chapitre 8

les deux étages

Déjà dans un texte de jeunesse, Leibniz reproche aux nominalistes de ne concevoir de totalités que collectives, et par là de rater le concept : la compréhension du concept est un distributif, non pas un collectif. Les moutons sont membres d’un troupeau collectivement, mais les hommes sont raisonnables chacun pour son compte1. Or Leibniz s’aperçoit que les monades, en tant qu’êtres raisonnables, sont à l’égard du monde comme à l’égard de la compréhension de leur concept : chacune pour son compte inclut le monde entier. Les monades sont des chacun (every), tandis que les corps sont des one, some ou any : William James et Russell tireront grand parti de cette différence. Les monades sont des unités distributives, suivant un rapport chacun-tout, tandis que les corps sont des collectifs, troupeaux ou agrégats, suivant un rapport les uns-les autres. La répartition de deux étages semble donc stricte, puisque nous avons en haut les monades raisonnables ou les Chacun, comme des appartements privés qui ne communiquent pas, qui n’agissent pas les uns sur les autres, et qui sont les variantes d’une même décoration intérieure, tandis que nous trouvons en bas l’univers matériel des corps, comme des Communs qui ne cessent de communiquer du mouvement, de propager des ondes, d’agir les uns sur les autres. Sans doute y a-t-il convergence, parce que chaque monade exprime le tout du monde, et qu’un corps reçoit l’impression de « tous » les autres, à l’infini2. Mais cette convergence passe par des voies ou des régimes tout à fait différents, régime d’expression et régime d’impression, causalité verticale immanente, causalité transitive horizontale. On peut les opposer sommairement : dans un cas, il s’agit des concepts de la liberté ou de la grâce ; il s’agit de « décrets libres », de causes finales et de « nécessité morale » (le meilleur). Dans l’autre cas, nous avons affaire à des concepts de la nature, des causes efficientes, des « maximes subalternes » comme lois physiques, et la nécessité y est hypothétique (si l’un est..., alors l’autre...).

Il n’y a pas seulement convergence, mais de larges empiétements de part et d’autre. Les maximes subalternes font partie des décrets libres, et certaines concernent directement les monades pour autant que celles-ci forment déjà une « nature » première ; la nécessité morale et la nécessité hypothétique font bloc, et les causes efficientes n’agiraient jamais si des causes finales ne venaient remplir la condition3. Et pourtant il s’agit bien de deux moitiés, comme nous venons de le voir pour le calcul infinitésimal. En effet, si l’on assimile l’objet, c’est-à-dire le monde, à l’équation primitive d’une courbe d’inflexion infinie, on obtient la position ou le point de vue respectif des monades comme forces primitives, par une simple règle des tangentes (vecteurs de concavité), et l’on extrait de l’équation des rapports différentiels qui sont présents dans chaque monade entre petites perceptions, de telle manière que chacune exprime toute la courbe de son point de vue. C’est donc une première partie, un premier moment de l’objet, l’objet comme perçu ou le monde comme exprimé. Mais la question subsiste de savoir quelle est l’autre partie qui correspond maintenant à l’équation de départ : ce ne sont plus de purs rapports, mais des équations différentielles et des intégrations qui déterminent les causes efficientes de la perception, c’est-à-dire qui concernent une matière et des corps auxquels la perception ressemble. Tel est le second moment de l’objet, non plus l’expression, mais le contenu4. Ce ne sont plus des décrets, mais des maximes ou lois empiriques de la Nature seconde. Ce ne sont plus des singularités d’inflexion, mais des singularités d’extremum, parce que la courbe est rapportée maintenant, et seulement maintenant, à des coordonnées qui permettent de déterminer des minima ou des maxima. Ce ne sont plus des vecteurs de concavité qui définissent la position des monades par rapport à l’inflexion, mais des vecteurs de pesanteur qui définissent la position d’équilibre d’un corps au plus bas du centre de gravité (la chaînette). Ce n’est plus une détermination réciproque par rapports différentiels, mais une détermination complète de l’objet par maximum ou minimum : trouver la forme d’une ligne fermée de longueur donnée qui limite la plus grande surface plane possible, trouver la surface d’aire minima limitée par un contour donné. Partout dans la matière, le calcul « de minimis et maximis » permettra de déterminer la modification du mouvement par rapport à l’action, le cheminement de la lumière par rapport à la réflexion ou à la réfraction, la propagation des vibrations par rapport aux fréquences d’harmoniques, mais aussi l’organisation des récepteurs, et la diffusion générale ou la répartition d’équilibre des forces dérivatives de toute sorte, élastiques et plastiques5.

C’est comme si l’équation du monde devait être tracée deux fois, une fois dans les esprits qui la conçoivent plus ou moins distinctement, une autre fois dans une Nature qui l’effectue, sous forme de deux calculs. Et sans doute ces deux calculs s’enchaînent ou se continuent, ils sont complémentaires et doivent être homogénéisés. Ce pourquoi Leibniz peut présenter le choix du monde ou des monades comme opérant déjà par un calcul de maximum et de minimum ; la différence des deux moitiés n’en subsiste pas moins, puisque dans un cas ce sont les rapports différentiels qui déterminent un maximum de quantité d’être, tandis que dans l’autre cas c’est le maximum (ou le minimum) qui détermine les rapports dans l’équation. Nous avons vu la diversité des singuliers chez Leibniz : les propriétés d’extremum règlent bien la constitution du monde choisi dans la Nature, mais le choix même renvoie d’abord à d’autres propriétés, d’inflexion, qui mettent en jeu la forme de l’ensemble, à un niveau supérieur, comme la propriété d’être la limite d’une suite convergente6. La grande équation, le monde a donc deux niveaux, deux moments ou deux moitiés, l’une par laquelle il est enveloppé ou plié dans les monades, l’autre, engagé ou replié dans la matière. Si l’on confond les deux, c’est tout le système qui s’écroule, mathématiquement non moins que métaphysiquement. À l’étage supérieur, nous avons une ligne à courbure variable, sans coordonnées, une courbe à inflexion infinie, où des vecteurs internes de concavité marquent pour chaque branche la position de monades individuelles en apesanteur. Mais, à l’étage d’en bas seulement, nous avons des coordonnées qui déterminent des extrema, des extrema qui définissent la stabilité de figures, des figures qui organisent des masses, des masses qui suivent un vecteur extrinsèque de pesanteur ou de plus grande pente : c’est déjà l’ogive comme mise en symétrie de l’inflexion, qui réalise la figure apte à rencontrer le minimun de résistance d’un fluide7. C’est bien l’organisation de la maison baroque, et sa répartition en deux étages, l’un tout en apesanteur individuelle, l’autre en pesanteur de masse, et la tension des deux, quand le premier s’élève ou retombe, élévation spirituelle et gravité physique.

Raymond Ruyer (le plus récent des grands disciples de Leibniz) oppose les « formes vraies » aux figures et structures8. Les figures sont des fonctions qui renvoient à des axes de coordonnées, et les structures, des fonctionnements qui renvoient à des positions relatives ordonnées de proche en proche, suivant des états d’équilibre et des liaisons horizontales, même quand il y a rapport de dominance. Mais les formes, dites substantielles ou individuelles, sont des positions absolues verticales, des surfaces ou des volumes absolus, des domaines unitaires de « survol », qui n’impliquent plus comme les figures une dimension supplémentaire pour se saisir elles-mêmes, et ne dépendent plus comme les structures de liaisons localisables préexistantes. Ce sont des âmes, des monades, des superjets, en « auto-survol ». Présentes à soi dans la dimension verticale, se survolant sans prendre de distance, ce ne sont ni des objets capables d’expliquer la perception, ni des sujets capables de saisir un objet perçu, mais des intériorités absolues qui se saisissent elles-mêmes et tout ce qui les remplit, dans un processus de « self-enjoyment », tirant de soi tout le perçu auquel elles sont co-présentes sur cette surface interne à un seul côté, indépendamment d’organes récepteurs et d’excitations physiques qui n’interviennent pas à ce niveau. Mes yeux renverraient à un troisième œil, et celui-ci à un quatrième, si une forme absolue n’était capable de se voir elle-même, et par là de voir tous les détails de son domaine à tous les endroits duquel elle se trouve à la fois : liaisons non localisables. Ces formes vraies ne se disent pas seulement des organismes vivants, mais des particules physico-chimiques, molécule, atome, photon, chaque fois qu’il y a des êtres individuels assignables qui ne se contentent pas de fonctionner, mais ne cessent de « se former ». La question n’est donc pas celle d’un vitalisme, bien que la variété interne des formes rende compte des différences entre l’organique et l’inorganique. De toute façon, les formes vraies ou absolues sont des forces primitives, des unités primaires essentiellement individuelles et actives, qui actualisent un virtuel ou potentiel, et qui s’accordent les unes aux autres sans se déterminer de proche en proche.

La Gestalttheorie a cru atteindre à ces formes en invoquant, pour les figures perçues autant que pour les structures physiques, une action du tout et des équilibres dynamiques extrémaux, type « bulle de savon », qui permettraient de dépasser les simples actions de contact, les mécanismes de proche en proche et les liaisons préexistantes (par exemple, une loi de tension minima expliquerait la fixation fovéale, sans supposer de conducteurs spéciaux). Mais peut-être la Gestalt retrouve-t-elle ainsi la grande tentative des Newtoniens, quand ils commençaient à élaborer les notions d’attraction et de champ pour dépasser la mécanique classique. Or, à cet égard, l’opposition de Leibniz à Newton ne s’explique pas seulement par la critique du vide, mais parce que les phénomènes d’« attraction », auxquels Leibniz reconnaît volontiers une spécificité (magnétisme, électricité, volatilité), ne lui paraissent pourtant pas de nature à dépasser l’ordre des mécanismes de contact ou de proche en proche (les « poussées », les « impulsions »)9. Un trajet créé d’instant en instant par une diminution infinitésimale de tension n’opère pas moins de proche en proche qu’un chemin préformé, rail ou tuyauterie ; un remplissage progressif de tout l’espace possible par un ensemble d’ondes n’implique pas moins des actions de contact dans un fluide. Les lois d’extremum, récemment invoquées par D’Arcy Thomson pour rendre compte des phénomènes organiques, impliquent encore des chemins dans l’étendue qu’on ne peut comparer qu’en supposant la forme qu’on prétend expliquer. Bref, nous ne nous approchons pas ainsi des unités primaires actives, nous restons au contraire dans une étendue sans survol, et dans des liaisons sans raison suffisante. Ce que Leibniz réclame contre Newton (comme Ruyer contre les Gestaltistes), c’est l’établissement d’une vraie forme, irréductible à un tout apparent ou à un champ phénoménal, puisqu’elle doit garder la distinction de ses détails, et sa propre individualité même dans la hiérarchie où elle entre. Certes, les semi-touts autant que les parties, les attractions autant que les poussées, les équilibres dynamiques et mécaniques, les lois d’extremum et les lois de contact, les ondes et les tuyaux, les ligands et les colles, ont une grande importance. Ils sont indispensables, mais ne constituent que des liaisons secondaires horizontales, et suivent des maximes subalternes d’après lesquelles les structures fonctionnent et les figures s’ordonnent ou s’enchaînent, une fois qu’elles sont formées. S’il y a finalité ici, c’est seulement celle que le mécanisme réalise.

Toutes ces lois sont comme statistiques, parce qu’elles concernent des collections, amas, organismes, et non plus des êtres individuels. Aussi n’expriment-elles pas les forces primitives des êtres individuels, mais elles distribuent des forces dérivatives dans les masses, forces élastiques, forces d’attraction, forces plastiques, qui déterminent dans chaque cas les liaisons matérielles. La grande différence ne passe donc pas entre l’organique et l’inorganique, mais traverse l’un comme l’autre en distinguant ce qui est être individuel et ce qui est phénomène de masse ou de foule, ce qui est forme absolue et ce qui est figure ou structure massives, molaires10. Ce sont les deux étages, ou les deux aspects du calcul. En haut, les êtres individuels et les formes vraies ou forces primitives ; en bas, les masses et les forces dérivatives, figures et structures. Et sans doute les êtres individuels sont les raisons dernières et suffisantes : ce sont leurs formes ou forces primitives, c’est la hiérarchie, l’accord et la variété de ces formes qui composent en dernière instance les collections, les différents types de collection. Mais l’étage d’en bas n’en est pas moins irréductible, parce qu’il implique une perte d’individualité des composants, et rapporte aux types de collections composées des forces de liaison matérielles ou secondaires. Il est certain qu’un étage se plie sur l’autre, mais avant tout chacun comporte un mode de pli très différent. Ce n’est pas de la même manière qu’une chaîne montagneuse se plisse, et une chaîne génétique, ou même une gastrula. Encore cet exemple porte-t-il sur l’organique et l’inorganique. Ce qu’il faut distinguer radicalement, ce sont les replis de la matière qui consistent toujours à cacher quelque chose de la surface relative qu’ils affectent, et les plis de la forme, qui révèlent au contraire à elle-même le détail d’une surface absolue, coprésente à toutes ses affections.

Pourquoi l’étage d’en bas, qui n’est pas une simple apparence ? C’est que le monde, la ligne embrouillée du monde est comme un virtuel qui s’actualise dans les monades : le monde n’a d’actualité que dans les monades dont chacune l’exprime de son propre point de vue, sur sa propre surface. Mais le couple virtuel-actuel n’épuise pas le problème, il y a un second couple très différent, possible-réel. Par exemple, Dieu choisit un monde parmi une infinité de mondes possibles : les autres mondes ont également leur actualité dans des monades qui les expriment, Adam ne péchant pas ou Sextus ne violant pas Lucrèce. Il y a donc de l’actuel qui reste possible, et qui n’est pas forcément réel. L’actuel ne constitue pas le réel, il doit lui-même être réalisé, et le problème de la réalisation du monde s’ajoute à celui de son actualisation. Dieu est « existentifiant » mais l’Existentifiant est d’une part Actualisant, d’autre part Réalisant. Le monde est une virtualité qui s’actualise dans les monades ou les âmes, mais aussi une possibilité qui doit se réaliser dans la matière ou les corps. Il est curieux, peut-on objecter, que la question de la réalité se pose à propos des corps qui, même s’ils ne sont pas des apparences, sont de simples phénomènes. Mais, ce qui est à proprement parler phénomène, c’est le perçu dans la monade. Quand, en vertu de la ressemblance du perçu avec quelque chose = x, nous demandons s’il n’y a pas des corps agissant les uns sur les autres de telle manière que nos perceptions internes leur correspondent, nous posons par là même la question d’une réalisation du phénomène, ou mieux d’un « réalisant » du perçu, c’est-à-dire de la transformation du monde actuellement perçu en monde objectivement réel, en Nature objective11. Ce n’est pas le corps qui réalise, mais c’est dans le corps que quelque chose se réalise, par quoi le corps devient lui-même réel ou substantiel.

Le processus d’actualisation opère par distribution, mais le processus de réalisation, par ressemblance. Ce qui soulève un point particulièrement délicat. Car, si le monde est pris dans un double processus, d’actualisation dans les monades et de réalisation dans les corps, en quoi consiste-t-il lui-même, comment le définir comme ce qui s’actualise et se réalise ? Nous nous trouvons devant des événements : l’âme d’Adam pèche actuellement (suivant des causes finales), et aussi son corps absorbe réellement la pomme (suivant des causes efficientes). Mon âme éprouve une douleur actuelle, mon corps reçoit un coup réel. Mais qu’est-ce que c’est, cette part secrète de l’événement qui se distingue à la fois de sa propre réalisation, de sa propre actualisation, bien qu’elle n’existe pas en dehors ? Cette mort, par exemple, qui n’est ni la réalité extérieure de la mort ni son intimité dans l’âme. Nous l’avons vu, c’est la pure inflexion comme idéalité, singularité neutre, un incorporel autant qu’un impassible, pour parler comme Blanchot, « la part de l’événement que son accomplissement » ne peut pas actualiser, ni son effectuation réaliser12. C’est l’exprimable de toutes les expressions, le réalisable de toutes les réalisations, Eventum tantum auquel âme et corps tentent de s’égaler, mais qui n’en finit pas d’arriver et ne cesse pas de nous attendre : virtualité et possibilité pures, le monde à la manière d’un Incorporel stoïcien, le pur prédicat. Comme dirait le philosophe chinois (ou japonais), le monde est le Cercle, la pure « réserve » des événements, qui s’actualisent dans chaque moi et se réalisent dans les choses une à une. La philosophie de Leibniz, comme dans les lettres à Arnauld, exige cette préexistence idéale du monde, tant par rapport aux monades spirituelles que par rapport à l’univers matériel, cette part muette et ombrageuse de l’événement. Nous ne pouvons parler de l’événement que déjà engagé dans l’âme qui l’exprime et dans le corps qui l’effectue, mais nous ne pourrions pas du tout parler sans cette part qui s’en soustrait. Si difficile que ce soit, nous devons penser la bataille navale à partir d’un potentiel qui déborde les âmes qui la mènent et les corps qui l’exécutent.

C’est par rapport au monde que l’univers matériel peut être dit expressif, autant que les âmes : les unes expriment en actualisant, l’autre, en réalisant. Certes, ce sont deux régimes d’expression très différents, réellement distincts, puisque l’un est distributif, l’autre collectif : chaque monade exprime pour son compte le monde entier, indépendamment des autres et sans influx, tandis que tout corps reçoit l’impression ou l’influx des autres, et c’est l’ensemble des corps, c’est l’univers matériel qui exprime le monde. L’harmonie préétablie se présente donc d’abord comme un accord entre les deux régimes. Mais ceux-ci ont une seconde différence : l’expression de l’âme va du tout au particulier, c’est-à-dire du monde entier à une zone privilégiée, tandis que l’expression de l’univers va de partie en partie, du proche au lointain, dans la mesure où un corps correspond à la zone privilégiée de l’âme, et subit de proche en proche l’impression de tous les autres. De ce point de vue, il y a toujours un corps qui exprime de son côté, avec ses alentours, ce qu’une âme exprime dans sa région particulière, et l’harmonie préétablie est entre l’âme et « son » corps. Mais qu’est-ce qui permet de dire « le corps d’une monade », « son corps », puisque la monade est toujours un Chacun, Every, mais le corps, toujours un corps, un One ? Qu’est-ce qui fonde l’appartenance d’un corps à chaque monade, malgré la distinction réelle et la différence d’étage ou de régime ? Il faut qu’un One, sans cesser d’être un One, appartienne à chaque Every. Bref, l’harmonie préétablie ne se distingue pas seulement en elle-même de l’occasionnalisme de Malebranche ou du parallélisme de Spinoza, mais aussi par ses conséquences : loin de remplacer le problème de l’union de l’âme et du corps, de l’incarnation ou de la « présence immédiate », elle le rend d’autant plus nécessaire, ne serait-ce que pour passer du premier aspect au second13. En effet, l’harmonie explique la correspondance entre chaque âme et l’univers matériel, mais, quand elle invoque la correspondance entre l’âme et son corps, elle ne peut pas l’expliquer par un rapport quelconque dans le corps, parce qu’un tel rapport suppose une appartenance préalable. C’est seulement au niveau d’une théorie de l’appartenance que le problème trouvera sa solution : que veut dire appartenir, et en quel sens un corps appartient-il à chaque âme ?

Husserl se réclame de Leibniz à bon droit, dans la dernière des Méditations cartésiennes. Il développe en effet toute une théorie de l’appartenance, qui reprend trois grands moments exposés par Leibniz : la monade, c’est l’Ego dans sa plénitude concrète, le Moi rapporté à une « sphère d’appartenance », à la sphère de ses possessions ; mais moi, monade, je trouve dans la sphère de ce qui m’appartient la marque de quelque chose qui ne m’appartient pas, qui m’est étranger ; je peux ainsi constituer une Nature objective à laquelle appartiennent l’étranger et moi-même. À la première question « qu’est-ce qui m’appartient ? », Leibniz répond déjà comme le fera Husserl : c’est d’abord la pensée du moi, le cogito, mais aussi le fait que j’ai des pensées diverses, toutes mes perceptions changeantes, tous mes prédicats inclus, le monde entier comme perçu ; et encore, c’est cette zone du monde que j’exprime clairement, ma possession spéciale ; et puis, c’est la matière première que je possède comme exigence d’avoir un corps. Et, enfin, c’est le corps, c’est un corps, je possède un corps qui vient remplir l’exigence, comme nous l’avons vu précédemment : un corps organique auquel je suis immédiatement « présent », dont je dispose d’une façon immédiate et auquel je coordonne du perçu (je perçois avec des organes, avec les mains, avec les yeux...). Voilà toute la liste de mes possessions ; la dernière se distingue de toutes les autres, parce qu’elle est extrinsèque, un corps n’étant pas dans ma monade. On peut déjà préciser la grande différence qu’il y aura entre Leibniz et Husserl : c’est au niveau du corps que Husserl découvre l’étranger comme étant l’autre-moi, l’autre monade, « par transposition aperceptive à partir de mon propre corps ». Il n’en est pas de même chez Leibniz, pour qui la pluralité des monades a été découverte à un stade antérieur : en effet, tout ce qui excède ma zone claire ou mon département, et que pourtant j’inclus, tout ce qui reste sombre ou obscur en moi, est comme l’image négative d’autres monades, parce que d’autres monades en font leur zone claire à elles. Si bien qu’il y a déjà une communauté de monades, et une Nature première constituée par toutes leurs zones claires respectives, qui n’a pas besoin des corps pour apparaître. Certes, aucune monade n’en contient d’autres, mais mes possessions intrinsèques comportent suffisamment la marque d’étrangers dont je découvre l’ombre en moi, dans mon sombre fond, puisqu’il n’y a rien d’obscur en moi qui ne doive être tiré au clair dans une autre monade. Chez Leibniz, donc, si une rencontre avec l’étranger se produit au niveau du corps, ce ne sera pas avec l’autre-moi, mais avec quelque chose de plus inattendu, qui constitue une Nature seconde.

J’ai un corps, un corps m’appartient : comment ma monade peut-elle avoir une possession extrinsèque, hors d’elle, à l’étage d’en bas ? Une des thèses essentielles de Leibniz consiste à poser à la fois la distinction réelle et l’inséparabilité : ce n’est pas parce que deux choses sont réellement distinctes qu’elles sont séparables. C’est même là que l’Harmonie et l’Union trouvent le principe de leur répartition : l’harmonie préétablie de l’âme et du corps régit leur distinction réelle, tandis que l’union détermine leur inséparabilité14. Même quand je meurs, ma monade ne se sépare pas d’un corps dont les parties se contentent d’involuer. Nous l’avons vu, ma monade ne perçoit pas en elle-même, sans avoir un corps à la « ressemblance » duquel elle perçoit. En vertu de la généralité de l’ordre de ressemblance, c’est un corps générique, spécifique, organique : un corps d’homme, ou bien de cheval, de chien... L’exigence d’avoir un corps est bien individuelle, mais non pas le corps qui vient la remplir, du moins pas immédiatement. Leibniz insiste souvent sur ce point : Dieu ne donne pas un corps à l’âme sans fournir des organes à ce corps. Or qu’est-ce qui fait un corps organique, spécifique ou générique ? Sans doute est-il fait d’infinités de parties matérielles actuelles, conformément à la division infinie, conformément à la nature des masses ou collections. Mais ces infinités à leur tour ne composeraient pas des organes, si elles n’étaient inséparables de foules de petites monades, monades de cœur, de foie, de genou, d’yeux, de mains (suivant leur zone privilégiée qui correspond à telle ou telle infinité) : monades animales qui appartiennent elles-mêmes aux parties matérielles de « mon » corps, et qui ne se confondent pas avec la monade à laquelle mon corps appartient. Ce sont seulement les requisits de mon corps organique, spécifique ou générique ; et il n’y a pas lieu de demander si la matière pense ou perçoit, mais seulement si elle est séparable ou non de ces petites âmes capables de percevoir15. On voit donc que la théorie leibnizienne de l’appartenance procède à un renversement fondamental qui ne va pas cesser de la relancer : il faut distinguer les monades qui ont un corps, auxquels un corps appartient, et les monades qui sont les requisits spécifiques de ce corps, ou qui appartiennent aux parties de ce corps. Et ces secondes monades, ces monades de corps, ont elles-mêmes un corps qui leur appartient, corps spécifiquement autre que celui dont elles sont les requisits, et dont les parties possèdent à leur tour des foules de monades tierces. Et ces monades tierces...16. Toujours l’âme et le corps sont réellement distincts, mais l’inséparabilité trace un va-et-vient entre les deux étages : ma monade unique a un corps ; les parties de ce corps ont des foules de monades ; chacune de ces monades a un corps...

Si mon corps, le corps qui m’appartient, est un corps suivant la loi des collections, c’est parce que ses parties non seulement grandissent et rapetissent, involuent et évoluent, mais ne cessent pas de passer, de s’en aller (fluxion). Et, quand elles s’en vont, les monades qui en sont inséparables les suivent ou m’échappent : requisits de mon corps, ce n’étaient que des requisits « pro tempore »17. La théorie de l’appartenance distingue donc des appartenances non symétriques et renversées (un corps appartient à ma monade, des monades appartiennent aux parties de mon corps), mais aussi des appartenances constantes ou temporaires (un corps appartient constamment à ma monade, des monades appartiennent temporairement à mon corps). C’est là que se fait, dans la théorie de l’appartenance, la révélation d’un demi-étranger : l’animal en moi comme être concret. La grande différence avec Husserl, c’est que celui-ci ne voit pas de problème spécial dans la composition organique : mon corps ne pose pas de problème dans ma sphère d’appartenance, et l’étranger ne surgit qu’avec l’autre corps à travers lequel je vise un Alter-Ego qui ne m’appartient pas ; quant à l’animal, c’est seulement une « anomalie » de cet Autre. Pour Leibniz, au contraire, l’alter-ego a déjà surgi à un stade précédent de la déduction phénoménologique, et s’explique suffisamment par l’harmonie préétablie. Avec l’union de l’âme et du corps, l’étranger qui surgit maintenant dans mes appartenances, pour les faire basculer, c’est l’animal, et d’abord les petits animaux inséparables des parties fluentes de mon corps, en tant qu’ils me redeviennent étrangers comme ils l’étaient auparavant. « Si l’âme de César, par exemple, devait être seule dans la nature, l’auteur des choses aurait pu se passer de lui donner des organes ; mais ce même auteur a voulu faire encore une infinité d’autres êtres qui sont enveloppés dans les organes les uns des autres ; notre corps est une espèce de monde plein d’une infinité de créatures qui méritaient aussi d’exister »18. Les animaux que je rencontre à l’extérieur ne sont jamais qu’un grossissement de ceux-ci, et ce n’est pas seulement une psychologie animale, mais une monadologie animale qui se trouvent essentielles au système de Leibniz. Ce que ma sphère d’appartenance me découvre essentiellement, ce sont les appartenances renversées, temporaires ou provisoires (bien qu’un corps m’appartienne toujours). En fait, il est très difficile à chacun de nous de faire la liste de ses propres possessions. Il n’est pas facile de savoir ce qui nous appartient, et pour combien de temps. La phénoménologie n’y suffit pas. Le grand inventaire de Malone en témoigne dans la littérature moderne. Malone est une monade nue, presque nue, étourdie, dégénérée, dont la zone claire ne cesse de rétrécir, et le corps d’involuer, les requisits de fuir. Il lui est difficile de savoir ce qui lui appartient encore, « selon sa définition », ce qui ne lui appartient qu’à moitié et pour un moment, chose ou animalcule, à moins que ce soit lui qui appartienne, mais à qui ? C’est une question métaphysique. Il lui faudrait un crochet spécial, une sorte de vinculum pour trier les possessions, mais il n’a même plus ce crochet.

Ces avatars de l’appartenance ou de la possession ont une grande importance philosophique. C’est comme si la philosophie pénétrait dans un nouvel élément, substituait l’élément de l’Avoir à celui de l’Être. Certes, la formule « avoir un corps » n’est pas une nouveauté, mais, ce qui est nouveau, c’est d’avoir porté l’analyse sur les espèces, les degrés, les rapports et les variables de la possession, pour en faire le contenu ou le développement de la notion d’Être. C’est Gabriel Tarde, beaucoup plus que Husserl, qui a pleinement saisi l’importance de cette mutation, et mis en question l’injustifiable primat du verbe être : « L’opposé vrai du moi, ce n’est pas le non-moi, c’est le mien ; l’opposé vrai de l’être, c’est-à-dire l’ayant, ce n’est pas le non-être, c’est l’eu »19. Déjà à l’intérieur de la monade, Leibniz érigeait « j’ai des pensées diverses » en corrélat de « je suis pensant » : les perceptions comme prédicats inclus, c’est-à-dire comme propriétés internes, venaient remplacer les attributs. La prédication était du domaine de l’avoir, et venait résoudre les apories de l’être ou de l’attribution. À plus forte raison, le corps comme propriété extrinsèque va introduire dans les possessions des facteurs de renversement, de retournement, de précarisation, de temporalisation. En effet, ce nouveau domaine de l’avoir ne nous introduit pas dans un calme élément qui serait celui du propriétaire et de la propriété bien déterminés, une fois pour toutes. Ce qui se règle dans le domaine de l’avoir, à travers la propriété, ce sont les rapports mouvants et perpétuellement remaniés des monades entre elles, tant du point de vue de l’harmonie où on les considère « chacune à chacune », que du point de vue de l’union où on les considère « les unes et les autres ». Là encore une casuistique. Finalement, une monade a pour propriété, non pas un attribut abstrait, mouvement, élasticité, plasticité, mais d’autres monades, comme une cellule, d’autres cellules, ou un atome, d’autres atomes. Ce sont des phénomènes de subjugation, de domination, d’appropriation qui remplissent le domaine de l’avoir, et celui-ci se trouve toujours sous une certaine puissance (ce pourquoi Nietzsche se sentira si proche de Leibniz). Avoir ou posséder, c’est plier, c’est-à-dire exprimer ce que l’on contient « dans une certaine puissance ». Si le Baroque a souvent été rapporté au capitalisme, c’est parce qu’il est lié à une crise de la propriété, qui apparaît à la fois avec la montée de nouvelles machines dans le champ social et la découverte de nouveaux vivants dans l’organisme.

L’appartenance et la possession renvoient à la domination. Un corps spécifique appartient à ma monade, mais tant que ma monade domine les monades qui appartiennent aux parties de mon corps. L’expression, comme chiffre des correspondances, se dépasse vers la domination comme chiffre des appartenances ; chaque monade exprime le monde entier, et donc toutes les autres monades, mais d’un point de vue qui relie chacune plus étroitement à certaines autres qu’elles dominent ou qui les dominent. Si un corps m’appartient toujours, c’est parce que les parties qui s’en vont sont remplacées par d’autres dont les monades viennent à leur tour sous la domination de la mienne (il y a une périodicité du renouvellement des parties, toutes ne partent pas en même temps) : le corps, analogue au vaisseau de Thésée que les Athéniens réparaient toujours20. Mais, aucune monade n’en contenant d’autres, la domination resterait une notion vague, n’ayant qu’une définition nominale, si Leibniz n’arrivait à la définir précisément par un « vinculum substantiale ». C’est un étrange lien, un crochet, un joug, un nœud, une relation complexe qui comporte des termes variables et un terme constant.

Le terme constant, ce sera la monade dominante, parce que la relation vinculaire lui appartient ou lui est « fixée ». Apparemment, on peut d’autant plus s’en étonner que cette relation, ayant pour termes variables d’autres monades (dès lors dominées), ne peut pas être un prédicat contenu dans son sujet. Ce pourquoi la relation sera dite « substantielle », n’étant pas un prédicat. Toute relation ayant un sujet, la monade dominante est bien sujet du vinculum, mais « sujet d’adhésion », non pas d’inhérence ou d’inhésion21. C’est un paradoxe presque insupportable dans le leibnizianisme, comme l’ont relevé beaucoup de commentateurs. Que les relations soient des prédicats, il n’y a pas là de paradoxe, si l’on comprend ce qu’est un prédicat et sa différence avec un attribut ; et l’harmonie préétablie n’implique aucun rapport extérieur entre les monades, mais seulement des accords réglés du dedans. En revanche, le paradoxe semble insurmontable dès qu’on invoque une possession extrinsèque, c’est-à-dire une relation qui a bien un sujet, mais n’est pas dans son sujet, n’est pas prédicat. Ce que Leibniz découvre là, c’est que la monade comme intériorité absolue, comme surface intérieure à un seul côté, n’en a pas moins un autre côté, ou un minimum de dehors, une forme de dehors strictement complémentaire. Est-ce la topologie qui peut résoudre la contradiction apparente ? Celle-ci se dissipe en effet si l’on se rappelle que l’« unilatéralité » de la monade implique pour condition de clôture une torsion du monde, un pli infini, qui ne peuvent se déplier conformément à la condition qu’en restituant l’autre côté, non pas comme extérieur à la monade, mais comme l’extérieur ou le dehors de sa propre intériorité : une paroi, une membrane souple et adhérente, coextensive à tout le dedans22. Tel est le vinculum, le lien primaire non localisable qui borde l’intérieur absolu.

Quant aux termes variables, ce sont les monades qui entrent sous la relation comme « objets », ne serait-ce qu’un moment. Ils peuvent exister sans la relation, et la relation sans eux : la relation est extérieure aux variables, de même qu’elle est le dehors de la constante23. Elle est d’autant plus complexe qu’elle prend une infinité de variables. Celles-ci seront dites dominées, précisément dans la mesure où elles entrent sous la relation attachée à la dominante ou constante. Quand elles cessent d’être sous cette relation, elles entrent sous une autre, sous un autre vinculum attaché à une autre dominante (à moins qu’elles ne se libèrent de tout vinculum). Pour évaluer l’action du vinculum, nous devons distinguer nettement deux aspects. En premier lieu, c’est lui qui prend ses variables en foule, par foules. Non pas que les monades qui entrent sous son emprise perdent en soi leur individualité (ce qui impliquerait un miracle). Il suppose même cette individualité, et les modifications ou perceptions internes des monades, mais il n’y change rien, et n’en dépend pas. Il en tire seulement une « modification commune », c’est-à-dire un Écho qu’elles ont toutes ensemble quand elles se réfléchissent sur une paroi24. Comme Yvon Belaval et Christiane Frémont l’ont montré, c’est le vinculum lui-même qui est « paroi réfléchissante », et il l’est parce qu’il est cette forme du dehors qui dépend de la dominante ou constante ; quant aux monades variables, ce sont les « émetteurs », et l’écho, la modification d’ensemble25. C’est en ce sens que le vinculum traite ses variables dans un effet de foule et non dans leur individualité : d’où le passage de l’optique à l’acoustique, ou du miroir individuel à l’écho collectif, les effets de murmure et de grouillement renvoyant à ce nouveau registre acoustique. Or, si le vinculum prend les monades en foules, il opère ainsi le renversement de l’appartenance. Tant que les monades sont considérées dans leur individualité, un corps appartient à chaque monade qui en est inséparable : c’est vrai de la monade dominante, mais également de chaque monade dominée qui, prise individuellement, est dominante à son tour et possède donc un corps. Mais l’inverse se produit quand les monades dominées sont prises en foules sous un vinculum : alors, c’est elles qui appartiennent à des infinités de parties matérielles qui en sont inséparables. Elles constituent la spécificité de ces parties en général, au double sens d’homogénéité pour des parties qui ne cessent de se remplacer, et d’hétérogénéité pour les parties qui se coordonnent. Bref, le vinculum en tant que membrane ou paroi opère une sorte de tri sur les monades qu’il reçoit comme termes : ce sont des foules triées qui constituent dans chaque cas la spécificité des parties organiques, donc l’unité spécifique ou générique du corps auquel ces parties renvoient. Et ce corps, ce n’est certainement pas celui d’une monade variable, puisque celle-ci n’a de corps à son tour qu’à titre individuel et lorsqu’elle sert de constante. Le corps organique composé de parties matérielles, c’est précisément celui que possède la dominante, un corps qui trouve ici la détermination de son unité spécifique.

Mais l’autre aspect surgit lorsque le vinculum est rapporté, non plus aux monades dominées variables, mais directement à cette dominante ou constante. En tant que fixé ou attaché à une dominante individuelle, en effet, le vinculum détermine une unité individuelle du corps qui lui appartient : ce corps que j’ai n’est pas seulement corps d’homme, de cheval ou de chien, c’est le mien. Bien plus, il n’y aurait pas d’unité spécifique si l’unité individuelle n’était déjà présupposée sous cette première fonction du vinculum. Si tant de parties matérielles peuvent à chaque instant s’en aller pour être remplacées par d’autres, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont spécifiquement substituables, c’est parce que le corps auquel elles appartiennent en passant reste individuellement un, un corps un, en vertu de la monade à laquelle il ne cesse d’appartenir. C’est tout un cycle de l’âme et du corps, qui passe par Every, One, et retourne à Every, par l’intermédiaire des appartenances ou du « possessif » : 1) chaque monade individuelle possède un corps dont elle est inséparable ; 2) chacune possède un corps en tant qu’elle est le sujet constant du vinculum qui lui est fixé (son vinculum) ; 3) ce vinculum a pour variables des monades prises en foules ; 4) ces foules de monades sont inséparables d’infinités de parties matérielles auxquelles elles appartiennent ; 5) ces parties matérielles constituent la composition organique d’un corps, dont le vinculum envisagé par rapport aux variables assure l’unité spécifique ; 6) ce corps est celui qui appartient à la monade individuelle, il est son corps, en tant qu’il dispose déjà d’une unité individuelle, grâce au vinculum envisagé maintenant par rapport à la constante.

C’est encore plus compliqué si l’on considère la classification nécessaire des monades. Prises individuellement, toutes les monades sans exception expriment le monde entier, et se distinguent seulement par leur département, par la zone claire de leur expression. Les monades raisonnables ont une zone si large et si intense qu’elle se prête à des opérations de réflexion ou d’approfondissement qui les font tendre à Dieu. Mais toute monade animale a aussi sa zone claire, si réduite soit-elle, même la tique, même une monade de sang, de foie... Prise ainsi dans son individualité, toute monade est une substance simple, une force primitive active, une unité d’action ou de changement internes. Certes, elle a un corps, elle est inséparable d’un corps correspondant à sa zone claire, mais elle ne le contient pas, et en est réellement distincte : elle l’exige seulement, en raison de la limitation de sa force, qui constitue sa puissance passive ou sa matière première (« moles »). C’est une monade dominante, en tant qu’elle exige. Toutes les monades raisonnables sont dominantes, et ne peuvent être autrement. Mais même à la mort, quand elle « semble » avoir perdu son corps, quand elle redevient animale, la monade naguère raisonnable ne cesse pas d’être dominante. Toutes les monades animales, toutes les monades, si sombres soient-elles, sont dominantes à certains égards : en tant qu’elles sont considérées individuellement, et en tant qu’elles ont un corps, même infiniment involué, même écrasé ou mutilé. Elles sont immédiatement présentes au corps, mais par projection : la force primitive active se projette comme dominante en un point dans le corps26.

Les monades dominées forment une seconde espèce (bien qu’elles soient dominantes, ou de première espèce, du point de vue précédent). Jamais les monades raisonnables ne sont dominées, mais les monades animales peuvent toujours l’être. Elles le sont précisément quand elles sont prises en foules, et non plus dans leur individualité. Quand elles sont prises en foules, ce n’est pas par rapport au corps qu’elles possèdent, chacune pour son compte, puisqu’elles sont dominantes sous ce rapport. Elles sont prises en foules par rapport à des agrégats infinis de parties matérielles qui les possèdent, au contraire, et qui en sont inséparables. Ces parties, dès lors, composent bien un corps, mais ce n’est pas le corps des monades dominées, c’est le corps de la dominante, le corps que possède leur monade dominante. En effet, ce qui prend une infinité de monades en foule, c’est un nœud, un vinculum qui est fixé à une monade individuelle déterminable comme dominante, et qui rapporte au corps de celle-ci les agrégats matériels correspondant à la foule considérée. Nous avons précédemment traité comme des synonymes « foules » et amas, ou agrégats. Nous voyons maintenant qu’ils se distinguent (réellement), les agrégats étant matériels, et les foules, monadiques ; les foules sous vinculum font avec les agrégats dont elles sont inséparables les parties organiques du corps de la monade qui les domine. Elles font des masses un organisme, elles organisent les agrégats. Par là, ce sont des forces actives, mais collectives et dérivatives (forces « plastiques ») : non plus des unités de changement interne, mais des unités de génération et corruption apparentes qui rendent compte de la composition organique par l’enveloppement, le développement et la fluxion des parties matérielles. Et, au lieu de se projeter dans un corps qui leur appartient, elles se rapportent collectivement aux parties matérielles auxquelles elles appartiennent, elles sont dites elles-mêmes matérielles27. On en conclut que les monades de seconde espèce, les monades en foule, constituent au sens le plus étroit des substances corporelles ou composées, des substantiels : « multitude de substances dont la masse (massa) est celle du corps entier », et qui sont « les parties d’une matière seconde »28. Mais, puisque les monades ne sont prises en foule que sous vinculum, les substances corporelles ou composées sont justiciables d’une définition plus large qui comprend la monade dominante, de première espèce, en tant que son exigence d’avoir un corps est effectivement remplie par les monades qu’elle domine : « Il n’y a de substance composée que là où il y a une monade dominante avec un corps vivant organique. »

Et il en est de même de la matière dite seconde : si la matière première ou « nue » (moles) est l’exigence d’avoir un corps, la matière seconde ou « vêtue » (massa) est en un sens large ce qui remplit l’exigence, c’est-à-dire l’organisme inséparable d’une foule de monades. Mais, comme il n’y a pas moins distinction réelle, la matière seconde a un sens plus étroit selon lequel elle désigne seulement l’agrégat inorganique que la foule de monades organise29. Nous pouvons dire aussi bien que les forces dérivatives s’exercent sur la matière seconde, ou qu’elles lui appartiennent. C’est que les agrégats matériels ont eux-mêmes des structures et des figures, qui obéissent à des lois statistiques d’équilibre, de contact ou de champ, de poussée ou de traction, comme nous l’avons vu pour les extrema. Mais de telles lois ou liaisons secondaires impliquent que des forces en foule s’exercent sur les agrégats, et soient collectives sans être pour autant statistiques : ces forces dérivatives, en effet, sont celles de monades dominées qui conservent pourtant leur individualité, chacune par rapport à un autre corps où elle se projette comme force primitive ou monade dominante. Et, bien plus, toute foule de monades dominées, avec leurs forces dérivatives, n’existe que sous l’individualité pure de leur dominante comme force primitive de survol. Les forces dérivatives tracent ainsi tout un domaine qu’on pourrait dire mixte, ou plutôt intermédiaire entre les collections statistiques et les distributions individuelles, et qui se manifeste dans les phénomènes de foule30. Il est interindividuel et interactif plus encore que collectif. C’est sous cet aspect que les forces dérivatives appartiennent à la matière seconde ou vêtue, comme matière organique. Elles s’exercent sur les agrégats, mais appartiennent aux organismes. La matière alors n’a pas seulement des structures et figures, mais des textures, en tant qu’elle comporte ces foules de monades dont elle est inséparable. Une conception baroque de la matière, en philosophie comme en science ou en art, doit aller jusque-là, une texturologie qui témoigne d’un organicisme généralisé, ou d’une présence des organismes partout (la peinture du Caravage ?)31. La matière seconde est vêtue, mais « vêtu » veut dire deux choses : que la matière est surface porteuse, structure revêtue d’un tissu organique, ou bien qu’elle est le tissu même ou le revêtement, texture enveloppant la structure abstraite.

Ce domaine de foule, interindividuel, interactif, est très agité, puisqu’il est celui des appartenances temporaires ou des possessions provisoires. À chaque instant, des agrégats de parties (jamais toutes à la fois) quittent mon corps, et donc des foules de monades que la mienne dominait entrent sous un autre vinculum, sous une nouvelle domination. Ce ne sera plus la même foule, puisque le vinculum a changé, mais ce ne seront même plus les mêmes parties spécifiques, puisque le nouveau vinculum opère un autre tri qui décompose et recompose les agrégats spécifiés. Certes, il n’y a aucune place chez Leibniz pour une transformation des espèces, mais il y a toute la place pour des mutations, des explosions, des associations et dissociations brusques, des ré-enchaînements. Ce que Leibniz appelle métamorphose ou métaschématisme ne concerne pas seulement la première propriété des corps, c’est-à-dire leur capacité d’envelopper à l’infini et de développer jusqu’à un certain point leurs parties spécifiques, mais aussi la seconde propriété, la fluxion qui fait que des parties ne cessent de quitter leur agrégat spécifié pour entrer dans de tout autres agrégats, autrement spécifiés. Toutefois, n’arrive-t-il pas aussi que des agrégats matériels quittent un corps organique sans entrer dans un autre, ou que leurs monades échappent à la domination où elles étaient sans entrer pour autant sous un autre vinculum ? Elles restent à l’état de monades non liées, sans vinculum. Les agrégats matériels semblent ne plus avoir que des liaisons secondaires : ce ne sont plus des tissus, mais du feutre, obtenu par simple pressage. Bien sûr, ces agrégats inorganiques, désorganisés, feutrés, continuent à avoir des organismes dans leurs sous-agrégats : tout corps a des organismes dans ses plis, il y a des organismes partout... Reste que tout n’est pas organique. On dira que ces corps inorganiques sont, non plus des substances corporelles ou composées, mais des composés substantiels, des semi-substances ou des sortes de substantiats32. À la manière dont la question se pose, nous voyons bien qu’on ne peut pas répondre, comme on l’aurait souhaité pour aller plus vite : ces corps sont purement mécaniques (même compte tenu des lois d’extrema), ces corps n’ont pas ou n’ont plus de monades. Car ce ne seraient pas des corps. Ce seraient seulement des « phénomènes », et encore à ce titre seraient-ils « perçus » par une monade. Mais, dans la mesure où ce sont des corps, des phénomènes réalisés, ils « ont » des monades. Ils suivent des liaisons secondaires mécaniques, mais les organismes le faisaient déjà. Toute particule matérielle a des monades, et des forces dérivatives (bien que ce ne soient plus des forces plastiques), sans lesquelles elle n’obéirait à aucune maxime ou loi. Et Leibniz ne cessera de le rappeler : organique ou non, aucun corps ne peut suivre une loi s’il n’a une nature intérieure qui le rende capable de le faire. C’est une bêtise de croire que la loi agit à telle ou telle occasion : comme si la loi de gravitation « agissait » pour faire tomber la chose. C’est même le point fondamental qui oppose l’harmonie préétablie à l’occasionnalisme : ce que Leibniz reproche à Malebranche, c’est d’avoir soumis les corps (et les âmes) à des lois générales qui, pour être générales, n’en restent pas moins miraculeuses, puisque aucune force dans la nature individuelle de la chose ne la rend capable de les suivre33. Bref, les corps inorganiques ont des forces, des monades, une troisième espèce de monades.

Ce ne sont plus des monades dominantes, ni dominées. On pourrait les appeler dégénérées, au sens où l’on parle de coniques dégénérés. Toute monade est unité intérieure, mais ce dont elle est l’unité n’est pas forcément intérieur à la monade. Les monades de première espèce sont unités de changement interne. Les monades de seconde espèce sont unités de génération et de corruption organiques (composition). Les monades dégénérées, elles, sont des unités de mouvement extérieur. Le caractère extrinsèque du mouvement se confond avec la condition même des corps ou des parties matérielles, comme rapport avec un alentour, détermination de proche en proche, liaison mécanique. Mais tout mouvement qui se fait suivant la loi, sous l’action de corps extérieurs à l’infini, n’en a pas moins une unité intérieure sans laquelle il serait inassignable comme mouvement, et aussi indiscernable du repos. Il en est chez Leibniz comme chez Bergson, nous l’avons vu : il y a une détermination nécessairement extrinsèque du trajet, mais qui suppose une unité interne de la trajectoire, par rapport à laquelle la détermination extrinsèque n’est plus qu’obstacle ou moyen, obstacle et moyen tout à la fois. Ce qui est déterminé du dehors, c’est l’élasticité, mais non pas la force interne qui agit sur elle : cette force devient seulement « vive » ou « morte », dans une proportion conforme à l’état extrinsèque. Il y a une force active élastique, non seulement pour l’ensemble du mouvement dans l’univers, mais pour chaque mouvement discernable dans un agrégat déterminé, et qui, dans ce dernier cas, ne pourra être qu’empêchée ou déclenchée par les autres agrégats34. Ces forces ou unités intérieures de mouvement appartiennent aux agrégats comme tels, et sont des monades dégénérées, sans vinculum. Ce sont des « tendances ». En effet, Leibniz se propose de dépasser toute dualité de la puissance et de l’acte, mais suivant plusieurs niveaux. Les monades de première espèce sont des actes, des puissances en acte, puisqu’elles sont inséparables d’une actualisation qu’elles opèrent. Mais les monades de seconde espèce ne sont pas davantage des puissances « nues » : ce sont des dispositions, des habitus, pour autant qu’elles se rangent sous un vinculum. Et celles de troisième espèce sont des tendances, dans la mesure où ce qu’elles attendent du dehors n’est pas un passage à l’acte, mais « la seule suppression de l’empêchement »35. Il est vrai que la tendance s’épuise dans l’instant, ce qui semble contredire l’éternité de la monade et l’unité de la trajectoire. Mais l’instantanéité de la tendance signifie seulement que l’instant lui-même est tendance, non pas atome, et qu’il ne disparaît pas sans passer dans l’autre instant : ce pourquoi il appartient à la tendance, ou à l’unité intérieure de mouvement, d’être recréée, reconstituée à chaque instant, suivant un mode d’éternité particulier. La tendance n’est pas instantanée sans que l’instant ne soit tendance au futur. La tendance ne cesse pas de mourir, mais elle n’est morte que le temps pendant lequel elle meurt, c’est-à-dire instantanément, pour être recréée l’instant suivant36. Les monades de troisième espèce sont clignotantes en quelque sorte, par différence avec les illuminantes et les illuminées.

N’est-ce pas un contresens d’identifier les forces dérivatives, qu’elles soient plastiques ou élastiques, avec des espèces de monades ? Toute monade est individu, âme, substance, force primitive, douée d’action seulement interne, tandis que les forces dérivatives sont dites matérielles, accidentelles, modales, « états d’une substance » et s’exercent sur les corps37. Mais la question est de savoir ce que veut dire état, et si c’est réductible à prédicat. Si les forces dérivatives ne peuvent être substances en vertu des caractères qu’on leur reconnaît, on ne voit pas comment elles pourraient davantage être prédicats contenus dans une substance. Nous croyons que les termes « état », « modification » ne doivent pas s’entendre au sens de prédicat, mais comme statut ou aspect (public). Les forces dérivatives ne sont pas d’autres forces que les primitives, mais elles en diffèrent sous le statut ou sous l’aspect. Les forces primitives sont les monades ou substances en soi et par soi. Les dérivatives, ce sont les mêmes, mais sous vinculum, ou bien dans l’instant : dans un cas, elles sont prises en foules et deviennent plastiques, dans l’autre cas elles sont prises en amas et deviennent élastiques, car ce sont les amas qui changent à chaque instant (ils ne passent pas d’un instant à un autre sans une reconstitution). La force dérivative n’est pas une substance ni un prédicat, mais plusieurs substances, parce qu’elle n’existe qu’en foule ou en amas38. Elles peuvent être dites mécaniques ou matérielles, mais au sens où Leibniz parle aussi bien d’« âmes matérielles », parce que dans les deux cas elles appartiennent à un corps, elles sont présentes à un corps, organisme ou agrégat. Elles n’en sont pas moins réellement distinctes de ce corps, et n’agissent pas sur lui, pas plus qu’elles n’agissent les unes sur les autres : si elles sont présentes au corps, c’est par réquisition, à titre de requisits. Et ce corps auquel elles appartiennent n’est pas le leur, mais un corps qui appartient pour son compte à une monade prise hors statut, hors foule et hors amas, en soi et par soi, comme force primitive. Celle-ci aussi est présente à son corps, et sans agir sur lui, mais d’une autre façon : présente par projection. Quant aux forces dérivatives, elles ont à leur tour un corps qui leur appartient, mais, dans la mesure où elles sortent de leur statut pour rentrer en soi et par soi, chacune redevenant la force primitive qu’elle n’a jamais cessé d’être. Nous avons vu comment Whitehead avait développé le public et le privé comme catégories phénoménologiques, à partir de Leibniz. Ce qui est public selon Leibniz, c’est le statut des monades, leur réquisition, leur en-foule ou en-amas, leur état dérivatif. Mais ce qui est privé, c’est leur en-soi par-soi, leur point de vue, leur état primitif et leur projection. Sous le premier aspect, elles appartiennent à un corps qui en est inséparable. Sous l’autre aspect, un corps leur appartient dont elles sont inséparables. Ce n’est pas le même corps, mais ce sont les mêmes monades – sauf les raisonnables, qui n’ont d’être que privé, n’ont pas de statut public et ne se laissent pas dériver. Ou, du moins, les monades raisonnables ne possèdent un statut « public » qu’à titre privé, comme membres distributifs d’une société des esprits dont Dieu est le monarque39.

Il arrive souvent à Leibniz de distinguer trois classes de monades, les entéléchies nues ou formes substantielles qui n’ont que des perceptions, les âmes animales qui ont mémoire, sentiment et attention, enfin les esprits raisonnables. Nous avons vu le sens de cette classification. Mais quel rapport y a-t-il entre ces « degrés » dans les monades et le fait que « les unes dominent plus ou moins sur les autres »40 ? C’est que les raisonnables sont toujours dominantes, mais les animales sont tantôt dominées et tantôt dominantes : dominantes dans la mesure où elles possèdent individuellement un corps, dominées dans la mesure où elles se rapportent en foule à un autre corps que possède une dominante, raisonnable ou non. Quant aux entéléchies, ce sont encore des âmes, mais dégénérées, c’est-à-dire qu’elles ne sont plus dominantes ni dominées, puisqu’elles se rapportent à un corps, en amas et à chaque instant. C’est pourquoi, à la distinction des classes de monades, il faut en joindre une autre qui ne coïncide que partiellement, une distinction d’aspects telle qu’une même classe (âmes animales) peut prendre plusieurs statuts, tantôt accédant au rôle de dominantes et tantôt dégénérant.

Entre les âmes et la matière, entre l’âme et le corps, il y a distinction réelle : jamais l’un n’agit sur l’autre, mais chacun opère d’après ses propres lois, l’un par spontanéité ou action internes, l’autre par détermination ou action externes. C’est dire qu’il n’y a pas d’influence, d’action ou d’interaction, même occasionnelle, entre les deux41. Il y a pourtant « action idéale » : ainsi quand j’assigne quelque chose d’un corps comme la cause de ce qui arrive dans une âme (une souffrance), ou quand j’assigne dans une âme la cause de ce qui arrive à un corps (un mouvement dit volontaire). Mais cette action idéale implique seulement ceci : que l’âme et le corps, chacun à sa manière ou suivant ses propres lois, exprime une seule et même chose, le Monde. Il y a donc deux expressions, deux exprimants du monde réellement distincts : l’un actualise le monde, l’autre le réalise. Par rapport à un événement singulier du monde, on appellera dans chaque cas « cause idéale » le meilleur exprimant (si l’on arrive à déterminer ce que veut dire « le meilleur »). Mais on voit qu’il n’y a pas deux mondes, à plus forte raison il n’y en a pas trois : il n’y a qu’un seul et même monde, exprimé d’une part par les âmes qui l’actualisent, d’autre part par les corps qui le réalisent, et qui n’existe pas lui-même hors de ses exprimants. Ce ne sont pas deux villes, une Jérusalem céleste et une terrestre, mais le faîte et les fondations d’une même ville, les deux étages d’une même maison. Aussi la distribution des deux mondes, l’en-soi et le pour-nous, fait-elle place à une tout autre répartition des pièces de la maison : les appartements privés en haut (les chacun) et les pièces communes en bas (le collectif ou les ensembles). Kant retiendra beaucoup de Leibniz, et notamment l’autonomie respective des deux étages ; mais, à la fois, il fait de l’étage du haut quelque chose de désert ou d’inhabité, et il coupe les deux étages, si bien qu’il recompose à sa façon deux mondes dont l’un n’a plus qu’une valeur régulatrice. Tout autre est la solution de Leibniz.

Chez Leibniz, les deux étages sont et restent inséparables : réellement distincts, et pourtant inséparables, en vertu d’une présence du haut dans le bas. L’étage du haut se plie sur celui du bas. Il n’y a pas action de l’un à l’autre, mais appartenance, double appartenance. L’âme est principe de vie par sa présence et non par son action. La force est présence et non pas action. Chaque âme est inséparable d’un corps qui lui appartient, et lui est présente par projection ; tout corps est inséparable d’âmes qui lui appartiennent, et qui lui sont présentes par réquisition. Ces appartenances ne constituent pas une action, et même les âmes du corps n’agissent pas sur le corps auquel elles appartiennent. Mais l’appartenance nous fait entrer dans une zone étrangement intermédiaire, ou plutôt originale, où tout corps acquiert l’individualité d’un possessif en tant qu’il appartient à une âme privée, et les âmes accèdent à un statut public, c’est-à-dire sont prises en foule ou en amas, en tant qu’elles appartiennent à un corps collectif. N’est-ce pas dans cette zone, cette épaisseur ou ce tissu entre les deux étages, que le haut se plie sur le bas, si bien qu’on ne peut plus savoir où finit l’un et où commence l’autre, où finit le sensible et où commence l’intelligible42 ? À la question où passe le pli ? on donnera beaucoup de réponses différentes. Il ne passe pas seulement, nous l’avons vu, entre les essences et les existants. Bien sûr, il passe aussi entre l’âme et le corps, mais déjà entre l’inorganique et l’organique du côté des corps, et encore entre les « espèces » de monades du côté des âmes. C’est un pli extrêmement sinueux, un zigzag, une liaison primitive non localisable. Et même il y a des régions dans cette zone où le vinculum est remplacé par un lien plus lâche, instantané. Sans doute le vinculum (ou bien son remplaçant) ne lie que des âmes à des âmes. Mais c’est lui qui instaure la double appartenance inverse d’après laquelle il les lie : à une âme qui possède un corps, il lie des âmes que ce corps possède. N’opérant que sur les âmes, le vinculum opère donc pourtant un va-et-vient de l’âme au corps et des corps aux âmes (d’où les empiétements perpétuels des deux étages). Si l’on peut tantôt assigner dans le corps une « cause idéale » de ce qui se passe dans l’âme, et tantôt dans l’âme une cause idéale de ce qui arrive au corps, c’est en vertu de ce va-et-vient. Bien plus, les âmes peuvent être dites matérielles, ou les forces, mécaniques, non pas qu’elles agissent sur la matière, mais en tant qu’elles lui appartiennent : c’est la matière qui continue à faire les synthèses, suivant ses lois d’extériorité, tandis que les âmes constituent les unités de synthèse, sous vinculum ou dans l’instant. Inversement, les corps peuvent être, non seulement animaux, mais animés : non pas qu’ils agissent sur les âmes, mais en tant qu’ils leur appartiennent ; les âmes seules ont une action interne suivant leurs propres lois, tandis que les corps ne cessent de « réaliser » cette action suivant les leurs. C’est précisément ainsi que les deux étages se distribuent par rapport au monde qu’ils expriment : il s’actualise dans les âmes, et se réalise dans les corps. Il est donc plié deux fois, dans les âmes qui l’actualisent, et replié dans les corps qui le réalisent, chaque fois suivant un régime de lois qui correspond à la nature des âmes ou à la détermination des corps. Et, entre les deux plis, l’entre-pli, le Zwiefalt, la pliure des deux étages, la zone d’inséparabilité qui fait charnière, couture. Dire que les corps réalisent n’est pas dire qu’ils soient réels : ils le deviennent, pour autant que ce qui est actuel dans l’âme (l’action interne ou la perception), Quelque chose le réalise dans le corps. On ne réalise pas le corps, on réalise dans le corps ce qui est actuellement perçu dans l’âme. La réalité du corps, c’est la réalisation des phénomènes dans le corps. Ce qui réalise, c’est le pli des deux étages, le vinculum lui-même ou son substitut43. Une philosophie transcendantale leibnizienne, qui porte sur l’événement plutôt que sur le phénomène, remplace le conditionnement kantien par une double opération d’actualisation et de réalisation transcendantales (animisme et matérialisme).


1 Du style philosophique de Nizolius (GPh, IV), § 31 : les touts collectifs, et les touts distinctifs ou distributifs.

2 Monadologie, § 61-62.

3 En effet, les premiers décrets libres de Dieu concernent le tout du monde (nécessité morale) ; mais la nature particulière de chaque monade, sa région claire, obéit à des maximes subalternes (nécessité hypothétique : si tel est le tout, alors la partie...). Cf. Discours de métaphysique, § 16, et Remarques sur la lettre de M. Arnauld de mai 1686. En ce sens, la nécessité hypothétique est bien ancrée dans la nécessité morale, comme le montre l’Origine radicale des choses ; et, inversement, la nécessité morale et les causes finales imprègnent les enchaînements de la nécessité hypothétique (Discours de métaphysique, § 19).

4 Hegel montre que l’application du calcul infinitésimal implique la distinction de deux parties ou moments de l’« objet », et il admire Lagrange de l’avoir mis en évidence : Science de la logique, Éd. Aubier, II, pp. 317-337.

5 Essai anagogique dans la recherche des causes (GPh, VII). Maurice Janet analyse les principales propriétés d’extremum : La Finalité en mathématiques et en physique, Recherches philosophiques, II. Le problème de la « brachystochrone », souvent traité par Leibniz, est un problème d’extremum (« descente minimale »). De même, dans les Principia mathematica de Newton, la question de l’ogive (la meilleure forme d’un projectile dans un liquide).

6 Albert Lautman, après avoir analysé les thèmes de Janet, marque bien la limite des extrema, ou la différence de nature entre deux types de propriétés : « Dans la mesure où les propriétés qui rendent la sélection possible sont des propriétés de maximum ou de minimum, elles confèrent bien à l’être obtenu un avantage de simplicité et comme une apparence de finalité, mais cette apparence disparaît lorsqu’on se rend compte que ce qui assure le passage à l’existence, ce n’est pas le fait que les propriétés en question sont des propriétés extrémales, c’est que la sélection qu’elles déterminent est impliquée par l’ensemble de la structure considérée... La propriété exceptionnelle qui la distingue n’est plus une propriété d’extremum, mais la propriété d’être la limite d’une suite convergente... » (Essai sur les notions de structure et d’existence en mathématique, 10-18, chap. VI, pp. 123-125). Il est vrai que Leibniz, dans l’Origine radicale des choses, assimile la sélection du meilleur monde à une propriété d’extremum ; mais c’est au prix d’une fiction qui consiste à considérer l’espace comme une « réceptivité » vide, commune à tous les mondes possibles, et dont il faudrait remplir un maximum de places. En fait, nous avons vu que la distinction des ensembles incompossibles reposait, non plus sur des propriétés d’extremum, mais au contraire sur des propriétés de série.

7 Cf. Bernard Cache, L’Ameublement du territoire, où les deux étages sont nettement distingués (inflexion-extrema, vecteurs de concavité-vecteur de pesanteur).

8 Cf. Raymond Ruyer, surtout La Conscience et le corps, Éléments de psychobiologie, Néofinalisme, PUF, et La Genèse des formes vivantes, Éd. Flammarion.

9 Leibniz se déclare d’accord avec Newton sur la loi de gravitation inverse aux carrés, mais pense que l’attraction s’explique suffisamment par le cas spécial des fluides et de « leurs impulsions » (circulation harmonique des planètes d’où découle une force centripète). C’est toute une théorie de la formation d’un vecteur de pesanteur : Essai sur les causes des mouvements célestes, GM, VI ; et sur le magnétisme, Éd. Dutens, II. Sur l’alternative « attraction-impulsion », même chez Newton, cf. Koyré, Études newtoniennes, Gallimard, pp. 166-197. Koyré souligne, non sans ironie, l’importance de l’Essai pour une conciliation de l’attraction newtonienne avec l’action de proche en proche (« Leibniz fit ce que Huyghens n’avait pas réussi à faire... », pp. 166 et 179).

10 Ruyer, La Genèse des formes vivantes, pp. 54, 68.

11 C’est la Correspondance avec Des Bosses qui pose cette question de la « réalisation » des phénomènes ou du perçu en dehors des âmes. Sur « le Réalisant », Lettre d’avril 1715.

12 Thème fréquent chez Maurice Blanchot : cf. L’Espace littéraire, Gallimard, pp. 160-161. Cette conception de l’événement peut être rapprochée d’une tradition chinoise et japonaise, telle que René de Ceccatty et Nakamura l’ont traduite et commentée : Shôbôgenzô. La réserve visuelle des événements dans leur justesse, par le moine Dôgen (XIIIe siècle), Éd. de la Différence.

13 Leibniz souligne souvent que l’union de l’âme et du corps, définie par une « présence immédiate », ne se confond pas avec l’harmonie : Théodicée, Discours § 55 ; Remarque... sur un endroit des Mémoires de Trévoux (GPh, VI, p. 595-596) ; Lettre à Rémond, novembre 1715 (GPh, III, p. 658). Cf. le commentaire de Christiane Frémont, L’Être et la relation, Éd. Vrin, p. 41. Le Système nouveau de la Nature, § 14, marque le lien des deux problèmes, et le passage de l’un à l’autre. Certes, l’occasionnalisme de Malebranche invoque aussi l’incarnation, mais comme mystère de la foi. Bien qu’il tende à s’exprimer ainsi, parfois, Leibniz considère le problème de l’incarnation comme intelligible et résoluble, du moins au niveau de l’homme.

14 Théodicée, Discours § 55 : « Quoique je ne tienne point que l’âme change les lois du corps ni que le corps change les lois de l’âme, et que j’aie introduit l’harmonie préétablie pour éviter ce dérangement, je ne laisse pas d’admettre une vraie union entre l’âme et le corps, qui en fait un suppôt. »

15 Nouveaux essais, fin de la Préface.

16 Monadologie, § 70 ; Lettre à Des Bosses, juin 1712.

17 Lettre à Arnauld, septembre 1687 (GPh, II, p. 120). Et Monadologie, § 71 : « Il ne faut point s’imaginer avec quelques-uns, qui avaient mal pris ma pensée, que chaque âme a une masse ou portion de la matière propre ou affectée à elle pour toujours, et qu’elle possède par conséquent d’autres vivants inférieurs destinés toujours à son service... »

18 Lettre à Lady Masham, juin 1704 (GPh, III, p. 356).

19 Dans son article essentiel, « Monadologie et sociologie », Gabriel Tarde présente cette substitution de l’avoir à l’être comme un véritable renversement de la métaphysique, qui découle directement de la monade : Essais et mélanges sociologiques, Éd. Maloine. Jean Milet a commenté ce thème, et propose de nommer « Échologie » cette discipline qui remplace l’Ontologie (Gabriel Tarde et la philosophie de l’histoire, Éd. Vrin, pp. 167-170).

20 Nouveaux essais, II, chap. 27, § 4-6 ; et constamment dans la Correspondance avec Des Bosses.

21 Sur cette distinction dans les théories scolastiques du « vinculum », cf. Boehm, Le Vinculum substantiale chez Leibniz, Éd. Vrin, pp. 77-98. Et Lettre à Des Bosses, avril 1715 : « Ce lien sera toujours lié à la monade dominante. »

22 Buffon développe une idée paradoxale très proche du vinculum : un « moule intérieur » qui s’impose aux molécules organiques variables (Histoire des animaux, chap. III. Et Canguilhem, Connaissance de la vie, Éd. Hachette, pp. 63-67 ; et 215-217, sur l’emploi du mot « monade » en histoire naturelle, après Leibniz).

23 Lettre à Des Bosses, mai 1716 : le vinculum est « tel naturellement, mais non essentiellement, car il exige les monades, mais ne les enveloppe pas essentiellement, puisqu’il peut exister sans elles, et elles sans lui ».

24 Lettres à Des Bosses, avril et août 1715.

25 La théorie du vinculum est tardive chez Leibniz, et apparaît dans la Correspondance avec Des Bosses (1706-1716). Les problèmes en ont été particulièrement éclaircis par les deux commentaires de Belaval, Leibniz. Initiation à sa philosophie, Éd. Vrin, pp. 244-252, et de Christiane Frémont, L’Être et la relation, Éd. Vrin, pp. 31-42. C.F. montre toute l’importance du vinculum pour la théorie leibnizienne de la relation, et renouvelle la compréhension de cette théorie.

26 Lettre à Arnauld, avril 1687 : l’âme du ver coupé en deux, à l’infini, ou l’âme du bouc dans les cendres, restent dans une partie, si petite soit-elle, où elles se projettent. Lettre à Lady Masham, juin 1704 : « le point de vue » de l’âme est dans le corps. Nouveaux essais, II, chap. 8, § 13-15 : c’est d’après un rapport de projection que nous situons une douleur, par exemple, dans le corps.

27 Certes, il n’y a pas à proprement parler génération ni corruption des organismes, mais seulement composition. Leibniz n’en garde pas moins la catégorie de génération-corruption, pour la distinguer des deux autres catégories de la « Kinèsis » : le changement interne, le mouvement local extérieur. Mais, si le changement est de nature psychique, la composition organique est matérielle autant que le mouvement. Cf. Lettre à Lady Masham, juillet 1705, p. 368 : les forces plastiques elles-mêmes sont « mécaniques ».

28 Lettre à Arnauld, octobre 1687. Et Lettre à Des Bosses, mai 1716 : « Je restreins la substance corporelle, c’est-à-dire composée, aux seuls vivants, c’est-à-dire aux seules machines organiques. »

29 Lettre à Des Bosses, mai 1716 : « la matière seconde est un agrégat » ; Nouveaux essais, IV, chap. 3, § 4 : elle « n’est qu’un amas ». Au contraire, au sens large : Lettre à Arnauld précédente, et De la Nature en elle-même, § 12 (« la matière seconde est substance complète »). Sur les acceptions de matière seconde et matière première, et sur la terminologie « massa-moles », cf. les commentaires de Christiane Frémont, pp. 103 et 132-133.

30 Raymond Ruyer a bien marqué ce domaine mixte, soit dans les chaînes de Markov (La Genèse des formes vivantes, chap. VIII), soit dans les phénomènes atomiques (Néo-finalisme, pp. 218-220).

31 Cf. Françoise Bardon, Caravage ou l’expérience de la matière, PUF, pp. 68-71 : Caravage comme peintre de texture (la matière sombre est modulée par les couleurs et les formes agissant comme des forces) ; et la comparaison avec Bruno.

32 Lettre à Des Bosses, août 1715 : « semi-êtres, qui ne sont pas maintenus par un vinculum ».

33 Addition à l’explication du Système nouveau... (GPh, IV, p. 587) ; Lettre à l’abbé de Conti (Dutens, III, p. 446).

34 Sur ces unités intérieures et la détermination externe, cf. Éclaircissement des difficultés que M. Bayle a trouvées dans le système nouveau (GPh, IV, pp. 544, 558) ; De la réforme de la philosophie première et de la notion de substance ; De la Nature en elle-même ou de la force immanente, § 14.

35 Sur la nécessité de remanier le couple aristotélicien puissance-acte, cf. Lettre à Des Bosses, février 1706 ; De la réforme de la philosophie première et de la notion de substance. Et sur puissance-disposition-tendance, Nouveaux essais, Préface ; II, chap. 1, § 2, et chap. 21, § 1. Dans ce dernier texte, les monades de première espèce sont dites « tendances primitives » ; c’est littéralement vrai, dans la mesure où elles « s’entr’empêchent ».

36 Outre les textes de jeunesse, le texte essentiel est la Lettre à De Volder (en réponse à celle d’août 1699, GPh, II, p. 191). Gueroult montre que les deux modèles du mouvement, l’action libre et le travail, s’unifient à cet égard : « On obtient comme une succession de pulsations ayant chacune une réalité distincte qui marque à chaque fois un instant différent. » Non pas du tout en raison d’une discontinuité du temps, mais parce que sa continuité même au contraire implique le changement de ce qui le remplit à deux instants, si rapprochés soient-ils. Cf. Dynamique et métaphysique leibniziennes, Les Belles Lettres, pp. 148-149.

37 Lettre à Jaquelot, mars 1703 (GPh, III, p. 457) ; Lettres à De Volder, juin 1703, juin 1704. Cf. le commentaire de Gueroult, et son interprétation de la force dérivative comme « prédicat », pp. 193-194.

38 Lettre à Jaquelot : « La matière (j’entends la seconde ou la masse) n’est pas une substance, mais des substances... » ; Lettre à Rémond, novembre 1715 (GPh, III, p. 657) : « La matière seconde n’est pas une substance, mais... un amas de plusieurs substances. » Le Système nouveau de la Nature parle « d’âmes matérielles », § 6.

39 Discours de métaphysique, § 35-36 ; Monadologie, § 83-86. À la fin de la Lettre à Arnauld d’avril 1687, Leibniz évoque un « droit de bourgeoisie » qu’il faudrait réserver aux vraies substances. Cf. les commentaires d’André Robinet, Architectonique disjonctive... Éd. Vrin, p. 51.

40 Principes de la Nature et de la Grâce, § 4. Les autres textes sur les classes de monades sont notamment la Lettre à Wagner, juin 1710 (GPh, VII, p. 529), et Monadologie, § 18 sq.

41 Ce thème constant de Leibniz est particulièrement développé dans la polémique avec le médecin Stahl (Remarques et exceptions, Dutens, II). Leibniz maintient à la fois, contre le mécanisme, qu’il y a des âmes dans la Nature, et, contre le « paganisme », qu’elles n’agissent pas hors d’elles-mêmes ou sur les corps. On voit que Leibniz ne se contente pas d’un vitalisme ou d’un organicisme, il maintient un animisme, mais auquel il refuse une efficacité extérieure. C’est donc très différent d’un vitalisme à la manière de Kant, ou de Claude Bernard, qui rompt avec l’animisme, tout en conservant deux niveaux, dont l’un est mécanique, et l’autre seulement régulateur ou directeur, bref, « idéel » sans être actif. La difficulté de la solution kantienne, c’est qu’on voit mal ce qu’est l’idée organique ou vitale, si ce n’est pas une force, c’est-à-dire une âme.

42 Nouveaux essais, IV, chap. 16, § 12 : « Il est malaisé de dire où le sensible et le raisonnable commencent, et quel est le plus bas degré des choses vivantes... et il n’y a de la différence que du grand au petit, du sensible à l’insensible. »

43 Lettre à Des Bosses, avril 1715 : « hoc realisans... »