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« Vivre comme tout le monde... »
Marie Cartier
Isabelle Coutant
Olivier Masclet
Yasmine Siblot
Comment déterminer la position sociale d’une population ?
Cette activité centrale pour la sociologie est réalisée ici pour la population des petits propriétaires de pavillons en banlieue de Paris. Cette population est d’abord décrite par un certain nombre de caractéristiques (âge, position sociale, ...), et singulièrement par une dynamique particulière qui la constitue : ce sont des familles populaires en petite ascension sociale. Lister les caractéristiques de cette population et constater qu’elles lui confèrent une certaine unité ne suffit pas à définir la nature de cette population : s’agit-il d’un groupe social ? D’une classe sociale ? Et surtout où la situer sur l’échelle sociale ? Cet exercice central est particulièrement périlleux dans la mesure où les critères pour effectuer ce classement sont multiples. L’identité sociale du groupe étudié est multidimensionnelle, s’appuyant non plus seulement sur la position dans le monde du travail, mais aussi sur le rapport à l’école, le rapport au patrimoine, la trajectoire professionnelle, etc. Pour qualifier et déterminer la position d’un groupe, plusieurs principes peuvent être rappelés.
– Toute position est relationnelle : qualifier la position de ces petits propriétaires c’est d’abord la situer par rapport à celle des classes supérieures, et par rapport à celle des classes populaires dont elles sont issues. Les caractéristiques de cette population doivent donc être jugées relativement et en relation avec celles des autres populations. Ainsi si ces petits propriétaires conservent des positions sociales qui sont proches des classes populaires, ils se rapprochent des classes moyennes et supérieures en devenant propriétaires et par leur rapport très ouvert à la culture et à l’école.
– Les notions théoriques ne doivent pas écraser les caractéristiques observées : les auteurs se gardent d’utiliser la notion de « petite bourgeoisie » pour qualifier la position de leur population dans la mesure où certaines caractéristiques ne cadrent pas avec ce qualificatif. Le rapport à la culture est vécu positivement et non pas dans la frustration, la culpabilité ou l’illégitimité propre aux petits-bourgeois. De même le rapport à la consommation et à l’effort ne correspond pas à l’éthique ascétique petite-bourgeoise.
– Les perceptions indigènes aident à qualifier les populations : si la caractérisation de la population par l’objectivation de l’identité sociale de ces familles, amène à douter de leur appartenance à la petite bourgeoisie ou à la classe moyenne, la perception que celles-ci ont de leur position sociale, de leur appartenance collective aide à mieux les qualifier. Le terme « petits-moyens » permet ainsi de comprendre que ce groupe se situe dans la hiérarchie sociale non pas parmi les plus petits, les plus défavorisés, parmi cette classe populaire des cités qui se sent stigmatisée, mais dans cet ensemble d’individus qui se vit comme la population « normale ». Du fait de leur petite ascension sociale, ces familles populaires se distinguent des plus défavorisés et accèdent à une forme de normalité, à une position qui, bien que modeste du point de vue des classes supérieures, est vécue comme positive. Au lieu d’imposer une forme de légitimité a priori, le sociologue prend au sérieux la perception des individus et les principes qui guident leurs choix et leur vision du monde.
Ce texte fait écho à celui de Séverine Misset qui constate également que l’étiquette « ouvrier » a une charge négative, stigmatisante. Si à l’intérieur de l’usine, des mécanismes de mise à distance, de compétition entre ouvriers existent, cette compétition se construit, aussi, en dehors du monde du travail, dans l’accès à un mode de vie différent.
FdS, CG, OM
1. Étudier les petits déplacements sociaux
Mobilité résidentielle et mobilité sociale
C’est par le réseau des parents d’élèves que nous avons rencontré Karima Dhif, une mère de trois enfants : elle venait de faire l’acquisition, en 2003, d’une maison dans l’un des nouveaux lotissements de G., une commune de 25 000 habitants dans le nord-est de la banlieue parisienne, à une quinzaine de kilomètres de Paris. Âgée de 34 ans, comme son mari, elle est adjointe administrative à l’Éducation nationale, et lui est machiniste à la RATP. Ils n’ont pas le bac. Leur maison fait environ 90 m2, avec trois chambres à l’étage, une cuisine sur la rue et un salon-salle à manger ouvrant sur un jardin où son mari a planté quelques pieds de tomates « pour le plaisir de les voir pousser » nous dit-elle pendant l’entretien. Elle n’a pas hésité à nous faire visiter ce pavillon, sobrement aménagé et décoré. « Je n’aurais jamais cru que c’était possible qu’on devienne propriétaire », explique-t-elle. Avant d’entrer à l’Éducation nationale, elle a occupé dans le télémarketing un emploi qui lui rapportait « un bon salaire », mais restait précaire. Son mari, longtemps animateur dans le centre de loisirs de sa cité d’origine, avait fini par obtenir un emploi de magasinier en CDI. C’est à la fin des années 1990 que le couple a peu à peu conçu le projet de quitter « la cité » de plus en plus dégradée où il vivait en Seine-Saint-Denis, pour un « bon quartier » : « On a fait tout ce qu’on a pu pour y arriver ». Alors que son mari, suivant le conseil de proches, parvient à se faire embaucher comme machiniste à la RATP, Karima est recrutée comme contractuelle dans une université, puis titularisée au bout de trois ans : « Ça y est, c’est fini la galère, fini la précarité, tous les deux on est fonctionnaires ! » Leur maison concrétise ainsi à la fois leur sortie des cités et leurs efforts en vue d’améliorer leur situation professionnelle. Au regard des conditions de travail et des perspectives de salaire et de carrière, leur passage du privé au public s’apparente en effet à une ascension professionnelle. Elle les met à l’abri du risque de licenciement et d’une retombée dans la précarité salariale. Voilà pourquoi Mme Dhif prend plaisir à nous montrer sa maison dont l’acquisition réalise le désir du couple de s’arracher à un destin incertain. Elle lui procure, dit-elle, le sentiment rassurant de « vivre comme tout le monde » (Cartier, Coutant, Masclet, Siblot, 2008).
Un quartier pavillonnaire comme observatoire
En comparant ce récit à celui d’autres interviewés du même quartier et en mobilisant en complément des données statistiques, nous avons constaté que ces propriétaires de pavillons jouxtant les cités de la banlieue parisienne avaient des trajectoires similaires. Qu’ils soient ou non issus de familles migrantes et qu’ils occupent telle ou telle position professionnelle, ils étaient très souvent issus des classes populaires, bi-actifs et connaissaient une mobilité sociale ascendante. Les histoires de vie singulières et multiformes recueillies dans ce quartier pavillonnaire apparaissaient comme un bon observatoire de la « petite mobilité sociale », de ses conditions de possibilité dans un contexte de chômage de masse et de scolarisation prolongée comme de ses effets sur les modes de vie. Des lectures d’ouvrages et d’articles sociologiques encourageaient à regarder ainsi ce quartier pavillonnaire : les « petits déplacements sociaux » sont peu étudiés de façon fine par les sociologues, plus attentifs à saisir des parcours plus spectaculaires ou à quantifier la fluidité globale de la société (Lahire, 2004). La scolarisation prolongée des catégories populaires et leur accès aux emplois tertiaires comme à la propriété invitent aujourd’hui à repenser les différences de classes (Schwartz, 1998). Nombre de nos interviewés ponctuaient les entretiens de formules rappelant le « vivre comme tout le monde » de Karima Dhif : « On est dans la moyenne », « Comme les autres, ni plus ni moins ». Pour le sociologue qui souhaite étudier les « petits déplacements sociaux », ces mots ne sont pas que des mots. Ce sont des façons de se situer dans la société et en ce sens un précieux indice de positionnement social. Notre analyse a ainsi consisté à prendre au sérieux les expressions utilisées par ces petits propriétaires afin de mieux les « classer » sociologiquement.
2. Comment classer les « pavillonnaires » sans mépris ni moralisation ?
La stigmatisation des pavillonnaires
Loin de nous l’idée de ranger les individus dans des cases ou encore de tracer entre eux d’infranchissables lignes de démarcation : ce serait faire disparaître les continuités et les ressemblances. Mais l’objectif du sociologue est de faire apparaître la différenciation sociale et notamment celle qui repose sur la structure des classes sociales. Ce travail de classement ne va jamais de soi : comme l’a montré Pierre Bourdieu, les diverses théories des classes sociales ne sont jamais neutres socialement, mais engagent des théories politiques et donc certaines visions du changement social (Bourdieu, 1984). Classer sociologiquement les petits propriétaires de pavillons n’est pas un acte anodin. Faute d’objectiver ses propres catégories de perception de la réalité sociale, le sociologue court le risque de contribuer à leur stigmatisation ou, au contraire, à leur survalorisation.
Tout au long des années 1950-1970, les petits propriétaires originaires des classes populaires ont ainsi suscité les commentaires péjoratifs des sociologues (Magri, 2008). Dans un contexte politique et intellectuel marqué par l’influence du marxisme, ils ont été perçus comme des « ouvriers embourgeoisés » que leurs intérêts de propriétaires détournaient de l’engagement dans les luttes collectives du mouvement ouvrier. Ainsi, stigmatisés socialement et politiquement, furent-ils fréquemment décrits comme « individualistes » et « repliés sur eux-mêmes ». Le pavillon faisait alors figure de « mythe » aux yeux des sociologues qui dénonçaient l’illusion de grimper les barreaux de l’échelle sociale. Il passait en outre pour le contre-exemple de la modernité en matière de construction résidentielle, en ces temps où hauts fonctionnaires en charge des questions urbaines, praticiens et théoriciens de l’urbanisme, démographes et sociologues, valorisaient l’habitat collectif.
L’illusion de la « moyennisation »
Cette image négative du pavillonnaire petit-bourgeois s’est progressivement renversée depuis les années 1980. On ne la retrouve plus aujourd’hui au sommet de l’État où la dévalorisation frappe désormais les grands ensembles décrits comme des « ghettos ». Le pavillonnaire incarne à présent la respectabilité laborieuse. Pendant la campagne de l’élection présidentielle de 2007, le candidat de droite s’engageait ainsi à permettre au plus grand nombre de Français de devenir propriétaire, la propriété du logement récompensant à ses yeux « la France qui se lève tôt ». Comme au milieu du 19e siècle, la propriété individuelle est défendue comme un mode de moralisation des familles ouvrières, comme une forme de valorisation de l’effort et du mérite individuel. En sociologie, le marxisme s’effaçant, on ne valorise plus autant « la classe ouvrière », par ailleurs largement démobilisée et siège de mutations considérables (Mauger, 2006). On se montre également plus disposé sinon à valoriser les propriétaires de pavillons, du moins à prêter une attention plus grande à la réalité de leurs pratiques et de leurs parcours résidentiels. En même temps, la disqualification des lotissements n’a pas disparu. Outre la critique écologique et urbanistique à leur endroit – ils sont accusés de détruire les espaces verts et de représenter le degré zéro de l’urbanité –, ils restent la cible du mépris des catégories supérieures, d’autant plus sans doute que la propriété de la maison s’est diffusée dans l’espace social et n’apparaît plus comme un signe distinctif. Alors qu’au début des années 1970, un peu plus d’un ménage ouvrier sur trois possédait une maison, en 2006, c’était le cas de 50 % des ménages ouvriers et 44 % des ménages employés (Briant, Rougerie, p. 106). De là à considérer ce mouvement comme significatif du processus de « moyennisation » de la société, c’est-à-dire de réduction des écarts économiques, sociaux et culturels entre les groupes, il n’y a qu’un pas qu’on ne saurait franchir : la forme, le type, la surface habitée, les matériaux de construction et bien sûr la localisation de la maison différencient toujours ses habitants.
3. Une position d’entre-deux social
Classes populaires…
Doit-on ranger les pavillonnaires rencontrés dans cet ensemble que les sociologues ont pris pour habitude de nommer « les classes populaires » ? Si les pavillonnaires rencontrés sont parfois des ouvriers qualifiés, ils sont plus souvent des employés du public et du privé, voire des professions intermédiaires ou des agents de maîtrise. Ils ont conservé certains traits d’une condition sociale inférieure quand bien même ils se sont un peu élevés par rapport à leurs parents : leur degré d’autonomie dans le travail reste limité, et les échecs et revirements de leurs parcours professionnels et résidentiels continuent de les rapprocher de ces « classes populaires respectables » dont Richard Hoggart fit le portrait dans les années 1950 (Hoggart, 1970). Mais ils s’en distinguent dans le même temps d’une manière non moins évidente.
Ainsi, on n’observe guère chez eux ces formes de séparation sociale qui s’exprimaient dans le repli sur des formes de vie collective sécurisante (la famille et le quartier) et dans une représentation du monde clivée entre « Eux » et « Nous ». Le rapport à l’avenir et les compétences économiques qu’ils ont dû acquérir pour devenir propriétaires les éloignent également des classes populaires traditionnelles. Très préoccupés aujourd’hui par la réussite scolaire de leurs enfants, ils ont adopté certaines des normes éducatives consacrées (par exemple la valorisation de la « parole » entre parents et enfants). Alors que pour Hoggart ou Bourdieu, les classes populaires apparaissaient coupées des pratiques culturelles et éducatives dominantes, on observe à présent chez nombre de salariés d’exécution de toutes autres attitudes (Schwartz, 1998). Les propriétaires rencontrés à G. manifestent une plus grande ouverture à des goûts et des pratiques que les sociologues associent aux « classes moyennes » (Bosc, 2008). Fallait-il alors voir en nos enquêtés des « petits-bourgeois » ?
Ou petits-bourgeois ?
À cette question, qui nous a poussés à mettre en évidence les spécificités en matière de mode de vie et de rapport à la société de la population enquêtée, nous avons répondu par la négative pour deux raisons au moins. En premier lieu, les données empiriques ne permettaient pas d’assimiler les enquêtés au monde des « classes moyennes » de façon simple et indiscutable. Leurs niveaux de revenus restent modestes et leur accession à la propriété se paie d’une gestion serrée des dépenses. Ils vivent dans une banlieue qui fait souvent la une de l’actualité pour des problèmes de violence et que certaines « classes moyennes » qui en ont les moyens fuient à la première occasion. Et si les mères rencontrées manifestent un intérêt prononcé pour la scolarité de leurs enfants, leurs relations avec l’institution scolaire demeurent empreintes d’une grande méfiance et d’une maîtrise très partielle de ses règles de fonctionnement. En second lieu, on n’observe pas chez ces petits propriétaires de conduites ascétiques nettement marquées, le souci d’accumulation n’étant ni leur priorité, ni le sens de toute leur existence. Or le « petit-bourgeois » se caractérise par ses hautes aspirations qui le conduisent à renoncer ou différer les plaisirs immédiats, ce renoncement étant vécu comme la condition de la mobilité sociale et de l’accumulation du capital (économique ou culturel). Au contraire, plusieurs de nos enquêtés préféraient sans hésitation partir en vacances plutôt que de parfaire l’aménagement de leur maison. De même ne manifestaient-ils pas à l’égard de la culture cultivée cette révérence caractéristique de la petite bourgeoisie, mais plutôt un rapport distant, non dénué d’indifférence. Finalement le souci de « vivre bourgeoisement » n’était pas le leur. L’accession à la propriété du logement, l’importance accordée à l’éducation scolaire des enfants, l’atténuation de la division sexuée des rôles au sein de la famille – autant de dispositions présentes chez nos enquêtés – peuvent-ils être décrits autrement que comme des signes d’embourgeoisement ? Comment rendre compte de ces comportements qui ne sont complètement assimilables ni aux classes populaires traditionnelles ni aux « classes moyennes » ?
4. Être « comme tout le monde » :
une ressource sociale
Échapper au stigmate
Au sujet d’une tout autre enquête, Claude Grignon propose une réponse féconde et transposable à l’analyse des effets des petites mobilités sociales sur le rapport à la société. Analysant la genèse sociale du modèle des repas en France (Grignon, 1993), il mettait en lumière le double processus par lequel s’érigent « les normes communes ». D’une part, il rappelait le mouvement déjà bien connu de diffusion de haut en bas des normes d’alimentation : apparues dans l’univers religieux, elles sont reprises par la bourgeoisie qui en fait un instrument d’éducation et de moralisation du peuple. D’autre part, il décrit de manière plus originale le mouvement de transformation du mode de vie bourgeois en mode de vie standard. À la fin du xixe siècle, les ouvriers revendiquent le droit de « vivre comme tout le monde » et ainsi de manger à l’heure où mangent les bourgeois. L’erreur, explique Claude Grignon, serait de voir dans ces formes d’imitation sociale une manière de « jouer, bon gré mal gré et en étant d’avance condamné à perdre, le jeu que l’adversaire est en position de définir et d’imposer, et, comme on le leur reproche souvent, [de] « s’embourgeoiser ». En prenant au sérieux l’offre plus ou moins formelle qui leur est faite, en luttant pour la réalisation de l’idéal d’intégration qu’on leur propose et en accentuant son aspect égalitaire, [les classes populaires] contribuent aussi à « populariser » le mode de vie bourgeois et à le transformer en mode de vie standard » (Grignon, 1993, p. 309).
Ce modèle d’analyse de la diffusion des normes et pratiques et de leur appropriation par les catégories dominées présente l’intérêt de mettre au jour la genèse de normes dont nul groupe n’a plus le monopole quand bien même leurs origines se situent dans les classes dominantes. En adoptant certains comportements qui étaient originellement ceux de la bourgeoisie ou des « nouvelles couches moyennes salariées », nos enquêtés manifestent leur souci de vivre « comme tout le monde », c’est-à-dire leur volonté de ne plus être stigmatisés.
Un mode de vie « petit-moyen »
On ne saurait donc voir en eux des « petits-bourgeois » : au-delà du caractère plus ou moins stigmatisant et réducteur de l’appellation, si celle-ci pose problème du point de vue de la caractérisation sociologique de nos enquêtés, c’est qu’elle se trompe de cible. Si le petit-bourgeois existe, on le rencontre en d’autres lieux que dans les lotissements de la banlieue nord de Paris. Il se situerait, dans l’échelle des positions et des aspirations, à un niveau plus élevé que nos enquêtés. Dès lors, comment nommer les personnes rencontrées tout au long de notre enquête ? La solution nous fut proposée par une enquêtée. Cherchant un qualificatif pour identifier sa position et celle de ses proches voisins, elle commença par dire qu’ils étaient de « petites gens » avant de rectifier : « pas petits-petits, mais petits-moyens ». L’habitat pavillonnaire qui s’est multiplié depuis les années 1980 jusqu’à nos jours a contribué à faire exister les « petits-moyens » comme groupe de référence pour des couples d’origine populaire, peu diplômés mais néanmoins en ascension sociale. L’entre-soi pavillonnaire et les sociabilités familiales qu’il alimente amène en effet à côtoyer des ménages aux positions différentes mais aux trajectoires similaires auxquels on peut s’identifier, et à prendre conscience d’intérêts communs à défendre (autour du quartier et de ses équipements). En d’autres termes, la satisfaction des « petits-moyens » à être ce qu’ils sont (avant que n’apparaissent les angoisses de déclassement, plus récemment), par opposition à la frustration et au malaise du « petit-bourgeois » (toujours exposé au regard des dominants), est le signe qu’un groupe des « petits-moyens » commence à exister, relativement autonome. Il ne s’agit toutefois pas d’une classe sociale autonome ; ce qui se met à exister, c’est un mode de vie associé à ces petits déplacements sociaux de ménages d’origine populaire.
Bibliographie
Bosc Serge, 2008, Sociologie des classes moyennes, Paris, La Découverte.
Bourdieu Pierre, 1979, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit.
Bourdieu Pierre, 1984, « Espace social et genèse des classes », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n˚ 52-53, p. 3-14.
Briant Pierrette, Rougerie Catherine, 2008, « Les logements sont plus confortables qu’il y a vingt ans et pèsent plus fortement sur le revenu des ménages », France, portrait social, INSEE.
Cartier Marie, Coutant Isabelle, Masclet Olivier, Siblot Yasmine, 2008, La France des « petits-moyens », enquête sur la banlieue pavillonnaire, Paris, La Découverte.
Grignon, Claude, 1993, « La règle, la mode et le travail : la genèse sociale du modèle des repas français contemporain », in Aymard Maurice, Grignon Claude, Sabban Françoise, Le temps de manger. Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux, Paris, Éditions de la MSH et INRA.
Hoggart Richard, 1970, La culture du pauvre : étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1re édition 1955.
Lahire Bernard, 2004, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte.
Magri Suzanna, 2008, « Le pavillon stigmatisé. Grands ensembles et maisons individuelles dans la sociologie des années 1950 à 1970 », L’Année sociologique, vol. 58, n˚ 1, p. 171-202.
Mauger Gérard, 2006, « Les transformations des classes populaires en France depuis trente ans », in Lojkine Jean, Cours-Salies Pierre et Vakaloulis Michel (dir.), Nouvelles luttes de classes, Paris, PUF, p. 29-42.
Schwartz Olivier, 1998, La notion de « classes populaires », Habilitation à diriger des recherches en sociologie, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.