8 – Gare à la colère !

Le premier stage de tissage organisé par Athéna venait de finir, et la petite déesse avait bien envie d’en mesurer les résultats. Elle voulait savoir si les jeunes filles qu’elle avait formées enseignaient à leur tour à d’autres, ainsi qu’elles l’avaient promis.

Pour son enquête, mieux valait qu’on ne la reconnaisse pas. Elle rétrécit jusqu’à la taille d’une mortelle et prit l’aspect d’une vieille dame. Puis elle entra dans le village et interrogea la première femme qu’elle rencontra :

— J’ai pour mission d’enseigner le tissage aux jeunes filles. A-t-on besoin de moi, ici ?

— Ah non, répondit la femme, nous avons au village la meilleure tisseuse du monde. Elle se nomme Arachné.

Arachné ? C’était une de ses élèves !

Heureuse de cette nouvelle, la déesse demanda où cette jeune fille habitait, et on lui indiqua une jolie maison en retrait de la route.

De magnifiques tissages étaient exposés à l’entrée !

Tandis qu’Athéna les examinait, Arachné sortit de chez elle.

— Tu admires mon travail, vieille femme ? Tu n’as sans doute rien vu d’aussi beau de toute ta longue vie !

— J’avoue que ton art est stupéfiant, répondit la déesse. Tu as dû l’apprendre d’Athéna elle-même.

Elle allait se dévoiler pour lui faire la surprise, quand Arachné s’exclama :

— Athéna ? Sûrement pas ! Je n’ai pas à recevoir de leçons de cette gamine, ce serait plutôt à moi de lui en donner !

La jeune déesse en fut choquée :

— Oh là… Un peu de modestie ! Si tu as eu la chance de recevoir l’enseignement d’Athéna, il faut le reconnaître.

— Je sais quand même ce que je dis, vieille folle ! Pour qui te prends-tu ? répliqua la jeune fille.

Alors là, c’était trop ! Athéna était patiente, mais…

Mais non, pas tant que ça. Elle ôta ses voiles et passa sa main sur son visage pour en effacer les rides et l’enduire de cette ambroisie des dieux qui rendait le teint éclatant.

Puis elle grandit et apparut dans toute sa splendeur.

La première stupeur passée, Arachné protesta d’un ton désagréable :

— Je voulais dire que je suis devenue meilleure que toi, et ça, c’est à moi seule que je le dois.

— Eh bien, nous allons voir ! grinça la déesse. Je te lance un défi. Que chacune tisse une toile !

Aussitôt, elles se mirent au travail sur deux métiers à tisser. Athéna représenta les douze dieux de l’Olympe siégeant en majesté dans la salle du trône ; et dans chaque coin, pour se moquer d’Arachné, elle broda les terribles mésaventures de mortels qui avaient osé défier les dieux.

Puis elle vint voir le travail d’Arachné.

Son tissage était très beau aussi ! Seulement, la tisseuse avait représenté… Zeus trompant son épouse avec ses nombreuses maîtresses et se déguisant pour attirer les femmes qui lui résistaient. On le voyait par exemple se métamorphoser en taureau pour enlever Europe, la fille du roi de Tyr.

Furieuse, Athéna saisit sa lance et détruisit l’ouvrage d’Arachné avec une telle rage qu’elle en cassa l’arme. Puis elle frappa la jeune fille avec la navette qui lui avait servi à tisser.

Effrayée, Arachné s’enfuit.

 

La colère d’Athéna se calma peu à peu, et elle se dit qu’elle était allée un peu loin, même si Arachné avait bien mérité une punition. Elle sortit à son tour…

Par tous les dieux ! Arachné s’était pendue à une branche !

Elle était morte !

Athéna revit alors en pensée le visage de son frère Arès… Elle ne voulait pas devenir comme lui ! Elle fut saisie par la honte : c’était quand même aux dieux de se montrer plus raisonnables que les mortels !

Ne sachant plus comment se rattraper, elle resta un moment pétrifiée.

Hélas, même une déesse de l’Olympe n’avait pas le pouvoir de rendre la vie à un mortel. Alors, pleurant sur sa bêtise, elle tranforma la corde à laquelle la jeune fille s’était pendue en fil de soie, et la tisseuse… en araignée. Elle lui sourit avec tristesse :

— Tu continueras désormais à tisser les plus belles et les plus solides des toiles, Arachné.

Puis elle regarda sa lance brisée et, dégoûtée, la jeta au loin.