FRAGMENT 2

Il a déjà peur que, demain, il soit privé de son shoot. La conversation roule comme d’habitude sur des considérations infra-secondaires. Léonard lui annonce qu’il a sa vie, qu’il ne pourra plus assurer tous les jours le Skype, que le lendemain il a un dîner de travail et qu’il ne sait pas à quelle heure il rentrera. Pendant une fraction de seconde, lui pense à se flinguer. Il se ressaisit puis l’idée revient : en finir… Pour une paire de fesses ? C’est risible, mais il sent qu’il pourrait répondre oui. En tout cas, les faits sont là, il serait prêt à crever s’il n’obtenait pas sa dose. Se suicider pour rejoindre un néant où le désir ne dérange plus, ne tourmente plus personne ?

Il aimerait hurler son désespoir. Mais il redoute le « on ». Si on lui demande comment il va, mécaniquement il ment : « Bien, tout va bien. Merci. » Surtout il ne faut pas qu’« on » le juge, qu’« on » lui colle une nouvelle étiquette, qu’« on » le rejette…

S’il y en a un qui devrait courir à toutes jambes à la policlinique, c’est bien lui. Croyant son mal sans remède, il se perd dans un gouffre. Pris comme dans une cage, il se cogne partout aux barreaux de la dépendance comme une mouche sur un carreau. Plus il se blesse, plus il se lance, tête baissée, dans sa chute. Il est à deux doigts de devenir dingue.