Chapitre I

L’Égypte, la Libye et la Tunisie

Après la mort du colonel Nasser, l’Égypte, affaiblie par ses guerres contre Israël et dont le développement était profondément hypothéqué par une croissance démographique devenue insensée728, vit son leadership régional contesté par la Libye dont le « destin », porté par le colonel Kadhafi reposait sur de fabuleuses richesses pétrolières adossées à une faible population.

La Tunisie qui n’eut que deux présidents entre 1956, année de son indépendance, et 2011, à savoir Habib Bourguiba qui exerça le pouvoir de 1956 à 1987 et Zine el-Abidine Ben Ali jusqu’au mois de janvier 2011, connut une énorme mutation durant cette période.

I- L’Égypte de Nasser à Moubarak (1970-2011)

Jusqu’en 1970, année de sa mort, le colonel Nasser donna à l’Égypte une dimension dépassant largement le cadre de ses frontières. Avec son successeur, Anouar el-Sadate, le pays devint un élément essentiel de stabilisation régionale en étant aligné sur la position des États-Unis. Avec le général Moubarak, cette politique fut poursuivie, mais le régime fut emporté par une double contestation démocratique et islamiste.

De Nasser à Sadate

À la mort du colonel Nasser le 28 septembre 1970, le pouvoir revint à Mohammed Anouar el-Sadate (1918-1981). Né dans le Delta, ce fils de sous-officier avait une mère soudanaise. Officier dans les Transmissions, Il participa à de nombreuses actions nationalistes et fut arrêté en 1942 par les Britanniques pour avoir noué des relations avec les services allemands, avant d’être chassé de l’armée et emprisonné. S’étant évadé, il vécut dans la clandestinité jusqu’en 1945, grâce notamment à des complicités nouées avec les Frères musulmans. Renvoyé en prison par les autorités égyptiennes durant trente et un mois, il fut réintégré dans l’armée en 1950.

Compagnon du colonel Nasser dans le coup d’État du 23 juillet 1952, il fut ministre en 1954, secrétaire de l’Union nationale en 1959, puis président de l’Assemblée nationale en 1960, poste qu’il occupa jusqu’en 1968. Nommé vice-président en 1964, il était donc le successeur naturel de Gamal Abdel Nasser.

Il s’opposa à l’aile pro-soviétique du régime incarnée par Ali Sabri, chef du parti unique, l’Union socialiste arabe, puis, il fut élu président en octobre 1970. Il ne l’emporta cependant définitivement sur ses opposants que le 2 mai 1971 après avoir fait arrêter pour conspiration l’équipe d’Ali Sabri. Il fut re-élu six ans plus tard, au mois d’octobre 1976.

Au mois de novembre 1970, le président Sadate se rallia à « une tendance unioniste accrue » (Rondot, 1973 : 11), caractérisée par un pacte entre la Libye, le Soudan, la Syrie et l’Égypte. En avril 1971, inquiet devant le volontarisme libyen, le général Numeiry du Soudan s’en retira tandis qu’était signé le Pacte de Benghazi qui prévoyait la création d’une véritable institution fédérale, l’Union des Républiques Arabes (Égypte, Syrie, Libye).

Anouar el Sadate était partisan d’une solution négociée avec Israël, ce qui lui valut d’être accusé de mollesse ou d’immobilisme face à l’État hébreu. Son pouvoir fut alors contesté et le 24 janvier 1972, au Caire, eurent lieu de violentes émeutes.

Au mois de février 1972, le président effectua une visite officielle à Moscou où il demanda une aide accrue afin d’être à la fois en mesure de reprendre les hostilités contre Israël, et les moyens de construire en Égypte même une industrie d’armement. Les résultats de cette visite furent décevants et ils eurent pour conséquence, quelques mois plus tard, la rupture entre Le Caire et Moscou. Puis, le 18 juillet 1972, Anouar el Sadate demanda le départ des vingt mille conseillers militaires soviétiques résidant en Égypte.

Durant l’année 1973, la tension ne cessa de croître sur la frontière syro-israélienne. La guerre de 1973, dite guerre du Kippour (6 octobre au 25 octobre 1973), fut déclenchée le 6 octobre, simultanément par l’Égypte et par la Syrie. Le conflit débuta avec le franchissement du canal de Suez par l’armée égyptienne et par une percée syrienne sur le Golan. À la différence de la guerre de 1967, les Égyptiens disposaient de défenses antiaériennes efficaces qui limitèrent l’action des avions israéliens. L’état-major égyptien commit alors l’erreur qui lui fit perdre la guerre : au lieu de lancer ses colonnes blindées à travers le Sinaï, il se prépara au contraire à la défensive.

L’état-major israélien profita alors des hésitations égyptiennes pour en finir avec l’armée syrienne qui, depuis le Golan, menaçait directement le cœur d’Israël. Puis, le 15 octobre, l’armée israélienne se retourna avec l’essentiel de ses moyens contre les divisions égyptiennes passées sur la rive orientale du canal de Suez. Une colonne commandée par le général Ariel Sharon réussit à franchir le canal le 15 octobre. La 3e armée égyptienne contre-attaqua et le 17 octobre, une bataille de chars se livra dans le Sinaï. Les Israéliens prirent l’avantage, puis ils encerclèrent les forces égyptiennes ; le 23 octobre ils atteignirent les faubourgs de Suez et d’Ismaïlia.

Les Égyptiens avaient lavé l’affront subi lors des précédentes guerres et comme le président Sadate n’avait pas l’intention de laisser détruire son pays, il décida de demander un cessez-le-feu.

Cette guerre ouvrit un processus de négociations de paix qui aboutit quatre ans plus tard. Le 20 novembre 1977, le président Anouar el-Sadate effectua un voyage officiel en Israël où il fut accueilli à la Knesset, le parlement israélien. La suite des pourparlers fut difficile, avec de nombreux retournements.

Du 6 au 17 septembre 1978, réunis au Sommet de Camp David à l’invitation du président Carter, les Israéliens s’engagèrent à quitter le Sinaï. Ce dernier repassa ensuite sous souveraineté égyptienne, mais Le Caire n’eut pas le droit d’y stationner des unités militaires.

La signature des Accords de Camp David, puis la signature du Traité de paix israélo-arabe du 26 mars 1979, provoquèrent la fureur de nombre de pays arabes appuyés par l’URSS. Certains, comme la Syrie reprochèrent ainsi à l’Égypte d’avoir « bradé la terre arabe », tandis que la Jordanie et l’Arabie Saoudite condamnèrent une négociation séparée avec Israël, contraire aux engagements et aux principes de la Ligue arabe. De fait, le panarabisme auquel il avait longtemps cru ayant montré ses limites, le président Sadate avait agi, non en nationaliste arabe, mais en nationaliste égyptien. Au mois d’avril 1979, l’Égypte fut exclue des institutions panarabes.

Anouar el-Sadate fut assassiné le 6 octobre 1981 en plein défilé militaire par un jeune officier qui lui reprochait d’avoir signé une paix séparée avec « l’ennemi sioniste729 ».

Hosni Moubarak (1981-2012)

Né le 4 mai 1928 et vice-président depuis 1975, le général Hosni Moubarak succéda à Anouar el-Sadate le 14 octobre 1981.

Constamment réélu après cette date, il remporta les élections présidentielles multipartites du 9 septembre 2005 avec 88,5 % des voix. Les élections législatives de 2007 se déroulèrent sur fond de crise financière et alimentaire due à l’augmentation du prix des denrées de base, et qui déboucha sur des émeutes de la faim.

La crise égyptienne qui était multiforme était aggravée par le facteur démographique, ce que certains observateurs qualifièrent même d’impasse démographique. Avec un indice de fécondité de 3,1 par femme et un taux de croissance naturelle de 18,5 pour 1 000, la population égyptienne est en effet passée de 23 millions d’habitants en 1955, à 40 millions en 1981 lors de l’accession au pouvoir d’Hosni Moubarak, à plus de 80 millions en 2016. Cette masse humaine concentrée sur quelques dizaines de milliers de km2 le long du Nil est très jeune puisque plus de 50 % des Égyptiens ont moins de 25 ans, dont 20 % entre 15 et 24 ans.

Le 9 juin 2008, parfaitement conscient de ce suicide démographique national, le président Moubarak déclara lors d’un discours prononcé à l’occasion du deuxième Congrès national sur la population que la pression démographique est « la mère de tous les maux », la huitième plaie d’Égypte en quelque sorte. Le président alla jusqu’à reprocher à ses compatriotes de « faire concurrence aux lapins ».

Le résultat est que l’Égypte ne peut plus nourrir sa population. Le pays qui est le plus grand importateur de blé de la planète est donc en permanence à la merci d’émeutes de la faim comme il s’en produisit en 2008 et qui firent un nombre indéterminé de morts. La situation fut même dramatique durant l’hiver 2010-2011 quand une partie importante de la population fut en état de sous-nutrition.

En 2010, plus de 40 % de la population, soit environ 32 millions d’Égyptiens, vivait avec moins de 2 dollars par jour ; selon les critères de l’ONU, plus des deux tiers des Égyptiens étaient alors considérés comme pauvres.

Le fléau du chômage plombait le climat social. En plus des catégories populaires directement frappées, les diplômés qui constituaient environ 30 % d’une classe d’âge n’avaient quasiment aucune chance de trouver un emploi correspondant à leur niveau d’études. Le problème tenait en deux chiffres : l’Égypte forme 700 000 nouveaux diplômés chaque année pour 200 000 nouveaux emplois. Résultat : 50 % des hommes de 15 à 29 ans et 80 % des femmes du même âge, diplômés du supérieur ne trouvaient pas de travail.

À la veille de la révolution de 2011 qui chassa le président Moubarak, l’étouffement des libertés était de plus en plus mal ressenti. L’Égypte était en effet en état d’urgence depuis 1967, depuis la guerre des Six Jours, avec une courte parenthèse de dix-huit mois au début des années 1980 durant laquelle il fut levé.

La libéralisation de l’économie fut une cause aggravante de la crise car le régime Moubarak mena dans les années 1990 à 2000, une politique qualifiée d’Infitah ou « ouverture des portes » par la rue égyptienne. Son résultat fut le développement rapide d’un secteur privé enrichi grâce à la privatisation d’entreprises publiques.

Le tissu industriel étatisé constitué à l’époque du colonel Nasser, était certes devenu largement obsolète ; du moins, faisait-il vivre des millions d’Égyptiens. Or, il fut détricoté pour répondre aux « recommandations » du FMI et de la banque mondiale. Le président Moubarak fut félicité par ces organismes internationaux, mais il avait ruiné son peuple et préparé les conditions de son éviction. D’autant plus qu’à la faveur de ce processus de privatisation, naquit une véritable oligarchie de profiteurs et d’affairistes qui prospéra sur le dos de la population en s’emparant de l’économie égyptienne.

II- La Libye du colonel Kadhafi (1973-2011)730

Le colonel Kadhafi prit effectivement le pouvoir en 1973. Après trois décennies d’activisme brouillon et de soutien au terrorisme international, il s’assagit. Devenu un chef d’État moqué mais courtisé en raison des hydrocarbures que produisait la Libye, il reçut un accueil officiel à Paris au mois de décembre 2007, puis à Madrid. En 2008 il se réconcilia avec les États-Unis et cette même année la Libye assura la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU. La France de Nicolas Sarkozy et l’Otan lui déclarèrent ensuite la guerre.

Le 15 avril 1973, près de quatre ans après le coup d’État de septembre 1969, à Zouar, alors qu’il s’était jusque-là tenu à l’écart de la vie politique, Mouammar Kadhafi força le destin en prononçant un discours dans lequel il invitait les « masses populaires » à reprendre un pouvoir confisqué par le parti unique, l’Union socialiste arabe.

À la suite ce coup d’État pacifique, il s’imposa à la tête du pays et déclencha une révolution culturelle et politique, lançant un double jihad. Le premier, intérieur, avait pout but une réforme des mœurs et des institutions allant dans le sens d’une application plus stricte des préceptes de l’Islam. Le second visait : « les agresseurs du peuple arabo-islamique (et) les usurpateurs de la terre musulmane », c’est-à-dire les régimes arabes alliés des Occidentaux, par définition « corrompus », et l’État d’Israël.

Kadhafi ou le pouvoir tribal731

À la différence de la Tunisie ou de l’Égypte, la Libye, dont plus de 90 % du territoire est désertique, a une forte définition tribale732. Ses dizaines de tribus qui sont divisées en centaines de sous tribus et en clans, constituent des ensembles ayant des alliances traditionnelles mouvantes au sein des trois régions composant le pays733. Le colonel Kadhafi conserva le système tribal tout en l’encadrant à travers un système administratif moderne, avec préfectures (muhāfazāt) et municipalités (baladīyat).

Trois grandes confédérations (coff ou saff) tribales734 existent en Libye735, la confédération Sa’adi en Cyrénaïque, la confédération Saff al-Bahar dans le nord de la Tripolitaine et la confédération Awlad Sulayman qui occupe la Tripolitaine orientale et intérieure ainsi que le Fezzan736.

Issu de la tribu des Qadhadfa737 (confédération des Awlad Sulayman), Mouammar Kadhafi fonda son pouvoir sur une profonde recomposition tribale reposant sur des alliances entre sa tribu et de puissantes açabiyât. Cette recomposition ne demeura cependant pas figée. En fonction des événements, il fit en effet preuve d’une intime connaissance des rouages tribaux qu’il utilisa à merveille pour ancrer ou assurer son pouvoir. Nous pouvons distinguer cinq phases dans sa politique tribale :

1- Au lendemain de sa prise de pouvoir, se méfiant de la Cyrénaïque et de ses tribus demeurées fidèles au roi Idriss, il s’appuya sur la tribu Hasa afin de faire contre-poids aux Barasa. Puis, il se rapprocha des seconds et se sépara des premiers au prétexte qu’ils furent jadis proches du colonisateur italien.

2- Il répudia sa première femme qui était d’origine turco-kouloughli et qui ne pouvait donc pas lui apporter les appuis tribaux qui lui étaient nécessaires, et il épousa une femme Firkeche, un segment clanique de la tribu Barasa. Ce mariage fut un coup de maître car, outre qu’il écartait le danger représenté par les Barasa, il lui permit de construire une alliance entre les Qadhafda et les grandes tribus de Cyrénaïque liées aux Barasa, comme les Awaqir (Awaghir) et les Ubaydat (Abidet).

Son pouvoir s’exerça alors sur les trois régions de Libye car il reposait sur les trois grandes confédérations tribales régionales :

- celle de Cyrénaïque avec la confédération Sa’adi rassemblant les tribus alliées aux Barasa.

- celle du couloir allant des Syrtes au Fezzan avec sa propre confédération,

- celle des Awlad Sulayman (Ouled Slimane).

- celle du nord de la Tripolitaine à travers la confédération al-Bahar et cela grâce à ses alliés, les Magarha de Sebha738, tribu guerrière et makzénienne.

3- De 1973 à 1975, son pouvoir reposa également sur l’alliance avec Misrata, cité disposant d’une élite lettrée qui fournit nombre de cadres au régime, notamment dans l’administration, la diplomatie, la banque ou l’université alors que les Bédouins, notamment les Qadhafda, se réservaient l’armée, la police ou les douanes.

Puis, en 1975, une rupture inévitable se produisit entre le bédouin Kadhafi et les patriciens de Misrata, cité portuaire, lettrée, tournée vers la mer et « capitale » des Kouloughli.

Comme l’a bien fait ressortir Moncef Ouannes (2009), ce fut en réalité un choc entre deux conceptions de la vie, un choc entre bédouinité et sédentarité. Dans son livre Escapade en enfer (2000), Guy Georgy rapporte des propos de Mouammar Kadhafi résumant parfaitement bien le sentiment de ce dernier face à la ville : « qu’est-ce que je convoite, moi, le Bédouin perdu dans une ville moderne et folle739 »?

Les officiers de Misrata furent arrêtés et les cadres issus de la ville furent mis à l’écart. Désormais, la haine des Misrati envers le régime et la personne du colonel Kadhafi fut une donnée déterminante de la vie politique libyenne. Elle explique l’évolution de cette ville qui jouera un rôle essentiel dans la guerre civile de 2011, allant jusqu’à capturer puis à lyncher à mort le colonel Kadhafi comme nous le verrons plus loin.

4- Ayant perdu l’appui de Misrata, le colonel Kadhafi procéda à une recomposition tribale en s’appuyant davantage sur sa propre confédération, celle des Awlad Sulayman. Il se rapprocha ainsi de ses « cousins » Warfalla de Bani Walid740. Comme les Qadhafda, ces derniers font partie du groupe al-Fawqi et ils sont les ennemis de Misrata depuis des événements confus survenus durant la période italienne741. Parallèlement, il consolida son pouvoir dans l’arrière-pays de Tripoli en prenant appui sur les Rujban742 (Rojbane) et sur la fraction arabe des Zintan du jebel Nefusa.

Cette nouvelle alliance couvrait un territoire immense puisqu’elle partait de Tripolitaine, englobait la région des Syrtes et s’étendait jusqu’au Fezzan. De plus, à travers la personne du colonel Kadhafi, était associée une grande partie de la Cyrénaïque à travers les tribus qui lui étaient alliées par mariage, à savoir les Barasa, les Ubaydat (Abidet) et les Awaqir (Awaghir).

5- Le problème qui se posa bientôt fut que la complexe alliance tribale constituée par le colonel Kadhafi se mua en une sorte d’hégémonie exercée par les Qadhafda et les Warfalla aux dépens des Ubayat, des Awaqir, des Barasa et même des Magarha. Or, en 1993, une fraction de ses « cousins » Warfalla tenta un coup d’État. La réaction du colonel Kadhafi qui s’estima trahi par ceux auxquels il avait accordé toute sa confiance, fut extrême. Plusieurs hauts gradés furent ainsi fusillés à Bani Walid, la « capitale » de la tribu, en présence des familles et des notables. Puis leurs maisons furent rasées.

L’hypothèse de Moncef Ouannes est que les Warfalla se sentant trop engagés avec le régime, craignirent de devenir des parias en cas de coup d’État. Aussi, la tribu se serait-elle en quelque sorte partagé les rôles, les anciens demeurant fidèles au colonel Kadhafi cependant que les jeunes officiers ourdissaient un complot. Cette duplicité de la tribu expliquerait alors la vengeance du colonel (Ouannes, 2009 : 310). L’explication est peut-être valide, même si nous n’avons pas les éléments pour en juger, cependant une réalité ne doit pas être négligée : les conjurés étaient semble-t-il, essentiellement des Warfalla originaires de Cyrénaïque. Ce fut d’ailleurs, à partir de ce moment que le colonel Kadhafi se mit à soupçonner les tribus de cette région. Petit à petit, son régime rompit alors avec elles, ce qui allait lui être fatal, et il reconstitua une alliance avec les tribus de Tripolitaine et du Fezzan en tentant de former un front tribal ancré sur les Magarha et sur plusieurs petites tribus indépendantes des grandes alliances.

L’activisme international

Le colonel Kadhafi rechercha inlassablement la fusion des peuples arabes afin de recréer à son profit une sorte de califat transnational :

- En 1972, alors qu’il n’exerçait pas encore la totalité du pouvoir, ce fut l’Union des Républiques arabes (Libye, Égypte, Syrie) qui fut dissoute en 1977.

- En 1984, ce fut l’Union Libye-Maroc, dissoute en 1986.

- Quatre autres tentatives avortées de fusion eurent également lieu, avec la Tunisie en 1974, avec le Tchad en 1981, avec l’Algérie en 1988 et avec le Soudan en 1990.

Une telle politique provoqua bien des tensions, notamment avec l’Égypte et elle déboucha même sur un conflit frontalier qui opposa les deux armées du 21 au 24 juillet 1977. La conséquence en fut la fermeture de la frontière entre les deux pays jusqu’au mois de mars 1989.

Un régime terroriste

Durant les années 1980, en raison de son soutien aux mouvements terroristes, les relations du colonel Kadhafi avec les États-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne furent exécrables.

- En 1981, deux avions libyens furent abattus par l’US Air Force,

- En 1984, une fusillade ayant éclaté devant l’ambassade de Libye à Londres et une femme policier ayant été tuée, Londres rompit ses relations diplomatiques avec Tripoli.

- En 1986, à la suite d’un attentat dans une discothèque de la ville de Berlin fréquentée par des militaires américains, les États-Unis menèrent un vaste raid aérien contre la Libye, bombardant des bases militaires et des zones résidentielles, faisant une centaine de morts parmi la population civile. Les implications terroristes de la Libye ne cessèrent pas pour autant.

- En 1988, un avion de ligne américain fut détruit au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie.

- En 1989, un avion français de la compagnie UTA le fut au-dessus du désert du Ténéré.

- En 1992, le Conseil de sécurité des Nations-Unies adopta une politique de sanctions contre Tripoli qui refusait de livrer les responsables de ces attentats743.

- En 1993, l’embargo commercial et financier décidé en 1992 par le Conseil de sécurité fut renforcé par le gel des avoirs libyens à l’étranger en raison du refus de Tripoli d’extrader ses ressortissants accusés d’être les auteurs de ces attentats744.

La politique saharo-africaine du colonel Kadhafi reposa sur deux grands piliers : l’union des peuples du Sahara, d’où son tropisme touareg, et sa quasi-obsession tchadienne. Ce furent deux échecs.

Le tropisme touareg745

Le colonel Kadhafi mena une active politique en direction du Sahara et de l’Afrique noire (Lugan, 2013a : 248-260). Sa vision africaine était bercée par sa culture bédouine et les souvenirs mythiques du temps des grandes caravanes transsahariennes d’avant l’époque coloniale, quand le bassin du Tchad était le prolongement de l’axe qui partait des Syrtes pour s’enfoncer vers le désert via le Fezzan, puis jusqu’au cœur du continent. Pour les tribus chamelières, dont la sienne, le désert était en effet une voie de communication, non un obstacle et encore moins une frontière.

À l’époque du colonel Kadhafi, l’organisation coutumière des Touareg fut maintenue et ils purent continuer à parler le tamashek et à donner des prénoms berbères à leurs enfants. Cette exception est notable car les Berbères de la région du jebel Nefusa ne bénéficièrent pas des mêmes libéralités puisqu’ils durent subir une stricte arabisation.

Le cas particulier des Touareg peut être expliqué pour deux raisons. La première est le tropisme saharien du colonel Kadhafi ; la seconde tient au fait que pour ce dernier, et à la différence des berbérophones du nord ouest, les Touareg n’avaient pas de revendication « séparatiste ».

L’acte de naissance de la politique touareg du colonel Kadhafi date du discours d’Oubari qu’il prononça en 1981. À partir de ce moment, il offrit à tous les Touareg une patrie, la Libye. C’est alors que furent constituées des unités révolutionnaires recrutées chez les jeunes touaregs algériens, maliens, nigériens et libyens. Parmi ces volontaires, certains furent envoyés combattre les Israéliens lors de l’invasion du Liban en 1982. La plupart furent engagés dans les diverses guerres du Tchad. Parmi eux fut créé le FPLA (Front populaire de libération de l’Azawad) qui déclencha la rébellion touareg de 1990 au Mali avant de devenir MPA (Mouvement populaire de l’Azawad) en 1991746.

Au mois d’août 2008, le colonel Kadhafi prononça son second discours d’Oubari dont la teneur était bien différente de celui de 1981. La mystique révolutionnaire y laissa en effet la place au réalisme et à l’esprit pacificateur. Trois points essentiels furent alors mis en avant par le chef de l’État libyen :

- L’incapacité des Touareg à diriger un État en raison de leurs multiples divisions internes (tribales, politiques, sociétales) ;

- Le dévoiement d’une cause « nationale » ayant évolué dans les trafics divers dont celui de la drogue et celui des armes.

- L’exhortation faite aux Touareg d’abandonner la lutte armée et d’intégrer les institutions de leurs États respectifs (Badi, 2010 : 20).

Ayant bien compris que le colonel Kadhafi allait cesser d’appuyer leurs actions armées, les chefs touareg malien et nigériens présents lui demandèrent alors solennellement « d’intercéder auprès des deux gouvernements du Mali et du Niger pour arriver à une solution négociée du problème touareg » (Badi, 2010 : 21).

Les guerres perdues du Tchad747 (1973-1989)

Au Tchad, le colonel Kadhafi profita d’une situation de morcellement ethno-politique dont il tenta de tirer parti à son profit en appuyant certaines composantes toubou et arabes, tout en revendiquant une partie du pays à travers la question de la « bande d’Aouzou ».

La question de la « bande d’Aouzou748 » (carte page LXIX)

Durant le premier conflit mondial, l’Italie avait négocié son entrée en guerre aux côtés des Alliés et demandé, entre autres, pour prix de sa participation, que sa colonie de Libye soit agrandie.

Au lendemain de la guerre, les Alliés ayant « oublié » leur promesse, Mussolini revendiqua l’hinterland libyen en direction du lac Tchad et le 7 janvier 1935, fut signé à Rome un traité franco-italien prévoyant la remise à la Libye italienne d’une partie du territoire français, dont le poste d’Aouzou dans le nord du Tibesti. Les tensions internationales résultant de l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie firent que ce traité ne fut pas appliqué.

En 1955, un traité d’amitié franco-libyen fut signé aux termes duquel Tripoli reconnaissait la frontière de 1899 établie alors par un traité franco-britannique.

En 1968, au Tibesti, l’armée tchadienne mise en échec par les maquisards du Frolinat fut contrainte d’évacuer Aouzou et en 1969, le roi Idriss fut renversé. À partir de ce moment, aidant tous ceux qui pouvaient affaiblir le pouvoir central de Fort-Lamy (N’Djamena), la Libye revendiqua la bande d’Aouzou.

En 1973, une fois le colonel Kadhafi véritablement maître du pouvoir à Tripoli, la Libye annexa Aouzou et considéra la région comme partie intégrante de son territoire.

La question d’Aouzou fut réglée le 3 février 1994 par la Cour de justice de La Haye en faveur du Tchad, ce qui permit à la Libye de renoncer avec « élégance » à sa revendication territoriale et le 30 mai 1994, après vingt années d’occupation, les forces libyennes se retirèrent.

Dans les années 1965-1968, au Tchad, débuta une lutte armée dont les diverses composantes furent rassemblées en 1966 par Ibrahim Abatcha, un Ouadaïen (région d’Abéché), dans le Frolinat (Front de Libération national du Tchad).

Ibrahim Abatcha trouva la mort au combat le 11 février 1968, ce qui provoqua une cassure du mouvement. Avec Ibrahim Abatcha, le Frolinat regardait en effet vers le Soudan et cela en raison de ses propres origines géographiques ; avec la montée en puissance des Toubou, peuple réparti entre Tchad et Libye, le Frolinat se tourna naturellement vers Tripoli. Cette évolution connut une forte accélération après 1973 et l’arrivée au pouvoir du colonel Kadhafi, ce qui provoqua l’hostilité du Soudan.

Or, le Frolinat était la réunion de plusieurs courants (Buijtenhuijs, 1977, 1978 et 1984). À l’origine, il était l’émanation des Arabes et des sédentaires ouadaïens de la région du centre-est, groupés dans la 1re armée. Brouillés avec les Ouadaïens, au mois de juin 1970, les Arabes créèrent deux mouvements, l’Armée Volcan et le CDR (Conseil démocratique révolutionnaire), ce dernier étant la façade politique des Arabes nomades du centre Tchad. Apparentés aux tribus arabes de Libye, leur chef était Ahmat Acyl.

De leur côté, les Toubou, regroupés dans la 2e armée du BET (Borkou-Ennedi-Tibesti) étaient divisés en deux grandes composantes :

- Celle de Goukouni Weddeye, fils du Derdéi, le chef spirituel des Tomagra ou Toubou du Tibesti et d’une partie de l’Ennedi, dont le groupe combattant était les FAP (Forces armées populaires).

- Celle d’Hissène Habré, membre du clan Anakaza d’Oum Chalouba au Borkou qui disposait des FAN (Forces armées du Nord).

Au mois d’octobre 1976, Hissène Habré et Goukouni Weddeye s’affrontèrent au sujet de la répartition de l’aide libyenne, ce qui conduisit à l’éclatement de la 2e armée du BET et à la séparation des FAN et des FAP.

Le fond du problème était que Goukouni Weddeye, poulain des Libyens, avait remplacé Hissène Habré à la tête du Frolinat à la suite d’intenses pressions du colonel Kadhafi. Hissène Habré se replia alors du Tibesti vers le Soudan, pays qui n’acceptait pas de voir le Frolinat passer sous influence libyenne et qui l’accueillit donc favorablement.

Au début de l’année 1978, Goukouni Weddeye réussit à rassembler les FAP, la 1° armée et l’Armée Volcan au sein d’un Frolinat réunifié avec lequel il prit la ville de Faya. L’armée nationale tchadienne fut défaite et les rebelles nordistes furent alors les maîtres du BET (Borkou-Ennedi-Tibesti).

L’union constituée autour de Goukouni Weddeye était cependant artificielle en raison des tensions existant entre les Toubou du Tibesti apparentés aux Toubou de Libye, et les Arabes tchadiens parents des Arabes libyens. Or, comme il avait davantage confiance dans les Arabes que dans les Toubou, le colonel Kadhafi arma les premiers, ce qui exacerba les tensions entre les deux composantes ethniques du Frolinat réunifié. Durant l’été 1978, Faya fut ainsi le théâtre de graves affrontements dont les FAP de Goukouni Weddeye sortirent à leur avantage. Politiquement, il s’en suivit une rupture de ce dernier avec Tripoli, l’expulsion des conseillers libyens qui encadraient les FAP et une totale redistribution des cartes.

Au mois de janvier 1978, le général Malloum avait en effet constitué un Gouvernement d’union nationale et le 29 août 1978, sous la pression du Soudan, Hissène Habré accepta la main tendue du général et il fut nommé Premier ministre.

Cette alliance contre nature ne dura pas car, dès le mois de février 1979, les FAN du Premier ministre entrèrent en guerre contre les FAT (Forces armées tchadiennes) commandées par un sudiste d’ethnie Sara, le général Kamougué749. Contre ce dernier, l’union des Toubou se reconstitua, les divers clans faisant provisoirement taire leurs querelles pour se joindre aux forces d’Hissène Habré. Les FAP de Goukouni Weddeye qui, comme nous l’avons vu, venaient de se brouiller avec leur protecteur libyen, volèrent ainsi au secours des FAN d’Hissène Habré. Au mois de mars 1979, défaites, les FAT se replièrent au sud du Chari et les milices nordistes furent alors maîtresses de N’Djamena.

L’échec du colonel Kadhafi était alors total. D’autant plus que, sous la pression de la France et des pays voisins du Tchad, un processus politique fut ensuite initié avec un dialogue entre toutes les composantes politiques tchadiennes, ce qui aboutit à la création d’un Gouvernement d’union nationale et de transition (GUNT) présidé par Goukouni Weddeye, avec pour vice-président le général Kamougué et Hissène Habré comme ministre de la Défense.

Un an plus tard, au mois de mars 1980, les Toubou s’entre-déchirèrent une nouvelle fois, ce qui permit au colonel Kadhafi de revenir en force sur la scène tchadienne.

Hissène Habré ayant rompu avec le Gunt, Goukouni Weddeye fit alors appel au colonel Kadhafi qui s’empressa de lui envoyer plusieurs milliers d’hommes. Au mois de décembre 1980, Hissène Habré fut chassé de N’Djamena et il se retira dans l’est du Tchad, à proximité du Soudan, chez les Zaghawa, ethnie vivant à cheval sur la frontière Tchad-Soudan.

Dans la rivalité entre la Libye et le Soudan, la première sembla alors l’emporter. D’autant plus que le 6 janvier 1981, N’Djamena et Tripoli signèrent un accord secret de fusion. Mais, l’OUA (Organisation de l’Unité africaine) et la France exigèrent et obtinrent le retrait des troupes libyennes. Ce dernier qui fut effectif au mois de novembre 1981 signait une seconde défaite du colonel Kadhafi.

En 1982, profitant du départ du contingent libyen, Hissène Habré qui, entretemps, avait réussi à constituer autour de lui une alliance composée des Goranes (Toubou) du Borkou, des Bideyat de l’Ennedi, des Hadjerai du Guera (région de Mongo) et des Zaghawa, reprit l’offensive. Cette nouvelle guerre contre Goukouni Weddeye et les Toubou du Tibesti fut remportée par Hissène Habré qui prit N’Djamena le 17 juin 1982. Impuissant, le colonel Kadhafi n’avait rien pu faire pour sauver son allié. Ce fut là sa troisième défaite tchadienne.

Replié dans le Tibesti, Goukouni Weddeye y reçut une aide considérable que lui envoya le colonel Kadhafi. Le 21 juin 1983, ayant refait ses forces, il lança une offensive vers le sud, s’emparant d’un certain nombre de localités dont Faya-Largeau et Abéché. Une puissante réaction d’Hissène Habré entraîna sa déroute et le colonel Kadhafi décida alors d’intervenir directement.

En réaction, le 10 août 1983, la France déclencha l’opération Manta (1983-1984). Afin d’interdire à l’armée libyenne toute progression, vers le sud, elle positionna ses forces à la hauteur du 16e parallèle. Face aux renforts envoyés par la Libye, Paris grossit ensuite son dispositif qui finit par s’élever à 3 000 hommes soutenus par une puissante force aérienne750. Ce fut le quatrième échec du colonel Kadhafi.

Au début du mois de février 1986, l’armée libyenne franchit le 16e parallèle, toujours pour soutenir Goukouni Weddeye. Aussi, le 14 février, la France déclencha-t-elle l’opération Épervier qui succédait à l’opération Manta. Le 16 février, l’aviation française bombarda l’aéroport libyen d’Ouadi-Doum, au nord du 16e parallèle.

Le 8 août 1987, les FANT (Forces armées nationales tchadiennes) prirent Aouzou, qui fut reprise le 28 août par les Libyens. Au mois de septembre 1987, à l’issue d’un raid audacieux, les FANT réussirent à détruire une base aérienne en Libye. En représailles, deux avions libyens bombardèrent N’Djamena et Abéché, mais un des deux appareils fut abattu par les forces françaises.

À partir de ce moment, le colonel Kadhafi comprit que la France ne le laisserait pas s’emparer du Tchad et il cessa d’aider Goukouni Weddeye qui s’exila en Algérie. La paix revint pour un temps après ce cinquième et dernier échec des tentatives libyennes au Tchad.

Le colonel Kadhafi changea ensuite de politique et cela d’une manière radicale. En 2003, la Libye reconnut ainsi ses responsabilités dans l’attentat de Lockerbie et versa des dédommagements aux familles des victimes, geste qui lui valut la levée définitive des sanctions par le Conseil de sécurité. Au mois de décembre de la même année, elle renonça à la production d’armes de destruction massive et au mois de mars 2004, elle signa le protocole additionnel du Traité de non-prolifération nucléaire. Peu à peu, le rapprochement se fit avec les pays occidentaux et nombre de contrats d’industrialisation furent signés. Dernier sujet de friction avec la communauté internationale, l’affaire dite des infirmières bulgares trouva un heureux dénouement en 2007 après que ces dernières eurent été détenues et maltraitées durant de longues années.

En 2008, un accord soldant le passif de la période coloniale fut signé entre le colonel Kadhafi et Silvio Berlusconi, le président du Conseil italien. L’Italie s’engageait à verser à la Libye une somme de 5 milliards de dollars étalée sur 25 ans, cependant que Tripoli se fournirait sur le marché italien et lutterait contre l’immigration clandestine à destination de l’Europe.

Le principe de gouvernement du colonel Kadhafi qui fut clairement énoncé dans le « Livre vert » publié en 1975 était celui des masses. En réalité c’est à une tentative de constitution d’une troisième voie entre socialisme et capitalisme qu’il s’attela.

Le 2 mars 1977, le Conseil de la Révolution fut supprimé et remplacé par la Grande Jamahiriyya – littéralement « l’État des masses » – arabe, libyenne, populaire et socialiste. Dans cette organisation originale, les « masses » populaires s’autogouvernaient car, en théorie, le colonel Kadhafi était, comme Fidel Castro à Cuba, non pas le chef de l’État, mais le « Guide » de la révolution.

Le colonel Kadhafi mit en pratique un socialisme d’État passant par la nationalisation de la branche pétrolière et des biens des résidents italiens afin de « dédommager la Libye du pillage subi durant la période coloniale ». Bénéficiant de la rente pétrolière et gazière et n’ayant que cinq millions d’habitants, la Libye utilisa ses pétro dollars pour assurer à sa population un niveau de vie exceptionnellement élevé sur le continent africain avec un revenu par habitant voisin de 3 000 euros en 2011.

À la différence de l’Algérie où la manne pétrolière a surtout servi à enrichir les milieux dirigeants, sous le colonel Kadhafi, la population libyenne bénéficia des revenus des hydrocarbures ce qui fit des Libyens privilégiés par rapport à leurs voisins nord-africains.

Les services de santé étaient gratuits, l’agriculture fut subventionnée afin de créer des centres de production en plein désert avec pour horizon l’autosuffisance. Le projet « grande rivière » GMMR (Great Man Made River) déverse quotidiennement vers le nord du pays 6 millions de m3 d’eau fossile grâce à 4 000 kilomètres d’aqueducs.

Dans tout le pays des écoles, des hôpitaux, des routes surgirent des sables, sans parler des usines car, à la différence de l’Algérie, la Libye du colonel Kadhafi avait décidé de fabriquer un maximum de produits, préférant subventionner des productions plus onéreuses que sur le marché mondial mais qui, du moins restaient dans le pays et donnaient du travail à ses habitants. Le taux de chômage était d’ailleurs quasi inexistant et les salaires particulièrement avantageux par rapport à ceux des pays voisins.

Le colonel Kadhafi et les islamistes

L’opposition principale au régime vint des milieux islamistes, tant des Frères musulmans que des salafistes. La contestation islamiste se radicalisa à partir de 1995 sous l’impulsion d’anciens d’Afghanistan.

La mouvance islamiste radicale était divisée en plusieurs mouvements, presque tous centrés sur la Cyrénaïque. Les principaux étaient le Parti de la libération islamique, le Mouvement des Martyrs de Libye, le Groupe islamique de Libye, Ansar Allah, le Mouvement des patriotes libyens et le GICL (Groupe islamique combattant en Libye), proche du réseau Al-Qaïda.

En 1995-1996, éclata une rébellion islamiste initiée par le Front de salut pour la libération de la Libye qui opéra dans le jebel Akhdar en Cyrénaïque. Après quatre années de difficiles combats et au prix d’une féroce répression, les insurgés furent éliminés. Des milliers d’arrestations eurent lieu car, selon le colonel Kadhafi, l’islamisme radical était « pire que le Sida » (Zoubir, 2008 : 272) et :

« Lorsqu’un animal est malade, le vétérinaire doit l’abattre pour éviter la contamination des autres animaux […] Nous ne pouvons pas laisser cette épidémie anéantir la société. Nous devons être cruels. Toute personne touchée sera considérée comme infectée par une maladie grave et incurable et devra donc disparaître » (cité par Zoubir, 2008 : 268).

Des lois anti-islamistes permirent de punir les familles et les tribus qui ne réprimaient pas ou ne dénonçaient pas les islamistes (Zoubir, 2008 : 270). Le colonel Kadhafi fit également fermer la plupart des zawiya, dont celles de la Sanûsiya. En revanche, il permit à celle de Zliten (Zlitan) la zawiya de Sidi Abdel Salam al-Asmar, en Tripolitaine de rester ouverte.

Chassés du jebel Akhdar, les combattants islamistes tentèrent de se fondre dans la population de Benghazi et la ville fut alors soumise à une féroce répression. Le régime en extirpa les cellules islamistes, mais il s’attira la haine de la population qui fut considérée comme complice. En 1999, les maquis étaient éliminés et les cellules urbaines détruites, les survivants attendant des jours meilleurs tout en se rapprochant d’Al-Qaïda. Ils seront parmi les premiers à rejoindre l’insurrection de 2011 et à la coiffer, ce qui explique pourquoi son épicentre fut Benghazi. En 2011, en intervenant pour « sauver la population de Benghazi du massacre », la France offrira donc la région aux islamistes.

Le colonel Kadhafi qui ne faisait pas confiance à l’armée qui avait à plusieurs reprises comploté contre lui, constitua une force qui lui était dévouée et qui était composée de sept brigades bien équipées et bien payées, placées sous les ordres de membres de sa famille ou de sa tribu. Quant à l’armée proprement dite, après les échecs tchadiens, elle n’était plus réellement opérationnelle et son matériel était largement obsolète (Haddad, 2012).

En définitive, à l’exception de ses réalisations sociales, le colonel Kadhafi accumula les échecs. Le premier fut intellectuel quand il voulut, grâce à l’islam rénové, dépasser à la fois le socialisme et le capitalisme. Ce fut l’expérience du Livre vert qui tourna court. Quant à ses aventures militaires africaines, elles furent, comme nous l’avons vu, autant de désastres.

III- La Tunisie de Bourguiba à Ben Ali (1956-2011)

Le 20 mars 1956, soit trois jours après la date de l’indépendance, une assemblée constituante fut élue et Habib Bourguiba nommé Premier ministre. Cet inlassable nationaliste imprégné du discours républicain et laïc hérité de la IIIe République française, réussit à moderniser la Tunisie. Le 31 mai furent ainsi abolis les privilèges liés à la personne des princes et le 13 août 1956, le Code du statut personnel fut instauré. Quant à la monarchie, elle fut abolie et la République proclamée le 25 juillet 1957 par l’Assemblée nationale constituante. Un terme fut ainsi mis à 252 ans de règne de la dynastie husseinite qui avait dirigé la Tunisie depuis 1705.

Habib Bourguiba adapta en quelque sorte le kémalisme à la tunisienne avec un islam placé sous l’autorité de l’État751, donc contrôlé, ce qui lui permit de faire adopter, dès son arrivée au pouvoir, le CSP (Code du statut personnel) qui émancipa la femme. Si l’islam demeurait la religion d’État, cela n’empêcha pas Habib Bourguiba de vouloir balayer ce qu’il considérait comme des archaïsmes bloquant la Tunisie sur une vision passéiste. Il s’attaqua alors à la mosquée-université Zaytouna, bastion de ses adversaires de la fraction arabisante du neo-destour qui avaient pour leader Salah ben Youssef.

Bourguiba fut ensuite fragilisé quand Salah ben Youssef, son compagnon du temps de la lutte pour l’indépendance, le présenta comme un tyran voulant anéantir l’arabisme et l’islam et offrir la Tunisie « à l’Occident et aux infidèles ». Puis il l’accusa de jeter le peuple « dans l’abîme de l’hérésie et du libertinage » en proclamant « matin et soir que la Tunisie, pays musulman et arabe, fait partie de l’occident et qu’elle ne vivra qu’avec l’occident, c’est-à-dire avec son impiété et sous sa domination » (cité par C. A Julien, 1985 : 202).

Condamné à mort au mois de janvier 1957, Salah ben Youssef réussit à s’enfuir. Réfugié au Caire, en 1958, il fut une seconde fois condamné à mort, mais par contumace cette fois. Le 3 octobre 1959, 123 de ses partisans furent condamnés pour complot visant à assassiner le président de la république dont 8 à la peine de mort qui fut appliquée752.

De graves tensions se produisirent ensuite avec la France en raison du soutien apporté par la Tunisie au FLN algérien dont les principales bases étaient situées sur son territoire. Cette présence entraîna le bombardement du village de Sakiet Sidi Youssef (carte page LXIII) par l’aviation française au mois de février 1958.

Une autre grave crise éclata en juillet 1961 quand l’armée tunisienne tenta un coup de force contre la base française de Bizerte, ce qui entraîna une vigoureuse riposte avec largage d’un régiment parachutiste français753.

L’affaire de Bizerte

Selon les clauses des conventions du 3 juin 1955 accordant l’autonomie interne à la Tunisie, la France conservait, outre des garnisons dans le pays, la base navale de Bizerte ainsi que deux zones de sécurité dans ses abords immédiats. L’indépendance de la Tunisie devenue effective le 22 mars 1956, les autorités tunisiennes demandèrent l’évacuation, dans un délai raisonnable de toutes les emprises militaires françaises, y compris Bizerte.

Au début de l’année 1961, il ne restait plus à la France que la base aéronavale de Bizerte et, le 27 février, lors d’un voyage en France le président Bourguiba demanda au général De Gaulle sa restitution à la Tunisie. Le chef de l’État français répondit à son visiteur que Bizerte était indispensable à la défense de la France et à la stratégie de l’Otan, mais que la question serait à nouveau envisagée dès lors que la France disposerait de l’arme nucléaire.

Au mois d’avril, la France entreprit d’allonger la piste d’aviation, ce qui provoqua une forte protestation du président Bourguiba, suivie de la construction d’un mur en limite des barbelés entourant la base et de manifestations demandant son évacuation.

La tension ne cessant de monter, le gouvernement tunisien fixa à la France un ultimatum expirant le 19 juillet cependant que le blocus était mis autour de la base. Les Tunisiens ayant mis des mortiers en batterie dans l’axe de la piste, la position française fut alors clairement menacée, d’autant plus qu’avec à peine 2 000 hommes754, l’amiral Maurice Amman, le commandant de la base, devait assurer la défense d’un périmètre de 30 km.

Le général De Gaulle ordonna alors une intervention militaire destinée à dégager la base. Ce fut l’opération Bouledogue qui consista dans le parachutage d’éléments des 2e et 3e RPIMa (Régiment parachutiste de l’infanterie de marine) ainsi que du 3e REI (Régiment étranger d’infanterie)755. Les premiers largués furent les hommes du 2e RPIMa dans la soirée du 19 juillet. Après cette action, l’opération changea de nom et devint l’opération charrue courte avec pour mission la destruction des batteries tunisiennes qui menaçaient les emprises françaises. Parallèlement, l’opération Ficelle fut menée par la marine pour libérer le goulet reliant la base navale à la Méditerranée.

Puis, une nouvelle opération fut lancée qui visait à aérer le dispositif français. Ce fut l’« opération Collinesqui fut elle aussi une réussite.

Au terme de trois jours de combats, les forces françaises eurent la situation en main. Le 23 juillet, un accord de cessez-le-feu fut conclu. Les pertes furent, selon les sources militaires françaises entre 19 et 24 morts et une centaine de blessés, les pertes tunisiennes de 723 morts officiellement dénombrés et de 656 prisonniers ; mais à ce chiffre, il convient d’ajouter de nombreux morts non comptabilisés par la partie française756.

Le 17 septembre des négociations franco-tunisiennes s’ouvrirent et un accord fut trouvé quant à l’évacuation de la base ; le 19 juillet 1962, le général De Gaulle annonça que les forces françaises abandonneraient leurs positions dans les mois à venir et, effectivement, le 15 octobre 1963, le dernier soldat français quitta Bizerte.

Alain Peyrefitte qui demanda au général De Gaulle pourquoi il avait ordonné l’intervention militaire française contre l’armée tunisienne pour, en définitive quitter Bizerte quelques mois plus tard reçut la réponse suivante :

« […] Bourguiba s’est cru autorisé à lancer ses troupes contre Bizerte. Il voulait faire perdre la face à la France […] Nous avons répondu comme il le méritait. Nous avons repoussé son assaut et nous avons écrabouillé son armée […] J’ai toujours dit que nous ne resterions pas à Bizerte. Par malheur, Bourguiba a attaqué […] pour apparaître comme ayant arraché par la force ce que nous nous apprêtions à accepter de nous-mêmes […] Naturellement, nous avons riposté ». (Peyrefitte, 1994)

À partir de 1962, sous l’impulsion d’Ahmed Ben Salah757, secrétaire général de l’UGTT, puis ministre du Plan et des Finances, la Tunisie tenta une expérience collectiviste dont elle sortit ruinée. La libre-entreprise fut alors mise en accusation et des coopératives d’État imposées aux agriculteurs. Ce fut dans ce contexte qu’en 1964 la Tunisie promulgua la nationalisation des terres possédées par les étrangers ; les colons français furent alors spoliés et leurs biens saisis.

Le Premier plan quinquennal aboutit à un échec et le dinar fut dévalué de 25 %, ce qui ne freina pas la socialisation du pays confirmée en 1964, lors du congrès de Bizerte du Neo-Destour à l’occasion duquel le parti devint le Parti socialiste destourien (PSD) avec un comité central formé sur le modèle soviétique.

La politique de collectivisation agricole se heurta à de fortes résistances qui débouchèrent sur de violents affrontements faisant des dizaines de morts et entraînant des centaines d’arrestations. Au mois de janvier 1969, les incidents prirent la forme d’une véritable révolte agraire, ce qui n’empêcha pas Ben Salah de soumettre le 3 août 1969 au président Bourguiba un projet de généralisation du système coopératif dans le monde rural.

Prenant conscience de la gravité de la situation, ce dernier le refusa et le 8 septembre, Ben Salah fut limogé puis accusé d’avoir abusé de la confiance du président. Il fut jugé par la Haute Cour qui le condamna à dix années de travaux forcés758.

Le 8 juin 1970, Bourguiba fit publiquement son autocritique dans les termes suivants :

« Parce que je suis homme, donc sujet à l’erreur, je me suis trompé, je le dis en toute modestie. Je demande donc pardon au Peuple et surtout aux militants qui ont souffert […] j’ai été abusé par un homme qui maniait le mensonge avec une adresse diabolique » (Cité par Belkhodja, 1998 : 77).

Dès lors, Habib Bourguiba opéra un virage complet. Il annonça des réformes profondes des structures de la Tunisie et promit que justice serait rendue aux victimes de la politique collectiviste. Pour mettre en forme cette nouvelle politique, il fit appel à un libéral, Hédi Nouira. Cependant, en dépit des nouvelles orientations, la Tunisie, ruinée par l’expérience socialiste, s’enfonça dans une crise politique suspendue à la question de la succession de son président.

À la suite du congrès du PSD du 12 septembre à Monastir, décision confirmée le 18 mars 1975 par l’Assemblée nationale, Habib Bourguiba devint président à vie à titre personnel pour services rendus au pays.

Le 26 janvier 1978 un ordre de grève lancé par l’UGTT mit des dizaines de milliers de manifestants dans la rue et la manifestation tourna à l’émeute. L’armée réprima le mouvement en faisant des dizaines de victimes759 et le président Bourguiba décrèta l’état d’urgence ainsi qu’un couvre-feu.

Au mois d’avril 1981, lors du congrès du PSD, Habib Bourguiba annonça le multipartisme dans un contexte de plus en plus lourd plombé par la question du non-dit de sa succession.

À la fin du mois de décembre 1983, éclatèrent de très graves émeutes de la faim à la suite de l’annonce de l’augmentation du prix du pain. Le 1er janvier, l’état d’urgence fut à nouveau proclamé et le couvre-feu décrété, mais les troubles se poursuivirent jusqu’au 3 janvier 1984, faisant des dizaines de morts. Finalement, le 6 janvier, le président Bourguiba annula toutes les augmentations.

Au mois de janvier 1984, la Tunisie étant secouée par de nouvelles et sanglantes émeutes, le général Zine el-Abidine Ben Ali760 fut rappelé de Varsovie où il était ambassadeur, et nommé directeur de la Sûreté nationale. Le 23 octobre 1985, il fut nommé ministre de la Sûreté nationale puis ministre de l’Intérieur le 28 avril 1986. Il devint ensuite secrétaire général adjoint du PSD. Enfin, au mois de mai 1987, sous le gouvernement de Rachid Sfar, il fut nommé ministre d’État chargé de l’intérieur et secrétaire général du PSD, apparaissant donc comme le dauphin du président Bourguiba. Son ascension n’était pas terminée puisque, au mois d’octobre 1987, il fut nommé Premier ministre.

Quelques jours plus tard, le 6 octobre 1987, appuyé sur l’expertise de sept médecins qui attestèrent de son incapacité mentale, le général Ben Ali déposa Habib Bourguiba.

L’accession au pouvoir du général Ben Ali qui se présentait comme le fils spirituel de son prédécesseur, fut largement saluée comme une avancée démocratique. De fait, le 25 juillet 1988, il abrogea la présidence à vie, limita la présidence à trois mandats, imposa la limite d’âge de 65 ans pour les candidats aux élections présidentielles et légalisa plusieurs partis politiques. En 1989, il transforma le PSD en RCD (Rassemblement constitutionnel et démocratique).

En 1991, le gouvernement fit état de la découverte d’un plan islamiste visant à la prise du pouvoir et les enquêteurs mirent au jour d’importantes ramifications dans la police et dans l’armée. Des procès eurent lieu durant l’été 1992.

À partir de l’année 2000, la contestation des intellectuels prit de l’ampleur cependant que le président, mis sous influence par le clan affairiste gravitant autour de sa seconde épouse Leïla Trabelsi, revenait peu à peu sur les mesures démocratiques qu’il avait prises au début de son accession au pouvoir et qui l’avaient rendu populaire (Camau et Geisser, 2003).

Au début de l’année 2000, le journaliste Taoufik Ben Brik entama une grève de la faim qui eut un énorme retentissement médiatique en Europe.

Le 11 avril 2002, des islamistes firent exploser un camion piégé devant la synagogue de la Ghriba à Djerba et 19 personnes furent tuées dont 14 touristes allemands.

Le 26 mai 2002, par référendum, les Tunisiens approuvèrent l’idée de repousser à 75 ans l’âge limite de candidature à la présidence de la République et qu’elle ne soit plus restreinte à trois mandats, ce qui permit au président de se faire élire pour un quatrième mandat le 24 octobre 2004.

À partir de ce moment, le président ben Ali fut l’objet d’une campagne de dénigrement et de déstabilisation menée à la fois par l’islamisme clandestin et l’intelligentsia tunisienne qui bénéficiait de très importants relais en France, au sein du parti socialiste et dans les médias.

728. 28 millions d’habitants en 1961, 36 millions en 1971, 44 millions en 1981, 57 millions en 1991, 70 millions en 2001 et 80 millions en 2008.

729. Son assassinat perpétré par le sous-lieutenant d’artillerie Khalid Hassan Chafiq fut organisé par une organisation islamiste radicale Takfir wal Hijra (Anathème et Émigration) qui avait succédé à l’Organisation de libération islamique. Assis à la droite du président Sadate, le vice-président Hosni Moubarak échappa à la mort en ayant le réflexe de se jeter à terre.

730. Sur la Libye de Kadhafi, voir Martel (1991), Pinta (2006), Djaziri (2008), Ouannes (2009), Haimzadeh (2011) et Lugan (2015b).

731. Et cela, en dépit de la rhétorique anti-tribale adoptée primitivement par le colonel Kadhafi.

732. 15 % seulement de la population du pays est détribalisée et vit en majorité dans les villes de Tripoli et de Misrata (Al-Haram Weekly).

733. Le tribalisme en Libye est avant tout : « […] un esprit, une structure identitaire, une âme collective, une appartenance contraignante, un sens de l’histoire et de l’appartenance et une éthique commune. Tous ces éléments constituent ce qu’on appelle la Açabiyâ, c’est-à-dire un modèle d’organisation sociale, une appartenance sociale, une appartenance accentuée à une même ashira (le Gens) ou qabilâ (tribu) et à une même origine généalogique (nassab) réelle ou inventée. Celle-ci est un fort sentiment d’appartenir à un commun ancêtre selon la règle de la filiation unilinéaire » (Ouannes, 2009 : 288-289).

734. Cette liste est établie à partir des travaux toujours d’actualité dûs au colonel Enrico de Agostini (1917 et 1987).

735. Ces tribus sont arabes ou réputées arabes bien que plusieurs d’entre elles soient composées de Berbères arabisés ce qui signifie qu’elles ont adopté la généalogie des tribus arabes qui les convertirent afin de pouvoir se donner une ascendance « noble ».

736. Pour le détail des tribus composant ces grandes confédérations, voir Lugan (2015b).

737. La tribu du colonel Kadhafi, les Qadhafda, dont le cœur est la ville de Sebha, est numériquement peu importante avec ses 150 000 membres, mais elle occupe un espace stratégique à la jonction de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque et à la verticale reliant la méditerranée au cœur du Sahara, de Syrte à Mourzouk. Elle fait ainsi le lien avec les Toubou et les Touareg, ce qui explique les alliances du régime Kadhafi et son attirance pour le sud saharien et sahélien. Cette tribu chamelière engagée dans le commerce à longue distance était traditionnellement alliée aux Warfalla.

738. Les Magarha qui constituent la seconde tribu en importance, ont longtemps donné le numéro 2 du régime en la personne du commandant Abdeslam Jalloud chef de la tribu. Son centre est la ville de Waddan à environ 280 km au sud de Syrte.

739. Le colonel Kadhafi déclara également qu’ « il avait toujours préféré la vie bédouine, la tente vagabonde, la steppe et le troupeau de chameaux à toutes les commodités de la ville » (Ouannes, 2009 : 270)

740. Avec plus d’un million de membres, les Warfalla forment la principale tribu de Libye. Ils sont divisés en plusieurs dizaines de clans que l’on retrouve dans toute la partie septentrionale du pays, avec une assise en Cyrénaïque dans la région des villes de Benghazi et de Darnah ; ils sont également présents en Tripolitaine avec pour centre Bani Walid.

741. Voir à ce sujet Ouannes (2009 : 305). Cette haine explique largement les prises de position contradictoires durant la guerre otano-libyenne.

742. Confédération al-Bahar, groupe Mahamid al-Sharqiyin.

743. Le colonel Kadhafi sut tenir sa politique pétrolière à l’écart de ses aventures internationales. C’est ainsi, alors qu’ils avaient décrété un embargo, le pétrole libyen ne cessa jamais de couler aux États-Unis à travers des sociétés canadiennes à capitaux américains…

744. En 1999, les sanctions furent levées quand Tripoli livra ses deux agents.

745. Pour tout ce qui concerne les relations entre les Touareg et l’État libyen, il est indispensable de se reporter à Dida Badi (2010).

746. Ses résurgences furent à l’origine des événements du Mali des années 2011-2012, lors du soulèvement du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad).

747. Voir à ce sujet Lugan (2015b).

748. Pour tout ce qui concerne la question frontalière entre le Tchad et la Libye, voir Bernard Lanne (1982).

749. Le général Félix Malloum se retira alors de la vie politique et il s’exila au Nigeria.

750. Colonel Spartacus (1985) opération Manta. Tchad (1983-1984). Paris.

751. Au mois de février 1961, Bourguiba déclara que le jeûne du ramadan paralyse les activités des Tunisiens et leur interdit de combattre le sous-développement.

752. Le 14 août 1961, Salah ben Youssef Salah fut abattu à Francfort et ses assassins ne furent jamais clairement identifiés. Voir à ce sujet le livre d’Omar Khlifi (2005).

753. Voir à ce sujet Sébastien Abis (2004) et Patrick-Charles Renaud (2000).

754. Les effectifs français étaient au total de 7 700 hommes dont nombre de marins membres des équipages des navires mouillés dans la rade ce qui faisait que seuls 2 000 hommes pouvaient être immédiatement engagés dans la défense de la base. Les effectifs de la garnison, dont l’ossature était le 8e Régiment Interarmes étant insuffisants, la décision fut prise de la renforcer par un parachutage.

755. Sur le récit de l’action de ces deux régiments, voir Philippe Boisseau (1998).

756. Les chiffres faisant état de plusieurs milliers de morts tunisiens sont notoirement exagérés.

757. Sur Ben Salah, voir le livre apologétique et daté de Marc Nerfin (1974), celui de Noura Borsali (2008) et celui de Ben Salah lui-même (2008).

758. Il s’évada au mois de février 1973 et se réfugia en Algérie. Au mois de mai 1988, le président Ben Ali le gracia et il rentra en Tunisie.

759. L’UGTT parle de centaines de morts.

760. Né le 3 septembre 1936, il est diplômé de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr. En 1964, à son retour en Tunisie, il fut chargé de la création de la direction de la sécurité militaire, puis il eut une carrière diplomatique étant nommé attaché militaire au Maroc puis en Espagne. Au mois de janvier 1978, en pleine insurrection, il devint le chef de la Sûreté générale, puis il redémarra une carrière diplomatique en étant nommé ambassadeur en Pologne.