Jack demeura assez longtemps pour s’assurer que ses ordres soient suivis, puis il poursuivit sa route le long du sentier, certain qu’il ne manquerait à personne pendant que tous s’affairaient à monter le camp.
Non qu’il se préoccupe de protéger la réputation de Harlan aux yeux de Sophie, mais il ne voulait certainement pas que Sophie soit blessée s’ils se présentaient et trouvaient Harlan occupé... à certaines activités.
Jack avait travaillé avec lui pendant près d’un an et l’avait vu passer presque tout son temps dans sa tente, à caresser les seins de diverses femmes. Avant de rencontrer Sophie, Jack était surtout dégoûté par le simple fait qu’il semble avoir bien peu de respect pour sa vocation. S’il tirait profit des femmes qui venaient à lui, c’était presque autant la faute des femmes que la sienne. Elles affluaient dans les camps, espérant se trouver un époux qui les emmène loin de la pauvreté de leurs villages. Mais leurs affections étaient calculées, au mieux. Jack avait décidé depuis longtemps de rester à l’écart de tout cela.
Mais maintenant, tout était différent.
Cela dit, l’ironie de la situation ne lui échappait pas. Il s’apprêtait à aller prévenir le fiancé de la femme qu’il aimait qu’elle était en chemin pour que ce saligaud infidèle puisse vider sa tente de toute preuve qui pourrait l’incriminer. C’était fou !
Malgré tout, il ne voulait pas que Sophie le découvre de cette façon-là. Ce n’était pas à Jack de l’informer des aventures de son fiancé – particulièrement pas après qu’il l’eut séduite.
Il n’eut pas à faire beaucoup de chemin pour atteindre sa destination. José les avait bien guidés, et ils avaient progressé rapidement. Il sortit de la forêt et pénétra dans la clairière où Harlan avait installé son camp.
Jack n’eut pas besoin de demander où se trouvait Harlan, ni laquelle était sa tente. C’était la plus grande, bien sûr. Et il était tout le temps dedans : le soleil lui brûlait la peau, la moiteur de la nuit lui donnait des bouffées de chaleur... Toute excuse était bonne pour ne pas travailler. Jack s’y dirigea directement, le ressentiment guidant ses pas. Il aimait Sophie. Il voulait Sophie. Et Harlan était un sale malotru puant qui ne la méritait pas.
Il trouva Harlan assis à une petite table de fortune, penché sur sa lecture, plissant le front en réfléchissant, une femme à la peau sombre derrière lui, occupée à lui masser les épaules.
Une fureur glaciale saisit Jack.
Il ne dit pas un mot. Il se dirigea droit vers le bureau et y abattit les télégrammes qui s’étaient trouvés dans le poêle. Et avant que Harlan n’ait pu prononcer la moindre parole, Jack l’avait saisi par le col et entraîné dehors.
Harlan fut tellement interloqué qu’il se débattit à peine.
— MacAuley ! dit-il, surpris.
Jack resserra sa prise sur le col de Harlan.
— Oui, c’est moi, Harlan ! Tu es étonné de me voir ?
Il tira sur son col. Bien entendu qu’il était surpris ; il avait engagé un saboteur pour s’assurer que la présence de Jack au Yucatan ne devienne pas un poids et une chaîne autour de son cou gracile.
— Non, non ! objecta Harlan. Je ne sais pas de quoi tu parles !
Jack fouilla dans ses poches pour en retirer d’autres preuves. Il sortit la bague qu’il avait empruntée à Sophie et la montra à Harlan.
— Ah non ?
Le visage de Harlan pâlit visiblement.
Jack arbora un sourire impitoyable.
— Je vois que tu la reconnais, dit-il en refermant le poing autour du bijou.
— Je n’ai rien fait ! dit Harlan en se mettant à crier. Je n’ai pas envoyé ces télégrammes à Shorty !
Son équipe arriva en courant en entendant ses cris. Jack lança le poing en arrière et colla une droite sur la mâchoire de Harlan, lâchant son col. Harlan atterrit sur les fesses, et son équipe s’immobilisa pour le regarder.
— Alors tu n’as pas envoyé de télégrammes à Shorty, hein ? dit Jack en serrant et desserrant sa main vide.
— Non ! déclara Harlan en rampant en arrière.
Jack ouvrit le poing.
— Tu ne lui as pas donné cette bague non plus, n’est-ce pas, Harlan ?
— Il l’a certainement volée ! jura Harlan en plissant furieusement les paupières. Je ne la lui ai pas donnée !
Jack vit dans ses yeux qu’il disait vrai. Il n’avait probablement pas cédé la bague à Shorty. Celui-ci aurait parfaitement pu la voler, mais cela ne faisait rien. Les preuves pointaient toujours dans la même direction. Harlan était un tricheur et un voleur !
Il se précipita à nouveau vers Harlan, le soulevant pour lui décocher un nouvel uppercut.
— Ça c’est pour Shorty ! dit-il avec une froide détermination tandis que Harlan retombait sur son derrière.
Aucun membre de son équipe ne venait l’aider, nota Jack – cela ne l’aurait de toute façon pas arrêté.
Il saisit à nouveau Harlan et l’épousseta tandis que celui-ci lui parlait en bégayant, puis il le frappa à nouveau.
— Et ça, c’est pour Sophia ! l’informa-t-il.
Une dernière fois, Harlan tituba en arrière et Jack lui dit :
— J’espère que tu t’amuses bien, Harlan ! J’espère que cette donzelle en valait la peine !
Cette fois, il le laissa à terre, et du sang coulait de la bouche de Harlan. Celui-ci plissa les paupières, soudain irrité :
— Que veux-tu dire, c’est pour Sophia ?
Jack était encouragé par le regard hostile dans ses yeux.
— Bats-toi avec moi, Harlan ! exigea-t-il. Ce n’est pas un véritable challenge que de jouer des poings avec un homme qui est trop lâche pour se défendre !
— Je suis un gentleman ! protesta Harlan avec ferveur en s’essuyant la bouche. Je ne vais pas me battre avec toi ! dit-il à Jack d’un ton aussi assuré que possible, considérant qu’il était étalé sur ses fesses et crachait du sang entre ses dents.
— Bien sûr que non, répondit Jack. Tu préfères de loin payer quelqu’un pour saboter quiconque représente la moindre menace pour toi !
— Je n’ai pas payé Shorty pour te saboter ! dénia furieusement Harlan.
— Ah oui, alors comment sais-tu que je parlais de Shorty ? rétorqua Jack en plissant les paupières. Je ne t’ai pas dit que c’était lui, n’est-ce pas ?
Harlan ouvrit la bouche pour parler puis la referma. Jack fit un pas vers lui et Harlan recula à toute allure pour lui échapper.
— Tu es un être pathétique, Penn ! dit Jack. Je ne vais plus te frapper, mais je vais te donner un bon conseil !
Le soulagement éclaira les yeux bleus troublés de Harlan.
— Le-lequel ?
Jack le regarda, voulant prononcer les mots justes. Il ne voulait rien dire qui aurait pu donner une mauvaise image de Sophie.
— Sophia est ici, dit-il enfin, pesant soigneusement ses mots.
Ses mains tremblaient contre ses côtes et il déglutit difficilement, ravalant les émotions qui remontaient en lui.
Harlan eut un sursaut visible, regardant autour de lui.
— Sophia est ici ? Où ?
— Ne fais pas sous toi, Harlan ! Je ne suis pas assez stupide pour la laisser débarquer ici, en pleine orgie, mais elle sera là demain matin dès l’aube !
Il lui jeta un regard entendu.
— Tu ne mérites pas que je te prévienne, mais je suis là pour te dire que si je te vois poser les mains sur une seule paire de seins avant qu’elle n’arrive, ou si tu lui fais du mal, je jure devant Dieu que je te tuerai de mes propres mains !
Harlan se redressa immédiatement.
— Tu n’oserais pas !
— Fais-la pleurer, Harlan, et tu verras ce que j’oserai faire !
— Je ne comprends pas, s’exclama soudain Harlan en redressant les épaules. Qu’est-ce qu’elle fait avec toi, MacAuley ?
Il s’épousseta, jetant à Jack un regard accusateur.
Jack tint sa langue.
— Pourquoi t’inquiètes-tu de la relation que j’entretiens avec Sophia ?
Jack resta planté là, voulant en dire bien davantage, mais déterminé à protéger Sophie à tout prix. Tout ce qu’elle désirait, il le désirait pour elle, même si ce qu’elle voulait était ce saligaud en face de lui.
— Parce que je l’aime, voilà pourquoi ! cracha-t-il, clignant les paupières de surprise à ses propres paroles.
Harlan cligna lui aussi des yeux, mais resta silencieux.
Jack hocha la tête. C’était la vérité, bon sang. Il l’aimait. Et c’était ce qu’il était venu lui dire.
Il tourna les talons, laissant Penn le contempler, bouche bée.
Le reste dépendrait de Sophie.