Voilà qu’il s’essaie à mettre la main sur la sagesse hors des sentiers battus, là où il s’y attend le moins. Il lui suffit d’ouvrir les yeux ! Vissé sur un tabouret de bar, il vient de rejoindre Blaise. L’armoire à glace clairvoyant lui distribue une tonique leçon sur le détachement.
« C’est simple, on est sept milliards d’êtres humains sur la planète, si je ne lui plais pas, le gars, il dégage. Faut pas déconner, la vie est courte, il n’y a vraiment pas de temps à perdre. Tu te rends compte du pouvoir que tu as conféré à ce type… Pourquoi tu lui donnes l’exclusivité ? Vire-moi ce boulet ! » Ce soir, petite initiation à l’école d’un fin connaisseur de l’âme humaine. Son côté brut de décoffrage, en tout cas, tranche avec la morale à deux balles qu’il se sert tous les jours.
— Tu gères comment, toi, l’affectivité ?
— Je ne suis pas sûr que ça se gère. Je fais avec… Le plaisir, les émotions sont censés être des amis qui te veulent du bien mais jauge un peu les dégâts ! Quoi de plus naturel que de manger, boire ou faire l’amour ? Et pourtant tu peux vite tomber dans la tyrannie, les affres de la dépendance, la morsure du manque, et j’en passe.
— Ils se débrouillent comment, les autres, avec ces histoires d’attirance, de désir, d’insatisfaction ?
— Alors ça, mon vieux, ne me le demande pas ! T’as de tout, je suppose, y compris les extrêmes. Je ne suis pas un maître en la matière, mais j’imagine que, d’un côté, t’as l’ascétisme, les pisse-froid qui te font mine de ne pas y toucher et se mettent bien peinards à l’abri de l’appel de la chair, quitte au passage à se flinguer toute affectivité… Et puis, nettement plus nombreuse, il y a la masse baisante qui rampe après le plaisir, des marionnettes, des pantins, en somme… Leur boussole, tu devines où elle se situe ?
— Il doit y avoir des nuances quand même, un interstice, une place pour la liberté, une brèche dans l’esclavage.
— En tout cas, toi, avec tes Skype, il te faut prendre le taureau par les cornes…
Dans un bar, il sirote chastement des Coca zéro tandis que Blaise, en vrai chasseur, pianote à fond la caisse sur Grindr. L’application a pour vocation de mettre en contact des hommes friands de quelque aventure. Parfois, l’ami disparaît pour revenir une heure plus tard, la mine réjouie, les yeux rieurs : « Mon gars, faut pas déconner. Une fois réglées ces histoires de pulsions, tu peux te consacrer à la nature du Bouddha, à la paix, à tout ce que tu veux, mais avant tu rames. »
Les pianotages reprennent et dans l’épaisseur de la nuit, il le voit foncer. Il ne sait pas ce qu’il cherche vraiment. Du bon temps, certes, mais quoi d’autre ? Un réconfort, un repos, la déprise de soi glanée dans des bras inconnus ? Seul devant son verre, il pense à la petite mort, à ces courts instants de détente, d’oubli de soi recueillis à la faveur d’un plaisir des plus fugaces. L’ego s’éclipse et le dispense, durant ces folles minutes, de son joug oppressant même s’il finit par toujours revenir à la charge, prendre le répit à la gorge et réclamer son dû.