Chapitre Dix-Sept

Quelle piètre espionne elle faisait !

Elle s’était manifestement endormie en fouillant dans ses papiers.

— Que diable êtes-vous en train de faire ? s’époumona Jack en pénétrant dans sa cabine, claquant la porte derrière lui.

Le bruit la tira de son endormissement et elle s’éveilla avec un petit cri, tendant les mains, éparpillant les documents.

Elle croisa son regard pendant un bref instant ; il lut la confusion dans ses yeux, puis la peur.

Tout arriva alors trop vite.

Elle renversa la lanterne. Sa flamme se déversa sur ses recherches, engouffrant immédiatement les papiers. Sophie poussa un cri alarmé quand elle s’en rendit compte et essaya d’éteindre les flammes en soufflant dessus.

Le feu ne se répandit que plus vite.

Son travail partait littéralement en fumée !

Jack fut prompt ; il retira sa chemise et se mit à battre les flammes, criant à Kell d’aller chercher de l’eau – quelque chose — n’importe quoi !

Par Dieu ! Elle allait finir par tous les tuer !

Elle sortit soudain de la pièce en criant, l’abandonnant à l’incendie. Satanée bonne femme !

— Ouais, c’est ça, sauvez-vous ! cria-t-il après elle.

Il était content que le bateau soit petit. Quelqu’un cria pour lui répondre et Jack lui ordonna d’amener de l’eau pour éteindre le feu, sans cesser de battre les flammes et maudissant Sophie Vanderwahl à mi-voix.

Avait-il vraiment commencé à l’accepter ?

Une perspective dangereuse.

Il se souviendrait de cela la prochaine fois qu’une pensée positive la concernant s’infiltrerait dans son cerveau.

— Kell ! s’écria-t-il. Bon sang, que quelqu’un vienne me rejoindre !

Il entendit des pas et se tourna pour voir qui était là. L’eau passa près de lui et tomba sur le bureau, mais pas avant de l’avoir complètement détrempé.

Avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, elle était repartie, son seau à la main.

Stupéfait, il se tourna à nouveau pour battre les flammes.

Kell se tenait juste derrière elle avec un autre seau, et un autre homme le suivait. Le temps que Sophie revienne, les flammes étaient éteintes et elle se tint dans l’encadrement de la porte, l’air quelque peu abasourdie et particulièrement désolée.

Jack n’était pas d’humeur à pardonner.

— Que faisiez-vous à mon bureau ? lui cria-t-il. Vous fouilliez dans mes affaires ?

Elle restait dressée là, serrant son seau, et elle avait l’audace de paraître blessée par sa colère.

— J’aurais dû savoir qu’on ne pouvait pas vous faire confiance ! lui dit-il en jetant sa chemise par terre à ses pieds.

Elle grimaça et fit un pas en arrière. Kell vint se positionner derrière elle, mais Jack ne se laissa pas dissuader.

Par Dieu, il en avait plus qu’assez !

— C’est Penn qui vous a demandé de faire cela ?

Il fallait qu’il sache sur-le-champ. Il en avait assez d’attendre. Si elle était l’espionne de Penn, pour n’importe quelle raison, il voulait qu’elle se dévoile.

— Jack, objecta Kell.

— Je... je ne sais pas de quoi vous voulez parler, répondit-elle.

Jack ignora Kell, déterminé à obtenir la vérité une bonne fois pour toutes.

— Mais bien sûr.

— Je ne comprends pas ! protesta-t-elle, ses yeux se remplissant de larmes. Je me suis endormie et vous m’avez fait peur et puis...

— Je sais ce qui s’est passé à ce moment-là, rétorqua-t-il. Ce que j’aimerais savoir, c’est pourquoi vous étiez en train de fouiller dans mes papiers !

Sophie ne répondit pas, essayant de comprendre ses questions.

Certes, elle n’aurait pas dû fouiller, mais elle ne comprenait pas pourquoi il était si furieux contre elle. Elle avait failli brûler sa cabine, effectivement, mais elle n’en avait nullement eu l’intention, et c’était tout autant la faute de Jack que la sienne, car il lui avait fait terriblement peur. Toutefois... elle avait l’impression que quelque chose lui échappait...

— C’est votre fiancé qui vous a demandé de le faire ? lui redemanda-t-il, voyant Sophie cligner des paupières en l’entendant.

La main de Sophie se raffermit sur son seau.

— M’a demandé de faire quoi ? Je ne comprends pas.

Qu’est-ce que Harlan a à voir dans cette histoire ?

— Si, que diable ! lui assena-t-il avec une lueur de colère dans le regard.

Elle sentit la main de Kell se poser sur son épaule et lui en fut reconnaissante.

— Votre fiancé est un voleur, Miss Vanderwahl. Et vous ne valez pas mieux si vous croyez pouvoir débarquer ici et piocher dans mes recherches !

Les yeux de Sophie s’écarquillèrent de surprise quand elle commença à comprendre.

— Vous pensez que je suis ici pour dérober vos recherches ?

Il arqua un sourcil.

— Parfaitement !

Son regard tranchant était accusateur.

Sophie n’en croyait pas ses oreilles. Elle ne comprenait même pas comment quelqu’un pouvait la prendre pour une voleuse ! Et Harlan avait beaucoup de défauts, mais elle ne croyait pas qu’il se serait abaissé à dérober le travail de quelqu’un d’autre. Qui plus est, qu’il puisse employer Sophie pour faire son sale boulot était simplement incroyable !

Si elle s’était sentie désolée pour l’incendie qu’elle avait amorcé, ce n’était plus le cas.

D’ailleurs, elle sentait monter la colère.

Plus elle y pensait, plus elle avait envie de lui crier dessus. Mais elle n’avait pas été éduquée à participer à des joutes oratoires avec un homme !

Elle resserra sa prise sur son seau.

— J’essaie de comprendre, dit-elle du ton le plus calme possible.

Les yeux de Jack brillaient férocement, mais il ne dit rien, se contentant de la regarder.

— Vous pensez que Harlan m’a demandé d’espionner pour son compte ?

— Exactement, admit-il, la défiant d’un regard de le contredire.

Quel goujat !

— Et vous pensez que c’est pour cette raison que j’ai embarqué sur votre bateau ? Pour espionner pour le compte de Harlan ?

Il afficha un sourire implacable.

— Je vois que Mademoiselle a tout compris !

Sophie se hérissa, prête à se battre pour défendre son honneur, mais elle n’aurait rien pu dire pour se défendre s’il avait choisi de croire à cette histoire. Elle n’avait aucune preuve à lui fournir qui aurait pu lui faire discerner la vérité.

Elle serra les dents, sentant la fureur se glisser dans tous ses nerfs. Elle ne réfléchit pas, se contentant de réagir. Elle lui jeta le seau d’eau froide au visage.

Il n’en méritait pas moins et elle refusait de se sentir contrite. Il l’avait bien cherché.

Il poussa un cri de surprise et elle tourna les talons, le laissant éponger l’eau salée de ses yeux.

Le temps que Jack rouvre les paupières, elle avait disparu.

Seul Kell restait présent. Les quelques autres qui étaient venus à sa rescousse s’étaient éclipsés dès qu’il avait commencé à crier.

— Tu ne vas pas apprécier, lui dit Kell, mais tu l’avais mérité, Jack.

Puis il partit à son tour, laissant Jack essayer de rassembler les restes calcinés de ses recherches tout en se disant que tout son équipage était passé dans le camp ennemi.

Il se dit qu’ils avaient été aveuglés par son satané sourire, et était bien décidé à ne pas y succomber lui aussi.

Le problème était... qu’il l’avait déjà fait.

Le ciel nocturne était presque sans étoiles au-dessus d’un manteau bleu marbré infini. La lune était invisible, hormis un croissant effilé derrière des nuages sombres et inquiétants. Il était presque impossible de distinguer l’océan du ciel.

Une brise se leva, refroidissant son humeur ainsi que son corps. Sophie n’était pas une experte en météorologie, mais elle percevait instinctivement la tempête qui couvait. Cela faisait plusieurs jours qu’ils avaient été épargnés et simplement tourmentés par une légère bruine en fin d’après-midi.

Mais cette nuit, ce serait différent, et l’électricité statique la perturbait.

Jack MacAuley est un homme impossible !

Il était incroyable qu’il la prenne pour une espionne et une voleuse ! Elle trouvait également incroyable qu’il puisse le penser de la part de Harlan et était agacée de se sentir encore obligée de défendre ce rat. Et pourtant, elle était terriblement désolée d’avoir détruit son travail, même si elle ne l’avait pas fait exprès.

— Ce n’est pas vraiment un mauvais bougre, dit Kell en surgissant derrière elle.

Sophie se tourna vers lui, croisant les bras pour se réchauffer. Il faisait froid et le vent qui se levait faisait descendre la température.

Elle croyait Kell et avait entrevu un homme différent, mais en cet instant, elle ne se sentait pas charitable pour un sou.

— Je ne vous crois pas, dit-elle d’un ton irascible.

Kell rit doucement.

Sophie se tourna à nouveau pour faire face à l’océan, levant le visage vers la brise. C’était calme là-haut, presque comme s’il n’existait qu’eux dans l’univers.

— Vous l’aimez bien quand même un peu, n’est-ce pas ?

Il vint se placer à côté d’elle et Sophie l’observa à travers ses cils.

— Il ne m’apprécie pas, contra-t-elle. C’est une évidence.

Il la dévisagea et elle détourna le regard.

— Vous ne croyez pas que je sois venue pour espionner, n’est-ce pas ?

— Non, mais si vous me pardonnez cette franchise, Sophie, je ne pense pas non plus que vous nous disiez toute la vérité.

Sophie refusa de le regarder. La raison pour laquelle elle avait choisi d’aller rejoindre son fiancé ne les regardait pas. Et elle n’avait pas menti sur ce point : elle allait voir Harlan. Ses motivations ne concernaient personne d’autre.

— Jack n’est pas stupide, et il soupçonne quelque chose, insista-t-il. C’est un homme bon et juste.

— Je n’ai pas menti, assura-t-elle. Et je ne suis pas une espionne !

Elle se tourna pour soutenir son regard.

— Pourquoi le croirait-il ?

Il hésita un instant. Sophie voyait qu’il pesait ses mots.

— Honnêtement, ce n’est pas à moi de le dire, mais il possède de bonnes raisons de ne pas faire confiance à votre fiancé, je peux vous l’affirmer.

Sophie inclina la tête, l’interrogeant.

— Pourquoi ? voulut-elle savoir. Que lui a fait Harlan ? Je croyais qu’ils étaient amis !

Kell parut désarçonné par sa déclaration.

— D’où tenez-vous une telle chose ?

Sophie se tourna, son regard se perdant dans l’océan.

— C’est que... Harlan a mentionné son nom dans une lettre adressée à un ami commun... Je me suis dit que peut-être...

— Vous avez eu tort ! révéla Kell sans retenue, son ton acéré attirant l’attention de Sophie, qui leva les yeux vers lui pour détailler son expression. Je peux vous affirmer que Jack et votre fiancé sont à couteaux tirés.

— Oh, dit Sophie, se rendant compte que Kell n’avait aucune raison de lui mentir.

Il avait l’air méprisant, même s’il était évident qu’il essayait de le lui dissimuler. La curiosité la poussa à demander :

— Dites-moi, je vous prie, ce qu’a fait Harlan ?

Ce n’était pas comme si Sophie le croyait parfaitement intègre. Elle avait déjà cessé de l’aduler.

— Demandez à Jack, répondit Kell. Ce n’est pas à moi de vous le dire, Sophie. Je suis désolé.

— Je vois, répondit Sophie, même si elle ne voyait rien du tout.

La loyauté de Kell était inébranlable et admirable, mais elle n’allait certainement pas demander quoi que ce soit à Jack MacAuley.

— Vous dites que vous avez lu le nom de Jack dans une lettre ? demanda Kell.

Sophie comprit au ton de sa voix qu’il était curieux.

Elle décida qu’elle n’avait rien à lui cacher. Elle lui faisait confiance. Elle avait deviné que tout ce qu’elle pourrait lui dire resterait entre eux. Et elle avait besoin de se confier à quelqu’un. Elle décida que cela ne ferait aucun mal à personne de dire la vérité à Kell.

— Je vais bien voir Harlan, lui assura-t-elle, mais pas pour les raisons que j’ai évoquées. Je ne peux pas affirmer qu’il me manque vraiment, confessa-t-elle.

— C’est plus qu’évident, Sophie.

La jeune femme leva les yeux vers lui.

Vraiment ?

Elle aurait voulu lui demander pourquoi, mais n’était pas certaine de vouloir connaître la raison qui l’avait amené à cette conclusion. Elle craignait vivement que la vérité ne se lise dans ses yeux. Elle lui parla alors de la lettre, achevant son histoire les larmes aux yeux.

— Vous méritez bien mieux, lui assura Kell en l’attirant dans ses bras, la consolant d’une manière fraternelle.

Sophie lui était reconnaissante de son soutien. Son cœur se serra légèrement au souvenir du regard sinistre de Jack.

— Je vous en prie, n’en parlez pas à Jack, l’implora-t-elle.

Cela l’énervait qu’il ait choisi de penser le pire à son propos, mais elle n’aurait pu supporter qu’il ait pitié d’elle.

— Ce n’est pas à moi de le faire, la rassura-t-il.

Sophie hocha la tête, reconnaissante de sa réponse. La dernière chose qu’elle aurait voulue était la pitié de Jack.

Quoi qu’il en soit, il serait plus sûr qu’il continue à la détester. À en juger par le poids qu’elle ressentait dans son cœur en songeant au dégoût évident qu’il ressentait pour elle, elle lui avait déjà permis de s’approcher bien trop près, sans même s’en rendre compte.

Qu’est-ce que cela pouvait lui faire s’il ne lui faisait pas confiance, ou s’il ne l’appréciait pas ? Après ces deux semaines passées en mer, cela n’aurait plus aucune importance. Elle n’avait pas l’intention de lui demander de la ramener chez elle. Il vaudrait mieux pour elle qu’elle quitte ce maudit vaisseau et ne repose plus jamais les yeux sur lui.

Connaître un chagrin d’amour une fois dans sa vie était bien suffisant.