Les monades « n’ont point de fenêtres par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir », elles n’ont pas « de trous ni portes »1. Nous risquons de comprendre trop abstraitement si nous n’essayons pas de déterminer la situation. Un tableau a encore un modèle extérieur, c’est encore une fenêtre. Si le lecteur moderne invoque le déroulement d’un film dans le noir, le film n’en a pas moins été tourné. Alors, invoquer les images numériques, sans modèle, issues d’un calcul ? Ou plus simplement la ligne à inflexion infinie, qui vaut pour une surface, comme on la trouve chez Pollock, chez Rauschenberg ? Précisément, chez Rauschenberg, on a pu dire que la surface du tableau cessait d’être une fenêtre sur le monde pour devenir une table opaque d’information sur laquelle s’inscrit la ligne chiffrée2. Au tableau-fenêtre se substitue la tabulation, la table où s’inscrivent des lignes, des nombres, des caractères changeants (l’objectile). Leibniz ne cesse de dresser des tables linéaires et numériques dont il garnit les parois intérieures de la monade. Aux trous se substituent les plis. Au système fenêtre-campagne s’oppose le couple ville-table d’information3. La monade leibnizienne serait une telle table, ou plutôt une pièce, un appartement entièrement couverts de lignes à inflexion variable. Ce serait la chambre obscure des Nouveaux Essais, garnie d’une toile tendue diversifiée par des plis mouvants, vivants. L’essentiel de la monade, c’est qu’elle a un sombre fond : elle en tire tout, et rien ne vient du dehors ni ne va au-dehors.
En ce sens, il n’y a pas besoin d’invoquer des situations trop modernes, sauf si elles sont aptes à faire comprendre ce qu’était déjà l’entreprise baroque. Depuis longtemps il y a des lieux où ce qui est à voir est au-dedans : cellule, sacristie, crypte, église, théâtre, cabinet de lecture ou d’estampes. Ce sont ces lieux que le Baroque investit pour en dégager la puissance et la gloire. D’abord, la chambre obscure n’a qu’une petite ouverture en haut par laquelle passe la lumière qui, par l’intermédiaire de deux miroirs, va projeter sur la feuille les objets à dessiner qu’on ne voit pas, le second miroir devant être incliné suivant la position de la feuille4. Et puis les décors à transformation, les ciels peints, tous les genres de trompe-l’œil qui garnissent les murs : la monade n’a de meubles et d’objets qu’en trompe-l’œil. Enfin, l’idéal architectural d’une pièce en marbre noir, où la lumière ne pénètre que par des orifices si bien coudés qu’ils ne laissent rien voir du dehors, mais illuminent ou colorent les décorations d’un pur dedans (n’est-ce pas l’esprit baroque à cet égard qui inspire Le Corbusier dans l’abbaye de La Tourette ?). Il est impossible de comprendre la monade leibnizienne, et son système lumière-miroir-point de vue-décoration intérieure, si on ne les rapporte pas à l’architecture baroque. Celle-ci dresse des chapelles et des chambres où la lumière rasante vient d’ouvertures invisibles à l’habitant même. Un de ses premiers actes est dans le Studiolo de Florence, avec sa chambre secrète dépourvue de fenêtres. La monade est une cellule, une sacristie plus qu’un atome : une pièce sans porte ni fenêtre, où toutes les actions sont internes.
La monade est l’autonomie de l’intérieur, un intérieur sans extérieur. Mais elle a pour corrélat l’indépendance de la façade, un extérieur sans intérieur. La façade, elle, peut avoir des portes et des fenêtres, elle est pleine de trous, bien qu’il n’y ait pas de vide, un trou n’étant que le lieu d’une matière plus subtile. Les portes et fenêtres de la matière n’ouvrent ou même ne ferment que du dehors et sur le dehors. Certes, la matière organique esquisse déjà une intériorisation, mais relative, toujours en cours et non achevée. Si bien qu’un pli passe par le vivant, mais pour répartir l’intériorité absolue de la monade comme principe métaphysique de vie, et l’extériorité infinie de la matière comme loi physique de phénomène. Deux ensembles infinis dont l’un ne rejoint pas l’autre : « La division infinie de l’extériorité se prolonge sans cesse et reste ouverte, il faut alors sortir de l’extérieur et poser une unité ponctuelle intérieure... Le domaine du physique, du naturel, du phénoménal, du contingent est tout entier plongé dans l’itération infinie de chaînes ouvertes : en cela il est non métaphysique. Le domaine de la métaphysique est au-delà, et ferme l’itération..., la monade est ce point fixe que n’atteint jamais la partition infinie, et qui ferme l’espace infiniment divisé »5. Ce qui peut définir l’architecture baroque, c’est cette scission de la façade et du dedans, de l’intérieur et de l’extérieur, l’autonomie de l’intérieur et l’indépendance de l’extérieur, dans de telles conditions que chacun des deux termes relance l’autre. Wölfflin le dit à sa façon (« c’est justement le contraste entre le langage exacerbé de la façade et la paix sereine de l’intérieur qui constitue un des effets les plus puissants que l’art baroque exerce sur nous »), bien qu’il ait tort de penser que l’excès de décoration intérieure finisse par troubler le contraste, ou que l’intérieur absolu soit en lui-même paisible. De même, Jean Rousset définit le Baroque par la scission de la façade et de l’intérieur, quoiqu’il pense aussi que la décoration risque de faire « éclater » l’intérieur. Pourtant l’intérieur reste parfaitement intègre du point de vue ou dans le miroir qui en ordonne la décoration, si compliquée soit-elle. Entre l’intérieur et l’extérieur, la spontanéité du dedans et la détermination du dehors, il faudra un tout nouveau mode de correspondance, dont les architectures pré-baroques n’avaient pas l’idée : « Quel rapport nécessaire et direct y a-t-il entre l’intérieur de Sainte-Agnès et sa façade ?... Bien loin de s’ajuster à la structure, la façade baroque tend à n’exprimer qu’elle-même », tandis que l’intérieur retombe de son côté, reste clos, tend à s’offrir au regard qui le découvre tout entier d’un seul point de vue, « coffret où repose l’absolu »6.
Ce qui rendra possible la nouvelle harmonie, c’est d’abord la distinction de deux étages, en tant qu’elle résout la tension ou répartit la scission. C’est l’étage d’en bas qui se charge de la façade, et qui s’allonge en se trouant, qui s’incurve suivant les replis déterminés d’une matière lourde, constituant une pièce infinie de réception ou de réceptivité. C’est l’étage d’en haut qui se ferme, pur intérieur sans extérieur, intériorité close en apesanteur, tapissée de plis spontanés qui ne sont plus que ceux d’une âme ou d’un esprit. Si bien que le monde baroque, comme l’a montré Wölfflin, s’organise selon deux vecteurs, l’enfoncement en bas, la poussée vers le haut. C’est Leibniz qui fait coexister la tendance d’un système pesant à trouver son équilibre le plus bas possible, là où la somme des masses ne peut plus descendre, et la tendance à s’élever, la plus haute aspiration d’un système en apesanteur, là où les âmes sont destinées à devenir raisonnables, comme dans un tableau du Tintoret. Que l’un soit métaphysique et concerne les âmes, que l’autre soit physique et concerne les corps, n’empêche pas les deux vecteurs de composer un même monde, une même maison. Et non seulement ils se distribuent en fonction d’une ligne idéale qui s’actualise dans un étage, et se réalise dans l’autre, mais une correspondance supérieure ne cesse de les rapporter l’un à l’autre. Une telle architecture de la maison n’est pas une constante de l’art, de la pensée. Ce qui est proprement baroque, c’est cette distinction et répartition de deux étages. On connaissait la distinction de deux mondes dans une tradition platonicienne. On connaissait le monde aux étages innombrables, suivant une descente et une montée s’affrontant à chaque marche d’un escalier qui se perd dans l’éminence de l’Un et se désagrège dans l’océan du multiple : l’univers en escalier de la tradition néo-platonicienne. Mais le monde à deux étages seulement, séparés par le pli qui se répercute des deux côtés suivant un régime différent, c’est l’apport baroque par excellence. Il exprime, nous le verrons, la transformation du cosmos en « mundus ».
Parmi les peintres dits baroques, le Tintoret et le Greco brillent, incomparables. Et pourtant ils ont en commun ce trait du baroque. L’Enterrement du comte d’Orgaz par exemple est divisé en deux par une ligne horizontale, et en bas les corps se pressent accotés les uns aux autres, tandis qu’en haut l’âme monte, par un mince repli, attendue par de saintes monades dont chacune a sa spontanéité. Chez le Tintoret, l’étage du bas montre les corps en proie à leur propre pesanteur, les âmes trébuchant, s’inclinant et tombant dans les replis de la matière ; au contraire, la moitié supérieure agit comme un puissant aimant qui les attire, leur fait chevaucher des plis jaunes de lumière, des plis de feu qui raniment les corps, et leur communique un vertige, mais un « vertige du haut » : ainsi les deux moitiés du Jugement dernier7.
La scission de l’intérieur et de l’extérieur renvoie donc à la distinction des deux étages, mais celle-ci renvoie au Pli qui s’actualise dans les plis intimes que l’âme enclôt à l’étage du haut, et qui s’effectue dans les replis que la matière fait naître les uns des autres, toujours à l’extérieur, à l’étage du bas. Aussi le pli idéal est-il Zwiefalt, pli qui différencie et se différencie. Quand Heidegger invoque le Zwiefalt comme le différenciant de la différence, il veut dire avant tout que la différenciation ne renvoie pas à un indifférencié préalable, mais à une Différence qui ne cesse de se déplier et replier de chacun des deux côtés, et qui ne déplie l’un qu’en repliant l’autre, dans une coextensivité du dévoilement et du voilement de l’Être, de la présence et du retrait de l’étant8. La « duplicité » du pli se reproduit nécessairement des deux côtés qu’il distingue, mais qu’il rapporte l’un à l’autre en les distinguant : scission dont chaque terme relance l’autre, tension dont chaque pli est tendu dans l’autre.
Le pli est sans doute la notion la plus importante de Mallarmé, non seulement la notion, mais plutôt l’opération, l’acte opératoire qui en fait un grand poète baroque. Hérodiade est déjà le poème du pli. Le pli du monde, c’est l’éventail ou « l’unanime pli ». Et tantôt l’éventail ouvert fait descendre et monter tous les grains de matière, cendres et brouillards à travers lesquels on aperçoit le visible comme par les trous d’un voile, suivant les replis qui laissent voir la pierre dans l’échancrure de leurs inflexions, « pli selon pli » révélant la ville, mais aussi bien en révèle l’absence ou le retrait, conglomérat de poussières, collectivités creuses, armées et assemblées hallucinatoires. À la limite, il appartient au côté sensible de l’éventail, il appartient au sensible lui-même de susciter la poussière à travers laquelle on le voit, et qui en dénonce l’inanité. Mais tantôt aussi, de l’autre côté de l’éventail maintenant fermé (« le sceptre des rivages roses... ce blanc vol fermé que tu poses... »), le pli ne va plus vers une pulvérisation, il se dépasse ou trouve sa finalité dans une inclusion, « tassement en épaisseur, offrant le minuscule tombeau, certes, de l’âme ». Le pli est inséparable du vent. Ventilé par l’éventail, le pli n’est plus celui de la matière à travers lequel on voit, mais celui de l’âme dans laquelle on lit, « plis jaunes de la pensée », le Livre ou la monade aux multiples feuillets. Voilà qu’il contient tous les plis, puisque la combinatoire de ses feuillets est infinie ; mais il les inclut dans sa clôture, et toutes ses actions sont internes. Ce ne sont pas deux mondes, pourtant : le pli du journal, poussière ou brume, inanité, est un pli de circonstance qui doit avoir son nouveau mode de correspondance avec le livre, pli de l’Événement, unité qui fait être, multiplicité qui fait inclusion, collectivité devenue consistante.
Chez Leibniz, ce n’était pas les plis de l’éventail, mais les veines du marbre. Et d’un côté il y a tous ces replis de matière suivant lesquels on voit les vivants au microscope, les collectivités à travers les plis de la poussière qu’elles suscitent elles-mêmes, armées et troupeaux, le vert à travers les poussières de jaune et de bleu, inanités ou fictions, trous fourmillants qui ne cessent d’alimenter notre inquiétude, notre ennui ou notre étourdissement. Et puis, de l’autre côté, il y a ces plis dans l’âme, là où l’inflexion devient inclusion (tout comme Mallarmé dit que le pliage devient tassement) : on ne voit plus, on lit. Leibniz se met à employer le mot « lire » à la fois comme l’acte intérieur à la région privilégiée de la monade, et comme l’acte de Dieu dans toute la monade elle-même9. On sait bien que le livre total est le rêve de Leibniz autant que de Mallarmé, bien qu’ils ne cessèrent d’opérer par fragments. Notre erreur est de croire qu’ils n’ont pas réussi ce qu’ils voulaient : ils ont parfaitement fait ce Livre unique, le livre des monades, en lettres et petits traités de circonstance, qui pouvait supporter toute dispersion comme autant de combinaisons. La monade est le livre ou le cabinet de lecture. Le visible et le lisible, l’extérieur et l’intérieur, la façade et la chambre, ce ne sont pourtant pas deux mondes, car le visible a sa lecture (comme le journal chez Mallarmé), et le lisible a son théâtre (son théâtre de lecture chez Leibniz comme chez Mallarmé). Les combinaisons de visible et de lisible constituent les « emblèmes » ou les allégories chers au Baroque. Nous sommes toujours renvoyés à un nouveau type de correspondance ou d’expression mutuelle, « entr’expression », pli selon pli.
Le Baroque est inséparable d’un nouveau régime de la lumière et des couleurs. On peut d’abord considérer la lumière et les ténèbres comme 1 et 0, comme les deux étages du monde séparés par une mince ligne des eaux : les Heureux et les Damnés10. Il ne s’agit pourtant pas d’une opposition. Si l’on s’installe à l’étage d’en haut, dans une pièce sans porte ni fenêtre, on constate qu’elle est déjà très sombre, presque tapissée de noir, « fuscum subnigrum ». C’est un apport baroque : au fond blanc de craie ou de plâtre qui préparait le tableau, le Tintoret, le Caravage substituent un sombre fond brun-rouge sur lequel ils placent les ombres les plus épaisses et peignent directement en dégradant vers les ombres11. Le tableau change de statut, les choses surgissent de l’arrière-plan, les couleurs jaillissent du fond commun qui témoigne de leur nature obscure, les figures se définissent par leur recouvrement plus que par leur contour. Mais ce n’est pas en opposition avec la lumière, c’est au contraire en vertu du nouveau régime de lumière. Leibniz dit dans la Profession de foi du philosophe : « Elle glisse comme par une fente au milieu des ténèbres ». Faut-il comprendre qu’elle vient d’un soupirail, d’une mince ouverture coudée ou pliée, par l’intermédiaire de miroirs, le blanc consistant « en un grand nombre de petits miroirs réfléchissants » ? Plus rigoureusement, les monades n’ayant pas de fentes, une lumière a été « scellée », qui s’allume dans chacune lorsqu’elle est élevée à la raison, et qui produit le blanc par tous les petits miroirs intérieurs. Elle fait le blanc, mais elle fait l’ombre aussi : elle fait le blanc, qui se confond avec le quartier éclairé de la monade, mais qui s’obscurcit ou se dégrade vers le sombre fond, « fuscum », d’où sortent les choses « par le moyen des ombrages et des teintes plus ou moins fortes et bien ménagées ». C’est comme chez Desargues, il suffit d’inverser la perspective ou de mettre « le lumineux au lieu de l’œil, l’opaque au lieu de l’objet et l’ombre au lieu de la projection »12. Wölfflin a dégagé les leçons de cette progressivité de la lumière qui croît et décroît, et se transmet par degrés. C’est la relativité de la clarté (autant que du mouvement), l’inséparabilité du clair et de l’obscur, l’effacement du contour, bref, l’opposition à Descartes qui restait homme de la Renaissance, du double point de vue d’une physique de la lumière et d’une logique de l’idée. Le clair ne cesse de plonger dans l’obscur. Le clair-obscur remplit la monade suivant une série qu’on peut parcourir dans les deux sens : à une extrémité le sombre fond, à l’autre la lumière scellée ; celle-ci, quand elle s’allume, produit le blanc dans le quartier réservé, mais le blanc s’ombrage de plus en plus, il fait place à l’obscur, ombre de plus en plus épaisse, à mesure qu’il se répand vers le sombre fond dans toute la monade. En dehors de la série, nous avons d’un côté Dieu, qui a dit que la lumière soit faite, et avec elle le blanc-miroir, mais de l’autre côté les ténèbres ou le noir absolu, qui consistent en une infinité de trous ne réfléchissant plus les rayons reçus, matière infiniment spongieuse et caverneuse faite de tous ces trous à la limite13. La ligne de lumière, ou le pli des deux étages, passe-t-il entre les ténèbres et le sombre fond qu’il en extrait ? Oui, à la limite, dans la mesure où l’étage d’en bas n’est plus qu’une cave creusée de caves, et la matière, refoulée sous les eaux, presque réduite au vide. Mais la matière concrète est au-dessus, ses trous déjà remplis d’une matière de plus en plus subtile, si bien que le pli des deux étages est plutôt comme la limite commune de deux sortes de plis pleins.
L’entrée de l’Allemagne sur la scène de la philosophie implique toute l’âme allemande qui, selon Nietzsche, se présente moins comme « profonde » que pleine de plis et de replis14. Comment faire le portrait de Leibniz en personne sans y marquer l’extrême tension d’une façade ouverte et d’une intériorité close, chacune indépendante et toutes deux réglées par une étrange correspondance préétablie ? C’est une tension presque schizophrénique. Leibniz s’avance en traits baroques. « Leibniz est plus intéressant que Kant, comme type de l’Allemand : bonasse, plein de nobles paroles, rusé, souple, malléable, médiateur (entre le christianisme et la philosophie mécaniste), avec à part soi des audaces énormes, abrité sous un masque et courtoisement importun, modeste en apparence... Leibniz est dangereux, en bon Allemand qui a besoin de façades et de philosophies de façades, mais téméraire et en soi mystérieux jusqu’à l’extrême »15. La perruque de cour est une façade, une entrée, comme le vœu de ne rien choquer dans les sentiments établis, et l’art de présenter son système de tel ou tel point de vue, dans tel ou tel miroir, suivant l’intelligence supposée d’un correspondant ou d’un contradicteur qui frappe à la porte, tandis que le Système lui-même est en haut, tournant sur soi, ne perdant absolument rien aux compromis du bas dont il tient le secret, prenant au contraire « le meilleur de tous côtés » pour s’approfondir ou faire un pli de plus, dans la pièce aux portes closes et aux fenêtres murées où Leibniz s’est enfermé en disant : Tout est « toujours la même chose aux degrés de perfection près ».
Les meilleurs inventeurs du Baroque, les meilleurs commentateurs ont eu des doutes sur la consistance de la notion, effarés par l’extension arbitraire qu’elle risquait de prendre malgré eux. On assista alors à une restriction du Baroque à un seul genre (l’architecture), ou bien à une détermination des périodes et des lieux de plus en plus restrictive, ou encore à une dénégation radicale : le Baroque n’avait pas existé. Il est pourtant étrange de nier l’existence du Baroque comme on nie les licornes ou les éléphants roses. Car dans ce cas le concept est donné, tandis que dans le cas du Baroque il s’agit de savoir si l’on peut inventer un concept capable (ou non) de lui donner l’existence. Les perles irrégulières existent, mais le Baroque n’a aucune raison d’exister sans un concept qui forme cette raison même. Il est facile de rendre le Baroque inexistant, il suffit de ne pas en proposer de concept. Il revient donc au même de se demander si Leibniz est le philosophe baroque par excellence, ou s’il forme un concept capable de faire exister le Baroque en lui-même. À cet égard, ceux qui ont rapproché Leibniz et le Baroque l’ont souvent fait au nom d’un concept trop large, ainsi Knecht et « la coïncidence des opposés » ; Christine Buci-Glucksmann propose un critère beaucoup plus intéressant, une dialectique du voir et du regard, mais ce critère est peut-être trop restrictif à son tour, et permettrait seulement de définir un pli optique16. Pour nous, en effet, le critère ou le concept opératoire du Baroque est le Pli, dans toute sa compréhension et son extension : pli selon pli. Si l’on peut étendre le Baroque hors de limites historiques précises, il nous semble que c’est toujours en vertu de ce critère, qui nous fait reconnaître Michaux quand il écrit « Vivre dans les plis », ou Boulez quand il invoque Mallarmé et compose « Pli selon pli », ou Hantaï quand il fait du pliage une méthode. Et si au contraire on remonte dans le passé, quelles raisons aurions-nous de trouver déjà du Baroque, chez Uccello par exemple ? C’est qu’il ne se contente pas de peindre des chevaux bleus et roses, et de tirer des lances comme des traits de lumière dirigés sur tous les points du ciel : il dessine sans cesse « des mazocchi, qui sont des cercles de bois recouverts de drap que l’on place sur la tête, de façon que les plis de l’étoffe rejetée entourent tout le visage » ; il se heurte à l’incompréhension de ses contemporains, parce que « la puissance de développer souverainement toutes choses et l’étrange série de chaperons à plis lui semblent plus révélatrices que les magnifiques figures de marbre du grand Donatello »17. Il y aurait donc une ligne baroque qui passerait exactement selon le pli, et qui pourrait réunir architectes, peintres, musiciens, poètes, philosophes. Certes, on peut objecter que le concept de pli reste à son tour trop large : pour s’en tenir aux arts plastiques, quelle période et quel style pourraient-ils ignorer le pli comme trait de peinture ou de sculpture ? Ce n’est pas seulement le vêtement, mais le corps, le rocher, les eaux, la terre, la ligne. Baltrusaitis définit le pli en général par la scission, mais une scission qui relance l’un par l’autre les deux termes scindés. Il définit en ce sens le pli roman par la scission-relance du figuratif et de la géométrie18. Ne peut-on définir aussi bien le pli d’Orient par celle du vide et du plein ? Et tous les autres devront être définis à leur tour dans une analyse comparative. Les plis d’Uccello ne sont pas baroques en vérité, parce qu’ils restent pris dans des structures géométriques solides, polygonales, inflexibles, si ambiguës soient-elles. Si nous voulons maintenir l’identité opératoire du Baroque et du pli, il faut donc montrer que le pli reste limité dans les autres cas, et qu’il connaît dans le Baroque un affranchissement sans limites dont les conditions sont déterminables. Les plis semblent quitter leurs supports, tissu, granit et nuage, pour entrer dans un concours infini, comme Le Christ au jardin des Oliviers du Greco (celui de la National Gallery). Ou bien, notamment dans Le Baptême du Christ, le contre-pli du mollet et du genou, le genou comme inversion du mollet, donne à la jambe une ondulation infinie, tandis que la pince du nuage au milieu le transforme en un double éventail... Ce sont les mêmes traits pris dans leur rigueur qui doivent rendre compte de l’extrême spécificité du Baroque, et de la possibilité de l’étendre hors de ses limites historiques, sans extension arbitraire : l’apport du Baroque à l’art en général, l’apport du leibnizianisme à la philosophie.
1. Le pli : le Baroque invente l’œuvre ou l’opération infinies. Le problème n’est pas comment finir un pli, mais comment le continuer, lui faire traverser le plafond, le porter à l’infini. C’est que le pli n’affecte pas seulement toutes les matières, qui deviennent ainsi matières d’expression, suivant des échelles, des vitesses et des vecteurs différents (les montagnes et les eaux, les papiers, les étoffes, les tissus vivants, le cerveau), mais il détermine et fait apparaître la Forme, il en fait une forme d’expression, Gestaltung, l’élément génétique ou la ligne infinie d’inflexion, la courbe à variable unique.
2. L’intérieur et l’extérieur : le pli infini sépare, ou passe entre la matière et l’âme, la façade et la pièce close, l’extérieur et l’intérieur. C’est que la ligne d’inflexion est une virtualité qui ne cesse de se différencier : elle s’actualise dans l’âme, mais elle se réalise dans la matière, les deux chacun de son côté. C’est le trait baroque : un extérieur toujours à l’extérieur, un intérieur toujours à l’intérieur. Une « réceptivité » infinie, une « spontanéité » infinie : la façade extérieure de réception et les chambres intérieures d’action. L’architecture baroque jusqu’à nos jours ne cessera de confronter deux principes, un principe porteur et un principe de revêtement (tantôt Gropius et tantôt Loos)19. La conciliation des deux ne sera pas directe, mais nécessairement harmonique, inspirant une nouvelle harmonie : c’est le même exprimé, la ligne, qui s’exprime dans l’élévation du chant intérieur de l’âme, par mémoire ou par cœur, et dans la fabrication extrinsèque de la partition matérielle, de cause en cause. Mais, justement, l’exprimé n’existe pas hors de ses expressions.
3. Le haut et le bas : l’accord parfait de la scission, ou la résolution de la tension, se fait par la distribution de deux étages, les deux étages étant d’un seul et même monde (la ligne d’univers). La matière-façade va en bas, tandis que l’âme-chambre monte. Le pli infini passe donc entre deux étages. Mais, se différenciant, il essaime des deux côtés : le pli se différencie en plis, qui s’insinuent à l’intérieur et qui débordent à l’extérieur, s’articulant ainsi comme le haut et le bas. Replis de la matière sous la condition d’extériorité, plis dans l’âme sous la condition de clôture. Replis de la partition et plis du chant. Le Baroque est l’art informel par excellence : au sol, au ras du sol, sous la main, il comprend les textures de la matière (les grands peintres baroques modernes, de Paul Klee à Fautrier, Dubuffet, Bettencourt...). Mais l’informel n’est pas négation de la forme : il pose la forme comme pliée, et n’existant que comme « paysage du mental », dans l’âme ou dans la tête, en hauteur ; il comprend donc aussi les plis immatériels. Les matières, c’est le fond, mais les formes pliées sont des manières. On va des matières aux manières. Des sols et terrains, aux habitats et salons. De la Texturologie à la Logologie. Ce sont les deux ordres, les deux étages de Dubuffet, avec la découverte de leur harmonie qui doit aller jusqu’à l’indiscernabilité : est-ce une texture, ou un pli de l’âme, de la pensée20 ? La matière qui révèle sa texture devient matériau, comme la forme qui révèle ses plis devient force. C’est le couple matériau-force qui, dans le Baroque, remplace la matière et la forme (les forces primitives étant celles de l’âme).
4. Le dépli : ce n’est certes pas le contraire du pli, ni son effacement, mais la continuation ou l’extension de son acte, la condition de sa manifestation. Quand le pli cesse d’être représenté pour devenir « méthode », opération, acte, le dépli devient le résultat de l’acte qui s’exprime précisément de cette façon. Hantaï commence par représenter le pli, tubulaire et fourmillant, mais bientôt plie la toile ou le papier. Alors, c’est comme deux pôles, celui des « Études » et celui des « Tables ». Tantôt la surface est localement et irrégulièrement pliée, et ce sont les côtés extérieurs du pli ouvert qui sont peints, si bien que l’étirement, l’étalement, le dépliement fait alterner les plages de couleur et les zones de blanc, modulant les unes sur les autres. Tantôt c’est le solide qui projette ses faces internes sur une surface plane régulièrement pliée suivant les arêtes : cette fois, le pli a un point d’appui, il est noué et fermé à chaque intersection, et se déplie pour faire circuler le blanc intérieur21. Tantôt faire vibrer la couleur dans les replis de la matière, tantôt faire vibrer la lumière dans les plis d’une surface immatérielle. Pourtant, qu’est-ce qui fait que la ligne baroque est seulement une possibilité d’Hantaï ? C’est qu’il ne cesse d’affronter une autre possibilité, qui est la ligne d’Orient. Le peint et le non-peint ne se distribuent pas comme la forme et le fond, mais comme le plein et le vide dans un devenir réciproque. C’est ainsi qu’Hantaï laisse vide l’œil du pli, et ne peint que les côtés (ligne d’Orient) ; mais il arrive aussi qu’il fasse dans la même région des pliages successifs qui ne laissent plus subsister de vides (ligne pleine baroque). Peut-être appartient-il profondément au Baroque de se confronter à l’Orient. C’est déjà l’aventure de Leibniz avec son arithmétique binaire : en un et zéro Leibniz reconnaît le plein et le vide à la manière chinoise ; mais Leibniz baroque ne croit pas au vide, qui lui semble toujours rempli d’une matière repliée, si bien que l’arithmétique binaire superpose les plis que le système décimal, et la Nature elle-même, cache dans des vides apparents. Les plis sont toujours pleins dans le Baroque et chez Leibniz22.
5. Les textures : la physique leibnizienne comprend deux chapitres principaux, l’un concernant les forces actives dites dérivatives, rapportées à la matière, l’autre les forces passives ou la résistance du matériau, la texture23. C’est peut-être à la limite que la texture apparaît le mieux, avant la rupture ou la déchirure, quand l’étirement ne s’oppose plus au pli, mais l’exprime à l’état pur, suivant une figure baroque indiquée par Bernard Cache (hystérésis plus encore qu’étirement). Là encore le pli repousse la fente et le trou, n’appartient pas à la même vision picturale.
En règle générale, c’est la manière dont une matière se plie qui constitue sa texture : elle se définit moins par ses parties hétérogènes et réellement distinctes que par la manière dont celles-ci deviennent inséparables en vertu de plis particuliers. D’où le concept de Maniérisme dans son rapport opératoire avec le Baroque. C’est ce que Leibniz disait quand il invoquait « le papier ou la tunique ». Tout se plie à sa manière, la corde et le bâton, mais aussi les couleurs qui se répartissent d’après la concavité et la convexité du rayon lumineux, et les sons, d’autant plus aigus que « les parties tremblantes sont plus courtes et plus tendues ». La texture ainsi ne dépend pas des parties elles-mêmes, mais des strates qui en déterminent la « cohésion » : le nouveau statut de l’objet, l’objectile, est inséparable des différentes strates qui se dilatent, comme autant d’occasions de détours et de replis. Par rapport aux plis dont elle est capable, la matière devient matière d’expression. À cet égard, le pli de matière ou texture doit être rapporté à plusieurs facteurs, et d’abord la lumière, le clair-obscur, la façon dont le pli accroche la lumière, varie lui-même suivant l’heure et l’éclairage (les recherches contemporaines de Tromeur, de Nicole Grenot). Mais aussi la profondeur : comment le pli détermine lui-même une « profondeur maigre » et superposable, le pli de papier définissant un minimum de profondeur à notre échelle, comme on le voit dans les porte-lettres baroques en trompe-l’œil, où c’est la représentation d’une carte cornée qui jette une profondeur en deçà du mur. De même la profondeur molle et superposée de l’étoffe qui n’a cessé d’inspirer la peinture, et qu’Helga Heinzen aujourd’hui porte à une nouvelle puissance, quand la représentation de l’étoffe rayée et plissée couvre tout le tableau, le corps devenu absent, dans des chutes et des élévations, des houles et des soleils, qui suivent une ligne venue d’Islam cette fois. Mais encore le théâtre des matières, pour autant qu’une matière saisie, durcie dans son étirement ou son hystérésis, peut devenir apte à exprimer en soi les plis d’une autre matière, comme dans les sculptures en bois de Renonciat, quand le cèdre du Liban devient bâche plastique, ou le pin de Paraña, « coton et plumes ». Enfin, la façon dont toutes ces textures de la matière tendent vers un point plus élevé, point spirituel qui enveloppe la forme, qui la tient enveloppée, et contient seul le secret des plis matériels en bas. D’où ceux-ci découleraient-ils, puisqu’ils ne s’expliquent pas par des parties composantes, et puisque le « fourmillement », le déplacement perpétuel du contour, vient de la projection dans la matière de quelque chose de spirituel, fantasmagorie de l’ordre de la pensée, comme dit Dubuffet ? D’une autre manière, le sculpteur Jeanclos trouve un chemin pourtant analogue quand il va des feuilles de chou physiques infiniment repliées, nouées, sanglées, ou de draps infiniment étirés, à des petits pois métaphysiques, dormeurs spirituels ou têtes de monades qui donnent un plein sens à l’expression « les plis du sommeil »24. Actives ou passives, les forces dérivatives de la matière renvoient à des forces primitives qui sont celles de l’âme. Toujours les deux étages, et leur harmonie, leur harmonisation.
6. Le paradigme : la recherche d’un modèle du pli passe bien par l’élection d’une matière. Est-ce le pli de papier, comme l’Orient le suggère, ou le pli de tissu, qui semble dominer l’Occident ? Mais toute la question est que les composantes matérielles du pli (la texture) ne doivent pas occulter l’élément formel ou la forme d’expression. À cet égard le pli grec n’est pas satisfaisant, bien qu’il ait la juste ambition de valoir dans les plus hauts domaines, pouvoir politique, puissance de penser : le paradigme platonicien du tissage comme entrelacement en reste aux textures et ne dégage pas les éléments formels du pli. C’est que le pli grec, comme le montrent le Politique et le Timée, suppose une commune mesure de deux termes qui se mélangent, et opère donc par des mises en cercle qui correspondent à la répétition de la proportion. C’est pourquoi les formes se plient chez Platon, mais on n’atteint pas à l’élément formel du pli. Celui-ci ne peut apparaître qu’avec l’infini, dans l’incommensurable et la démesure, quand la courbure variable a détrôné le cercle25. Tel est le cas du pli baroque, avec son statut correspondant de la puissance de penser et du pouvoir politique. Le paradigme devient « maniériste », et procède à une déduction formelle du pli. En ce sens, le goût du psychiatre Clérambault pour des plis venus d’Islam, et ses extraordinaires photos de femmes voilées, véritables tableaux proches de ceux d’Helga Heinzen aujourd’hui, ne témoignent pas, quoi qu’on ait dit, d’une simple perversion privée. Pas plus que le châle de Mallarmé, et son désir de diriger une revue de mode. S’il y a délire chez Clérambault, c’est suivant les plis qu’il retrouve dans les petites perceptions hallucinatoires des éthéromanes. Il appartient ainsi à la déduction formelle de chevaucher les matières et les domaines les plus divers. Elle y distinguera : les Plis, simples et composés ; les Ourlets (les nœuds et coutures étant des dépendances du pli) ; les Drapés, avec points d’appui26. C’est seulement ensuite que viendront les Textures matérielles, et enfin les Agglomérats ou Conglomérats (feutre, par foulage et non plus tissage). Nous verrons à quel point cette déduction est proprement baroque ou leibnizienne.
1. Monadologie, § 7 ; Lettre à la princesse Sophie, juin 1700 (GPh, VII, p. 554).
2. Leo Steinberg, Other criteria, New York : « le plan flatbed du tableau ».
3. Sur la ville baroque, et l’importance de la ville dans le Baroque, cf. Lewis Mumford, La Cité à travers l’histoire, Éd. du Seuil. Et Severo Sarduy, Barroco, Éd. du Seuil, « Le Caravage, la ville bourgeoise », pp. 61-66.
4. Cf. « L’usage de la chambre obscure » de Gravesande, in Sarah Kofman, Camera obscura, Éd. Galilée, pp. 79-97.
5. Michel Serres, II, p. 762.
6. Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France, Éd. Corti, pp. 168-171. Et, du même auteur, L’Intérieur et l’Extérieur.
7. Régis Debray, Éloges, Gallimard, « Le Tintoret ou le sentiment panique de la vie », pp. 13-57 (Debray reproche à Sartre de n’avoir vu dans le Tintoret que l’étage du bas). Et Jean Paris, L’Espace et le regard, Éd. du Seuil : l’analyse de l’« espace ascensionnel » chez le Greco, pp. 226-228 (« comme des ludions, les hommes équilibrent ainsi la gravité terrestre et l’attraction divine »).
8. André Scala s’est interrogé sur La Genèse du pli chez Heidegger (à paraître). La notion surgit entre 1946 et 1953, surtout dans « Moîra », Essais et conférences, Gallimard ; elle succède à l’Entre-deux ou Incident, Zwischen-fall, qui marquait plutôt un tombé. C’est le pli « grec » par excellence, rapporté à Parménide. Scala signale un commentaire de Riezler qui, dès 1933, trouvait chez Parménide « une plissure de l’être », « un pli de l’un en être et non-être, les deux étant étroitement tendus l’un dans l’autre » (Faltung) ; Kurt Goldstein, quand il se découvre parménidien pour une compréhension du vivant, se réclame de Riezler (La Structure de l’organisme, Gallimard, pp. 325-329). Une autre source selon Scala mettrait en jeu des problèmes de nouvelle perspective, et la méthode projective qui apparaissait déjà chez Dürer, sous le nom de « zwiefalten cubum » : cf. Panofsky, La Vie et l’art d’Albert Dürer, Éd. Hazan, p. 377 (« méthode originale et pour ainsi dire prototopologique qui consiste à développer les solides sur une surface plane, de façon que leurs faces forment un réseau cohérent, lequel découpé dans du papier et convenablement plié selon les arêtes des faces contiguës restitue la maquette en trois dimensions du solide considéré »). On retrouve des problèmes analogues dans la peinture contemporaine.
9. Monadologie, § 61 : « Celui qui voit tout pourrait lire dans chacun ce qui se fait partout et même ce qui s’est fait ou se fera... mais une âme ne peut lire en elle-même que ce qui y est représenté distinctement. »
10. Sur l’invention leibnizienne de l’arithmétique binaire, sur ses deux caractères, 1 et 0, lumière et ténèbres, sur le rapprochement avec les « figures chinoises de Fohy », cf. Invention de l’arithmétique binaire, Explication de l’arithmétique binaire (GM, VII). On se reportera à l’édition commentée de Christiane Frémont, Leibniz, Discours sur la théologie naturelle des Chinois, L’Herne.
11. Cf. Goethe, Traité des couleurs, Éd. Triades, § 902-909.
12. Préceptes pour avancer les sciences (GPh, VII, p. 169). Et Nouveaux essais, II, chap. 9, § 8.
13. Le noir, le sombre fond (« fuscum subnigrum »), les couleurs, le blanc et la lumière sont définis dans la Table de définitions, C, p. 489.
14. Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, VIII, § 244.
15. Cité par Bertram, Nietzsche, Éd. Rieder, p. 233.
16. Herbert Knecht, La Logique de Leibniz. Essai sur le rationalisme baroque, Éd. L’Âge d’homme ; Christine Buci-Glucksmann, La Folie du voir. De l’esthétique baroque, Éd. Galilée (l’auteur développe une conception du Baroque qui se réclame de Lacan et de Merleau-Ponty).
17. Marcel Schwob, Vies imaginaires, 10-18, pp. 229-231.
18. Baltrusaitis, Formations, déformations, Éd. Flammarion, chap. IX.
19. Bernard Cache, L’Ameublement du territoire.
20. Sur « les deux ordres », matériel et immatériel, Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, Gallimard, II, pp. 79-81. On consultera le Catalogue des travaux de Jean Dubuffet : « Tables paysagées, paysages du mental » ; et « Habitats, Closerie Falbala, Salon d’été » (le Cabinet logologique est un véritable intérieur de monade).
21. Sur Hantaï et la méthode de pliage, cf. Marcelin Pleynet, Identité de la lumière, catalogue Arca Marseille. Et aussi Dominique Fourcade, Un coup de pinceau c’est la pensée, catalogue Centre Pompidou ; Yves Michaud, Métaphysique de Hantaï, catalogue Venise ; Geneviève Bonnefoi, Hantaï, Beaulieu.
22. Leibniz comptait sur son arithmétique binaire pour découvrir une périodicité dans des séries de nombres : périodicité que la Nature cacherait peut-être « dans ses replis », comme pour les nombres premiers (Nouveaux essais, IV, chap. 17, § 13).
23. Sur les textures, Lettre à Des Bosses, août 1715. La physique de Leibniz témoigne d’un intérêt constant pour les problèmes de résistance des matériaux.
24. Jeanclos-Mossé. Sculptures et dessins, Maison de la culture d’Orléans.
25. Sur la présence ou l’absence de « commune mesure », De la liberté (F, p. 178).
26. Cf. Papetti, Valier, Fréminville et Tisseron, La Passion des étoffes chez un neuropsychiatre, G.G. de Clérambault, Éd. Solin, avec reproduction des photos, et des deux conférences sur le drapé (pp. 49-57). On pourrait croire que ces photos de plis surabondants renvoient à des poses choisies par Clérambault lui-même. Mais les cartes postales courantes de l’époque coloniale montrent aussi ces systèmes de plis qui prennent tout le vêtement des femmes marocaines, visage y compris : c’est un Baroque islamique.