chapitre 6

qu’est-ce qu’un événement ?

Whitehead, le successeur ou le diadoque, comme les platoniciens disaient du chef d’école. Mais c’est une école un peu secrète. Avec Whitehead retentit pour la troisième fois la question qu’est-ce qu’un événement ?1 Il recommence la critique radicale du schème attributif, le grand jeu des principes, la multiplication des catégories, la conciliation de l’universel et du cas, la transformation du concept en sujet : toute une hybris. C’est provisoirement la dernière grande philosophie anglo-américaine, juste avant que les disciples de Wittgenstein n’étendent leurs brumes, leur suffisance et leur terreur. Un événement, ce n’est pas seulement « un homme est écrasé » : la grande pyramide est un événement, et sa durée pendant 1 heure, 30 minutes, 5 minutes..., un passage de la Nature, ou un passage de Dieu, une vue de Dieu. Quelles sont les conditions d’un événement, pour que tout soit événement ? L’événement se produit dans un chaos, dans une multiplicité chaotique, à condition qu’une sorte de crible intervienne.

Le chaos n’existe pas, c’est une abstraction, parce qu’il est inséparable d’un crible qui en fait sortir quelque chose (quelque chose plutôt que rien). Le chaos serait un pur Many, pure diversité disjonctive, tandis que le quelque chose est un One, non pas une unité déjà, mais plutôt l’article indéfini qui désigne une singularité quelconque. Comment le Many devient-il un One ? Il faut qu’un grand crible intervienne, comme une membrane élastique et sans forme, comme un champ électromagnétique, ou comme le réceptacle du Timée, pour faire sortir un quelque chose du chaos, même si ce quelque chose en diffère très peu. C’est en ce sens que Leibniz déjà pouvait donner plusieurs approximations du chaos. D’après une approximation cosmologique, le chaos serait l’ensemble des possibles, c’est-à-dire toutes les essences individuelles en tant que chacune tend à l’existence pour son compte ; mais le crible ne laisse passer que des compossibles, et la meilleure combinaison de compossibles. Suivant une approximation physique, le chaos serait les ténèbres sans fond, mais le crible en extrait le sombre fond, le « fuscum subnigrum » qui, si peu qu’il diffère du noir, contient pourtant toutes les couleurs : le crible est comme la machine infiniment machinée qui constitue la Nature. D’un point de vue psychique, le chaos serait un universel étourdissement, l’ensemble de toutes les perceptions possibles comme autant d’infinitésimales ou d’infiniment petits ; mais le crible en extrairait des différentielles capables de s’intégrer dans des perceptions réglées2. Si le chaos n’existe pas, c’est parce qu’il est seulement l’envers du grand crible, et que celui-ci compose à l’infini des séries de touts et de parties, qui ne nous paraissent chaotiques (suites aléatoires) que par notre impuissance à les suivre, ou par l’insuffisance de nos cribles personnels3. Même la caverne n’est pas un chaos, mais une série dont les éléments sont encore des cavernes remplies d’une matière de plus en plus subtile, dont chacune s’étend sur les suivantes.

C’est bien la première composante ou condition de l’événement, pour Whitehead autant que pour Leibniz : l’extension. Il y a extension lorsqu’un élément s’étend sur les suivants, de telle manière qu’il est un tout, et les suivants, ses parties. Une telle connexion tout-parties forme une série infinie qui n’a pas de dernier terme ni de limite (si l’on néglige les limites de nos sens). L’événement est une vibration, avec une infinité d’harmoniques ou de sous-multiples, telle une onde sonore, une onde lumineuse, ou même une partie d’espace de plus en plus petite pendant une durée de plus en plus petite. Car l’espace et le temps sont, non pas des limites, mais les coordonnées abstraites de toutes les séries, elles-mêmes en extension : la minute, la seconde, le dixième de seconde... Nous pouvons alors considérer une deuxième composante de l’événement : les séries extensives ont des propriétés intrinsèques (par exemple, hauteur, intensité, timbre d’un son, ou teinte, valeur, saturation de la couleur), qui entrent pour leur compte dans de nouvelles séries infinies, celles-là convergeant vers des limites, et le rapport entre limites constituant une conjonction. La matière, ou ce qui remplit l’espace et le temps, présente de tels caractères déterminant chaque fois sa texture, en fonction des différents matériaux qui y entrent. Ce ne sont plus des extensions, mais, comme nous l’avons vu, des intensions, des intensités, des degrés. Ce n’est plus quelque chose plutôt que rien, mais ceci plutôt que cela. Non plus l’article indéfini, mais le pronom démonstratif. Il est remarquable que l’analyse de Whitehead, fondée sur les mathématiques et la physique, semble tout à fait indépendante de celle de Leibniz, bien qu’elle coïncide avec elle.

Puis vient la troisième composante, qui est l’individu. C’est là que la confrontation avec Leibniz est la plus directe. Pour Whitehead, l’individu est créativité, formation d’un Nouveau. Non plus l’indéfini ni le démonstratif, mais le personnel. Si nous appelons élément ce qui a des parties et est une partie, mais aussi ce qui a des propriétés intrinsèques, nous disons que l’individu est une « concrescence » d’éléments. C’est autre chose qu’une connexion ou une conjonction, c’est une préhension : un élément est le donné, le « datum » d’un autre élément qui le préhende. La préhension est l’unité individuelle. Toute chose préhende ses antécédents et ses concomitants et, de proche en proche, préhende un monde. L’œil est une préhension de la lumière. Les vivants préhendent l’eau, la terre, le carbone et les sels. La pyramide à tel moment préhende les soldats de Bonaparte (quarante siècles vous contemplent), et réciproquement. On peut dire que « les échos, reflets, traces, déformations prismatiques, perspectives, seuils, plis » sont les préhensions qui anticipent en quelque manière la vie psychique4. Le vecteur de préhension va du monde au sujet, du datum préhendé au préhendant (« superjet ») ; aussi les data d’une préhension sont-ils ses éléments publics, tandis que le sujet est l’élément intime ou privé, qui exprime l’immédiateté, l’individualité, la nouveauté5. Mais le datum, le préhendé, est lui-même une préhension préexistante ou coexistante, si bien que toute préhension est préhension de préhension, et l’événement, « nexus de préhensions ». Chaque préhension nouvelle devient un datum, elle devient publique, mais pour d’autres préhensions qui l’objectivent ; l’événement est inséparablement l’objectivation d’une préhension et la subjectivation d’une autre, il est à la fois public et privé, potentiel et actuel, entrant dans le devenir d’un autre événement et sujet de son propre devenir. Il y a toujours quelque chose de psychique dans l’événement.

Outre le préhendant et le préhendé, la préhension présente trois autres caractères. D’abord, la forme subjective est la manière dont le datum est exprimé dans le sujet, ou dont le sujet préhende activement le datum (émotion, évaluation, projet, conscience...). C’est la forme sous laquelle le datum est plié dans le sujet, « feeling » ou manière, du moins quand la préhension est positive. Car il y a des préhensions négatives, pour autant que le sujet exclut certains data de sa concrescence, et n’est alors rempli que par la forme subjective de cette exclusion. En second lieu, la visée subjective assure le passage d’un datum à un autre dans une préhension, ou d’une préhension à une autre dans un devenir, et met le passé dans un présent gros de futur. Enfin, la satisfaction comme phase finale, le self-enjoyment, marque la façon dont le sujet se remplit de soi, atteignant à une vie privée de plus en plus riche, quand la préhension se remplit de ses propres data. C’est une notion biblique, et aussi néo-platonicienne, que l’empirisme anglais a portée au plus haut point (notamment Samuel Butler). La plante chante la gloire de Dieu, en se remplissant d’autant plus d’elle-même qu’elle contemple et contracte intensément les éléments dont elle procède, et éprouve dans cette préhension le self-enjoyment de son propre devenir.

Ces caractères de la préhension appartiennent aussi à la monade leibnizienne. Et, d’abord, la perception est le datum du sujet préhendant, non pas au sens où celui-ci subirait un effet passif, mais, au contraire, en tant qu’il actualise un potentiel, ou l’objective en vertu de sa spontanéité : aussi la perception est-elle l’expression active de la monade, en fonction de son propre point de vue6. Mais la monade a plusieurs formes d’expression actives qui sont ses manières, suivant que ses perceptions sont sensibles, affectives ou conceptuelles7. L’appétition désigne en ce sens le passage d’une perception à une autre, comme constitutif d’un devenir. Enfin, ce devenir ne s’achève pas sans que l’ensemble des perceptions ne tendent à s’intégrer dans un « plaisir entier et véritable », Contentement dont la monade se remplit elle-même quand elle exprime le monde, Joie musicale de contracter les vibrations, d’en calculer sans le savoir les harmoniques et d’en tirer la force d’aller toujours plus loin, pour produire quelque chose de nouveau8. Car c’est avec Leibniz que surgit en philosophie le problème qui ne cessera de hanter Whitehead et Bergson : non pas comment atteindre à l’éternel, mais à quelles conditions le monde objectif permet-il une production subjective de nouveauté, c’est-à-dire une création ? Le meilleur des mondes n’avait pas d’autre sens : ce n’était pas le moins abominable ou le moins laid, mais celui dont le Tout laissait possible une production de nouveauté, une libération de véritables quanta de subjectivité « privée », fût-ce au prix de la soustraction des damnés. Le meilleur des mondes n’est pas celui qui reproduit l’éternel, mais celui où se produit le nouveau, celui qui a une capacité de nouveauté, de créativité : conversion téléologique de la philosophie9.

Il n’y en a pas moins des Objets éternels. C’est même la quatrième et dernière composante de l’événement selon Whitehead : les extensions, les intensités, les individus ou préhensions, et enfin les objets éternels, ou « ingressions ». En effet, les extensions ne cessent de se déplacer, gagnent et perdent des parties emportées par le mouvement ; les choses ne cessent de s’altérer ; même les préhensions ne cessent d’entrer et de sortir de composés variables. Les événements sont des flux. Qu’est-ce qui nous permet de dire, dès lors : c’est le même fleuve, c’est la même chose ou la même occasion...? C’est la grande pyramide... Il faut qu’une permanence s’incarne dans le flux, qu’elle soit saisie dans la préhension. La grande pyramide signifie deux choses, un passage de la Nature ou un flux, qui perd et gagne des molécules à chaque moment, mais aussi un objet éternel qui demeure le même à travers les moments10. Tandis que les préhensions sont toujours des actuels (une préhension n’est un potentiel que par rapport à une autre préhension actuelle), les objets éternels sont de pures Possibilités qui se réalisent dans les flux, mais aussi de pures Virtualités qui s’actualisent dans les préhensions. Ce pourquoi une préhension ne saisit pas d’autres préhensions sans appréhender des objets éternels (feeling proprement conceptuel). Les objets éternels font ingression dans l’événement. Ce sont tantôt des Qualités, comme une couleur, un son, qui qualifient un composé de préhensions, tantôt des Figures, comme la pyramide, qui déterminent une étendue, tantôt des Choses, comme l’or, le marbre, qui découpent une matière. Leur éternité ne s’oppose pas à la créativité. Inséparables de processus d’actualisation ou de réalisation dans lesquels ils entrent, ils n’ont de permanence que dans les limites des flux qui les réalisent, ou des préhensions qui les actualisent. Un objet éternel peut donc cesser de s’incarner, comme de nouvelles choses, une nouvelle teinte, une nouvelle figure, peuvent enfin trouver leurs conditions.

La situation n’était pas différente chez Leibniz. Car, si les monades ou substances simples sont toujours des actuels, elles renvoient non seulement à des virtualités qu’elles actualisent en elles-mêmes, comme en témoignent les idées innées, mais encore à des possibilités qui se réalisent dans les substances composées (ainsi les qualités perçues), ou dans les agrégats matériels (choses), ou dans les phénomènes étendus (figures). C’est que tout est fleuve en bas, « dans un flux perpétuel, et des parties y entrent et en sortent continuellement »11. Le permanent, dès lors, ne se réduit pas aux monades qui actualisent le virtuel, mais s’étend aux possibilités qu’elles saisissent dans leurs actes de réflexion, et qui s’incarnent dans les composés matériels étendus. Les objets réflexifs sont le corrélat des monades raisonnables, comme chez Whitehead les objets éternels sont le corrélat des préhensions pensantes. Figures, choses et qualités sont des schémas de permanence qui se réfléchissent ou s’actualisent dans les monades, mais qui se réalisent dans les flux ; même les substances composées, nous le verrons, ont besoin d’une qualité ultime qui marque chacune.

Il y a concert ce soir. C’est l’événement. Des vibrations sonores s’étendent, des mouvements périodiques parcourent l’étendue avec leurs harmoniques ou sous-multiples. Les sons ont des propriétés internes, hauteur, intensité, timbre. Les sources sonores, instrumentales ou vocales, ne se contentent pas de les émettre : chacune perçoit les siens, et perçoit les autres en percevant les siens. Ce sont des perceptions actives qui s’entr’expriment, ou bien des préhensions qui se préhendent les unes les autres : « D’abord le piano solitaire se plaignit, comme un oiseau abandonné de sa compagne ; le violon l’entendit, lui répondit comme d’un arbre voisin. C’était comme au commencement du monde... » Les sources sonores sont des monades ou des préhensions qui s’emplissent d’une joie de soi-même, d’une satisfaction intense, à mesure qu’elles se remplissent de leurs perceptions et passent d’une perception à une autre. Et les notes de la gamme sont des objets éternels, pures Virtualités qui s’actualisent dans les sources, mais aussi pures Possibilités qui se réalisent dans les vibrations ou les flux. « Comme si les instrumentistes beaucoup moins jouaient la petite phrase qu’ils n’exécutaient les rites exigés d’elle pour qu’elle apparût... » Mais voilà que, à cet ensemble, Leibniz ajoute les conditions d’un concert baroque : si l’on suppose que le concert se répartit en deux sources sonores, on pose que chacune n’entend que ses propres perceptions, mais s’accorde avec celles de l’autre encore mieux que si elle les percevait, en raison des règles verticales d’harmonie qui se trouvent enveloppées dans leur spontanéité respective. Ce sont les accords qui remplacent les connexions horizontales12.

Il y a une grande différence qui dépend de cette condition baroque de Leibniz. C’est que, chez Whitehead, les préhensions sont directement en prise les unes sur les autres, soit parce qu’elles en prennent d’autres pour data et forment un monde avec elles, soit parce qu’elles en excluent d’autres (préhensions négatives), mais toujours dans le même univers en processus. Chez Leibniz, au contraire, les monades n’excluent que des univers incompossibles avec leur monde, et toutes celles qui existent expriment le même monde sans exclusive. Comme ce monde n’existe pas hors des monades qui l’expriment, celles-ci ne sont pas en prise et n’ont pas de relations horizontales entre elles, pas de rapports intra-mondains, mais seulement un rapport harmonique indirect, pour autant qu’elles ont le même exprimé : elles « s’entr’expriment » sans se capter. On dira dans les deux cas que les unités monadiques ou préhensives n’ont pas de porte ni de fenêtre. Mais, selon Leibniz, c’est parce que l’être-pour le monde des monades est soumis à une condition de clôture, toutes les monades compossibles incluant un seul et même monde. Selon Whitehead, au contraire, c’est une condition d’ouverture qui fait que toute préhension est déjà préhension d’une autre préhension, soit pour la capter, soit pour l’exclure : la préhension est par nature ouverte, ouverte sur le monde, sans avoir à passer par une fenêtre13. Une telle différence a bien sûr une raison. Chez Leibniz, nous l’avons vu, les bifurcations, les divergences de séries, sont de véritables frontières entre des mondes incompossibles entre eux ; si bien que les monades qui existent incluent intégralement le monde compossible qui passe à l’existence. Pour Whitehead (et pour beaucoup de philosophes modernes), au contraire, les bifurcations, les divergences, les incompossibilités, les désaccords appartiennent au même monde bigarré, qui ne peut plus être inclus dans des unités expressives, mais seulement fait ou défait suivant des unités préhensives et d’après des configurations variables, ou des captures changeantes. Les séries divergentes tracent dans un même monde chaotique des sentiers toujours bifurcants, c’est un « chaosmos », comme on le trouve chez Joyce, mais aussi chez Maurice Leblanc, Borges ou Gombrowicz14. Même Dieu cesse d’être un Être qui compare les mondes et choisit le compossible le plus riche ; il devient Processus, processus qui affirme à la fois les incompossibilités, et passe par elles. Le jeu du monde a singulièrement changé, puisqu’il est devenu le jeu qui diverge. Les êtres sont écartelés, maintenus ouverts par les séries divergentes et les ensembles incompossibles qui les entraînent au-dehors, au lieu de se fermer sur le monde compossible et convergent qu’ils expriment du dedans. Les mathématiques modernes en ce sens ont pu développer une conception fibrée, d’après laquelle les « monades » expérimentent des chemins dans l’univers et entrent dans des synthèses associées à chaque chemin15. C’est un monde de captures plutôt que de clôtures.

Nous pouvons mieux comprendre en quoi le Baroque est une transition. La raison classique s’est écroulée sous le coup des divergences, incompossibilités, désaccords, dissonances. Mais le Baroque est l’ultime tentative de reconstituer une raison classique, en répartissant les divergences en autant de mondes possibles, et en faisant des incompossibilités autant de frontières entre les mondes. Les désaccords qui surgissent dans un même monde peuvent être violents, ils se résolvent en accords, parce que les seules dissonances irréductibles sont entre mondes différents. Bref, l’univers baroque voit s’estomper ses lignes mélodiques, mais, ce qu’il semble perdre, il le regagne en harmonie, par l’harmonie. Confronté au pouvoir des dissonances, il découvre une florescence d’accords extraordinaires, lointains, qui se résolvent dans un monde choisi, même au prix de la damnation. Cette reconstitution ne pouvait être que temporaire. Viendra le Néo-baroque, avec son déferlement de séries divergentes dans le même monde, son irruption d’incompossibilités sur la même scène, là où Sextus viole et ne viole pas Lucrèce, où César franchit et ne franchit pas le Rubicon, où Fang tue, est tué et ne tue pas ni n’est tué. L’harmonie traverse une crise à son tour, au profit d’un chromatisme élargi, d’une émancipation de la dissonance ou d’accords non résolus, non rapportés à une tonalité. Le modèle musical est le plus apte à faire comprendre la montée de l’harmonie dans le Baroque, puis la dissipation de la tonalité dans le Néo-baroque : de la clôture harmonique à l’ouverture sur une polytonalité, ou, comme dit Boulez, une « polyphonie de polyphonies ».


1.  Nous nous reportons ci-dessous aux trois livres principaux de Whitehead : The Concept of Nature, Cambridge University Press, pour les deux premières composantes de l’événement, extensions et intensités ; et pour la troisième, les préhensions, Process and Reality, The Free Press, et Adventures of Ideas, idem. Sur l’ensemble de la philosophie de Whitehead, on consultera Wahl, Vers le concret, Éd. Vrin, Cesselin, La Philosophie organique de Whitehead, PUF, Dumoncel, Whitehead ou le cosmos torrentiel, Archives de philosophie, décembre 1984 et janvier 1985.

2 C’est Michel Serres qui a analysé cette opération du crible ou de la « cribratio » chez Leibniz, I, pp. 107-127 : « Il y aurait deux infra-conscients : le plus profond serait structuré comme un ensemble quelconque, pure multiplicité ou possibilité en général, mélange aléatoire de signes ; le moins profond serait recouvert des schémas combinatoires de cette multiplicité, il serait déjà structuré comme une mathématique complète, arithmétique, géométrie, calcul infinitésimal... » (p. 111). Serres montre l’opposition profonde de cette méthode avec la méthode cartésienne : il y a une infinité de filtres ou de cribles superposés, depuis nos sens eux-mêmes jusqu’au filtre ultime au-delà duquel il y aurait le chaos. Le modèle du filtre est la clé des Méditations sur la connaissance, la vérité et les idées.

3 Lettre à Bourguet, mars 1714 (GPh, III, p. 565) : « Lorsque je tiens qu’il n’y a point de chaos, je n’entends point que notre globe ou d’autres corps n’aient jamais été dans un état de confusion extérieure..., mais j’entends que celui qui aurait les organes sensitifs assez pénétrants pour s’apercevoir des petites parties des choses, trouverait tout organisé... Car il est impossible qu’une créature soit capable de tout pénétrer à la fois dans la moindre parcelle de la matière, puisque la sous-division actuelle va à l’infini. »

4 Dumoncel, 1985, p. 573.

5 Process and Reality invoque constamment le couple « public-privé ». L’origine de cette distinction est dans le Discours de métaphysique, § 14 ; nous verrons l’importance de ce thème.

6 Lettre à Des Bosses, avril 1709 : « L’action propre à l’âme est la perception. »

7 Lettre à Arnauld, septembre 1687, GPh, II, p. 112.

8 Principes de la Nature et de la Grâce, § 17.

9 C’est la Profession de foi du philosophe qui va le plus loin dans l’analyse du « contentement » subjectif, et la conciliation de la « nouveauté » avec le tout (pp. 87-89).

10 Whitehead, The Concept of Nature, p. 77 : « L’événement constitué par la vie naturelle dans la grande pyramide hier et aujourd’hui est divisible en deux parties, la grande pyramide hier et la grande pyramide aujourd’hui. Mais l’objet de recognition qui, lui aussi, est appelé grande pyramide, est le même objet aujourd’hui et hier. »

11 Monadologie, § 71 (et sur les « actes réflexifs », § 30).

12 Cf. les conditions du concert, Lettre à Arnauld, avril 1687, GPh, II, p. 95.

13 C’était la remarque de Heidegger : la monade n’a pas besoin de fenêtre, parce qu’elle « est déjà dehors conformément à son être propre » (Les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie, Gallimard, p. 361).

14 On se reportera notamment au jeu des séries divergentes dans Cosmos de Gombrowicz, Éd. Denoël.

15 Sur la nouvelle monadologie mathématique, depuis Riemann, cf. Gilles Chatelet, « Sur une petite phrase de Riemann », Analytiques, no 3, mai 1979.