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CHAPITRE 20
LE SOLEIL SE COUCHAIT sur le cours d’eau, embrasant la rivière. Ses rayons chauffaient la fourrure d’Étoile de Feu. Perché au sommet des Rochers du Soleil, il observait le territoire du Clan de la Rivière.
« Je me demande ce que l’avenir nous réserve », murmura-t-il.
Près de lui, Tempête de Sable secoua la tête sans répondre et se pressa contre lui. Une fois revenu du camp dévasté du Clan du Vent, Étoile de Feu avait demandé à la guerrière roux pâle de patrouiller avec lui. Il avait éprouvé le besoin de s’éloigner du reste du Clan pour se préparer à affronter Étoile du Tigre. Mais il ne voulait pas rester seul, et la présence de Tempête de Sable le réconfortait.
Ils avaient contourné les Rochers aux Serpents avant de suivre le Chemin du Tonnerre menant à la frontière avec le Clan de l’Ombre, et avaient renouvelé le marquage de leur territoire jusqu’aux Quatre Chênes. Ensuite, ils étaient revenus en longeant la frontière qui les séparait du Clan de la Rivière.
Ils ne virent aucune trace d’intrusion de la part du Clan du Tigre. Les frontières étaient sûres, pourtant Étoile de Feu savait que l’enjeu de la bataille contre le Clan du Tigre, si bataille il y avait, dépasserait de loin la question des frontières. Elle mettrait un point final à son conflit avec Étoile du Tigre, qui durait pour ainsi dire depuis que lui-même était venu vivre dans la forêt.
Il s’attardait sur les rochers, savourant cet instant en tête à tête avec Tempête de Sable.
« Étoile du Tigre est déterminé à devenir le chef de toute la forêt, miaula-t-il. Une guerre est probable.
— Et c’est le Clan du Tonnerre qui en souffrira le plus, ajouta la guerrière. Quels renforts le Clan du Vent pourra-t-il nous envoyer ? »
La voix de Tempête de Sable tremblait, mais son compagnon savait que, avec ou sans le Clan du Vent, chaque chat du Clan du Tonnerre se battrait courageusement à ses côtés.
La lumière flamboyante disparut peu à peu. Étoile de Feu se tourna pour contempler sa forêt bien-aimée. Une étoile solitaire brillait dans le ciel indigo.
Est-ce toi, Étoile Bleue ? demanda-t-il en silence. Veilles-tu toujours sur nous ?
Il espérait de tout son cœur que son ancien mentor protégeait encore le Clan pour lequel elle avait donné sa vie. S’ils survivaient au lendemain et réussissaient à rester libres malgré la quête de pouvoir absolu d’Étoile du Tigre, ils le devraient au Clan des Étoiles.
Tout était calme et tranquille. Nulle brise ne venait ébouriffer leur fourrure, nulle proie ne se faufilait entre les rochers. Étoile de Feu avait l’impression que la forêt elle-même retenait son souffle.
« Je t’aime, Tempête de Sable », murmura-t-il, pressant son museau contre son flanc.
La guerrière se tourna pour plonger son regard vert pétillant dans le sien.
« Je t’aime aussi, répondit-elle. Et je sais que, quoi qu’il arrive, nous viendrons à bout de cette épreuve grâce à toi. »
Le rouquin aurait aimé partager ses certitudes. Malgré ses doutes, il se laissa réconforter par la confiance qu’elle lui accordait.
« Nous devons rentrer au camp pour nous reposer », dit-il.
Lorsqu’ils arrivèrent près du ravin, la nuit était tombée et une bise glaciale s’était levée. Le gel faisait miroiter l’herbe et les rochers. Lorsque Étoile de Feu sortit du tunnel d’ajoncs, une silhouette blanche surgit des ténèbres.
« Je commençais à m’inquiéter, miaula Tornade Blanche. Je pensais que vous aviez eu des ennuis.
— Non, tout va bien, le rassura le jeune chef. Les alentours sont calmes. Même les souris n’osent pas se montrer.
— Dommage. La réserve de gibier en aurait bien besoin. »
Tornade Blanche lui rapporta qu’il avait dépêché des patrouilles et organisé des tours de garde aux abords du camp.
« Va dormir, conclut-il. Demain sera une dure journée.
— Oui. Merci, Tornade Blanche.
— Je vais vérifier les sentiers », lança le guerrier blanc en disparaissant dans l’obscurité.
« Tu n’aurais pas pu choisir meilleur lieutenant, déclara Tempête de Sable.
— J’en ai conscience. J’ignore ce que je ferais sans lui. »
La guerrière se tourna vers son compagnon, ses yeux emplis de tristesse et de sagesse.
« Tu le découvriras peut-être demain, soupira-t-elle. Si Étoile du Tigre nous force à nous battre, il y aura des morts, Étoile de Feu.
— Je sais. »
En vérité, il n’y avait guère songé avant cet instant. Parmi les chats endormis près de lui, les amis qu’il aimait, les guerriers en qui il avait confiance, certains ne seraient plus. Dans la victoire ou la défaite, des chasseurs qu’Étoile de Feu mènerait au combat ne reviendraient pas. Et ils mourraient parce qu’il leur aurait ordonné de se battre. La peine lui transperça le cœur, si profondément qu’il faillit hurler.
« Je sais, répéta-t-il. Mais que puis-je y faire ?
— Sois fort, dit-elle d’une voix douce. Tu es notre chef. Tu dois accomplir ton devoir. Et tu es très doué pour ça. »
Embarrassé, Étoile de Feu ne trouva rien à lui répondre. L’instant d’après, la guerrière pressa son museau contre le sien.
« Je ferais mieux d’aller dormir, murmura-t-elle.
— Attends », lança le rouquin. Il ne se sentait guère capable d’affronter la solitude de son antre sous le Promontoire, plein d’ombres et de souvenirs. « Je ne veux pas rester seul cette nuit. Viens dans ma tanière.
— Entendu. Si tu le souhaites… »
Étoile de Feu lui lécha l’oreille et traversa la clairière. Le rideau de lierre qui en dissimulait jadis l’entrée n’avait pas encore repoussé depuis l’incendie, mais la tanière était plongée dans les ténèbres.
Grâce à son odorat plus qu’à sa vue, Étoile de Feu devina qu’un des apprentis lui avait apporté à manger : un lapin. Il se souvint alors à quel point il avait faim. Tempête de Sable et lui se couchèrent côte à côte pour le partager, en avalant goulûment chaque bouchée.
« J’en avais bien besoin, ronronna la guerrière en tendant ses pattes avant, le dos arqué, pour s’étirer longuement dans un mouvement gracieux. Je pourrais dormir toute une lune », ajouta-t-elle dans un bâillement.
Étoile de Feu lui fit de la place sur sa litière de mousse, et elle s’y pelotonna, les yeux clos.
« Bonne nuit, Étoile de Feu, chuchota-t-elle.
— Bonne nuit », répondit-il en posant sa truffe sur la fourrure de sa belle.
Bientôt, la respiration régulière de la guerrière lui indiqua qu’elle s’était endormie. Malgré son épuisement, Étoile de Feu était incapable d’en faire autant. Il regarda la lune se lever et déverser sa lumière pâle par l’entrée de la tanière, teintant le pelage de Tempête de Sable de reflets argentés. Elle était si belle, pensa le rouquin, si précieuse à ses yeux. Et pourtant, elle aussi pourrait mourir.
Voilà ce qu’être chef signifie, comprit-il. Le lendemain à l’aube, il sentirait pour la première fois le poids réel du fardeau que le Clan des Étoiles avait posé sur ses épaules. Serait-il assez fort pour le supporter ?
Je t’en prie, Clan des Étoiles, aide-moi à me conduire en chef, pensa-t-il en s’installant près d’elle. Bientôt apaisé par la chaleur de sa compagne, il se laissa enfin gagner par le sommeil.