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CHAPITRE 26
ÉTOILE DE FEU SE DEMANDA si les autres avaient remarqué son absence, et s’ils s’inquiétaient. Il devait retourner au camp, mais il resta encore un moment au sommet du rocher à observer les lumières de l’aube inonder la forêt.
Tout semblait calme de l’autre côté de la rivière. Le rouquin tenta d’imaginer comment Étoile du Léopard s’en sortait. Les guerriers du Clan de l’Ombre qui s’étaient réfugiés sur son territoire seraient sans doute des hôtes indésirables, qu’ils ne pourraient nourrir durant les lunes de cette mauvaise saison particulièrement difficile.
Il s’assit bien droit, la fourrure ébouriffée et les oreilles aux aguets. Il venait d’avoir une idée, et s’étonnait de n’y avoir pas pensé plus tôt. Les combattants du Clan du Tonnerre seraient peut-être plus nombreux que prévu. Au-delà de la rivière, se trouvaient les guerriers de deux Clans. Après la mort d’Étoile du Tigre, ils n’avaient plus aucune raison de soutenir le Clan du Sang.
« Cervelle de souris ! » murmura-t-il. Il y avait donc une chance que les quatre Clans de la forêt s’unissent pour chasser les chats sanguinaires qui menaçaient leur vie même. Les quatre ne deviendraient donc pas deux… les quatre deviendraient un seul. Mais pas à la façon d’Étoile du Tigre.
Tandis que les premiers rayons du soleil dardaient l’horizon, Étoile de Feu sauta du rocher et détala le long de la rivière vers le passage à gué.
« Étoile de Feu ! Étoile de Feu ! »
L’appel l’arrêta dans sa course, alors qu’il venait d’apercevoir les pierres. Il se retourna pour voir une patrouille du Clan du Tonnerre sortir des bois. Plume Grise avança le premier, suivi de Tempête de Sable, Flocon de Neige et Nuage Épineux.
« Où étais-tu ? s’enquit la guerrière roux pâle d’une voix courroucée. Nous étions morts d’inquiétude !
— Désolé, miaula Étoile de Feu avant de lui lécher l’oreille. J’avais besoin de réfléchir, c’est tout.
— Tornade Blanche nous a dit de ne pas nous en faire, intervint Plume Grise. Et Museau Cendré n’avait pas l’air inquiète. J’ai eu l’impression qu’elle en savait plus que ce qu’elle a bien voulu nous révéler.
— Eh bien, vous m’avez trouvé. Et je suis content de vous voir. Je m’apprêtais à me rendre sur le territoire du Clan de la Rivière ; j’aurais besoin que quelques guerriers m’accompagnent.
— Hein ? fit Flocon de Neige, éberlué. Qu’est-ce que tu veux à ces chats ?
— Je vais leur demander de se battre à nos côtés contre Fléau demain.
— Tu as perdu la tête ! Étoile du Léopard va te tailler en pièces !
— Je ne le crois pas. Maintenant qu’Étoile du Tigre est mort, elle ne veut sans doute pas plus que vous et moi du Clan du Sang dans la forêt. »
Son neveu haussa les épaules ; Plume Grise ne semblait pas convaincu, mais les yeux verts de Tempête de Sable étincelaient.
« Je savais que tu trouverais un moyen de battre le Clan du Sang, ronronna-t-elle. Allons-y. »
Étoile de Feu allait se remettre en route lorsque Nuage Épineux le rattrapa.
« Étoile de Feu, pourra-t-on parler à Nuage d’Or si elle s’y trouve ? demanda l’apprenti, plein d’espoir. C’est peut-être notre dernière chance, ajouta-t-il d’une voix tremblante.
— Oui, si tu l’aperçois, répondit le jeune chef après une hésitation. Demande-lui sa version de l’histoire. Alors nous déciderons que faire.
— Merci, Étoile de Feu ! » s’exclama l’apprenti, visiblement soulagé.
Le rouquin descendit jusqu’au passage à gué, suivi de ses guerriers. Sautant de pierre en pierre, il resta aux aguets, mais ne perçut nul mouvement sur la berge opposée. Aucune patrouille du Clan de la Rivière n’était venue récemment, alors que le soleil était déjà haut dans le ciel.
Une fois de l’autre côté, Étoile de Feu longea le cours d’eau à contre-courant, vers le camp du Clan de la Rivière. En chemin, il croisa le ruisseau qui menait à la clairière de la Colline Macabre. Il fut pris de frissons en se remémorant sa dernière visite. L’odeur pestilentielle de la charogne s’était atténuée, mais il sentit la présence de nombreux chats non loin de là. Il reconnut la fragrance particulière du Clan du Tigre, naguère tant redoutée, désormais familière comparée à la puanteur du Clan du Sang.
« Ils doivent s’être réunis dans la clairière, miaula-t-il. Certains d’entre eux, du moins. Nous allons y jeter un œil. Plume Grise, reste sur tes gardes. »
Le guerrier gris se laissa dépasser par les autres, fermant la marche, tandis qu’Étoile de Feu rampait en silence dans les roseaux, jusqu’à l’orée de la clairière. En tendant le cou, il constata que la Colline Macabre commençait à s’effondrer et ne ressemblait déjà plus qu’à un gros tas d’ordures ; le ruisseau n’était plus entravé par les carcasses pourrissantes. En revanche, on avait constitué un garde-manger de proies fraîchement tuées, comme si des chats avaient choisi ce lieu pour y établir un nouveau camp.
Plusieurs guerriers étaient blottis les uns contre les autres au centre de la clairière, la fourrure négligée et les yeux vides. Étoile de Feu fut surpris de reconnaître des chats des Clans de la Rivière et de l’Ombre. Il pensait ne trouver là que des guerriers du Clan de l’Ombre, et le Clan de la Rivière chez lui, sur leur île en amont.
Étoile du Léopard était tapie au pied de la Colline Macabre. Elle regardait droit devant elle. Le jeune chef pensa qu’elle l’avait vu, mais elle n’en montra aucun signe. Le lieutenant du Clan de l’Ombre, Patte Noire, était couché non loin. Passé la surprise, Étoile de Feu se sentit soulagé de pouvoir traiter directement avec Étoile du Léopard, qui essayait manifestement de régner sur les deux Clans.
Il coula un regard vers Tempête de Sable.
« Qu’est-ce qu’ils ont ? » murmura-t-il. Il se demandait presque s’ils étaient souffrants, pourtant l’air ne révélait aucune odeur de maladie.
Tempête de Sable secoua la tête d’un air impuissant, et Étoile de Feu se retourna vers la clairière. Il était venu chercher des combattants, et ces félins semblaient à l’agonie. Enfin, il n’allait pas repartir bredouille. Signalant à ses propres guerriers de le suivre, il sortit des roseaux.
Personne ne lui sauta dessus. Un ou deux guerriers se contentèrent de lever la tête et de le regarder d’un air blasé. Nuage Épineux fila en douce à la recherche de Nuage d’Or.
Étoile du Léopard se mit tant bien que mal sur ses pattes.
« Étoile de Feu. » Sa voix était aussi éraillée que si elle n’avait pas parlé pendant des lunes. « Que veux-tu ?
— Te parler. Étoile du Léopard, que se passe-t-il ici ? Qu’est-ce qui vous arrive ? Pourquoi n’êtes-vous pas dans votre camp ? »
Le chef du Clan de la Rivière soutint son regard un long moment.
« Je suis le seul chef du Clan du Tigre, maintenant, miaula-t-elle enfin, ses yeux mornes soudain animés d’une lueur de fierté. Notre ancien camp est trop petit pour accueillir les deux Clans. Nous avons laissé les reines et les chatons là-bas, sous la garde de quelques chasseurs. » Tout à coup, elle émit un petit rire moqueur. « Mais à quoi bon ? Le Clan du Sang va tous nous massacrer.
— Tu ne dois pas dire cela ! Si nous nous battons tous ensemble, nous pourrons chasser le Clan du Sang.
— Espèce d’idiot ! feula-t-elle. Chasser le Clan du Sang ? Et comment comptes-tu t’y prendre ? Étoile du Tigre était le guerrier le plus valeureux que la forêt ait jamais connu, et tu as bien vu ce que Fléau lui a infligé !
— Je sais, répondit-il calmement, luttant contre la peur panique qui l’étreignait. Mais Étoile du Tigre s’est battu seul à seul contre Fléau. Nous pouvons nous unir pour l’affronter, puis nous redeviendrons quatre Clans, comme le veut le code du guerrier. »
Une expression de mépris déforma les traits d’Étoile du Léopard, qui garda le silence.
« Que vas-tu faire, alors ? Quitter la forêt ? » lui lança-t-il.
Elle hésita, secouant la tête, comme si elle ne voulait pas faire l’effort de lui parler.
« J’ai envoyé une équipe d’éclaireurs chercher un nouveau territoire par-delà les Hautes Pierres, admit-elle. Mais nous avons de très jeunes chatons, et deux de nos anciens sont malades. Tout le monde ne pourra pas partir. Et ceux qui resteront vont mourir.
— Ce n’est pas une fatalité ! s’indigna Étoile de Feu, désespéré. Le Clan du Tonnerre et le Clan du Vent vont se battre. Rejoignez-nous. »
Il s’attendait à de nouvelles moqueries, or Étoile du Léopard le regardait avec un intérêt nouveau. Près d’eux, Patte Noire se leva pour rejoindre son chef. Il entendit alors Plume Grise grogner et vit que son ami sortait les griffes. D’un mouvement de la queue, il calma son camarade. Il détestait Patte Noire autant que lui ; toutefois, pour l’instant, il leur faudrait oublier leur rancœur pour faire face à un ennemi plus dangereux encore.
« Tu as perdu la tête ? grogna le lieutenant. Tu ne penses pas sérieusement à t’allier à ces imbéciles ? Ils ne sont pas assez forts pour nous être utiles. Tout ce qu’on gagnerait, c’est se faire tailler en pièces. »
Étoile du Léopard lui lança un regard froid. Le rouquin comprit qu’elle ne l’aimait pas davantage que lui, ce qui lui redonna espoir. Pelage de Silex, qui avait été son lieutenant, avait péri sous les griffes du guerrier noir et blanc.
« C’est moi le chef, ici, Patte Noire, lui rappela-t-elle. C’est moi qui prends les décisions. Et je ne suis pas encore prête à abandonner… pas si nous avons une chance de chasser le Clan du Sang. Bon, miaula-t-elle en se tournant vers le rouquin. Quel est ton plan ? »
Étoile de Feu aurait voulu pouvoir lui répondre qu’il avait trouvé le moyen de se débarrasser des envahisseurs sans risquer la vie de tous les chats de la forêt. Malheureusement, il n’en était rien. Le chemin de la victoire, s’il y en avait un, serait tortueux et pénible.
« Demain, à l’aube, répondit-il, les Clans du Tonnerre et du Vent rejoindront le Clan du Sang aux Quatre Chênes. Si les Clans de l’Ombre et de la Rivière nous accompagnent, nous serons deux fois plus forts.
— Et tu prendrais la tête de la horde ? demanda-t-elle, avant d’ajouter à contre-cœur : Je n’ai plus l’énergie de mener mes guerriers au combat. »
Étonné, Étoile de Feu cligna les yeux. Il pensait qu’elle revendiquerait l’autorité sur les quatre Clans. Il n’était pas sûr du tout d’être lui-même assez fort pour le faire à sa place, mais il n’avait pas le choix.
« Si tu le souhaites, je le ferai, répondit-il.
— Un chat domestique à notre tête ? fit une voix sarcastique dans son dos. Tu as perdu l’esprit, Étoile du Léopard ? »
Étoile de Feu se retourna, sachant ce qui l’attendait. Éclair Noir se frayait un chemin parmi ses anciens camarades.
Le jeune chef le toisa. La fourrure jadis soyeuse du guerrier était maintenant terne, négligée. Il avait l’air décharné, et le bout de sa queue se balançait nerveusement. Seule l’hostilité froide qui habitait son regard était la même, ainsi que l’insolence avec laquelle il l’inspecta de haut en bas en s’asseyant en face des chefs.
« Éclair Noir. » Étoile de Feu le salua d’un petit mouvement de la tête.
Il savait qu’il ne pourrait jamais vraiment prendre le guerrier au pelage sombre en pitié, mais il fut frappé par son air hagard et ses yeux vides, comme s’il avait déjà été puni pour sa trahison.
Étoile du Léopard fit un pas en avant.
« Éclair Noir, cette décision ne te regarde pas, miaula-t-elle.
— On devrait te chasser d’ici, ou te tuer sur-le-champ, feula le guerrier vers Étoile de Feu. Tu as retourné Fléau contre Étoile du Tigre. C’est ta faute s’il est mort.
— Ma faute ? » répéta le jeune chef, interdit. Les yeux d’Éclair Noir étaient chargés de haine ; Étoile de Feu comprenait qu’à sa façon ce dernier pleurait la mort de son chef. Maintenant qu’Étoile du Tigre n’était plus, Éclair Noir se retrouvait seul contre tous. « Non, Éclair Noir. C’est la faute d’Étoile du Tigre. S’il n’avait pas amené le Clan du Sang dans la forêt, rien de tout cela ne serait arrivé.
— D’ailleurs, comment est-ce arrivé ? s’enquit Plume Grise. J’aimerais bien le savoir. À quoi pensait donc Étoile du Tigre ? Se rendait-il compte de la gravité de ses actes ?
— Il croyait faire au mieux. » Étoile du Léopard tentait de défendre le défunt chef, mais ses paroles manquaient de conviction. « Il pensait que les chats de la forêt seraient davantage en sécurité en s’unissant sous son autorité, et que le Clan du Sang vous persuaderait qu’il avait raison. »
Plume Grise émit un grognement de mépris, ignoré par le chef du Clan de la Rivière. D’un mouvement de la queue, elle appela un autre chat, un matou gris décharné à l’oreille déchirée. Étoile de Feu reconnut Flèche Grise, l’un des chats errants qu’Étoile du Tigre avait recrutés dans le Clan de l’Ombre.
« Flèche Grise, raconte à Étoile de Feu ce qui s’est passé », ordonna-t-elle.
Le guerrier du Clan de l’Ombre considéra le rouquin avec des yeux fatigués.
« Jadis, j’appartenais au Clan du Sang, confessa-t-il. Je l’ai quitté il y a bien des lunes, mais Étoile du Tigre connaissait mon passé. Il m’a demandé de l’emmener chez les Bipèdes afin de rassembler davantage de chats pour contrôler la forêt. » Il baissa la tête vers ses pattes, ses oreilles frémissant d’embarras. « Je… j’ai essayé de lui dire que Fléau était dangereux. Pourtant, ni lui ni moi n’imaginions de quoi il était capable. Étoile du Tigre lui a proposé une partie de la forêt en échange de son aide. Il pensait qu’une fois le Clan du Tigre formé, il pourrait se débarrasser du Clan du Sang.
— Mais il avait tort », murmura Étoile de Feu, qui ressentait de nouveau la douleur étrange qui l’avait envahi en voyant le cadavre de son vieil ennemi.
« Lorsqu’il est mort, nous n’arrivions pas à y croire. » Flèche Grise semblait abasourdi, comme s’il partageait le souvenir d’Étoile de Feu. « Nous pensions qu’Étoile du Tigre était invincible. Quand le Clan du Sang a attaqué notre camp après sa mort, nous étions trop choqués pour nous battre. Certains sont restés là-bas, préférant rejoindre Fléau. Crocs Pointus, par exemple, ajouta-t-il avec amertume. Je suis prêt à affronter le Clan du Sang, ne serait-ce que pour plonger mes griffes dans la fourrure de ce traître.
— Alors, vous acceptez ? » demanda Étoile de Feu. Tous les chats présents dans la clairière s’étaient approchés. Seuls Patte Noire et Éclair Noir restaient à l’écart. « Vous vous dresseriez avec le Clan du Vent et nous contre le Clan du Sang ? »
Les guerriers ne pipèrent mot, attendant qu’Étoile du Léopard se prononce.
« Je ne sais pas, miaula-t-elle. La bataille est peut-être perdue d’avance. J’ai besoin d’y réfléchir.
— Le temps va bientôt nous manquer », objecta Tempête de Sable.
D’un signal de la queue, Étoile de Feu rassembla ses guerriers à l’orée de la clairière.
« Réfléchis-y maintenant, Étoile du Léopard, lança-t-il. Nous attendrons. »
Le chef du Clan de la Rivière lui lança un regard plein de défi, comme si elle allait rétorquer qu’elle prendrait le temps nécessaire. Cependant, elle ne dit rien et se contenta d’appeler quelques guerriers auprès d’elle. Elle leur parla à voix basse, d’un ton pressant. Patte Noire se fraya un passage pour la rejoindre, les yeux pleins de colère. Les autres félins restèrent murés dans leur silence, et Étoile de Feu se demanda quelle sorte de combattants ils feraient.
« Quelle bande de cervelles de souris ! feula Flocon de Neige. Pas besoin de discuter ! Étoile du Léopard a reconnu que leur sécurité n’était pas assurée s’ils quittaient la forêt… Qu’est-ce qu’ils peuvent faire, à part se battre ?
— Tais-toi, lui ordonna son oncle.
— Étoile de Feu, le coupa Nuage Épineux, qui venait de le rejoindre accompagné de sa sœur. Nuage d’Or voudrait te parler. »
La jeune chatte soutint le regard de son ancien chef sans sourciller, lui rappelant sa redoutable mère, Bouton-d’Or.
« Je t’écoute, l’encouragea-t-il.
— D’après Nuage Épineux, je devrais t’expliquer pourquoi j’ai quitté le Clan du Tonnerre, miaula-t-elle sans préambule. Mais tu le sais déjà, non ? Je voulais qu’on me juge sur mes actes, et non sur ceux de mon père. J’ai besoin de me sentir à ma place.
— Personne ne pensait que tu n’étais pas à ta place, protesta le rouquin.
— Étoile de Feu, répondit-elle, les yeux brillants, je n’en crois rien. Et toi non plus. »
Le jeune chef se sentit envahi par la culpabilité.
« J’ai commis une erreur, reconnut-il. À travers toi et ton frère, je ne voyais que votre père. Et je ne suis pas le seul. Néanmoins, je n’ai jamais souhaité ton départ.
— Toi, non, mais d’autres, si, répondit-elle calmement.
— Elle pourrait toujours réintégrer le Clan, pas vrai ? plaida Nuage Épineux.
— Attends un peu, le coupa sa sœur. Je ne suis pas en train de te demander si je peux revenir. Tout ce que je cherche, c’est à être loyale envers mon nouveau Clan. Je veux être la meilleure combattante possible. Et dans le Clan du Tonnerre, je ne m’épanouirai jamais. »
Étoile de Feu pouvait à peine supporter l’idée de perdre un membre aussi courageux et dévoué.
« Je regrette que tu sois partie, miaula-t-il. Et je te souhaite de trouver ta place dans ton nouveau Clan. Nuage d’Or, je pense vraiment que si les quatre Clans se battent ensemble demain, nous pourrons récupérer la forêt. Le Clan de l’Ombre survivra… Alors tu pourras être fière de ton Clan, et ton Clan sera fier de toi.
— Merci », répondit-elle en hochant la tête.
Nuage Épineux semblait perplexe, mais Étoile de Feu savait que tout avait été dit. Il entendit son nom : Étoile du Léopard se dirigeait vers lui.
« J’ai pris ma décision », annonça-t-elle.
Le cœur du rouquin se mit à palpiter. Tout reposait sur le choix d’Étoile du Léopard. Sans le soutien des Clans de la Rivière et de l’Ombre – malgré le piteux état de leurs combattants –, ils n’avaient aucune chance de chasser le Clan du Sang de la forêt. Le temps que la guerrière mit pour le rejoindre lui sembla aussi long qu’une lune.
« Le Clan de la Rivière se battra à vos côtés, annonça-t-elle.
— Tout comme le Clan de l’Ombre », ajouta Patte Noire, qui avait suivi Étoile du Léopard. Il la défia du regard, affirmant son autorité.
Bien que soulagé, Étoile de Feu remarqua l’expression perplexe de certains de leurs guerriers. Éclair Noir fut le seul à s’exprimer à voix haute.
« Vous êtes tous cinglés, feula-t-il. Rejoindre un chat domestique ? Et puis quoi encore ?
— Tu obéiras aux ordres, lança Étoile du Léopard.
— Ben voyons, rétorqua-t-il. Tu n’es pas mon chef. »
Étoile du Léopard le toisa un instant de son regard froid. Puis elle haussa les épaules.
« Je remercie le Clan des Étoiles de ne pas l’être. Tu es aussi utile qu’un cadavre de renard. Très bien, Éclair Noir, fais ce que tu veux. »
Le guerrier au poil sombre hésita, son regard glissant d’Étoile du Léopard à Patte Noire, puis aux autres chats de la clairière. Les guerriers murmuraient entre eux, et personne ne fit attention à lui.
Il se retourna vers Étoile du Léopard comme pour lui parler, mais le chef du Clan de la Rivière avait déjà tourné le dos. D’un bond, il fit face à Étoile de Feu.
« Bande d’imbéciles ! Demain, vous allez vous faire massacrer. »
Il partit à grandes enjambées. Les félins s’écartèrent sur son passage et le suivirent du regard jusqu’à ce qu’il eût disparu dans les roseaux. Étoile de Feu se demanda où le guerrier solitaire irait trouver refuge.
Étoile du Léopard s’avança et dit :
« Je jure devant le Clan des Étoiles que nous nous retrouverons demain à l’aube aux Quatre Chênes. Nous combattrons le Clan du Sang avec vous et le Clan du Vent. » Elle ajouta d’un ton brusque : « Pelage d’Ombre, organise des équipes de chasseurs. Demain, nous aurons besoin de toutes nos forces. »
Une chatte gris foncé du Clan de la Rivière agita la queue et se faufila parmi l’assemblée de félins pour choisir les chasseurs.
Étoile du Léopard regarda la Colline Macabre, les yeux pleins de tristesse, et un frisson parcourut sa fourrure tachetée.
« Nous devons détruire cette chose, murmura-t-elle. Elle appartient à une époque sombre et révolue. »
Elle enfonça ses griffes dans le monticule d’ossements. Petit à petit, d’un pas hésitant, comme s’ils craignaient qu’Étoile du Tigre ne réapparaisse et les accuse de trahison, ses guerriers l’imitèrent. Os après os, le monticule fut démantelé, dispersé dans la clairière. Patte Noire et quelques guerriers du Clan de l’Ombre contemplèrent la scène un peu à l’écart. Le visage du lieutenant était dissimulé par des ombres, si bien qu’on ne pouvait deviner ses pensées.
Étoile de Feu entraîna ses combattants hors de la clairière. Il avait accompli sa mission. Il ne pouvait qu’admirer le courage d’Étoile du Léopard. Pourtant, en jetant un dernier regard aux deux Clans derrière lui, il ne ressentait aucune satisfaction, plutôt un mauvais pressentiment.
Et si je les avais tous condamnés à mourir ?