Elle ne savait visiblement pas à quel point elle avait été près de se retrouver dans une situation particulièrement précaire.
Jack faisait de son mieux, vraiment, mais elle ne lui rendait pas la tâche facile.
Il ne l’avait pas chassée principalement parce qu’au premier roulement de tonnerre, sa conscience s’était mise à le harceler, et il n’avait pas aimé se la représenter allongée dans son lit, trempée jusqu’aux os.
Mais il le regrettait déjà.
Son corps était tendu et il commençait à se sentir un peu comme un lion affamé en cage, hormis le fait que l’objet de son désir avait réussi à s’enfermer avec lui, et il avait presque atteint le point de non-retour.
Il la regarda, essayant de purger son esprit de cette satanée purée de pois qui l’encombrait. Il était déjà assez difficile de se concentrer sur ses recherches quand elle se trouvait dans la même pièce, et encore plus si elle regardait par-dessus son épaule. Sa fragrance lui faisait tourner la tête. Le désir lui desséchait la bouche et son cœur battait comme un canon qui explosait dans sa poitrine.
— Je travaille, lui dit-il sèchement, en essayant de ne pas remarquer les contours de son corps sous sa camisole blanche vaporeuse.
Son cœur s’accéléra.
— Je vois que vous avez réussi à sauver au moins une chose de votre garde-robe ?
Elle sourit et s’appuya de la hanche contre son bureau. Elle était proche, bien trop proche.
— Plusieurs choses, pour être exacte.
Le regard de Jack était attiré par la forme en v de sa camisole, et redescendit encore vers l’endroit où le tissu se renfonçait joliment entre ses jambes, lui donnant une vision captivante de la forme de ses cuisses.
Doux Jésus.
Il se mit à saliver.
— Je... euh... je suis ravi de l’apprendre, dit-il avant de fermer les yeux, se protégeant du spectacle qu’elle offrait.
Ce qu’il n’aurait pas donné pour l’asseoir sur le bureau, retrousser sa camisole et s’abreuver au nectar de son corps... Il mit ses papiers de côté, les mains tremblantes.
Diable, il n’arrivait même pas à lire ; le désir lui embuait le regard. Depuis combien de temps n’avait-il pas désiré une femme de la sorte ?
Il ne s’en souvenait pas.
Se rappelant qu’elle appartenait à un homme – même si celui-ci ne la méritait pas –, Jack se tourna vers elle, ayant l’intention de quitter son siège pour s’éloigner de la tentation.
Mais une manifestation physique le força à rester assis.
Ses yeux se posèrent sur les aréoles sombres visibles sous sa mince camisole de soie, et il déglutit. Il essaya d’ignorer la chaleur qui imprégnait ses reins. Il ajusta légèrement sa position sur son siège.
— Jack ? commença-t-elle, articulant prudemment son nom.
Le son le surprit, lui plut, envoya une onde de choc d’une nature différente à travers son organisme.
C’était la première fois qu’elle utilisait son prénom... mais il en voulait plus. Il voulait l’entendre murmuré à son oreille tandis que son corps ondulerait au-dessus d’elle.
Il leva les yeux et vit qu’elle serrait doucement les bras autour d’elle, un peu comme une petite fille.
— Je me demandais... Avez-vous toujours su ce que vous vouliez faire ?
Le murmure de Sophie était doux et il vit que son humeur avait changé du tout au tout.
Elle n’était plus la petite renarde prête à se battre. Elle le regardait soudain comme une enfant qui attendrait qu’on lui raconte une histoire avant de s’endormir.
Cette image aurait dû refroidir ses ardeurs, mais ne réussit qu’à l’embrouiller davantage.
Elle se tenait devant lui, seule dans sa chambre, toute guindée dans sa camisole, les yeux pétillants de curiosité... mais qui concernait quelque chose de plus innocent que ce qu’il aurait voulu lui montrer.
Elle était une incroyable contradiction — assez audacieuse pour partager sa chambre sans lui demander sa permission et assez pure pour se tenir face à lui dans sa camisole, à le regarder avec une expression qui ressemblait soudainement et très dangereusement à de... l’admiration.
Était-elle réellement intéressée ?
Ou bien essayait-elle de l’amadouer ?
Quoi qu’il en soit, il réfléchit un moment à sa question, car il lui fallut un certain laps de temps avant de la comprendre.
— Je crois bien, répondit-il en s’éclaircissant la gorge.
Ses yeux couleur de miel pétillaient d’intelligence.
Il y décelait tant de choses... de la passion, de l’excitation, de la joie. Malgré leur différend, elle semblait intoxiquée par la vie comme il l’était généralement quand il se trouvait sur le point de faire une nouvelle découverte.
Était-elle toujours si exubérante ?
Ou bien avait-elle vraiment hâte de retrouver son amant comme elle l’avait affirmé ? Il se rembrunit à cette idée.
Maudit soit Penn.
Pourquoi ce saligaud obtenait-il toujours ce que Jack désirait le plus ? À cet instant, il se sentit plus amer qu’il ne s’était jamais autorisé à l’être, pas même lorsqu’il avait reçu la nouvelle que Penn venait encore d’obtenir une bourse. La sienne. Il était prêt à parier que Penn ne savait même pas pourquoi il était parti... hormis pour les théories qu’il avait dérobées à Jack. Il était probablement en train d’errer sans but, trébuchant sur les évidences mêmes que Jack avait soif de découvrir.
Ce qui le poussa à s’interroger... Que savait Sophie des affaires de son fiancé ? Si elle espionnait pour son compte, cela signifiait qu’elle savait au moins quelque chose. Et si c’était le cas... eh bien, il pouvait déjà lui poser quelques questions...
— Aimez-vous l’anthropologie, Sophia ?
Cette question laissa Sophie stupéfaite un instant.
Elle se ne souvenait pas que Harlan le lui ait jamais demandé, même si elle avait désespérément souhaité cette conversation.
— Pour être honnête...
Elle cligna des yeux pour dissiper sa surprise et hocha vigoureusement la tête.
— Oui.
— C’est vrai que vous feriez mieux de partager au moins un intérêt passager, suggéra-t-il.
Sophie se dit qu’il devait faire référence à Harlan, et elle se hérissa en se remémorant la lettre de Harlan et son mépris affirmé pour sa curiosité.
— Je n’ai jamais feint de m’intéresser à quoi que ce soit, lui assura-t-elle.
Puis elle hésita, ne sachant pas pourquoi il lui semblait soudain déplacé de s’adresser à lui d’un ton si formel.
— … Mr. MacAuley.
C’était peut-être simplement dû au fait qu’elle se tenait devant lui, seulement vêtue de sa camisole – déchirée, qui pis est. Honnêtement, elle aurait dû en être plus honteuse, mais elle se considérait comme une femme pratique, et elle ne pouvait rien faire actuellement pour son habillement. Elle avait d’ailleurs de la chance d’avoir quelque chose à se mettre sur le dos et avait décidé de ne pas s’attarder sur son manque de choix. Quel bien cela lui ferait-il de toute façon ? Elle n’avait pas de réelle raison de se plaindre alors que c’était de sa faute si elle avait perdu ses robes.
— Je ne suggérais pas un intérêt feint, rétorqua-t-il, seulement que vous n’êtes pas étrangère à ce domaine.
Il se cala contre le dossier de sa chaise et la regarda en inclinant la tête.
— J’imagine que votre fiancé a souvent parlé de son... deuxième amour ?
Son cœur se serra en l’entendant.
— Son deuxième amour ?
Pendant un instant, l’allusion lui passa complètement au-dessus de la tête. Les infidélités de Harlan occupaient le premier plan de son esprit. Puis elle comprit ce qu’il voulait dire.
— Oh, oui ! Eh bien, non, en vérité, confessa-t-elle. Harlan ne m’a que rarement parlé de ses activités.
Elle soupira, mesurant le peu de temps qu’ils avaient passé ensemble à l’âge adulte.
— D’ailleurs, confessa-t-elle avec une certaine tristesse, je l’ai rarement vu après nos fiançailles.
Il haussa les sourcils et la dévisagea, la scrutant avec bien trop d’attention.
— Vraiment ?
Sophie détourna la tête, gênée par sa considération. Elle ne voulait pas qu’il soit au courant de quoi que ce soit.
Cela ne le regardait pas.
— Vraiment, répondit-elle en changeant immédiatement de sujet. Cependant, lui relata-t-elle avec un sourire, quand nous étions enfants, il partageait souvent ses aspirations avec moi.
— Vraiment ?
Était-il véritablement intéressé ou était-ce simplement de la politesse ?
Cela ne faisait rien. Sophie saisit avidement l’opportunité de s’étendre sur le sujet. Elle s’assit sur le bureau, désirant cette conversation.
— D’ailleurs, quand j’étais petite fille, commença-t-elle d’un ton mélancolique, nous sommes partis en expédition dans la nature. Je ne me suis jamais autant amusée.
Il haussa les sourcils.
— Une expédition ?
Sophie rit, embarrassée sans aucune raison. Cela s’était déroulé voilà très longtemps, quand elle n’était qu’une enfant.
— En été, dans notre maison de vacances... ma mère avait l’habitude d’organiser des pique-niques où elle invitait ses amies les plus proches. Et puisqu’aucune d’entre elles n’avait de fille de mon âge, je jouais généralement seule. Mais un jour, les garçons m’ont demandé de les accompagner dans leur expédition. J’étais folle de joie quand j’ai fait ma première découverte ! Une dent de requin !
Ce souvenir lui tira un léger rire.
— En fait, je ne suis pas certaine qu’il s’agissait d’une dent de requin, mais cela y ressemblait certainement. Une partie de moi n’arrivait pas à concevoir que de féroces poissons aient pu un jour nager dans mon jardin. Mais les garçons ont juré qu’il s’agissait d’une dent de requin, et quelque part au fond de moi, j’ai voulu les croire.
Jack cligna des paupières en l’imaginant toute petite, courant à travers le parc de sa maison.
— Parfois, il faut oublier tout ce que vous savez et voir le monde avec des yeux nouveaux.
— Oui ! C’est ce que je pense également, renchérit Sophie. Parfois, toutes nos certitudes ne sont qu’illusions.
Elle parlait à présent de Harlan et de sa vie en général, mais il n’avait pas besoin de le savoir.
— Parfois, tout votre entourage vous dit que les choses sont d’une certaine manière, et vous essayez désespérément d’y croire, mais cela sonne faux dans le fond.
Elle se mordilla la lèvre inférieure, réfléchissant à cette vérité.
— Vous voyez ce que je veux dire ?
Les yeux de Jack pétillaient légèrement.
— Oui.
— Parfois, poursuivit Sophie, encouragée par l’attention qu’il lui portait, rien ne semble vrai jusqu’à ce qu’on oublie tout ce qu’on sait... pour suivre son cœur.
Il secoua la tête.
— Votre cœur va vous causer des problèmes, affirma Jack. Suivez plutôt votre instinct. Il ne ment jamais.
— Je suppose que c’est vrai.
Son instinct lui disait qu’elle était sur la bonne voie.
— Alors qu’avez-vous fait de votre dent de requin ? lui demanda-t-il en souriant. L’avez-vous gardée ?
Sophie se mordit la lèvre et admit d’un ton légèrement penaud :
— En fait, ma mère l’a trouvée et elle en a été plutôt horrifiée. Elle l’a jetée dans le jardin et m’a dit de ne plus jamais me salir les mains. Mais j’y suis retournée plus tard, je l’ai retrouvée et je l’ai cachée dans mon oreiller.
Elle se retint d’ajouter qu’elle l’en avait extraite toutes les nuits et dormait en la tenant dans la paume de sa main ; il trouverait certainement que c’était stupide.
— Je m’imaginais que c’était mon porte-bonheur, pour chasser les monstres.
Jack éclata de rire, un son profond et chaleureux.
Sophie se détendit complètement.
— Je crois que c’est la première découverte de tout anthropologue en herbe... la fameuse dent de requin.
Sophie lui sourit.
— C’était pareil pour vous ?
Elle replia les genoux et les entoura de ses bras, posant sa joue dessus, se sentant parfaitement à l’aise alors que quelques minutes auparavant, elle s’était sentie gênée.
— Pour être honnête, non.
— Qu’est-ce que c’était ?
— Un tibia canin.
Sophie fronça le nez.
— La patte d’un chien ? rit-elle. Beurk !
Il sourit.
— Oui. J’ai dit à mes amis que c’était une ancienne race de chevaux appartenant à des pygmées originaires d’Afrique.
Sophie pouffa.
— Vous leur avez dit ça ?
Il hocha la tête, l’air plutôt content de lui, et Sophie se l’imagina soudain enfant, ses cheveux blonds blanchis par le soleil et sa peau richement bronzée, dévoilant ses dents avec un sourire malicieux qui était fondamentalement celui d’un petit garçon.
— Où êtes-vous allé chercher une idée pareille ?
— Une imagination débordante, principalement, admit-il. Mais mon père était anthropologue, lui dit-il, et j’ai appris les bases en l’observant.
Sophie haussa des sourcils surpris.
— Vraiment ?
— Un des meilleurs, dit Jack.
Sophie pouvait lire la fierté sur son visage. Ses yeux débordaient d’admiration et son sourire était sincère.
— Il doit être tellement fier ! s’exclama-t-elle.
Il cligna alors des paupières et détourna un instant la tête, lui cachant ses émotions.
— Il est mort depuis, Sophia.
On le lui avait déjà dit, en vérité.
— Oh.
Son manque de tact la fit grimacer. Comment avait-elle pu l’oublier ? Elle se rassit, le cœur légèrement serré.
— Je suis désolée, offrit-elle, ressentant soudain l’envie de le serrer contre elle.
— Ce n’est pas la peine, lui dit-il en souriant, lui aussi. Il a eu une vie bien remplie.
Elle aurait voulu l’interroger davantage, mais n’osa pas.
Leurs regards se soutinrent.
Son cœur commença à battre un peu plus vite et elle ravala le nœud qui remonta dans sa gorge.
— Je devrais aller me coucher maintenant, dit-elle au bout d’un moment, prenant une profonde inspiration et laissant glisser ses pieds à terre.
Elle se sentait soudainement étrange, désirant des choses auxquelles elle n’aurait jamais dû ne serait-ce que penser.
Il ne répondit pas, se contentant de la regarder, et l’estomac de Sophie papillonna sans raison.
— Alors... bonne nuit, murmura-t-elle en se redressant, le laissant à son travail.
— Bonne nuit, Sophia, lui répondit-il dans un murmure.
Elle se sentit frémir en entendant son nom sur ses lèvres et elle tira rapidement le rideau entre eux. Sans rien ajouter de plus, elle éteignit les lanternes de son côté de la pièce. Elle n’avait aucune idée de ce qui venait de se passer entre eux, mais la tête lui tournait tandis qu’elle grimpait dans son hamac.
Allongée là, elle essaya de ne pas penser à celui qui restait assis de l’autre côté du rideau, mais elle avait une conscience particulièrement aigüe du moindre mouvement de ses papiers... de tous les sons qui provenaient de sa moitié de la pièce.
Son cœur ne s’arrêta pas de marteler jusqu’à bien après que sa lanterne fut éteinte et que la pièce fut entièrement silencieuse.
La tempête qui menaçait tantôt de s’abattre ne s’était jamais matérialisée et le son des vagues qui frappaient la paroi extérieure de la cabine la berça jusqu’à ce qu’elle s’endorme.