3.
Les trois factions
À l’aube du cinquième jour, Aaron fut réveillé par le passage inhabituel des gens sous sa fenêtre. Il y jeta un œil et remarqua un certain nombre de villageois qui se dirigeaient vers l’entrée de la caserne. Se demandant s’ils venaient assister à leur incorporation, il enfila son équipement. Puis, il se tourna vers Sylzus et sursauta en le voyant assis sur le bord de son lit. Sa colère était toujours palpable et il fixait Aaron.
— Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ? hurla Sylzus.
— Si tu te voyais ! rétorqua Aaron sans vouloir se montrer trop agressif.
Sylzus cracha par terre et tapa du poing sur son lit. Aaron n’attendit pas plus longtemps pour quitter la pièce et rejoindre le vestibule. Il constata avec joie la présence de plusieurs citoyens d’Élangha sur la place, ils étaient effectivement là pour eux. Grignotant son morceau de pain habituel, il sortit et passa devant les personnes présentes. Il rejoignit un petit rassemblement de recrues assises non loin de là mais ne reconnut personne de son groupe. Aaron vit finalement Athaël sortir du bâtiment. Celui-ci se dirigea vers un couple d’adultes et les embrassa. Sa famille avait fait le déplacement. Aaron n’avait pas eu cette chance, ses parents étant très occupés et habitant à plusieurs jours de là, il était difficile pour eux de le rejoindre. Wyll et Idarion débarquèrent finalement. Le père de Wyll était là, il lui serra la main avec fierté. Quant à Idarion, ses parents ainsi que son petit frère l’attendaient un peu plus loin.
Le son de tambours et de trompettes se fit entendre. Une troupe de musiciens se dirigeait vers la caserne et prit place à l’entrée de la grande place. Toutes les recrues attendaient désormais l’arrivée du commandant et de son équipe. Les visiteurs se tenant devant l’entrée se poussèrent. Un groupe de cavaliers entra en galopant et s’arrêta un peu plus loin. Le commandant était facilement reconnaissable, son armure scintillait et son charisme imposait le respect. Leurs montures furent prises en charge par des écuyers qui les attendaient également. Un petit instant plus tard, un nouveau groupe fit son apparition. En tête de celui-ci, tout le monde repéra Barzhak et son fidèle poney. Il faut dire qu’il avait aussi fier allure et personne n’aurait osé dire le contraire. Cyrus Vekna monta sur une estrade installée spécialement pour l’événement. Les instructeurs et d’autres responsables se tenaient à ses côtés et toute la foule patientait en silence. À quelques pas de là, trois drapeaux étaient hissés et flottaient au vent. Barzhak se tenait d’ailleurs devant l’un d’entre eux, la main posé sur le mât. Le premier représentait un cheval cabré sur un fond bleu clair. Le second, une sorte de cheval également mais doté d’ailes pointues, le tout sur un magnifique fond vert. Le dernier quant à lui, représentait un dragon sur un fond doré. Tous les trois étaient splendides, mais l’attention d’Aaron se porta rapidement sur le troisième étendard défendu par Barzhak. Le commandant Vekna posa ses mains sur un pupitre en bois massif orné d’une bannière portant les couleurs d’Élangha.
— Je vous souhaite à toutes et tous la bienvenue à Élangha. Ce jour marque un changement dans la vie des nouvelles recrues que nous venons d’accueillir en notre cité. Tous se sont beaucoup entraînés durant cette semaine. Certains d’entre eux se sont distingués par leur courage, d’autres par leur discipline ou par leurs aptitudes. Quoi qu’il en soit, chacun incorporera aujourd’hui l’une des trois factions. La structure de notre armée est similaire dans l’ensemble du royaume de Nagaryth. Il y a trois factions : l’infanterie et la cavalerie, la cavalerie aérienne et les chevaucheurs hurlants. Bien, nous allons commencer la répartition sans plus attendre.
Un homme lui apporta une longue banderole. Les apprentis combattants étaient à la fois excités et angoissés. Cyrus parcourut la banderole du regard, puis il releva la tête.
— Abasi Lorys, vous rejoindrez la cavalerie aérienne !
Ses camarades l’applaudirent, il semblait très content de son sort.
— Ametia Artémys, l’infanterie et la cavalerie. Asirus Neim, l’infanterie et la cavalerie également. Béomir Athaël…
Le jeune garçon aux cheveux bouclés retint son souffle. Il faisait partie du même groupe d’entraînement qu’Aaron.
— Vous ferez partie des chevaucheurs hurlants !
À l’annonce du résultat, le jeune homme exulta. Il fit un signe de main à ses camarades et rejoignit Barzhak qui semblait très fier. L’annonce des incorporations continua, beaucoup rejoignirent la cavalerie et l’infanterie mais tout le monde était très content. Les trois factions jouissaient toutes d’une excellente réputation, chacune possédait ses avantages et ses inconvénients.
— Ceorus Mérald, l’infanterie et la cavalerie.
— Cyiam Gunthar, la cavalerie aérienne !
L’un après l’autre, les noms défilaient et le visage des appelés s’illuminait…
— Goaron Wyll, les chevaucheurs hurlants.
Le jeune homme bondit en l’air en criant, il était comblé. Ses deux amis étaient heureux pour lui.
— On se voit devant le drapeau doré ! lança-t-il en partant.
Aaron venait de se rendre compte que la lettre de son prénom avait passé. Le « E » est avant le « G » murmurait-il.
— Hézar Idarion, les chevaucheurs hurlants ! poursuivit Cyrus Vekna.
Tout comme Wyll, il éclata de joie et tapa dans la main de son ami. Aaron était content pour lui mais inquiet de ne pas encore avoir été nommé.
— Vargus Sylzus ! cria le commandant.
Aaron, Wyll et Idarion espéraient qu’il ne ferait pas partie de la même faction qu’eux.
— Vous pouvez vous joindre à la faction des chevaucheurs hurlants.
Les trois compagnons grimacèrent. Tant pis… qu’il en soit ainsi… se dit Aaron, ce qui comptait avant tout, c’était de ne pas être séparé de ses deux camarades.
Il ne restait désormais plus qu’une dizaine de recrues n’ayant pas été appelées. Aaron était inquiet mais restait confiant. Cyrus Vekna continua de désigner les dernières personnes jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que trois. Il remarqua leur appréhension et leur sourit.
— Bien, ce n’est pas tout à fait terminé. Je vais passer la main à une personne importante pour nous tous, merci d’accueillir le conseiller du roi !
Personne ne l’avait remarqué, mais Azurus Helm, conseiller du roi Herod, avait assisté à toute la cérémonie. Il était resté en retrait, derrière les futurs guerriers du royaume. Il s’avança silencieusement. Vêtu d’une longue toge argentée aux reflets bleutés, il semblait flotter au-dessus du sol. Il se présenta devant la foule, son visage exprimait une certaine sérénité.
— Je ne vais pas faire durer le suspense plus longtemps, je suis persuadé que tout le monde souhaite fêter cela.
La foule était particulièrement attentive. Aaron et les deux autres garçons se lançaient des regards interrogateurs.
— Si vous n’avez pas encore été appelés, dit le conseiller en regardant les jeunes hommes, c’est parce que vous vous êtes particulièrement distingués lors de cette semaine d’entraînement. Vos instructeurs respectifs ont observé d’excellentes capacités dans de nombreux domaines. Vous avez fait preuve de courage, d’un esprit d’entraide et d’une détermination à toute épreuve. Et comme vous le savez, l’audace a du génie, du pouvoir et de la magie ! leur lança Azurus avec une conviction peu commune. Pendant que j’y pense, notre roi tient à vous remercier. Je vous prie donc de me rejoindre au château dès demain en début de matinée. Je vous félicite sincèrement pour vos actions et me réjouis de vous revoir.
Le conseiller inclina la tête en signe de respect et céda sa place au commandant. L’ensemble de la foule acclama les heureux élus tandis que Cyrus Vekna se préparait à reprendre la parole.
— Vous l’aurez donc compris… Aaron Éthys, Isarn Alénor, Adhémar de Lys, vous êtes appelés à rejoindre la faction des chevaucheurs hurlants. Mes félicitations ! lança le commandant. Vos responsables vont vous donner les prochaines instructions. Après cela, vous serez libérés de vos obligations. Le commandant salua tout le monde de la main et se retira.
Tout le monde applaudit à nouveau avant de se diriger vers le banquet organisé en plein air pour célébrer l’événement. Sur plus d’une centaine d’apprentis combattants, le groupe présent devant l’étendard doré ne comptait qu’une petite vingtaine de personnes. Aaron en connaissait déjà quatre qui faisaient partie du groupe d’entraînement.
— Tout d’abord, félicitations à vous tous. J’suis très fier de vous avoir avec moé, dit Barzhak qui était désormais leur capitaine. Vous allez pouvoir souffler un p’tit peu avant de poursuivre votre formation. J’vous donne rendez-vous après-demain à l’entrée de la caserne, vous recevrez votre matériel définitif.
Le groupe avait hâte de découvrir leur futur équipement.
— D’ici là, prenez soin d’vous et profitez bien de cette journée, lança le capitaine avant de se retirer.
Les trois compagnons étaient aux anges. Même s’il leur restait encore beaucoup de travail et qu’ils ne savaient pas encore à quoi se préparer, le simple fait d’être réunis leur suffisait. Ils profitèrent de la journée pour faire connaissance avec leurs nouveaux camarades, sans oublier de boire et manger les délicieuses choses qu’on leur avait servies. Aaron se coucha relativement tôt ce soir-là, son entrevue avec le roi l’angoissait quelque peu. Heureusement, il ne serait pas le seul, Adhémar et Isarn étaient également conviés.
Le lendemain, une certaine confusion régnait dans le dortoir. En effet, l’attribution officielle des chambres avait commencé et il y avait beaucoup de monde. En sortant de sa chambre, Aaron croisa Gabryel.
— Oh Aaron ! Je suis content de te revoir, lui lança le responsable de l’incorporation des recrues. ça tombe bien, je voulais justement te donner la clé de ta nouvelle chambre.
L’homme lui tendit le même type de clé en fer forgé, elle portait le numéro 20.
— Comme tu sembles un peu pressé, je vais m’occuper de tes affaires.
Aaron le remercia, rangea la clé dans l’une de ses poches et longea le couloir.
— Aaron, j’allais oublier… tous mes compliments pour ta nouvelle nomination ! cria Gabryel à l’autre bout du corridor.
Le jeune homme lui sourit et descendit les escaliers pour rejoindre Adhémar et Isarn.
— Vous êtes prêts ? lança-t-il en sautant les dernières marches.
Ses camarades acquiescèrent. Tous les deux étaient plutôt costauds. Adhémar avait les yeux verts et des cheveux châtains coupés très courts. Isarn, quant à lui, avait des yeux gris-bleu et était rouquin, les cheveux très lisses et toujours coiffés en arrière. Ils avaient tous pris soin de revêtir leurs plus beaux vêtements, même s’ils étaient bien simples. Comme prévu, ils se rendirent au château où Azurus Helm les attendait au sommet des marches.
— Je vous souhaite la bienvenue au château du roi Herod, dit le conseiller en faisant un sourire complice à Aaron. Suivez-moi.
Ils traversèrent l’arcade et entrèrent dans la vaste pièce du château. L’ambiance y était tout aussi chaleureuse que la première fois. Le regard d’Aaron se prolongea instinctivement sur le trône argenté. Cette fois-ci, il n’était pas vide. Un homme âgé d’une cinquantaine d’années environ siégeait à cet emplacement. Il portait une impressionnante couronne marquée en son centre par le symbole du royaume. Elle comportait de fines ciselures qui agrémentaient le précieux objet. De longs cheveux bruns ondulés tombaient sur ses épaules, le temps avait agi sur la couleur de certaines mèches. Enfin, une barbe bien entretenue démarquait son visage. Les trois garçons parvinrent devant le roi, suivis du conseiller derrière eux. Ils posèrent un genou à terre en signe d’allégeance. Le roi leur fit signe de se relever et leur sourit.
— Soyez les bienvenus ! dit-il en ouvrant ses bras. Si j’ai tenu à vous rencontrer personnellement, c’est parce que vous méritez mon attention. J’ai beaucoup de respect et d’estime envers des combattants dotés de telles valeurs. Aussi, je tiens à vous offrir un présent qui vous permettra de ne pas oublier la gratitude que j’ai à votre égard.
Le roi saisit trois amulettes se trouvant sur un coussin rouge vif à proximité de son trône. Il se leva et fit signe au premier garçon d’approcher.
— Quel est ton nom, mon garçon ?
— Adhémar de Lys…
Il passa l’amulette autour de son cou en lui souriant. Il répéta ensuite son geste avec le second garçon et demanda finalement au dernier d’approcher.
— Comment t’appelles-tu ?
— Aaron… Aaron Éthys, dit-il en esquissant un léger sourire.
— Aaron… très bien, murmura le roi en plissant les yeux et affichant un large sourire. Voici donc pour toi, ne la perds surtout pas… Cette amulette symbolise ta vaillance.
Il regagna ensuite son trône et fixa les trois combattants.
— Je vous souhaite bon courage pour la suite et espère vous revoir très bientôt.
Aaron, Isarn et Adhémar saluèrent le roi avec respect avant de quitter les lieux. Azurus les raccompagna jusqu’à l’entrée et leur dit au revoir. En rentrant à la caserne, ils ne s’étaient encore pas remis de leur rencontre avec le roi Herod. Ils contemplaient leur magnifique amulette qui scintillait au soleil, de couleur cuivrée et argentée, elle était frappée du fameux bouclier et de sa couronne. Lorsqu’Aaron arriva devant la porte numéro 20, il constata la présence d’Isarn qui était toujours à ses côtés.
— Ne me dis pas que tu as également le numéro 20 ?
Isarn hocha la tête en lui montrant sa clé. Aaron était heureux de s’être enfin débarrassé de Sylzus. Ils entrèrent et Aaron fut content de retrouver toutes ses affaires. Il s’installa à nouveau sur le lit de droite, se laissant tomber comme une vieille chaussette. Il y avait eu passablement d’émotions ces derniers temps, Isarn semblait également fatigué et s’allongea après avoir attaché ses cheveux quelque peu hirsutes ce jour-là. Profitant du calme qui émanait de sa nouvelle chambre, Aaron somnola le restant de la matinée. Il pensait à sa famille et se remémorait tout ce qu’il avait vécu depuis son départ. Jusqu’à présent, ils n’avaient pas reçu la permission de leur écrire. Cependant, une fois leur formation achevée, ils pourraient retourner chez eux durant une plus longue période. Subitement excité à l’idée de montrer le présent offert par le roi à ses deux amis, Aaron se mit à leur recherche. Il croisa un jeune homme qui faisait également partie de la faction des chevaucheurs hurlants.
— Hé ! As-tu vu un garçon avec le crâne rasé ou avec de longs cheveux blonds ?
— Hum… j’ai effectivement vu un blond entrer dans la chambre 14 juste avant.
— Merci beaucoup ! lui lança Aaron en remontant les escaliers à toute vitesse.
Il frappa énergiquement à la porte numéro 14 en espérant ne pas s’être trompé. Wyll lui ouvrit la porte et l’invita à entrer. Aaron remarqua Idarion qui était également là.
— Vous partagez la même chambre, comment vous avez fait ? leur demanda Aaron avec enthousiasme.
— Oh… tu sais… nous autres chevaucheurs hurlants avons le bras long, répondit Idarion avec un sourire espiègle.
Aaron lui tapa amicalement sur l’épaule.
— Regardez ce que m’a offert le roi Herod ! dit-il en retirant son amulette de son cou.
Wyll et Idarion étaient émerveillés et regardaient le magnifique collier.
— Est-ce que je peux la prendre ? demanda Idarion.
— Bien sûr ! s’écria Aaron en lui remettant l’objet avec précaution.
— Elle est vraiment incroyable… et tu la mérites après tout ce que tu as fait.
Wyll hochait la tête et semblait très fier de son ami. Idarion la passa à Wyll qui la contempla avant de la rendre à son propriétaire.
— Nous avons enfin une journée de libre, autant en profiter. Vous avez des propositions ? leur demanda Aaron.
— On pourrait sortir un peu d’Élangha, aller voir ce qu’il y a aux alentours, dit Idarion.
— Oui, mais traversons la ville avant… nous recroiserons peut-être les magnifiques demoiselles que nous avions aperçues ! renchérit Wyll.
— Bonne idée, en route les amis ! lança Idarion qui prenait déjà la direction de la sortie.
Cette fois-ci, ils prirent un autre chemin et se faufilèrent à travers les maisons et les échoppes de la cité. En passant devant un bâtiment en briques, ils entendirent un bruit sourd qui se répétait à intervalles réguliers. Ils aperçurent un homme vêtu d’un long tablier brun qui frappait une pièce métallique incandescente.
— Regardez, c’est un forgeron ! s’écria Wyll en pointant du doigt.
Curieux, ils s’approchèrent afin de pouvoir admirer le travail de l’artisan. Il était en train de fabriquer une longue lame, probablement une épée à deux mains à en juger par sa largeur. L’homme remarqua la présence des trois garçons, il s’arrêta un instant pour les saluer mais ne tarda pas à reprendre son travail, il semblait très concentré. Ne voulant pas le déranger dans son travail, ils continuèrent leur chemin vers les remparts. Des gardes patrouillaient sur les murailles et devant l’entrée de la citadelle. Ils longèrent l’allée menant à l’extérieur. Aaron se souvint des jolis arbres et de leurs fleurs et les regarda une nouvelle fois. Ils franchirent ensuite l’enceinte du château et marchèrent sur un chemin en terre.
— On pourrait marcher jusqu’au haut de cette colline et voir ce qu’il y a derrière, proposa Aaron.
En gravissant la colline, Aaron indiqua à ses amis l’endroit par lequel il était venu. De là, ils avaient un point de vue idéal sur la rivière qui traversait la plaine.
— Pour ma part, j’habite plus au nord, expliqua Idarion.
— Moi aussi, en suivant la rivière… ajouta Wyll.
Ils firent une halte un peu plus loin. Il était tout de même plus facile de se déplacer à cheval, surtout en montée. Un peu plus tard, ils parvinrent sur le sommet de la colline. La vue était bouchée par des buissons et par des arbres.
— Continuons, il doit bien y avoir quelque chose à voir par là-bas, proposa Idarion.
Ils progressèrent facilement à travers le petit bosquet. La végétation y était très verte et rappelait à Aaron, sa contrée. Wyll qui était en tête, poussa une branche et aperçut un petit lac. Le lieu était idyllique, l’eau variait du bleu turquoise au vert émeraude et baignait dans une atmosphère ensoleillée. Au loin, la plaine se prolongeait et était délimitée par des récifs montagneux. Les trois garçons se précipitèrent jusqu’au lac et plongèrent leur main dans l’eau afin d’en jauger la température.
— Woah, c’est chaud ! s’écria Idarion. On pourrait presque nager un peu !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Ils retirèrent leurs vêtements en prenant soin de garder leurs sous-vêtements et plongèrent dans l’eau. Elle était peut-être un peu moins chaude que ce qu’ils espéraient mais ils s’y habituèrent rapidement. Alors qu’ils profitaient de leur trouvaille, Aaron et Wyll cessèrent de s’éclabousser en voyant Idarion qui regardait fixement à l’orée du bois. Un homme élancé, vêtu d’une capuche et d’une longue tunique vert foncé se tenait là et les observait. Il tenait un arc à la main et un carquois dépassait de son épaule. Il se retourna soudainement et disparut dans le bosquet.
— Euh… c’était quoi ça ? balbutia Idarion.
— Pas la moindre idée, répondit Aaron. Mais il n’avait pas l’apparence d’un garde de la cité et je n’ai vu personne avec des arcs dans le coin…
— Peut-être un chasseur ? lança Wyll qui cherchait une explication.
— C’est possible… mais il vaut peut-être mieux que nous retournions à Élangha, leur dit Aaron.
Ils sortirent de l’eau et enfilèrent leurs habits dans le calme mais sans prendre le temps de s’essuyer. Sur le chemin du retour, ils énumérèrent différentes suppositions au sujet de la personne qu’ils avaient aperçue. Les conversations habituelles reprirent finalement leur cours en rentrant à la caserne.
— Allons manger quelque chose avant de se coucher, lança Idarion.
— Oui, car demain est notre premier jour en tant que chevaucheurs hurlants ! s’exclama Aaron avec un grand sourire.
La soirée se déroula dans le calme et chacun retrouva sa nouvelle chambre. Aaron était soulagé de ne plus avoir à la partager avec Sylzus.
Les premières lueurs du jour interrompirent le paisible sommeil d’Aaron. Il entrouvrit un œil et le referma aussitôt, ébloui par un rayon de soleil. Il bâilla, s’étira et se redressa sur son lit. Isarn venait également de se réveiller. Les deux garçons s’extirpèrent lentement de leur torpeur et revêtirent leurs vêtements habituels ce jour-là, il s’agissait d’un habillement en toile claire qu’ils avaient reçu le premier jour. Gabryel avait emporté toutes les armures de cuir destinées à l’entraînement des jeunes recrues. Ils quittèrent leur chambre et empruntèrent l’escalier menant au lieu de rendez-vous. Barzhak était déjà là, il était accompagné de deux hommes qui trimballaient d’importantes quantités de matériel. L’instructeur salua Aaron et Isarn tout en chargeant son poney. Les deux garçons rejoignirent leur groupe qui comptait déjà une dizaine de personnes. Tous semblaient plutôt sympathiques et Aaron avait hâte de commencer cette journée. Idarion et Wyll déboulèrent les escaliers à toute vitesse, pensant qu’ils étaient en retard.
— Hé douc’ment les p’tits gars… je n’ai pas besoin d’estropiés ! dit Barzhak.
Idarion et Wyll saluèrent leur instructeur et retrouvèrent leur fidèle ami. Quelques instants plus tard, les derniers garçons arrivèrent. Sylzus était accompagné d’un jeune homme aux cheveux longs d’un noir de jais, cela contrastait avec lui qui avait les cheveux clairs et courts. Il devait probablement s’agir de son nouveau compagnon de chambre. Barzhak s’éclaircit la gorge en toussant bruyamment.
— Bon… c’est une nouvelle aventure qui commence pour vous. Désormais, vous êtes des aspirants d’la grande faction des chevaucheurs hurlants !
Un garçon leva fébrilement la main.
— Capitaine, pourquoi appelle-t-on cette faction les chevaucheurs hurlants ?
— Vous le saurez suffisamment tôt, lui répondit Barzhak en riant.
Cela ne fit qu’augmenter l’anxiété générale, mais tout le monde semblait tout de même content d’être là.
— S’il n’y pas d’autres questions, on va passer à la partie du matériel.
L’un des deux hommes assistant Barzhak ouvrit le premier coffre, il contenait des parties d’armure en cotte de mailles, des pantalons en cuir et des bottes.
— Il est important de savouair que les ch’vaucheurs hurlants doivent conserver une souplesse maximale… tout en étant suffisamment protégés, bien sûr. C’est pour cette raison que vous ne serez en général pas équipés d’une de ces grosses armures en plaques métalliques… du moins, pas entièrement.
Barzhak leur demanda de se mettre en rang afin qu’ils enfilent leur équipement. Certains d’entre eux soufflèrent en prenant conscience du poids que représentait une armure de ce type.
— J’vous le dis, c’est une chance de pouvoir se contenter de cette armure. Elle est légère et résistante à la fois, dit Barzhak en souriant à la vue des aspirants qui la trouvaient lourde.
Aaron constata avec étonnement la qualité de sa cotte de mailles qui tombait jusqu’au niveau des cuisses. Non seulement elle était flambant neuve mais d’une qualité extraordinaire. Cela n’avait strictement rien à voir avec ce qu’ils avaient eu à se coltiner la première semaine. Quant à leur pantalon et leurs bottes, ils étaient constitués d’un cuir épais de couleur noire et des sangles maintenaient fermement le pied au niveau de la cheville et du tibia.
— Vous commencez enfin à avoir de l’allure ! lança Barzhak avec un sourire.
Il fit ensuite signe d’ouvrir un second coffre afin de compléter leur armure. Celui-ci contenait des épaulières et des protections de l’avant-bras mais en plates cette fois-ci. Les aspirants les enfilèrent à tour de rôle. Les épaulières étaient composées de plusieurs parties articulées qui permettaient une grande souplesse dans les mouvements. Elles descendaient jusqu’au niveau du biceps et l’emblème d’Élangha y était sculpté, cela conférait un relief du plus bel effet à leur armure. Les deux hommes distribuèrent ensuite des gants coupés au niveau des doigts ainsi qu’une ceinture équipée d’un fourreau, tous les deux en cuir également.
— Comme vous l’savez, vous êtes ici pour défendre votre royaume mais avant tout votre cité. Pour cette raison, il est important que tout l’monde arbore une couleur qui soit facil’ment reconnaissable, leur expliqua Barzhak en ouvrant une grande malle en bois.
Ohhhh… s’exclama le groupe de manière unanime. Aaron était en admiration devant les tuniques qu’ils allaient porter. Fabriquées dans un tissu doré d’une incroyable douceur, elles portaient le même dragon qu’ils avaient aperçu sur le drapeau de la faction. Il était finement brodé à l’aide de fils noirs, à la hauteur du torse.
— Magnifique ! cria Barzhak. Il n’reste plus qu’à vous donner quelque chose pour protéger votre p’tite tête.
Une autre malle contenait des heaumes argentés aux bordures dorées. Chacun comportait des gravures complexes, et en son centre, une tête de dragon de couleur or descendait jusqu’au niveau du nez. Aaron avait l’impression de rêver, il n’avait jamais eu l’occasion de voir un tel équipement, cela devait valoir une véritable fortune. Les aspirants essayèrent leur heaume et le gardèrent ensuite sous le bras. Ils ne tenaient plus en place et se complimentaient entre eux, très loin d’être à court d’arguments pour qualifier la beauté de leur armure. Barzhak siffla énergiquement et le silence régna à nouveau.
— Bon les p’tits gars… à moins que vous ayez envie d’vous battre avec des branches et des cailloux, j’vous propose de passer aux choses sérieuses.
L’ensemble du groupe était déconcerté, ils étaient tellement occupés à se contempler qu’ils n’avaient même plus pensé à leur arme et leur bouclier.
— Suivez-moé ! dit le capitaine en leur indiquant deux énormes coffres situés dans un coin du hall de la caserne. Vous vous souv’nez des armes que j’vous ai montrées il y a quelques jours ?
Les aspirants hochèrent la tête en silence, il s’agissait effectivement d’armes exceptionnelles.
— Et bien en voici de plus belles encore ! cria Barzhak en dévoilant le contenu des coffres.
Elles étaient effectivement plus extraordinaires encore. L’un contenait des épées et l’autre des fléaux d’armes.
— Si vous vous rappelez le discours du commandant Vekna lors d’votre premier jour, il vous a expliqué que les chevaucheurs hurlants sont équipés d’une épée ou d’un fléau. Vous allez apprendre à maîtriser ces deux armes !
Le capitaine saisit délicatement la première épée et la tendit à Aaron qui se trouvait devant lui. Tout le monde regardait la lame avec envie. Elle était dotée d’un long manche entouré de rubans de cuir entrelacés et d’un pommeau de forme pentagonale. Sa garde parfaitement horizontale maintenait une longue lame acérée. Barzhak lui demanda de la ranger à l’intérieur de son fourreau et en distribua une à chaque aspirant. Idarion et Wyll n’en revenaient pas, les mains tremblantes, ils réussirent tout de même à la rengainer mais avec difficulté. Le colosse leur présenta ensuite le fléau d’armes. Il était également incroyable et ressemblait à celui qu’Aaron avait eu l’occasion d’utiliser en pourfendant le malheureux Sylzus. Son manche était constitué d’un bois précieux qui se prolongeait sur une partie en acier surmontée d’une pointe. À son embout, un lien permettait de le suspendre à une ceinture. Il était évidemment pourvu d’une boule hérissée de pointes à son extrémité. Suspendue à l’aide d’une chaîne, le globe destructeur était d’un gris sombre, presque anthracite.
— Pour l’instant, les fléaux d’armes vont rester à la caserne. J’vais demander qu’on les monte dans votre chambre afin que vous puissiez tout d’même en prendre possession. Ces prochains jours, on va s’concentrer sur le maniement de l’épée… j’y reviens dans quelques instants. Barzhak fit signe à l’un de ses hommes, qui attendait son signal à l’autre bout de la salle.
Soudain, une vingtaine de soldats entrèrent dans le vestibule. Vêtus d’une cape et d’un capuchon, ils tenaient dans leur main gauche un bouclier. Ils s’avancèrent vers le groupe et dans un bruit sourd, s’arrêtèrent en posant le bouclier à la verticale sur le sol en pierre. Ébahis, les aspirants contemplaient le spectacle qui s’offrait à eux. De grands boucliers, parfaitement ronds, semblaient illuminer la pièce. Ils étaient d’un gris si étincelant, qu’ils paraissaient blancs.
— La matière utilisée pour la fabrication de ces boucliers est rarissime, dit Barzhak sur un ton calme. Elle provient de montagnes se trouvant à l’extrême nord d’notre royaume, on l’appelle le xiilaë. Ces boucliers sont fabriqués par l’un des plus grands forgerons du royaume, seuls les ch’vaucheurs hurlants en possèdent de tels.
Wyll était abasourdi, il se tourna vers Barzhak en se grattant le dessus de la tête.
— Capitaine… ils… ils sont pour nous ?
En temps normal, tout le monde aurait ri de la réaction du garçon. Mais dans le cas présent, ils attendaient la réponse de leur supérieur d’un air hagard.
— Bien sûr qu’ils sont pour vous ! D’ailleurs, j’sais pas ce que vous attendez pour aller les chercher ! lança-t-il d’un air amusé.
Chaque aspirant se dirigea vers l’un des hommes qui leur donna le précieux objet. Les soldats retirèrent également leur cape munie d’un capuchon et la passèrent autour du cou des jeunes hommes. Aaron fixait son bouclier, il était fabriqué d’une seule pièce. En son milieu, un cercle légèrement bombé irradiait des sortes de sillons jusqu’à son bord ; il était tout simplement rayonnant. Quant à leur cape, elle était en cuir entièrement noir.
— Maintenant que vous ressemblez enfin à quelqu’chose, lança le capitaine avec ironie, nous allons pouvoir continuer votre
formation. Comme j’vous l’ai dit, nous allons nous concentrer sur la maîtrise de l’épée avant d’employer le fléau.
Barzhak demanda à l’un de ses hommes de lui donner le rouleau de papier qu’il tenait sous le bras. Il le déposa sur une table et le déroula à la vue de tous les aspirants, il s’agissait d’une carte du royaume.
— Nous sommes ici ! dit-il en posant l’un de ses gros doigts sur la carte. Dans trois jours, nous aurons atteint c’point-là, si tout s’passe bien… leur indiqua Barzhak en pointant une position située au-delà d’une chaîne de montagnes. Afin d’pouvoir progresser rapidement, nous allons prendre le strict nécessaire.
Le capitaine enroula la carte et leur demanda de sortir de la caserne pour effectuer les derniers préparatifs. Les aspirants reçurent une besace, elle contenait un peu de nourriture et de l’eau en guise de ration de survie. On leur donna également une peau de bête pour bénéficier d’un minimum de confort durant la nuit.
— Si vous êtes prêts, on va y aller ! dit Barzhak en saisissant la bride de son fidèle poney.
Ainsi, le petit groupe marcha en direction de la sortie d’Élangha.
— Je sens que ça ne va pas être facile de marcher avec cette armure… murmura Wyll à ses deux compagnons.
— Effectivement… mais regarde tous les points positifs ! Nous avons reçu un équipement à couper le souffle, nous allons probablement voir de magnifiques paysages et découvrir de nouvelles choses… que demander de plus ? lui demanda Aaron.
Wyll hocha la tête en souriant.