Introduction
L’identification des tableaux pathologiques selon les Organes repose sur les signes et symptômes qui se manifestent lorsque le Qi et le Sang des Organes souffrent de déséquilibre.
Cette méthode d’identification des tableaux pathologiques s’utilise essentiellement pour les pathologies internes et chroniques, mais elle sert aussi pour certaines pathologies externes et aiguës.
L’identification des tableaux pathologiques selon les Organes Internes est une application de la méthode d’identification des tableaux pathologiques selon les Huit Principes au déséquilibre spécifique d’un Organe Interne. Par exemple, dans l’identification selon les Huit Principes, les signes et symptômes d’un vide de Qi sont de l’essoufflement, une voix faible, un visage pâle, une grande fatigue et un manque d’appétit. Bien qu’utile pour diagnostiquer un vide de Qi, cette méthode n’est pas suffisamment précise pour permettre d’identifier l’organe qui est impliqué. Elle est donc trop générale pour pouvoir fournir des indications sur le traitement nécessité.
Dans l’identification des tableaux pathologiques selon les Organes Internes, les symptômes ci-dessus peuvent être classés plus précisément comme représentant un vide de Qi du Poumon (essoufflement et voix faible) et un vide de Qi de la Rate (fatigue et perte d’appétit) (Fig. P6-S2.1). Cette méthode est plus utile en pratique clinique, car elle donne des indications concrètes sur l’identité de l’organe à traiter.
Figure P6-S2.1 Vide de Qi dans le cadre de l’identification des tableaux pathologiques selon les Organes Internes et selon le Qi, le Sang et les Liquides Organiques
L’identification des tableaux pathologiques selon les Organes est la méthode la plus importante en pratique clinique, surtout pour les pathologies internes chroniques.
Bien que l’identification des tableaux pathologiques selon les Organes Internes soit le résultat d’une systématisation relativement récente (début de la dynastie de Qing), ses composantes existaient déjà aux premiers temps de la médecine chinoise. Par exemple, dans les « Prescription essentielles du coffret d’or » (Jin Gui Yao Lue Fang Lun, 220) on lit : « Lorsque le Vent envahit le Poumon, le patient souffre de toux, d’une sécheresse de la bouche, d’essoufflement, d’une gorge sèche en l’absence de soif, de crachats de salive et de frissons ».1 Bien que les symptômes décrits soient quelque peu différents de ceux que l’on assigne habituellement à une invasion externe de Vent, cette citation est néanmoins un exemple d’identification des tableaux pathologiques selon les Organes Internes (dans ce caslà, le Poumon).
On peut aussi donner en exemple le « Dictionnaire de l’origine des maladies » (Bing Yuan Ci Dian), qui décrit les signes et symptômes de divers tableaux pathologiques comme le « Froid du Cœur », le « Vide du Maître du Cœur » et la « Chaleur-Vide du Cœur ».2 Les « Discussions sur l’origine des symptômes des maladies » (Zhu Bing Yuan Hou Lun, 610) de Chao Yuan Feng décrivent les tableaux pathologiques dans la totalité du texte. Par exemple, le chapitre sur l’Épuisement (Xu Lao) donne les symptômes concernant les tableaux de vide du Poumon, de vide du Foie, etc.3 De façon générale, les tableaux pathologiques des Organes Internes sont mentionnés dans les textes anciens essentiellement en relation avec les préparations phytothérapiques pertinentes, et ces tableaux se rattachent donc plus à la tradition phytothérapique qu’à l’acupuncture.
Voyons maintenant les caractéristiques de cette méthode d’identification des tableaux pathologiques :
Dans les pages qui suivent, les tableaux correspondant à chaque organe seront présentés dans le détail. Il est très important de comprendre qu’en pratique, il n’est pas nécessaire de retrouver forcément tous ces signes et symptômes simultanément. Ce que ces tableaux décrivent sont les cas extrêmes de déséquilibre d’un organe précis. Dans certains cas parfois, seuls deux symptômes suffisent à identifier un tableau pathologique précis d’un organe particulier. En fait, l’art véritable du diagnostic chinois consiste à identifier un certain déséquilibre à partir d’un nombre minimum de signes et symptômes.
Les tableaux pathologiques des organes ne sont pas semblables à des « cases » dans lesquelles on ferait rentrer certains signes et symptômes. En pratique, il est essentiel d’avoir une bonne compréhension de l’étiologie et de la pathologie d’un déséquilibre donné. Le but de cette méthode est donc non pas de « classer » les signes et symptômes en fonction des tableaux pathologiques des Organes, mais bien de comprendre comment les signes et symptômes apparaissent, et comment ils influent les uns sur les autres, de façon à pouvoir identifier le déséquilibre prédominant des organes.
Les tableaux pathologiques ne sont pas une simple collection de signes et symptômes, mais l’expression d’un déséquilibre qui se manifeste chez une personne. Les signes et symptômes servent à identifier la caractéristique et la nature du déséquilibre qui, en lui-même, fournit des indications quant à la stratégie et la méthode thérapeutique nécessitées. L’essentiel des tableaux pathologiques des organes concerne les relations entre les signes et symptômes qui forment le tableau de déséquilibre.
Les tableaux pathologiques des organes ne sont pas des maladies dans le sens où l’entend la médecine occidentale. Il n’existe pas de correspondance entre les tableaux pathologiques de la médecine chinoise et les pathologies d’organes de la médecine occidentale. Par exemple, un patient peut souffrir d’un vide de Yin du Rein sans présenter la moindre pathologie rénale identifiable en médecine occidentale. Inversement, un patient peut présenter une inflammation rénale d’un point de vue occidental qui ne correspondra à aucun tableau du Rein en médecine chinoise.
Les tableaux pathologiques des organes peuvent présenter des degrés de gravité variables et les signes et symptômes répertoriés pour chaque tableau sont ceux que l’on trouve dans les cas de déséquilibre avancé d’un organe particulier. En pratique, si un tableau ne fait que s’amorcer, les signes et symptômes qu’il présente sont limités et bénins. Identifier un tableau pathologique alors qu’il n’en est qu’à ses balbutiements et qu’il n’offre que peu de signes et symptômes relève de l’art de la prévention, qui est partie intégrante de toutes les potentialités de la médecine chinoise.
Par exemple, les signes et symptômes du vide de Yin du Rein sont les acouphènes, les sensations vertigineuses, les transpirations nocturnes, une bouche sèche la nuit, des pommettes rouges, de l’insomnie, des douleurs lombaires, une langue Rouge et pelée, un pouls Rapide, Flottant et Vide. En fait, ce que cet ensemble de signes et symptômes décrit est un cas de vide de Yin du Rein déjà bien prononcé. En pratique, dans un vide de Yin du Rein en phase initiale, le malade peut très bien souffrir uniquement de douleurs lombaires, d’une légère transpiration nocturne et avoir un enduit lingual qui manque légèrement de racine ; ces manifestations devraient déjà être suffisantes pour identifier un vide de Yin du Rein.
Les tableaux pathologiques des organes peuvent présenter des degrés de gravité variables, et les signes et symptômes répertoriés pour chaque tableau sont ceux que l’on trouve dans les cas de déséquilibre avancé d’un organe particulier. En pratique, si un tableau ne fait que s’amorcer, les signes et symptômes qu’il présente sont limités et bénins.
En pratique, plusieurs tableaux peuvent se manifester simultanément. Les combinaisons possibles sont les suivantes :
deux ou plusieurs tableaux pathologiques d’un même organe Yin (par exemple, stagnation du Qi du Foie et Feu du Foie)
deux tableaux ou plusieurs tableaux pathologiques d’organes Yin différents (par exemple, Feu du Foie et Feu du Cœur)
un ou plusieurs tableaux pathologiques d’un organe Yin accompagnés de un ou plusieurs tableaux pathologiques d’un organe Yang (par exemple, un vide de Qi de la Rate et une Chaleur-Humidité de la Vessie)
un tableau externe et un tableau interne (par exemple, une accumulation de Glaires-Humidité dans le Poumon et une invasion du Poumon par un Vent-Froid externe)
un tableau pathologique d’organe et un tableau pathologique de méridien (par exemple, un vide de Qi du Poumon et un Syndrome d’Obstruction Douloureuse du méridien du Gros Intestin).
Il est important de se souvenir que la langue et le pouls constituent une partie importante de l’image d’un déséquilibre et que, lors du diagnostic, il ne faut jamais les utiliser simplement pour « confirmer » l’existence d’un tableau précis.
Cette remarque soulève deux points : le premier est que, comme nous l’avons dit précédemment, il ne faut pas se servir de la langue et du pouls simplement pour « confirmer » l’existence d’un tableau précis. Autrement dit, il faut avoir l’esprit suffisamment ouvert et être prêt à explorer d’autres possibilités pour expliquer pourquoi la langue et le pouls peuvent venir contredire le tableau qui prévaut (par exemple, le patient présente un Feu du Foie mais un pouls Lent).
Le deuxième point est que parfois la langue et le pouls suffisent à diagnostiquer une pathologie d’organe. Par exemple, si un patient présente un pouls du Rein qui est constamment Faible aux deux positions Pied, cela traduit un vide du Rein, même en l’absence de tout symptôme du Rein. Cette situation est en fait très fréquente en pratique clinique et elle permet alors de traiter le patient de façon préventive.
Pour ce qui est des tableaux de vide de Yin, j’ai séparé les manifestations cliniques du vide de Yin lui-même de celles dues à la Chaleur-Vide (qui naît du vide de Yin). J’ai fait ce choix pour souligner le fait que, bien que la Chaleur-Vide découle du vide de Yin, elle ne survient que lorsque ce dernier est ancien et grave. Autrement dit, un patient peut présenter un vide de Yin pendant des années sans pour autant avoir des symptômes de Chaleur-Vide. C’est un cas que je rencontre surtout chez les patients qui souffrent, depuis des années, d’un vide de Yin de l’Estomac qui se manifeste sur la langue par des fissures de type Estomac profondes (voir photos 12. ch. 23) mais qui n’ont pas encore de symptômes de Chaleur-Vide.
Enfin, il faut souligner que les tableaux pathologiques ne sont pas fixés une fois pour toutes ; autrement dit, pour un même tableau, divers auteurs peuvent décrire des manifestations cliniques légèrement différentes. Ainsi, « l’insomnie » est parfois considérée comme une manifestation clinique du vide de Sang du Foie, parfois non. Aussi ne faut-il pas être surpris de trouver des livres qui donnent des listes de tableaux pathologiques légèrement différentes.
Dans la présentation des tableaux pathologiques de chaque organe, nous traiterons les points suivants :
Il s’agit d’un bref résumé des fonctions de l’organe pour que le lecteur puisse se les remémorer sans avoir à chercher ces informations dans les chapitres précédents, traitant des fonctions des organes.
Il est important de bien se souvenir des fonctions des organes car les tableaux pathologiques des organes traduisent ce qui se passe lorsque leurs fonctions sont altérées. Il ne faut pas que les manifestations cliniques deviennent de simples « listes » à mémoriser mais qu’elles soient la conclusion logique de l’observation de la perturbation des fonctions physiologiques .
Cette section présente les manifestations cliniques de la façon la plus compréhensible possible. J’ai séparé les manifestations cliniques du vide de Yin de celles de la Chaleur-Vide pour mettre en évidence le fait que le vide de Yin peut survenir en l’absence de Chaleur-Vide.
Les sources principales concernant les manifestations cliniques sont les suivantes :
1981 Syndromes and Treatment of the Internal Organs (Zang Fu Zheng Zhi ). Tianjin Scientific Publishing House, Tianjin. Scientific Publishing House, Tianjin.
1979 Patterns and Treatment of Kidney Diseases (Shen Yu Shen Bing de Zheng Zhi ). Hebei People’s Publishing House, Hebei.
Beijing College of Traditional Chinese Medicine 1980 Practical Chinese Medicine (Shi Yong Zhong Yi Xue ). Beijing Publishing House, Beijing.
Anwei College of Traditional Chinese Medicine 1979 Clinical Manual of Chinese Medicine (Zhong Yi Lin Chuang Shou Li ). Anwei Scientific Publishing House, Anwei.
Lu Fang 1981 Identification of Diseases and Patterns in Internal Medicine (Nei Ke Bian Bing Yu Bian Zheng ). Heilongjiang People’s Publishing House, Harbin.
Cheng Shao An 1994 Diagnosis, Patterns and Treatment in Chinese Medicine (Zhong Yi Zheng Hou Zhen Duan Zhi Liao Xue ). Beijing Science Publishing House, Beijing.
Zhao Jin Ze 1991 Differential Diagnosis and Patterns in Chinese Medicine (Zhong Yi Zheng Hou Jian Bie Zhen Duan Xue ). People’s Health Publishing House, Beijing.
Zhao Jin Duo 1985 Identification of Patterns and Diagnosis in Chinese Medicine (Zhong Yi Zheng Zhuang Jian Bie Zhen Duan Xue ). People’s Health Publishing House, Beijing.
Cette section comprend les causes les plus fréquentes, d’après moi, pour chaque tableau pathologique.
Cette section explique comment naissent les manifestations cliniques et précise le processus pathologique qui les sous-tend. Par exemple, la toux provient d’une incapacité du Qi du Poumon à descendre, les éternuements viennent d’une incapacité du Qi du Poumon à se diffuser, des ongles rabougris s’expliquent par le fait que le Qi du Foie est insuffisant pour nourrir les ongles, etc.
Cette section étudie les tableaux pathologiques ou tout autre processus pathologique qui peut conduire à l’apparition du tableau pathologique en question. Par exemple, le vide de Sang du Cœur peut fréquemment provenir d’un vide de Sang du Foie.
Cette section signale le ou les tableaux pathologiques pouvant survenir à la suite du tableau étudié. Par exemple, un vide de Sang du Foie engendre souvent un vide de Sang du Cœur ou une montée du Yang du Foie, etc.
Pour ce qui est du traitement, nous mentionnerons, pour chaque tableau, les points d’acupuncture les plus utiles. Toutefois il faut bien préciser que ces points ne sont pas des points symptomatiques, mais bien les points les plus appropriés de par leur fonction. Il est bien évident que tous les points cités ne seront jamais utilisés tous ensemble, dans chaque cas.
De plus, dans la présentation des fonctions de chaque point, nous ne mentionnerons que celles qui sont pertinentes dans le cadre du tableau pathologique étudié. Par exemple, dans l’effondrement du Yang du Cœur, DM-20 Baihui est indiqué pour sa capacité à restaurer la conscience, mais la liste de ses nombreuses autres fonctions n’est pas donnée dans le cadre de ce tableau précis. Les fonctions des points sont présentées en détail dans les chapitres 54 à 68.
Enfin, pour ce qui est de la méthode d’insertion de l’aiguille, il est clair que chaque fois que nous indiquons qu’il faut utiliser une technique de dispersion, la technique d’harmonisation doit lui être préférée dans certains cas précis, comme par exemple :
1. 1981 Prescriptions essentielles du coffret d’or (Jin Gui Yao Lue Fang Lun), Zhejiang Scientific Publishing House, Zhejiang, première publication vers 220, p. 51.
2. Wu Ke Qian Dictionnaire de l’origine des maladies (Bing Yuan Ci Dian), Tianjin Ancien Texts Publishing House, Tianjing, 1988, p. 87.92.
3. Chao Yuan Feng 1991 Discussions sur l’origine des symptômes des maladies » (Zhu Bing Yuan Hou Lun ), People’s Health Publishing House, Beijing, première publication en 610, p. 87.