Il sollicite, une fois de plus, une webcam, et il se dit qu’ils pourraient bien lui faire une carte de fidélité, un rabais, car si ça se trouve, ils vont la revoir souvent, d’innombrables fois, même, sa bobine.
Il tombe régulièrement sur des histoires à la Dostoïevski avec, à peu de chose près, toujours un implacable refrain : le gaillard se dépêtre avec des problèmes d’argent gros comme une maison, le père a disparu des suites d’une cirrhose du foie laissant une veuve éplorée qui doit subir une opération des varices sur-le-champ sauf à périr, elle aussi.
Ces webcams réveillent en lui un vrai désir d’aider mêlé à une tonne de culpabilité et de remords. Elles le précipitent bien souvent au point Western Union le plus proche pour délier sa bourse. C’est fou, comme noyé dans ses propres psychodrames, le sort de l’autre l’intéresse par intermittence et parfois pour de mauvaises raisons. Que sommes-nous prêts à oser pour nous blanchir une conscience, quand l’amour et la générosité se trouvent ailleurs ?
Et pourquoi doit-il casquer pour obtenir ce semblant d’affection ? Pourquoi n’y a-t-il pas précisément une policlinique, un sanatorium, pour s’occuper de ces histoires d’estime de soi, pour cette cure un brin singulière ?
Ce matin, il a croisé un ami dans le bien qui lui prodigue une leçon de liberté : « Tu te rends compte, si on démarrait dans la vie amoureuse avec un semblant de lucidité, si on était un minimum au point avec ses désirs, ses fantasmes, ses besoins, le temps qu’on s’épargnerait et surtout ce baratin, ce mensonge, ces dragues où on ne s’intéresse pas vraiment à la fille, on n’a qu’une idée en tête, on veut qu’elle enlève son pantalon, mais au lieu de ça, on donne le change, on se ment. Je suis convaincu que pour aimer il faut prendre soin de la donnée biologique qui nous manipule, qui nous télécommande bien souvent. L’idéal, évidemment, c’est quand l’amour et l’attirance se donnent la main, mais après dix ans de vie commune, après les sempiternelles querelles sur la lunette de la toilette relevée ou rabattue, comment vivre frais ? Certains jours, bien qu’adorant ma femme, j’aimerais qu’elle s’évapore direct après l’orgasme pour ne revenir que pour les bons moments, les échanges, les discussions vraies, profondes, loin de la routine. Mais à dix-huit ans, tu n’es pas équipé pour prendre du recul, tu fonces, tu te perds. Aujourd’hui, tu peux revisiter ça, reprendre en main ton mariage qui s’use à force et aimer avec un peu moins de pression, tu as tout le temps. Tu co-crées une histoire avec ton épouse. »