La dragonne avait beau être un monstre effrayant, elle découvrit plus effrayant qu’elle : l’enfant qu’Héra venait de lui confier, le dénommé Typhon. Elle osait à peine l’appeler « enfant », d’ailleurs, car il grandissait si vite qu’au bout de la journée il était adolescent. Et le jour suivant, il l’avait dépassée en taille… et en laideur !
Cette rapidité eut toutefois un avantage : comme tous les enfants devenus grands, il la quitta pour mener sa propre vie.
« Avantage » pour la dragonne, pas pour le reste du monde…
Zeus avait réuni le conseil des dieux sur l’Olympe, quand il entendit la terre s’ébranler. Or ni lui, qui commandait à l’orage, ni son frère Poséidon, qui s’occupait des tremblements de terre, n’en était responsable.
Ils furent saisis par ce qu’ils virent arriver dans un bruit de tempête : une créature immense, plus grande que les plus grands des géants, car sa tête atteignait le ciel. L’horrible monstre voyait par-dessus les montagnes et, s’il écartait les bras, il touchait d’une main l’endroit où le soleil se levait, de l’autre celui où il se couchait.
À chacun de ses pas, il franchissait une forêt, un étang…
Sur l’Olympe, ce fut l’effroi. Et pire encore lorsqu’il rugit en balayant les arbres d’un grand mouvement de main :
— Je vais enchaîner ces larves de Zeus et de Poséidon dans le Tartare et faire de tous les autres dieux mes esclaves !
Ça jeta un froid.
Surtout que, pour accompagner ces mots, il expédia une pluie de rochers enflammés sur l’Olympe.
Ce fut la panique générale. Tous les dieux se métamorphosèrent pour se carapater en vitesse : biche, musaraigne, chat, bouc, bœuf, corbeau, et même un poisson qui cherchait désespérément l’eau.
Et tandis que le monstre s’approchait d’un côté, les dieux dévalaient la montagne de l’autre.
Athéna regardait ça avec des yeux ébahis. Même Arès, cette poule mouillée, s’était transformé – non en poule, mais en sanglier ! Il avait choisi un animal agressif et fonceur… pour foncer à l’abri. En plus, il donnait des coups de tête à ceux qui le gênaient dans sa fuite !
Athéna, elle, n’avait pas bougé. Peut-être parce qu’elle était la plus courageuse, peut-être parce qu’elle était encore trop jeune pour mesurer vraiment le danger. Elle tourna la tête vers le seul dieu qui était resté : son père.
Toute son attention concentrée sur le monstre, Zeus attendait, serrant dans sa main le foudre que lui avaient forgé les Cyclopes ; et dès que le monstre fut à la bonne distance, il le lança de toutes ses forces.
L’arme vola, ses éclairs ébranlèrent le ciel et la terre, semant l’épouvante au loin, soulevant de tous côtés la mer en vagues bouillonnantes… Et elle frappa Typhon en pleine tête.
Le monstre tituba.
— Bien joué, papa ! s’exclama Athéna.
Malheureusement, le répit ne dura pas, car Typhon reprit à la fois l’équilibre et sa lourde marche, vomissant le feu et envoyant de ses larges mains de terribles bourrasques vers l’Olympe.
Athéna s’affola. Elle n’avait jamais vu une chose pareille !
— Il faut faire comme la chouette, dit-elle à voix haute, réfléchir. Typhon est encore trop loin pour que je l’atteigne, je dois garder tout mon courage et attendre.
Elle prépara sa lance et attendit.
Zeus, lui, avait récupéré son foudre revenu en boomerang ; il le relança de toutes ses forces, avec une précision et une vitesse stupéfiantes. Cette fois, il atteignit Typhon entre les deux yeux !
Foudroyé, le monstre s’affaissa dans une vallée, et tout l’univers en trembla. Même Hadès, le dieu des Enfers, qui s’était prudemment réfugié chez lui, en fut épouvanté.
S’échappant du corps de Typhon, des flammes s’élevèrent alors, embrasant la forêt. Le feu gagna le flanc des montagnes, les rochers fondirent, et une épaisse fumée s’étendit petit à petit sur le monde.
— Attention, papa ! cria Athéna. Il se relève !
Elle descendit un peu la pente pour se rapprocher et, d’un geste précis, envoya sa lance… dans la poitrine de Typhon !
Malheureusement, elle n’avait pas encore assez de force pour transpercer un cuir aussi épais, et le monstre, marqué maintenant au front d’une brûlure en forme d’éclair, ne fut que blessé. Tout en essayant d’arracher la lance plantée dans sa peau, il continuait d’avancer.
— Pas possible, grommela Zeus, il ne se fatigue jamais, celui-là !
— Attaquons-le chacun d’un côté, papa !
— Pas question. Reste en dehors de ça. C’est une affaire entre lui et moi.
Athéna comprit que la fierté du roi des dieux était en jeu et qu’elle ne devait pas s’en mêler. Aussi elle se contenta de prier le Ciel et la Terre de donner la victoire à son père, faute de quoi le monde courrait à sa perte !