées furent confiées à Gulussa. Mastanabal et Gulussa moururent dans les années qui suivirent et Micipsa se retrouva donc seul maître de la Numidie. Il exerça le pouvoir en fidèle allié de Rome, comme l’avait été avant lui son père Massinissa.

Micipsa fut l’objet de pressions de la part de Scipion Emilien qui le poussa à associer son neveu Jugurtha135 à sa succession et qui devint donc l’un de ses héritiers au même titre que ses deux fils légitimes, Adherbal et Hiempsal qui le détestaient.

À la mort de Micipsa, les trois frères se partagèrent territorialement le royaume mais Jugurtha ayant fait assassiner Hiempsal, le partage se fit donc en deux. Jugurtha hérita de la partie ouest de la Numidie, c’est-à-dire de l’ancien royaume masaesyle, cependant qu’Adherbal en recevait la partie est, c’est-à-dire l’ancien royaume massyle. Puis, Jugurtha136 attaqua Adherbal et l’assiégea dans Cirta, sa capitale137. La ville fut prise en 113 av. J.-C. et Adherbal fut mis à mort tandis que des résidents italiotes étaient assassinés138.

Jugurtha devint donc seul roi de toute la Numidie réunifiée telle qu’elle existait à la fin du règne de Massinissa, mais, de 112 à 105 av. J.-C., Rome s’engagea dans une guerre totale contre lui. Officiellement, il s’agissait de venger les massacres de Cirta, mais en réalité, Rome ouvrit les hostilités afin d’empêcher que se constitue un État berbère dont la puissance aurait été un obstacle à sa volonté expansionniste.

Jugurtha commença par remporter plusieurs batailles sur les légions romaines, notamment près de l’actuelle ville de Guelma. Comme il était à la recherche d’alliés, il offrit à son beau-père Bocchus Ier, roi de Maurétanie (110-80 av. J.-C.), l’ancien royaume masaesyle en échange de son soutien, mais Bocchus qui s’était rapproché de Rome le captura et le livra (Haouaria, 2005).

En remerciement, Rome accorda à Bocchus Ier la possession d’une partie de l’ancien royaume masaesyle, soit l’ouest de la Numidie (l’actuelle Oranie) dont il fit une « grande Maurétanie ». À l’est, la Numidie, réduite à la partie orientale de l’ancien royaume Massaesyle eut pour souverain Gauda (104- ?)139, demi-frère de Jugurtha. À sa mort, à une date inconnue, son royaume éclata en deux, une partie passant sous l’autorité de son fils Hiempsal II (?-/± 60 av. J.-C.) et l’autre sous celle de Massinissa II (?- 46 av. J.-C.).Le successeur de Hiempsal II fut son fils Juba Ier, dernier roi de Numidie (60-46 av. J.-C.).

Après la mort de Bocchus survenue en 80 av. J.-C., la Maurétanie fut partagée entre ses petits-fils, Bocchus II (80-33 av. J.-C.) et Bogud (80-38 av. J.-C.). Le premier régna sur la partie orientale du royaume, soit approximativement l’actuelle Oranie, cependant que le second en reçut la partie occidentale, soit à peu près l’actuel Maroc. Tous deux furent partisans de César lequel, à travers eux, s’opposa à Juba Ier, arrière-petit-fils de Massinissa et allié du parti sénatorial ou pompéien.

En 49 av. J.-C., Juba Ier fut victorieux des alliés de César, mais, en 46, battu à la bataille de Thapsus dans l’actuelle Tunisie (Rass Dimass) (carte page XVIII), il choisit de se suicider en compagnie de Metellus Scipion, général demeuré fidèle à Pompée.

Ce fut à la suite de ces guerres que la région fut véritablement intégrée à l’Empire romain. Le royaume numide fut en effet annexé et devint la province de l’Africa Nova. Quant à la ville de Cirta, elle eut un destin particulier car César l’avait incluse dans une colonie libre confiée en remerciement à Publius Sittius, chef d’une armée de mercenaires qui avait combattu pour lui. Après la mort de césar, elle fut rattachée à l’Africa Nova140.

Après la mort de César, survenue en 44 av. J.-C., Bocchus II et Bogud choisirent chacun un camp différent dans la guerre à laquelle se livrèrent Antoine et Octave. Bogud lia ainsi son sort à celui d’Antoine, tandis que Bocchus II combattit aux côtés d’Octave. Bogud perdit la vie dans ces querelles romaines et Octave remercia son allié Bocchus II en lui donnant les possessions territoriales de son défunt frère.

Bocchus II étant mort sans héritier, Octave fit placer sur le trône un prince maure, Juba II, fils de Juba Ier, qui avait été élevé à Rome et qui était l’époux de Cléopâtre Séléné, fille de Cléopâtre et d’Antoine. Sous son règne (25 av. J.-C.-23 apr. J.-C.), la Numidie fut réunifiée.

Son fils Ptolémée (23-40 apr. J.-C.) lui succéda et il poursuivit l’alliance romaine141. Sous son règne142, la Maurétanie connut un brillant essor. La capitale du royaume fut alors Caesarea (Cherchell).

De 17 à 24 apr. J.-C., le Numide Tacfarinas rassembla contre Rome la confédération berbère des Musulames (carte page XXIII) dont le territoire couvrait la région comprise entre les Aurès et Tebessa. Il fut rejoint par les tribus semi-nomades vivant depuis les steppes de la Cyrénaïque à l’est, jusqu’à la Tingitane à l’ouest. Ce fut une guerre difficile et incertaine car Tacfarinas qui avait servi dans l’armée romaine organisa ses partisans en unités de combat.

La révolte de Tacfarinas qui fut d’abord celle des tribus semi-nomades, fut combattue par les tribus sédentaires et les grands propriétaires berbères qui redoutaient les incursions des premières. Aussi, appuyèrent-ils l’armée romaine en lui fournissant des contingents dans ce qui devint vite une guerre berbéro-berbère qui dura sept ans. Les forces romaines furent commandées par le proconsul Cornelius Dolabella.

Vaincu et tué en 24 apr. J.-C., Tacfarinas fut ensuite représenté sous la figure d’un résistant à la présence romaine. Cette vision est anachronique car, à aucun moment, il n’avait cherché à recréer un État berbère ou à demander la fin de la présence romaine :

« Tacfarinas ne luttait pas pour instaurer un État numide. Il n’exigeait pas de Rome qu’elle se retirât d’Afrique. Son combat avait des objectifs plus précis, répondant à des nécessités immédiates. C’est certainement ce qui explique que les aspirations de toutes ces populations qui nomadisaient dans les zones méridionales se soient cristallisées autour de celui qui savait les proclamer et se révélait le plus capable de les réaliser. Le chef de guerre numide exigeait que la politique impériale en Afrique respectât l’installation et le mode de vie traditionnel des tribus dans ces régions […] la pénétration romaine dans le sud de la Proconsulaire et de la Numidie avait gravement perturbé la vie économique et sociale des populations » (Decret et Fantar, 1998 : 321-322).

Une vingtaine d’années plus tard, toujours en Mauritanie, mais sous le règne de l’empereur Claude (41-54 apr. J.-C.), éclata la révolte d’Aedemon qui eut de graves conséquences sur l’organisation du royaume maurétanien puisque Tamuda fut détruite en totalité, tandis que Lixus et peut-être Volubilis le furent en partie ; en revanche, Tingi ne fut guère affectée.

Écrasés par Rome, les derniers insurgés trouvèrent refuge dans les montagnes du Rif et de l’Atlas. Aedemon fut soutenu par des tribus berbères vivant hors de la zone contrôlée par Rome et le mouvement n’eut aucun appui urbain ; Volubilis envoya même un contingent combattre les rebelles (Euzennat, 1984 ; Gascou, 1985).

Après ces épisodes troublés, la région vécut en paix jusqu’au IIIe siècle.

L’administration de l’Afrique romaine

De l’Égypte à la Maurétanie tingitane, Rome chercha à contrôler prioritairement les zones « utiles », d’où sa politique défensive et son souci de constituer des limes (Euzennat, 1986 : 573-583). En Berbérie, ces derniers furent prolongés de quelques points d’appui placés sur les pénétrantes sahariennes : Biskra (Vescera), Castellum Dimmidi, (entre Djelfa et Laghouat), Tolga à 40 kilomètres au sud de Biskra. Ce dispositif militaire avait pour centre Timgad (cartes pages XX, XXI, XXIII).

L’ÉGYPTE

Pour Rome, l’Égypte fut d’abord un grenier. L’empereur Claude donna à ce sujet les instructions suivantes à Aemilius Rectus, préfet d’Égypte : « Tondre les brebis et non les écorcher » (Rapporté par Dion Cassius). De fait, l’Égypte versait un impôt en nature, l’annone l’équivalent de trois mois de consommation en blé de la ville de Rome. L’intérêt que Rome portait à l’Égypte baissa à partir du IIe siècle quand le pays fut remplacé par l’Africa dans ce rôle.

À l’époque romaine, l’Égypte eut un statut particulier. N’étant pas une province, mais un territoire appartenant à l’État, un patrimonium, elle fut administrée comme une conquête, au nom direct de l’empereur, par un officier ne dépendant que de lui et qui porta tout d’abord le titre de Préfet d’Alexandrie et d’Égypte, avant de devenir Préfet d’Égypte. Il s’agissait d’un poste de la plus haute importance car il se situait immédiatement après le préfet du Prétoire143.

À l’exception d’Alexandrie, secouée par plusieurs révoltes juives (en 41-54, en 66, en 70 et en 115 apr. J.-C.), puis chrétiennes, le reste du pays fut calme.

Sous les Sévères (193-235), dynastie berbère originaire de Tripolitaine, la situation évolua. Sous Caracalla (211-217), l’heure fut à la sédition et même au soulèvement. Alexandrie subit alors la vengeance de l’empereur qui y avait été conspué lors d’une visite et qui y fit massacrer une partie de la population.

En 284, année de l’avènement de l’empereur Dioclétien (284-305), une réforme administrative créa plusieurs provinces : l’Égypte (essentiellement la région du Delta), la Thébaïde et les deux Libye (Cyrénaïque et Tripolitaine), l’ensemble étant administré par le préfet d’Égypte qui reçut le titre d’Augustal.

Vers 380 fut créé le diocèse d’Égypte qui remplaça les subdivisions antérieures et qui s’étendait sur les actuelles Égypte et Libye.

LA LIBYE

Pendant la guerre de Jugurtha (112-105 av. J.-C.), Lepcis, alliée de Rome devint une « cité amie ». En 96 av. J.C, Ptolémée Apion (le Maigre) qui régna sur l’Égypte de 116 à 96 av. J.-C., offrit à Rome, maîtresse des ports de Tripolitaine depuis 111 av. J.-C, la Pentapole (Cinq cités), à savoir Cyrène, Apollonia, Béréniké, Taucheira (Arsinoé) et Ptolémaïs (Barka), donc en réalité la Cyrénaïque (carte page XV).

Durant la guerre qui opposa César à Pompée en 49 av. J.-C. Lepcis qui avait pris le parti de Juba Ier, le roi de Numidie, se rangea dans le camp du second. Après sa victoire de Thapsus en 46 av. J.-C., César la soumit à tribut, la condamnant à verser chaque année trois millions de livres d’huile (Daguet-Gagey, 2000 : 21).

En 23 av. J.-C., Auguste rattacha la Cyrénaïque à la Crête et la Tripolitaine à l’Afrique Proconsulaire (Africa proconsularis144) ; Lepcis fut alors libérée de son tribut annuel.

Au IIe siècle apr. J.-C., les villes de Libye accédèrent au rang de colonies et la citoyenneté romaine fut accordée à leurs habitants145. Elles connurent alors un grand essor, à l’image de Lepcis, de Sabratha ou encore d’Oea (carte page XVII) qui se parèrent de somptueux édifices dont des théâtres, des thermes, des temples et, plus tard, des basiliques. La prospérité de la Libye romaine est également illustrée par des villas du bord de mer dont plusieurs ont livré de superbes mosaïques restes de leur splendeur, à l’image de la « villa des Néréides » à Tadjura.

Dans les cités littorales, la latinisation fut profonde et les divinités romaines furent adoptées. En Tripolitaine, région ayant subi une forte influence punique, le dieu Melqart devint Héraclès; en Cyrénaïque, le panthéon grec fut assimilé par la religion romaine, les anciennes divinités gréco-égyptiennes comme Isis et Sérapis cohabitant avec elle. Dans les campagnes et vers le désert, les Berbères conservèrent leurs propres divinités, continuant à sacrifier à la lune et au soleil et demeurant fidèles au dieu Gurzil figuré sous forme d’un taureau porteur d’un disque solaire entre les cornes.

Rome diversifia l’agriculture. En plus du blé, la culture des arbres fruitiers fut développée de même que celle des oliviers et de la vigne. Au IIe siècle, la colonie s’étendit et de nouvelles terres furent mises en valeur. Cette politique fut amplifiée au IIIe siècle, notamment à l’est du Djebel Nefusa, vers la région des Syrtes, où les cultures furent possibles grâce à d’ingénieux systèmes de recueil des pluies. C’est ainsi qu’à Ghirz, sur l’oued Zem-Zem (carte page XXIV), à 300 kilomètres à l’est de Lepcis, fut fondé un important centre agricole.

Dès la fin du IIe siècle apr. J.-C. Rome fut confrontée à l’hostilité de certaines tribus berbères vivant hors du territoire impérial, dont les Nasamons146, les Mazices (Imazighen) et les Garamantes du Fezzan (Phazanie).

Les Nasamons furent finalement écrasés et ils devinrent tributaires. Cependant, sous l’empereur Domitien (81-96), ils refusèrent de payer le tribut dû à Rome et ils massacrèrent les collecteurs envoyés pour le lever. La guerre reprit, la IIIe légion devant mener de dures campagnes contre eux147.

Afin de régler une fois pour toutes le problème nasamon, Rome refoula la tribu vers les oasis de l’intérieur de la Tripolitaine, au sud de l’autel des Philènes, dans la région d’Augila où la tribu fut placée sous la surveillance des forts de Bu Njem (l’actuelle Chosol) et de Zella (Rebuffat, 1969, 1970 et 1992) construits en 201 au carrefour des pistes menant à la fois en Égypte et au Fezzan (Rebuffat, 1992).

La forteresse de Bu-Njem (carte page XXIV) dont il subsiste encore des ruines était édifiée sur l’oued Chaïb, en un lieu hautement stratégique à la jonction de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque148 et à la limite sud de la vie sédentaire. Au sud s’étend en effet une vaste zone inhabitée avec la Hamada el Hamrah, le Djebel Soda et le grand désert styrique.

Afin de protéger la Libye « utile », l’empereur Septime Sévère (193-211), lui-même originaire de Lepcis, fit édifier un immense limes allant de Tacapae, l’actuelle Gabès en Tunisie, jusqu’à l’est de la Tripolitaine. Il était destiné à couvrir et à protéger à la fois les villes, mais également les zones agricoles qui faisaient la richesse de la région. Le long de cette frontière de plusieurs dizaines de kilomètres, des postes romains contrôlaient les points de passage et les puits149.

Au IIIe siècle, tant en Tripolitaine qu’en Cyrénaïque, Rome abandonna l’intérieur de ses possessions pour se recentrer sur le littoral méditerranéen urbain et « utile150». Bu Njem et Zella furent évacués entre 259 et 263. Laissées sans défense, les fermes des vallées de la Syrte furent alors abandonnées mais elles se maintinrent cependant sur la côte et dans les wadis du prédésert en se fortifiant (Modéran, 2003c : 261).

Sous l’empereur Dioclétien (284-305) la Tripolitaine et la Cyrénaïque furent réunies dans la province sénatoriale de Libya superior.

LA BERBÉRIE

Plus à l’ouest, en Berbèrie (l’actuel Maghreb), les royaumes berbères ayant disparu, Rome exerça son pouvoir sur une multitude de tribus, les gentes. Certaines furent administrées par des préfets (praefectus gentis), souvent des Berbères anciens officiers de l’armée romaine ; d’autres, directement par leurs chefs traditionnels que Rome reconnut en échange de la signature d’un traité d’alliance. Les liens de famille, le recrutement militaire, l’administration indirecte par les chefs locaux devenus principes gentis, puis praefecti gentis furent des moyens administratifs largement utilisés par Rome.

La pratique administrative fut cependant différente selon les provinces. C’est ainsi qu’en Maurétanie Césarienne et dans l’Africa, l’occupation romaine de la partie orientale de l’ancien royaume de Juba II se fit d’est en ouest, par la prise de contrôle des anciennes échelles du commerce carthaginois. Au tout début du Ier siècle apr. J.-C., des colonies romaines furent installées dans plusieurs de ces cités portuaires.

À la fin du siècle, la pénétration romaine se fit en direction de Sitifis (Sétif), où fut installée une colonie de vétérans, et de Cuicul (Djemila) :

« […] à la fin du IIe siècle, le limes maurétanien ne s’écartait encore guère de la côte que pour protéger le chapelet des cités portuaires et des plaines littorales et sublittorales. À cet effet, il englobait donc essentiellement le bourrelet montagneux et quelques chaînons de la zone septentrionale du Tell, ce qui lui permettait de surveiller les tribus des Babors et des Bibans, des Kabylies, de l’Atlas mitidjien, du Zaccar et du Dahra.

Avec les Sévères, le limes maurétanien allait être reporté vers le sud, constituant alors une frontière militaire dont la rocade établie au IIe siècle ne représentait qu’une première esquisse […] L’Empire va désormais annexer à son territoire ces zones montagneuses – le Titteri, l’Ouarsenis […] les monts de Frenda, des Beni Chougrane et du Tessala – qui, à tort ou à raison, représentaient des "tâches de résistance" » (Decret et Fantar, 1998 : 178).

Le royaume de Maurétanie, client de Rome sous Bocchus et Juba II, passa sous administration romaine en 40, après que Caligula eut fait assassiner Ptolémée (voir plus haut note 141). L’empereur Claude (41-54 apr. J.-C.), en fit deux provinces, la Tingitane avec pour capitale la ville de Tingi et la Maurétanie Césarienne avec pour capitale Césarée (Cherchell). Durant deux siècles, la Maurétanie tingitane fut dirigée par un procurateur représentant l’empereur dont on ignore s’il résidait à Volubilis ou à Tingi (Tanger).

À l’ouest, la Maurétanie Tingitane constitua un cas particulier car l’occupation romaine y fut tout à fait superficielle, ne s’établissant que dans les plaines et dans l’hinterland des villes nées à l’époque des royaumes maures Donadoni (1980) ; Milne (1992)151. Ici, Rome s’appuya sur les tribus Macaenites, Baquates et Zegrenses qui lui servirent de « tampons » avec les Berbères de l’arrière-pays. Certaines cités comme Tingi, Banasa, Zili et Volubilis furent élevées au rang de Colonies romaines dès le règne d’Auguste (27 av. J.-C.-14 apr. J.-C.) en récompense de leur soutien dans la guerre d’Aedemon (voir page 87). Elles avaient les mêmes droits que Rome, possédaient une Curie et l’ordre des décurions chargé de les administrer était revêtu des mêmes privilèges que l’ordre sénatorial romain. Il n’y eut pas de colonies de peuplement en Maurétanie Tingitane, hormis quelques installations de vétérans (carte page XIX).

L’autorité de Rome s’exerça grâce à une garnison nombreuse composée de cinq ailes de cavalerie et d’une quinzaine de cohortes d’infanterie, soit entre cinq et dix mille hommes répartis en une quinzaine de camps. Celui de Thamusida qui avait une garnison d’un millier d’hommes donna naissance à une ville. Dans la région de Volubilis ont été identifiés ceux de Sidi Moussa bou Fri, d’Aïn Schkour et de Tocolosida152 ; d’autres existaient à Tamusa, à Sala ainsi que dans les régions de Tingi et de Lixus. Au sud de Sala un talus fortifié de 12 kilomètres fut élevé avec des tours de garde à intervalles réguliers, il s’agit du Seguiat el Feraoun (Le Bohec, 2002).

Dès la création de la province de Maurétanie Tingitane, la ligne romaine de défense fut établie sur le cours du Sebou (Sebabus) qui constituait une frontière géographique d’autant plus réelle qu’au sud de l’oued, s’étendait une vaste zone marécageuse. Sur la rive gauche du Sebou, Thamusida et la colonie de Iulia Valentia Banasa étaient les verrous du secteur central.

Nous ignorons si des contacts terrestres effectifs et suivis existaient entre la Tingitane et la Césarienne. Jérôme Carcopino (1943) estimait que oui dans la mesure où les gouverneurs étaient souvent communs aux deux provinces. Maurice Euzennat (1977 : 432-433 ; 1984 : 374) a au contraire montré que les procuratores utriusque Mauretaniae ne furent en réalité que deux et sur une courte période.

Il semblerait donc que la voie maritime fut la seule régulière en raison de l’insécurité qui débutait dans la région de Taza. Euzennat considère également que l’on peut :

« […] faire droit au bon sens en accueillant deux arguments qui, à ma connaissance, n’ont guère jusqu’à présent retenu l’attention : le premier est le simple constat que plus d’un demi-siècle de recherches n’a pas permis de réduire le no man ‘s land romain du Maroc oriental ; le second, qu’il n’y aurait eu sans doute aucune raison de diviser l’ancien royaume de Maurétanie en deux provinces si l’unité et la continuité territoriale de celles-ci avaient été parfaitement assurées » (Euzennat, 1977 : 434).

En dépit de nombreuses prospections aériennes, il n’a en effet pas été possible de mettre en évidence, à l’est de Volubilis, la moindre liaison entre la Maurétanie Tingitane et la Maurétanie Césarienne. De plus, aucune ruine de la région d’Oujda n’est romaine. Vers l’est, le premier poste romain était situé à proximité de Lalla Marnia (Maghnia) (carte page XX), à l’est de la Moulouya (ou Molochat) ; il s’agit de Numerus Syrorum, tenu un temps par des chameliers syriens153.

Il n’y avait donc pas de liaison terrestre aménagée entre la Césarienne et la Tingitane. L’occupation limitée de la Tingitane mise en rapport avec l’importance de la garnison que Rome y entretenait fait alors penser que la province dans son ensemble aurait pu être considérée par Rome comme le limes naturel de l’Espagne. Le meilleur moyen de protéger cette dernière d’éventuels raids des Maures aurait donc consisté à y installer des garnisons chargées de surveiller, en Afrique même, les tribus concernées.

Cette nécessité de protection n’était d’ailleurs pas illusoire car nous avons plusieurs exemples de raids menés au nord du détroit par des tribus berbères. Ceux des années 170 apr. J.-C. sont attestés par la nomination en 172 d’un préfet praepositus uexillationis in Hispanias aduersus Mauros, et par la mention de dévastations opérées par les « Maures » en Bétique (l’actuelle Andalousie).

Ces raids paraissent terminés en 176 ou en 177 après l’intervention militaire de Vallius Maximianus, le procurateur de Tingitane que les habitants d’Italica, dans l’actuelle région de Séville, présentaient dans les termes suivants : « […] provinciam baeticam, caesi hostibus, paci pristinae restituit (Euzennat, 1984 : 384). Les habitants de Singilia Barba (région de Malaga) le remercièrent quant à eux pour les avoir délivrés d’un long siège, ce qui permet de dire qu’il :

« […] ne s’agit donc pas d’une simple razzia, d’un coup de main isolé des tribus rifaines, mais plutôt de la dernière vague d’un mouvement parti du sud de la province et dont on suit la trace de proche en proche » (Euzennat, 1984 : 384).

Les africanae

Pour les Romains, la Berbérie était à la fois une région dans laquelle ils se fournissaient en blé, en huile, en produits vivriers, mais également en animaux pour les jeux du cirque comme les lions, les panthères (léopards), les rhinocéros ou les éléphants, (les africanae), qui vivaient à l’époque dans la région ou dans les parties encore « humides » du Sahara septentrional154.

Cette faune permettait un commerce régulier destiné à alimenter les jeux et il semble avoir débuté au IIe siècle av. J.-C. Ce commerce était organisé par de véritables sociétés de transport et de chasse qui rayonnaient sur toute l’Afrique du Nord. Les sources donnent parfois des chiffres considérables et il n’est pas rare de voir mentionnés des spectacles présentant cent lions et plusieurs dizaines d’éléphants pour la seule ville de Rome.

Or, de tels jeux étaient offerts dans toutes les grandes villes de l’Empire, ce qui donne une idée de l’importance de la faune sauvage de l’Afrique du Nord à l’époque. En 93 av. J.-C., Sylla donna ainsi un spectacle de cent lions attaqués par des chasseurs armés de javelots, fauves et animaux envoyés par le roi Bocchus. En 55 av. J.-C., pour inaugurer son théâtre, Pompée offrit deux chasses quotidiennes durant cinq jours durant lesquelles quatre cent dix panthères, cinq ou six cents lions et vingt éléphants combattirent des Gétules armés de javelots. En 46 av. J.-C., quatre cents lions et quarante éléphants parurent au cirque lors des triomphes de César. À l’époque impériale, les chiffres sont encore plus importants ; ainsi, en 55 de notre ère, sous le règne de Néron, les cavaliers de la garde à cheval de l’empereur tuèrent trois cents lions (Ravanello, 1999 : 102-122).

Concernant les Africanae, Naïma Abdemouahab (2005), donne d’intéressants détails à travers son étude d’une mosaïque d’Hippone. Dans toute l’Afrique du Nord, des scènes de capture sont représentées qui permettent d’affirmer que les animaux destinés au cirque ne venaient pas du sud du Sahara.

II- La crise du IIIe siècle, mythe ou réalité ?

Sous Alexandre Sévère (222-235), le dernier représentant de la dynastie des Sévères, l’empire fut menacé sur toutes ses frontières. La crise qui eut pour cause l’instabilité politique, les assassinats, les usurpations et les pressions exercées tant sur le limes Rhin-Danube qu’en Orient, dura jusqu’à la reprise en mains par Dioclétien à partir de 284.

Au IIIe siècle, l’Afrique romaine connut, elle aussi, une série de problèmes tant internes qu’externes. Pour autant, eurent-ils l’importance que certains auteurs leur donnèrent ? Le IIIe siècle marqua-t-il réellement un tournant décisif dans l’histoire de l’Afrique du Nord romaine comme l’ont soutenu C.-A. Julien (1952) et Marcel Benabou (1976) pour lesquels les soulèvements du IIIe siècle furent la preuve de la résistance berbère contre Rome ?

Les soulèvements et leurs interprétations

Remarquons tout d’abord, qu’avant le IIIe siècle, l’Afrique romaine connut bien des troubles :

- En Tripolitaine, après la mort de Néron survenue en 78, le légat de Numidie, Valerius Festus combattit ainsi les Garamantes du Fezzan qui avaient mis le siège devant Lepcis Magna. Sous l’empereur Domitien (81-96), des mouvements eurent lieu dans l’hinterland de la Grande Syrte où les Nasamons se soulevèrent155.

- En Berbérie, plusieurs révoltes éclatèrent également. Sous le règne de Claude (41-54), une insurrection des Maures s’étendit au sud de la Numidie. En 118, sous Hadrien (117-138) une autre se produisit en Maurétanie et elle se poursuivit sous Antonin le Pieux (138-161), à telle enseigne qu’il fallut faire venir des renforts de Syrie et d’Espagne. Sous Marc Aurèle (161-180) et sous Commode (180-192), ces soulèvements eurent des prolongements jusqu’en Espagne.

Les événements survenus au IIIe siècle constituent-ils une nouveauté par rapport à ceux que nous venons d’énumérer ? Furent-ils différents ? Pour tenter de le voir, il importe d’abord d’en faire l’inventaire :

- Sous l’empereur Maximin dit le Thrace (235-238) eut lieu une sédition des riches propriétaires fonciers. Excédés par la pression fiscale qu’ils subissaient, ils proclamèrent le vieux proconsul Antonius Gordianus, alors âgé de plus de quatre-vingts ans sous le nom de Gordien Ier. Ce dernier associa au pouvoir son fils, Gordien II, mais l’armée, commandée par le préfet Capelianus écrasa leurs partisans. Gordien II mourut au combat et son père se suicida. Cette sédition n’avait pas duré un mois156.

- Un soulèvement se produisit dans la région de Sitifis (Sétif) vers 253-254 avant de s’étendre à une partie de la Maurétanie Césarienne et à la Proconsulaire. Il dura jusqu’en 262. Semblent avoir alors été concernées des tribus sédentaires dans le nord et nomades dans le sud. Les irruptiones de nomades du sud furent, semble-t-il rapidement réprimées. Plus au nord, la reprise en main fut difficile car le chef berbère Faraxen mena une résistance qui nécessita, semble-t-il la reconstitution de la IIIe légion Auguste157.

- En 289 éclata une nouvelle crise qui embrasa la Kabylie et qui s’étendit jusqu’au Hodna. Elle fut animée par la tribu des Bavares et il fallut attendre 297-298 avec l’intervention de l’empereur Maximien, co-empereur de Dioclétien de juillet 285 à avril 286, puis Auguste d’avril 286 à mai 305, pour en venir à bout158.

Le mouvement qui aboutit à la prise de pouvoir par Gordien Ier étant de nature particulière, les autres soulèvements du IIIe siècle dont nous venons de parler, ainsi d’ailleurs que ceux qui leur furent antérieurs et que nous avons cités plus haut, permettent-ils de mettre en évidence une résistance berbère contre la présence romaine comme l’a soutenu Marcel Benabou (1976) qui reprenait ainsi C.-A. Julien (1952) ?

Avant de le voir, ne perdons pas de vue que le second auteur, tout à son combat anti-colonial, fit une erreur de contexte historique quand il assimilait Rome à la puissance coloniale et les Berbères à des colonisés. Rien de plus normal car, dans les années 1950, période de rédaction de son livre, à quoi rêvaient les colonisés sinon à se révolter pour se libérer ? Or, comme l’a justement remarqué Yvon Thébert :

« L’Afrique romaine n’est pas une société coloniale au sens moderne du mot, société caractérisée par la domination politique et économique d’un groupe étranger appuyé sur une suprématie technique absolue. Rome n’avait pas les moyens d’une telle domination : le maintien de la conquête et la préservation des bénéfices en découlant passaient par la prise en considération des élites locales, relais du pouvoir central, puis même partenaires au sein du pouvoir central » (Thébert, 1978 : 80).

Marcel Benabou a renouvelé la vision de C.-A. Julien, son point de départ étant que l’apogée de l’empire romain en Afrique du Nord (lire le Maghreb) se situa au IIe siècle et au début du IIIe. Pour lui, dès le début du IVe siècle la romanité se replia et s’isola sous les coups d’une berbérité à la fois en expansion et revancharde, ce qui fit que, dès lors, « le reflux, déjà amorcé, devenait irréversible » (Benabou, 1976 : 240).

À l’opposé de cette opinion, Claude Lepelley, dans sa thèse publiée en 1979-1981, et portant sur les villes de l’Afrique romaine au Bas-Empire a montré que les cités africaines ne déclinèrent pas ; au contraire, puisqu’elles connurent une réelle et parfois nouvelle prospérité à partir de la fin du IIIe siècle et surtout au IVe siècle159. Une limite doit cependant être portée à cette remise en question car, si les conclusions de Lepelley semblent valides pour la Berbérie orientale où, par le biais de la christianisation, l’apogée de la romanisation se situe effectivement, non au IIe mais au IVe siècle, tel ne fut pas le cas en Maurétanie Tingitane et dans l’ouest de la Maurétanie Césarienne.

De plus, et contrairement à l’idée reçue selon laquelle la romanité ne pénétra pas les massifs montagneux, Abdelmalek Nasraoui (2005) a démontré pour sa part que l’Aurès « profond » fut longtemps et profondément influencé par Rome et même pénétré par la romanité comme en témoigne la présence de nombreuses ruines en des endroits très éloignés des grands centres romains, ce qui devrait nous inciter « […] à revoir la notion trop simplifiée de deux mondes juxtaposés, l’un romain et civilisé, l’autre maure et barbare » (Nasraoui, 2005 : 299). D’autant plus qu’à l’époque romaine, « il n’y a pas deux Afriques, l’une urbanisée et romanisée, l’autre rurale, montagnarde, restée indigène » (Thébert, 1978 : 74-75).

La Maurétanie tingitane, une exception ?

En Tingitane, au IIIe siècle, la population diminua, l’économie se rétracta et Volubilis fut abandonnée. Cependant, dès le IVe siècle, la présence romaine y fut réaffirmée et l’organisation territoriale recentrée autour d’un comte de Tingitane disposant de huit unités militaires (Le Bohec, 2002).

Noé Villaverde Vega (2001) y minimise la crise du IIIe siècle, allant jusqu’à réfuter la thèse des abandons territoriaux pour montrer que le IVe siècle fut au contraire une période de prospérité et même de romanisation avec renouveau des villes. Ce qui lui fait dire que la Tingitane fut romanisée et christianisée en profondeur160.

Les faits tempèrent cette vision, car seule une petite partie de l’actuel Maroc, à savoir le triangle Tingi-Volubilis-Sala161 fut en réalité concernée par la romanisation et par la christianisation. Or, même dans cette zone, les traces d’une romanisation et d’une christianisation « en profondeur » sont bien légères, pour ne pas dire inexistantes quand elles sont comparées à ce que livre l’Africa (actuelle Tunisie) ou même la partie orientale de la Césarienne (actuelle Algérie).

Quant au renouveau des villes de Tingitane au IVe siècle, il est discutable. Certes, Volubilis reprit vie, mais elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Il n’y eut plus de constructions nouvelles, mais simplement réemploi de matériaux avec destruction d’édifices, abandon de la plus grande partie du plateau et installation sur les bords de l’oued Khoumane car, l’aqueduc de l’époque romaine qui fournissait l’eau courante à la cité avait disparu.

Lixus fut incendiée et détruite à cette époque et les usines de salaison délaissées. Quant à Thamusida, l’actuelle Sidi Ali Ben Ahmed, elle fut également incendiée, avant d’être en partie reconstruite, puis définitivement abandonnée au début du IVe siècle162.

L’exception est constituée par Sala, seule ville au sud de Tingi à n’avoir pas été évacuée et qui conservait encore au début du Ve siècle un « tribun de la cohorte de Sala ». Quant à l’îlot d’Essaouira (Mogador) (carte page XXI), il était toujours très fréquenté au IVe siècle comme l’attestent monnaies et céramiques mises au jour.

Si durant toute cette période de repli, Tingi demeura une ville importante, ce fut parce qu’elle était le port principal de la Maurétanie tingitane. À partir du moment où Dioclétien (284-305) rattacha administrativement la province aux Espagnes, elle ne fut plus qu’une possession hasardée en terre d’Afrique afin de protéger la péninsule ibérique.

Le bilan de la question

Le bilan de cette question tient en trois points :

1- De grandes révoltes eurent lieu, mais pas partout, et notamment pas en Césarienne.

2- Le IIIe siècle ne constitua pas une rupture, mais le début d’un phénomène de longue durée bien mis en évidence par Marcel Euzennat (1984), quand il expliquait que dès les années 225, en Afrique du Nord, Rome fut sur la défensive contre les incursions des tribus présahariennes.

3- L’opposition ne fut pas tant celle de Rome et des Berbères (Maures), car la réalité n’était pas celle :

« d’ […] une situation conflictuelle permanente entre deux communautés hostiles l’une à l’autre, celle des Romains et des indigènes romanisés et celle des tribus demeurées libres. Ils sont plutôt la manifestation d’un phénomène constant, le nomadisme des peuples pasteurs le long de la frange septentrionale du Sahara. Le lent mouvement continu de ces tribus, qu’on perçoit d’est en ouest au long des siècles, et leur mode de vie transhumant les amènent à pénétrer en force, de temps à autre, sur le territoire occupé par les agriculteurs sédentaires. Ces irruptiones relèvent plus d’une forme de brigandage endémique que d’une volonté d’invasion délibérée » (Euzennat, 1984 : 375163).

En Tripolitaine, la poussée des tribus berbères chamelières, les « Maures de l’extérieur » selon l’expression d’Yves Moderan, devint menaçante à partir du IVe siècle. C’est ainsi qu’en 363 Lepcis Magna, Oea et Sabratha, les principales villes de la province subirent les assauts des peuples originaires de Libye intérieure. Pour tenter de les contenir, l’Empire édifia une série de postes et engagea des mercenaires germaniques.

Incapable d’endiguer ce mouvement séculaire qui, jadis, poussait les nomades berbères sahariens vers la basse vallée du Nil, et qui s’opérait désormais vers l’ouest et non plus vers l’est, Rome accepta finalement l’installation de plusieurs tribus en Cyrénaïque, en Tripolitaine et dans les provinces romaines de l’actuel Maghreb, à commencer par la Byzacène.

En définitive, une approche régionale de la question permet de replacer ces événements dans la perspective de la longue durée, ce qui permet de voir dans ces événements du IIIe siècle, plus une parenthèse qu’une rupture puisque, dès le IVe siècle l’essor, notamment urbain, reprit.

Le sud était-il fermé à Rome ?

Les Romains connaissaient-ils les régions situées au-delà du limes nord-africain ?

Selon Raymond Mauny (1960) le cap Juby constituait la limite extrême des navigations vers le sud. Aucune trace archéologique, aucune influence culturelle méditerranéenne n’a d’ailleurs été découverte au sud d’Essaouira (Mogador) au Maroc164.

Cette question qui a fait couler des flots d’encre est aujourd’hui résolue car nous savons, depuis les travaux de Desanges (1962, 1975, 1978 et 1982)165, que les neuf Périples que nous ont laissés les historiens antiques ne démontrent aucune navigation le long des côtes africaines et que les « duplications de toponymes » ne permettent en aucun cas d’y identifier le mont Cameroun ou le fleuve Sénégal.

Quant à la période romaine, elle nous a laissé quelques mentions d’expéditions vers le sud saharien : celle de Metellus chez les Gétules rapportée par Salluste ; les expéditions contre le Numide Tacfarinas et contre les Garamantes rapportées par Tacite ; celle de Cornelius Balbus en 19 av. J.-C. encore contre les Garamantes rapportée par Pline l’Ancien ; celle de Julius Maternus vers 85 apr. J.-C. vers le pays non identifié d’Agysimba rapportée par Ptolémée ; celle enfin du commandant des troupes de Numidie, Septimus Flaccus qui, en 70 apr. J.-C., au départ de Lepcis alla jusqu’au pays garamante. Ces sources romaines ne nous apprennent rien de plus par rapport aux connaissances de la période antérieure.

Il est paradoxal de constater que les sources que nous venons de citer sont toutes antérieures à la dynastie berbère des Sévères (193-235) originaire de Lepcis Magna. Si ce grand port avait eu des contacts réguliers, directs et suivis avec l’Afrique sud saharienne, les fouilles en auraient livré des traces, or ce n’est pas le cas.

À l’est, la situation était différente dans la mesure où la puissance romaine permit de déverrouiller le détroit de Bab-el-Mandeb jusque-là contrôlé par les Arabes. Le port d’Océlis situé à la jonction entre la mer Rouge et l’océan indien fut à cette époque le point essentiel du commerce avec l’Asie en raison de la disparition d’Aden (Eudeamon), au mouillage beaucoup plus commode mais qui avait été détruit sous le règne de l’empereur Claude (41-54 apr. J.-C.), par le roi de Muza, qui possédait Ocelis.

À l’époque romaine, cette voie commerciale eut une telle ampleur qu’il fut nécessaire de freiner l’hémorragie d’or et d’argent que connaissait alors l’empire qui importait via la mer Rouge et l’océan Indien des marchandises précieuses venues d’Extrême-Orient. C’est pourquoi une douane destinée à taxer les cargaisons pénétrant en mer Rouge fut installée à Aden (Eudeamon) (carte page XIV).

III- Les querelles religieuses et l’affaiblissement de la romanité

Dès le IIIe siècle, l’Afrique du Nord romaine fut déchirée par des crises religieuses qui prirent des formes régionalement différentes. En Égypte, elles illustrèrent la rivalité entre le patriarcat d’Alexandrie et Rome, puis avec Constantinople, cependant qu’en Berbèrie, ce furent davantage des querelles se rapportant au dogme doublées de revendications sociales.

Des chrétientés florissantes mais divisées

L’Égypte fut évangélisée166 par Marc dans les années 60 de l’ère chrétienne. Alexandrie, grande métropole juive, fut le premier centre chrétien. Vers 180 y fut fondée une célèbre école de formation des catéchistes, le Didascalée, qui fit rayonner les enseignements des premiers exégètes égyptiens. Dès cette époque, se produisit l’inculturation de l’Église qui adopta la langue égyptienne – c’est-à-dire le copte – héritier de l’ancien égyptien.

En 202, sous l’empereur Septime Sévère, l’édit d’interdiction du christianisme marqua le début des persécutions des chrétiens car ces derniers refusaient les cérémonies sur lesquelles reposait l’ordre social. Tertullien (± 155-220), demanda ainsi aux chrétiens d’Afrique de ne pas participer à la vie de la cité, de refuser toute activité ou tout métier agricole susceptible de fournir les sacrifices païens et de ne pas servir dans l’armée, même sous menace de mort, le martyre et la souffrance qu’impliquaient ces refus étant une voie du salut167.

Ces persécutions furent suivies par celles de 250, sous l’empereur Decius (249-251), puis par celles de 257, sous Valérien (253-260). Nombre de chrétiens durent alors trouver refuge loin d’Alexandrie, ce qui favorisa la propagation du christianisme, d’abord à la basse vallée du Nil, puis jusque dans la haute vallée et peut-être même jusqu’en Nubie.

La plus grande persécution débuta en 303, sous le règne de l’empereur Dioclétien (284-311). Les souffrances des chrétiens furent alors telles que l’église d’Égypte prit pour date du début de son ère, l’année 284, commencement du règne de l’empereur168. Sous l’empereur Maximin II (310-313), la terreur devint encore plus forte et les exécutions se comptèrent par milliers.

Le mouvement des conversions reprit à partir de 391, date de la promulgation de l’Édit de Théodose. Puis le christianisme devenu religion d’État, l’Égypte fut en totalité christianisée. En 392, à Alexandrie, des chrétiens fanatiques détruisirent le temple de Sérapis169, attentat qui marqua la fin de la vieille religion égyptienne.

En Tingitane, où le christianisme fut probablement présent dès le milieu du IIIe siècle, le plus ancien martyr chrétien connu est le centurion Marcel, mis à mort à Tingi en 298.

Villaverde Vega ne recense ici que onze épitaphes provenant presque toutes de Tingi et de sa région ou de Volubilis170, nombre dérisoire par rapport à ce que nous connaissons des parties centrale et orientale du Maghreb.

De plus, il importe de souligner l’extrême rareté de lieux de culte. Ainsi à Tingi, où l’auteur écrit que la christianisation de la population était totale (2001 : 345), aucune église n’a été mise au jour171. On pourra toujours avancer que la ville ancienne étant sous l’actuelle médina, des fouilles y sont difficiles mais tel n’est pas le cas pour Volubilis où, en dépit de nombreuses campagnes de fouilles, la ville n’a livré aucune église.

Dans toute la Tingitane, seuls deux authentiques lieux de culte chrétiens ont été identifiés : une petite basilique à Lixus et une église datée de la seconde moitié du IVe siècle à Asilah, l’ancienne Zili (carte page XIX), église qui fut détruite au début du Ve siècle. Notons également qu’à Ceuta (Septem Fratres) a été découvert un enclos funéraire abandonné au début du Ve siècle (Lenoir, 2003 : 167-175).

À l’exception de celle de Lixus, les chrétiens de la Tingitane ne semblent donc pas avoir bâti de basiliques172.

Ces éléments ne font pas penser à une chrétienté particulièrement florissante. D’ailleurs, dans les récits relatifs aux débuts de la période arabo-musulmane dans l’ancienne tingitane, il n’est que très rarement fait référence ou même allusion à l’existence de communautés chrétiennes, contrairement à la partie orientale du Maghreb.

Dans toute la Berbérie, à l’exception de la Tingitane, la chrétienté fut florissante. En 484, il y avait ainsi 120 évêques catholiques pour tout l’actuel Maghreb, et seulement 2 pour l’actuel Maroc173.

Ce monde chrétien connut de graves et profondes querelles théologiques174 qui perturbèrent les convertis (Cuoq, 1984, 1991), les deux principales étant le donatisme et l’arianisme.

En 307, Caecilianus fut élu évêque de Carthage, ce qui provoqua l’opposition d’une fraction du clergé et des fidèles qui lui reprochaient son attitude ambiguë durant les persécutions des années 284-304. Un concile fut alors réuni, à l’initiative des opposants menés par Donat, évêque de Casae Nigrae (près de l’actuelle ville de Sétif) en Numidie. L’élection de Caecilianus y fut déclarée nulle et Donat fut proclamé.

Cet évêque de Numidie qui vécut entre ± 270 et 355, considérait qu’il était impossible de réintégrer dans le christianisme ceux qui, à la suite des persécutions de Dioclétien en 303 et 304, avaient renié leur foi pour échapper à la mort. Des centaines de milliers de personnes se trouvèrent ainsi exclues de l’Église175.

En 313, à Rome, une commission conciliaire fut réunie sous l’autorité du pape et elle confirma l’élection de Caecilianus. L’empereur Constantin (306-337) confirma ensuite cette décision, lui donnant un caractère officiel et faisant ainsi de ceux qui la contesteraient des rebelles à son autorité. La dissidence prit alors une tournure à la fois religieuse et politique et ce fut alors que les persécutions des donatistes débutèrent.

En 321, l’impasse étant totale, Constantin promulgua un édit de tolérance qui permit aux donatistes de prendre un essor considérable et cela, jusqu’au moment où éclata le mouvement des circoncellions quand le petit peuple berbère des campagnes se forma en bandes de pillards176. Indépendante du donatisme, cette gigantesque jacquerie lui apporta cependant un puissant soutien.

Au même moment, dans le Djurdjura (l’Adrar n Jerjer des Berbères), au nord de l’actuelle Algérie, après la mort de Nubel, chef de la tribu des Jubaleni, deux des fils du défunt, Firmus et Sammac s’affrontèrent. Le comte d’Afrique prit le parti du second qui fut assassiné. Suspecté du meurtre, Firmus fut en quelque sorte « contraint d’entrer en rébellion » (Decret et Fantar, 1998 : 335). En 372, soutenu par de nombreuses tribus dont la quasi-totalité de celles de la Césarienne, ainsi que par les donatistes, il fut proclamé roi.

En 373, l’empereur Valentinien (364-375), envoya contre lui un corps expéditionnaire placé sous les ordres du général Théodose, le maître de la cavalerie177, qui reçut le concours d’un frère de Firmus nommé Gildon (Moderan, 1988a). À l’issue de trois années de combats incertains, Firmus fut peu à peu abandonné par ses partisans ; trahi par un des siens, il se suicida.

Gildon fut nommé comte d’Afrique, puis il entra à son tour en rébellion178 s’appuyant tant sur les donatistes que sur les Circoncellions. Pour tenter de faire plier Rome, il interrompit les livraisons de blé. La réaction se produisit avec l’envoi du général vandale Stilicon qui trouva un allié en la personne d’un parent de Gildon nommé Mascezel. Battu et fait prisonnier, Gildon se suicida en prison (Roberts, 1998)179.

133. Pour l’ensemble de la période et pour toute la région allant de la Tingitane à la Tripolitaine, on se reportera à Antonio Ibba et Giusto Traina (2006).

134. Voir à ce sujet Jallet-Huant, 2006.

135. Né vers 160 av J.-C., Jugurtha était le petit-fils de Massinissa et le fils illégitime de Mastanabal, frère de Micipsa qui l’avait adopté peu avant sa mort, faisant ainsi de lui le troisième de ses héritiers dans l’ordre de succession après ses fils Adherbal et Hiempsal.

136. Salluste, Bellum Jugurthinium, traduction de G. Walter, Paris, 1968.

137. Selon Youcef Aibeche (2005 : 24) le nom de Cirta est d’origine punique et il signifie ville (QRTN).

138. Furent massacrés des Italiotes « Italici », et des Romains, lesquels, écrit Salluste, avaient protégé la retraite d’Adherbal et combattu sur les remparts de la ville.

139. Gauda était le père de Hiempsal II, lui-même père de Juba Ier et ce dernier père de Juba II.

140. Sur Publius Sittius, voir Bertrandy (1990). Cirta prit le nom de Constantina après les tragiques événements des années 310-312 quand le vicaire d’Afrique Domitius Alexander qui s’était proclamé empereur fut vaincu par Rufius Volusianus et la ville ravagée par les combats. Restaurée aux frais de l’empereur Constantin, Cirta prit le nom de l’Empereur et devint la capitale de la province de Numidia Constantina (Aibeche, 2005 : 31).

141. Son aide ayant été déterminante, Rome le récompensa par le titre d’allié et d’ami du peuple romain. En 40 apr. J.-C., il fut mis à mort dans l’amphithéâtre de Lyon sur ordre de Caligula qui craignait de le voir comploter contre lui.

142. Sur le royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée, voir Coltelloni-Trannoy (1997).

143. Après la prise de contrôle de l’Égypte par Octave en 30 av. J.-C., Rome y installa une garnison composée de trois légions, soit environ 15 000 hommes), ce qui constituait un effectif considérable. La garnison fut ensuite allégée par Tibère (14-37 apr. J.-C.) qui la ramena à deux légions.

144. À peu de choses près l’actuelle Tunisie.

145. En 115-117 apr. J.-C., les Juifs de Cyrénaïque se soulevèrent et les villes de la province furent dévastées. Après la réduction des derniers insurgés conséquence d’une ferme répression et d’un exode en Palestine, l’empereur Hadrien (117-138) ordonna de relever les cités endommagées.

146. Cette tribu est la matrice des Laguatan et des Austuriani.

147. Pour tout ce qui concerne l’armée romaine et notamment les légions africaines, voir Yann Le Bohec (1989, 2005).

148. Modéran a formulé l’hypothèse que la situation de ces deux forts s’expliquait par la volonté d’empêcher Nasamons et Garamantes, deux populations vivant dans les franges du désert, de s’allier contre Rome, les deux forts étant situés à la jonction de leurs territoires respectifs (Modéran, 2003c : 224).

149. La question des routes romaines en Tripolitaine a été traitée par Goodchild (1948).

150. Pour l’ensemble de la période et pour toute la région allant de la Tingitane à la Tripolitaine, on se reportera à Antonio Ibba et Giusto Traina (2006).

151. Pour tout ce qui concerne la période romaine en Maurétanie tingitane, il sera utile de se reporter à plusieurs publications récentes, dont Cabouret (2005) et Briand-Ponsart (2005) pour l’histoire générale, à Bouquier-Reddé et Lenoir (2005 : 74-92) pour les sources archéologiques. Pour tout ce qui concerne plus généralement Rome et l’Afrique, voir Christophe Hugoniot (2000), Yann Le Bohec (2005), Hélène Ménard et Noëlle Géroudet (2005).

152. Volubilis qui était au cœur d’une riche région agricole comprise entre l’oued Beht et la chaîne montagneuse du Zerhoun était protégée par un limes régional ancré sur quatre ou cinq points d’appui principaux et sur une quinzaine d’ouvrages secondaires dont les camps d’Ain Schkour et de Tocolosida (Bled Takourart) (Euzennat, 1967).

153. Des fouilles faites en 1962 sur les ruines de Bou Helou (carte page XIX), à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Fès, n’ont permis de mettre au jour que des constructions récentes et l’absence totale de céramique romaine permet d’écarter toute idée d’occupation durable (Euzennat, 1977 : 433).

154. Pour tout ce qui concerne le commerce des bêtes sauvages entre l’Afrique et Rome, voir François Bertrandy (1987)

155. Sur la question des rapports entre Rome et les Berbères sahariens dans les régions du Limes, voir Mattingly (1986).

156. La rébellion éteinte en Afrique s’alluma à Rome où, les sénateurs qui avaient soutenu Gordien furent terrorisés à l’idée de devoir subir la vengeance de Maximin. Dans une sorte de mouvement de fuite en avant, ils le déclarèrent alors « ennemi public », le firent assassiner et ils désignèrent deux empereurs, Maxime Pupien et Balbin. Mais le peuple de Rome ne l’entendit pas ainsi et il exigea un triumvirat, leur adjoignant un adolescent à peine âgé de treize ans, et neveu des Gordien, le futur Gordien III (238-244). Quelques semaines plus tard, au mois de mai 238, la garde prétorienne de Rome assassina Pupien et Balbin. Débuta alors la période de l’« anarchie militaire ».

157. Après les guerres civiles, Auguste avait laissé deux légions en Afrique puis, à partir de 6 apr. J.-C., il n’y en eut plus qu’une seule, la IIIe Legio Augusta. Dissoute en 238 après l’insurrection de Gordien, elle fut reconstituée en 253 sous Valérien. La dissolution de cette unité d’élite qui assurait une présence parmi les tribus de l’intérieur et son remplacement par des troupes auxiliaires eut de réelles conséquences sur le terrain car plus de 90 % des légionnaires étaient recrutés localement en Afrique (Le Bohec, 1989 et 2005).

158. De son côté, la haute Égypte fut régulièrement menacée par les Blemmyes, ancêtres des actuels Bedja, nomades nubiens appartenant à l’ensemble couchitique et vivant entre les rivages de la mer Rouge et le Nil. L’empereur Probus (276-282) finit par les mater.

159. Sur la vitalité de certaines cités africaines pendant la crise du IIIe siècle, on se reportera à Xavier Dupuis (1993).

160. À cet égard, le paragraphe intitulé « Nuevas perspectivas sobre la Romanidad de Tingitana » est particulièrement novateur (Villaverde Vega, 2001 : 28-29).

161. La question de la zone d’occupation romaine et de son limes est bien connue, notamment grâce aux travaux d’Euzennat (1967, 1977, 1986).

162. Thamusida fut évacuée une première fois entre 274 et 280 ap. J.-C., ses habitants paraissant s’être enfuis sans emporter leurs richesses. Pour quelle(s) raison(s) ? Nous l’ignorons.

163. Cette constatation se retrouve d’ailleurs dans l’histoire du Maroc médiéval et moderne, quand, lentement, l’on pourrait presque dire inexorablement, les tribus venues du sud progressaient ou « montaient » vers la vallée de la Moulouya ou vers les plaines atlantiques.

164. Pour un bilan de la question, voir Lugan (2009 : 133).

165. Desanges a démontré que les tentatives de duplication des toponymes ou la transformation en distances kilométriques des données du géographe Ptolémée était une méthode « totalement illusoire » aboutissant à confondre l’oued Sebou et le Draa (Desanges, 1979 : 100).

166. La bibliographie sur le sujet est considérable. Pour un état de la question, on se reportera à Cannuyer (1996 et 2000).

167. Tertullien, Berbère carthaginois converti au christianisme au début du II° siècle déclarait : « Il nous faut lutter contre les institutions des ancêtres, l’autorité des traditions ». Ces propos d’une grande radicalité prenaient même la forme d’un : « Discours provocateur dans une société dont la valeur suprême était précisément le mos maiorum, les usages reçus des pères. Toute son argumentation – et l’argument a longtemps servi – consistait à faire reconnaître que les lois de Moïse, et donc des chrétiens, étaient plus anciennes » (Cité par Février, 1990 : 163).

168. Les Coptes parlent de l’ère des Martyrs ou ère de Dioclétien.

169. Le culte rendu à la déesse Isis était très populaire en Égypte et il survécut tardivement puisque, en 537, l’empereur Justinien fit fermer le temple de Philae où un culte lui était rendu. Les Égyptiens transférèrent ce culte sur la personne de la Vierge Marie

170. À Tingi, trois sont datées du IVe siècle, une de la fin du Ve et une autre du VIe. À Volubilis, une, la plus ancienne est datée de la fin du IVe siècle et cinq autres du VIIe, ces dernières pouvant probablement être liées à des migrants originaires d’Altava dans l’actuel oranais (Thouvenot, 1969 : 375 et suivantes). À ces inscriptions funéraires, il convient d’en ajouter une autre, provenant de Sala.

171. Et cela contrairement à ce qu’a soutenu Thouvenot (1969).

172. Les plus récentes fouilles de Volubilis ont permis de mettre au jour un petit édifice à abside dont l’origine est controversée (basilique ou mosquée ?). Deux évêchés (Tanger et Larache) ont été identifiés en Tingitane, mais il n’est pas impossible que leur nombre ait pu s’élever à quatre au total.

173. Pour tout ce qui concerne le christianisme dans le nord de l’Afrique, voir François Decret (1996 et 2002). Pour une synthèse historique concernant les premiers siècles du christianisme en Afrique, il sera utile de se reporter à l’ouvrage du Père Dominique Arnauld (2001).

174.. François Decret s’interroge à ce propos : « Schismes et hérésies ont tellement marqué l’aventure du christianisme en Berbérie qu’on peut se demander si, dans cette chrétienté fort ancienne et profondément implantée, la véritable tradition n’a pas été représentée par ces courants dissidents qui l’ont parcourue jusqu’à sa disparition, plutôt que par l’orthodoxie officielle de la Grande Église. Certes, de tous ces mouvements, le donatisme aura été le plus « africain », le seul qui soit né sur cette terre où il s’épanouit, plus de trois siècles durant » (Decret, 2002 : 2).

175. Pour un bilan concernant les interprétations anciennes et modernes du donatisme, voir Février (1990 : 172-175) et pour le donatisme en général, voir Frend (1952) et Tilley (1997).

176. « Les circoncellions – de circum cellas, ceux qui vont de grange en grange – étaient des saisonniers ou des journaliers qui se louaient au temps de la moisson ou de la cueillette des olives […] Il s’agissait en fait de la révolte d’une petite paysannerie endettée, écrasée par les conditions économiques. Voyant leur situation empirer, ces déshérités aspiraient à une « révolution sociale » (Decret, 2002 : 2-3). Sur les Circoncellions, voir Lepelley (1994).

177. Il s’agissait de Théodose dit l’Ancien, père de Théodose le Grand décapité à Carthage en 375, peut-être sur ordre de Valens, empereur d’Orient.

178. La rupture se produisit après la mort de l’empereur Théodose (395) quand Gildon refusa de reconnaître l’autorité d’Honorius, l’empereur d’Occident, demandant à dépendre d’Arcadius, empereur d’Orient.

179. Sur Gildon et les Maures, voir Modéran (1989).