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Comme il s’y attendait, il avait été incapable de trouver le sommeil. Il avait renvoyé la fille en lui donnant de l’argent, car il n’avait rien d’autre à lui offrir, ni espoir ni conseil. Elle avait rejeté d’ailleurs ce qu’il lui avait conseillé, car cela impliquait trop de danger ou de douleur pour ces enfants engagés dans une indescriptible chaîne d’entraide. Il ne pouvait rien exiger. Il n’y avait aucun coup, aucune menace qui fût susceptible d’équilibrer le fardeau qui était le leur. Après tout, c’était leur propre combat. Ils ne voulaient aucune aide extérieure.

Il se souvint de l’exhortation du Bagdhivi :

Regarde les enfants ; observe-les bien. Ils deviennent grands et forts, et chassent le tigre avec plus de ruse que toi et des muscles plus vigoureux que les tiens. Ils protégeront mieux les troupeaux que toi. Tu es vieux et infirme. Regarde les enfants. Méfie-toi des enfants.

Les enfants chassaient-ils mieux le tigre ? Et même si c’était vrai, les troupeaux seraient-ils mieux protégés ? Et qui était le tigre ?

Était-ce ce « foutu pays » ?

Fallait-il en arriver là ?

Toutes ces questions lui agitaient l’esprit. Combien de Jeannie y avait-il ? Quelle était l’étendue du recrutement de Nemrod ?

Il devait le découvrir.

La fille avait reconnu que Carmount n’était qu’un port d’escale. Il y en avait d’autres, mais elle ne les connaissait pas. Ses amies avaient été envoyées à New Haven, Boston, ou au nord, dans les environs de Hanovre.

Yale. Harvard. Dartmouth.

L’aspect le plus effrayant de tout cela, c’était que Nemrod pèserait sur leur avenir. Qu’avait-elle dit ?

– Il est rare qu’ils reprennent contact... Ils menacent de le faire... On vit avec cette épée de Damoclès...

Si c’était le cas, le Bagdhivi avait tort. Les enfants étaient beaucoup moins rusés, leurs muscles plus faibles. Il n’y avait aucune raison de se méfier d’eux. Ils faisaient pitié.

A moins que les enfants ne soient divisés, guidés par d’autres, des enfants plus forts.

Matlock décida de descendre à New Haven. Peut-être y trouverait-il certaines réponses. Il avait de nombreux amis à l’université de Yale. Ce serait une excursion imprévue, mais de même nature que le voyage lui-même. Une étape dans son odyssée vers Nemrod.

Des sons courts, suraigus vinrent abréger la réflexion de Matlock. Il se raidit, glacé, les yeux alertés par le choc, le corps tendu sur le lit. Il lui fallut plusieurs secondes pour concentrer son attention sur l’origine de ce bruit paniquant. C’était le Tel-électronic, toujours dans la poche de sa veste. Mais où avait-il mis sa veste ? Elle n’était pas près du lit.

Il fit pivoter la lampe de chevet et regarda autour de lui. Les bips incessants faisaient battre son pouls à tout rompre, perler la sueur sur son front. Puis il aperçut son manteau. Il l’avait posé sur une chaise, devant la porte-fenêtre, au centre de la chambre. Il jeta un coup d’œil à sa montre : quatre heures trente-cinq du matin. Il courut vers la veste, sortit le terrible instrument et l’éteignit.

La panique avait repris l’animal traqué. Il décrocha le téléphone posé sur la table de nuit. C’était une ligne directe. Pas de standard.

La tonalité ressemblait à n’importe quelle tonalité en dehors des zones principales de service public. Un peu brouillée, mais régulière. Et s’il y avait une bande enregistreuse ? Il serait incapable de la déceler. Il composa le 555-68-68 et attendit que la transmission se fasse.

– Décodeur Trois-Zéro au rapport, fit la voix anonyme. Désolé de vous déranger. Il n’y a aucun changement concernant le sujet, tout est satisfaisant. Toutefois, votre ami de Wheeling, en Virginie, insiste énormément. Il vous a téléphoné à quatre heures quinze et dit qu’il était impératif que vous le contactiez immédiatement. Nous sommes inquiets. Terminé.

Matlock raccrocha l’appareil et se vida l’esprit, jusqu’à ce qu’il ait trouvé et allumé une cigarette. Il avait besoin de ce précieux instant pour ralentir le battement de son pouls.

Il détestait cette machine ! Il détestait l’effet que ces bips terrifiants produisaient sur lui.

Il avala la fumée à grandes bouffées et comprit qu’il n’avait pas le choix. Il devait sortir du Country Club de Carmount et dénicher une cabine téléphonique. Green-berg n’aurait pas appelé à quatre heures du matin s’il n’y avait pas d’urgence. Il ne pouvait pas prendre le risque de le contacter sur la ligne du club.

Matlock jeta ses vêtements dans la valise et s’habilla en hâte.

Il se dit qu’il y avait certainement un gardien de nuit ou un préposé au parking endormi dans une guérite, et que ce dernier lui rendrait sa voiture, celle de Kramer. Sinon il réveillerait quelqu’un, même si ce devait être Stockton en personne. Stockton avait toujours peur d’avoir des ennuis, comme à Windsor Shoals. Il n’essaierait pas de le retenir. Le pourvoyeur de chair jeune et fraîche accepterait n’importe quelle explication. La fleur du Sud brûlée par le soleil, exilée dans la vallée du Connecticut. La puanteur de Nemrod.

Matlock ferma doucement la porte et traversa le couloir silencieux en direction de l’escalier. Les appliques murales étaient allumées, leur lumière tamisée imitait les reflets des chandelles. Même au plus profond de la nuit, Howard Stockton ne pouvait oublier son héritage. L’intérieur du Country Club de Carmount ressemblait plus que jamais au grand hall endormi d’une demeure de planteur.

Il s’avança vers l’entrée et, quand il eut atteint le paillasson, il sut qu’il ne pourrait aller plus loin. Du moins pour le moment.

Howard Stockton, vêtu d’une ample robe de chambre de velours, très XIXe siècle, sortit par une porte de verre, proche de l’entrée. A ses côtés se tenait un homme grand, de type méditerranéen, dont les yeux noirs comme le jais indiquaient une appartenance à la Main noire depuis des générations. Le compagnon de Stockton était un tueur.

– Quoi, monsieur Matlock ! Vous nous quittez ?

Il prit le parti de se montrer agressif.

– Puisque vous avez mis ce fichu téléphone sur écoute, je suppose que vous avez deviné que cela me pose des problèmes ! Ce sont mes affaires, pas les vôtres ! Si vous voulez savoir, cette intrusion me déplaît, souverainement !

La ruse se révéla efficace. Stockton fut ébranlé par l’hostilité de Matlock.

– Il n’y a aucune raison de vous fâcher... Je suis un homme d’affaires comme vous. Toute violation de votre intimité est pour votre protection. Bon sang ! C’est la vérité, mon vieux !

– J’accepte votre explication à la noix. Mes clés sont-elles dans la voiture ?

– Eh bien, pas dans votre voiture. C’est mon ami Mario qui les a. C’est un Italien d’une classe exceptionnelle, j’aime autant vous le dire.

– J’aperçois les armoiries familiales sur sa poche. Puis-je avoir mes clés ?

Mario regarda Stockton, ne sachant plus sur quel pied danser. Juste une minute ! fit Stockton. Attends un peu, Mario. Ne soyons pas impulsifs... Je suis un homme raisonnable. Quelqu’un de très raisonnable, de rationnel. Je ne suis qu’un pauvre...

– ... Virginien qui essaie de gagner de l’argent ! l’interrompit Matlock. D’accord ! A présent, écartez-vous de mon chemin, et donnez-moi mes clés !

– Mon Dieu, que vous êtes tous méchants ! Réellement méchants ! Mettez-vous à ma place... ! Un code complètement dingo... Décodeur Trois-Zéro... et un appel urgent de Wheeling, en Virginie en plus ! Et au lieu d’utiliser mon téléphone qui marche parfaitement, il vous faut de l’air, loin d’ici. Voyons, Jim, qu’auriez-vous fait ?

Matlock répondit d’une voix glaciale et précise :

– J’essaierais de comprendre à qui j’ai affaire... Nous avons fait un certain nombre d’enquêtes, Howard. Mes supérieurs sont inquiets à votre sujet.

– Que voulez-vous dire ?

La question semblait liée, comme s’il n’y avait pas de séparation entre les mots.

– Ils pensent... Nous pensons que vous avez trop attiré l’attention sur vous. Président et vice-président d’un Rotary Club ! Le généreux donateur qui permet de construire de nouveaux bâtiments scolaires. Le soutien des veuves et des orphelins, avec comptes ouverts dans les supermarchés ! Des pique-niques pour le jour de la Commémoration ! Et puis on engage des gens du cru pour répandre des rumeurs sur les filles ! La moitié du temps, elles se promènent à moitié nues ? Vous croyez que les citoyens du coin ne jasent pas ? Mon Dieu, Howard !

– Qui diable êtes-vous ?

– Rien qu’un homme d’affaires fatigué et bien ennuyé de voir un autre homme d’affaires faire le con. Pour qui donc roulez-vous ? Le père Noël ? Vous rendez – vous compte à quel point ce costume est voyant ?

– Ça alors ! C’est vous qui me l’avez envoyé ! Je suis à la tête de l’opération la mieux combinée du nord d’Atlanta. Je ne sais pas qui vous a renseigné, mais je peux vous le dire : que ce Mont Holly de malheur aille au diable ! Ces trucs où vous allez mettre votre nez, ce sont de bonnes actions ! Vraiment bonnes ! Vous déformez tout ! Ce n’est pas bien !

Stockton sortit un mouchoir, épongea son visage rougi et humide de sueur. L’homme du Sud était si perturbé que ses phrases se chevauchaient, que sa voix devenait stridente. Matlock réfléchit vite, mais prudemment. Il était peut-être temps de cueillir Stockton. Il fallait qu’il sorte sa propre invitation. Il allait attaquer la dernière étape de son voyage chez Nemrod.

– Calmez-vous, Stockton. Décontractez-vous. Il n’est pas impossible que vous ayez raison... Je n’ai pas le temps d’y penser pour l’instant. Nous sommes en crise. Tous. Ce coup de téléphone était grave. Matlock s’interrompit, lançant un regard dur à un Stockton nerveux, puis il posa sa valise sur le dallage de marbre. Howard, poursuivit-il, je vais vous confier quelque chose, et j’espère que vous vous montrerez à la hauteur. Si vous réussissez votre coup, personne ne s’occupera plus de votre opération, jamais.

– De quoi s’agit-il ?

– Dites-lui d’aller prendre l’air. A l’autre bout du hall, si cela peut vous tranquilliser.

– Tu as entendu. Va fumer un cigare.

Mario regarda les deux hommes, hostile et troublé, tout en se dirigeant vers l’escalier.

– Qu’attendez-vous de moi ? Je vous l’ai dit. Je ne veux pas d’ennuis, déclara Stockton.

– Nous allons tous avoir des ennuis, à moins que je ne contacte quelques délégués. C’était pour cela que Wheeling m’appelait.

– Que voulez-vous dire... délégués ?

– La réunion de Carlyle. La conférence des nôtres et de l’organisation de Nemrod.

– Ce n’est pas mon affaire ! Stockton avait littéralement craché ces mots. Je ne sais absolument rien de tout ça.

– J’en suis certain. Vous ne deviez pas être au courant. Mais à présent, cela nous concerne tous... Ici et là, certaines règles ont été violées. C’est l’époque qui veut ça. Nemrod est allé trop loin, c’est tout ce que je peux vous révéler.

– C’est à moi que vous dites ça ? Je vis avec ces faiseurs de morale ! Je parlemente avec eux et, quand je me plains, vous savez ce qu’on nous dit ? Ils répètent à l’envi : C’est comme ça, mon vieux Howie, nous sommes tous dans les affaires ! Alors, qu’est-ce que vous venez me chanter ? Pourquoi faudrait-il que je traite avec eux ?

– Peut-être ne pourrez-vous plus le faire longtemps. C’est pourquoi il faut que je contacte les autres. Les délégués.

– Je n’assiste pas à ces réunions-là. Je ne connais personne.

– Bien entendu. Encore une fois, c’est tout à fait normal. Il s’agit d’une conférence capitale et ultra-confidentielle. Si secrète que nous nous sommes peut-être fait entuber : nous ne savons pas qui se trouve dans les parages. De quelle organisation, de quelle famille ? Mais j’ai des ordres. Il faut que nous parvenions à en joindre un ou deux.

– Je ne peux pas vous aider.

Matlock jeta un regard impitoyable à l’homme du Sud.

– Je pense que si. Écoutez-moi. Demain matin, prenez votre téléphone et passez le mot. Prudemment ! Nous ne voulons pas de panique. Ne dites à personne que vous êtes au courant et ne prononcez pas mon nom ! Expliquez simplement que vous avez rencontré quelqu’un qui a l’invitation corse, le papier argenté. Il faut qu’il entre en contact avec un autre détenteur de la même convocation. Nous commencerons par un seul délégué si c’est nécessaire. Avez-vous compris ?

– Oui, mais je n’aime pas ça ! Ça ne me regarde pas !

– Vous préférez fermer boutique ? Souhaitez-vous perdre votre magnifique relique et passer dix ou vingt ans devant la fenêtre d’une cellule ? J’imagine que les funérailles sont très touchantes en prison.

– D’accord ! D’accord... Je vais appeler mon correspondant. Je dirai que je ne sais rien, que je me contente de transmettre un message.

– Ça ira. Si vous établissez le contact, dites-lui que je serai au Club ski et voile ce soir ou demain. Qu’il apporte le papier. Je ne parlerai qu’au porteur d’une invitation.

– Pas de papier...

– Maintenant, donnez-moi mes clés.

Stockton rappela Mario. Matlock récupéra ses clés.

 

Il prit la direction du sud, sur la route 72 qui partait de Mont Holly. Il ne se souvenait pas avec précision de l’endroit, mais il savait qu’il était passé devant plusieurs cabines publiques en se rendant à Hartford. C’était curieux. Il commençait à repérer ces cabines, son seul lien avec quelque chose de solide. Tout le reste était précaire, étranger, terrifiant, une sorte de quitte ou double. Il téléphonerait à Greenberg comme le lui avait demandé Décodeur Trois-Zéro mais, avant cela, il contacterait l’un des hommes de Blackstone.

Il fallait lui fixer immédiatement un rendez-vous. Il avait besoin du papier corse. Il avait prononcé le mot. Il devait garder la maîtrise du jeu, condition sine qua non pour apprendre quoi que ce soit. Si le message de Stockton était transmis, et si quelqu’un entrait en contact avec ce dernier, il tuerait ou serait tué avant de briser la loi du silence, la loi de l’Omerta, à moins que Matlock ne présente sa propre invitation.

A quoi tout cela menait-il ? Était-il un amateur comme Kressel et Greenberg le pensaient ? Il n’en savait rien. Il tenta d’approfondir les choses, de voir chaque action sous tous les angles, d’utiliser les ressorts de son imagination cultivée, entraînée. Mais était-ce suffisant ? Ou bien son sens de l’engagement, ses sentiments violents de vengeance et de dégoût étaient-ils en train de le transformer en don Quichotte ?

S’il en était ainsi, il vivrait cette situation. Il ferait tout son possible pour l’accepter. Il avait de bonnes raisons pour cela, un frère du nom de David, une fille du nom de Pat, un homme âgé et bon du nom de Lucas, un type charmant du nom de Loring, une étudiante terrifiée et perdue de Madison du nom de Jeannie. Quel spectacle écœurant !

Un camion de lait avançait pesamment. Le chauffeur chantait et fit un signe de la main à Matlock. Quelques minutes plus tard, un énorme dix tonnes des Van Lines passa devant lui à vive allure. Peu après ce fut un transporteur de marchandises. Il était presque cinq heures et demie, et le jour se levait. La journée serait grise, des nuages de pluie obscurcissaient le ciel.

Le téléphone sonna.

– Bonjour !

– Vous avez un problème, monsieur ? Avez-vous réussi à joindre votre ami en Virginie ? Il a dit qu’il ne plaisantait plus.

– Je l’appellerai dans quelques minutes. Êtes-vous Cliff ?

Matlock savait que ce n’était pas lui. La voix était différente.

– Non, monsieur. Je m’appelle Jim, comme vous.

– Parfait, Jim. Dites-moi, Jim, votre collègue a-t-il fait ce que je lui avais demandé ? Est-il allé chercher ce papier ?

– Oui, monsieur. Si c’est le papier argenté avec un texte en italien. Je crois que c’est de l’italien.

– C’est ça.

Matlock lui donna rendez-vous deux heures plus tard. Ils décidèrent que Cliff le retrouverait dans un restaurant de Scofield Avenue, ouvert la nuit, près des faubourgs de Hartford-ouest. Décodeur Trois-Zéro insista pour que l’échange ait lieu rapidement, sur le parking. Matlock décrivit la voiture qu’il conduisait et raccrocha le téléphone.

Ensuite il appela Jason Greenberg à Wheeling. Green-berg était furieux.

– Ringard ! Vous ne vous contentez pas de trahir votre parole, il vous faut constituer votre propre armée ! Qu’imaginez-vous que ces clowns puissent faire de plus que le gouvernement des États-Unis ?

– Ces clowns me coûtent trois cents dollars par jour, Jason. Ils ont intérêt à les mériter.

– Vous vous êtes enfui ! Pourquoi avez-vous fait ça ? Vous m’aviez donné votre parole. Vous aviez promis de travailler avec notre agent.

– Votre agent m’a posé un ultimatum que je ne pouvais pas accepter ! Et si c’était une de vos idées, je vous répondrais la même chose qu’à Houston.

– Qu’est-ce que cela veut dire ? Quel ultimatum ?

– Vous le savez parfaitement ! N’essayez pas de jouer au plus fin avec moi. Et écoutez-moi... Matlock reprit sa respiration avant de plonger dans le mensonge, en lui conférant toute l’autorité dont il était capable. Il y a un avocat de Hartford qui a une lettre très explicite, signée de moi. A peu près les mêmes termes que dans celle que je vous ai envoyée. Mais les renseignements sont quelque peu différents : c’est très net. Elle décrit en détail l’histoire de mon recrutement, comment vous, espèce de salaud, m’avez entubé pour que je marche dans votre combine et comment vous m’avez laissé choir. Comment vous m’avez forcé à signer un texte mensonger... Si vous tentez quoi que ce soit, il lâchera le morceau et je connais bon nombre de manipulateurs qui seront bien embarrassés au ministère de la Justice. C’est vous qui m’avez donné cette idée, Jason. C’était une excellente idée. Cela pourrait même décider quelques militants à semer la pagaille sur le campus de Carlyle. Et même, avec un peu de chance, déclencher une série d’émeutes dans tout le pays. La scène universitaire est prête à sortir de sa torpeur. N’est-ce pas ce que Sealfont avait dit ? Mais, cette fois, ce ne sera ni la guerre ni la drogue. On trouvera de meilleurs termes : infiltration étatique, État policier... méthodes gestapistes. Vous y êtes-vous préparés ?

– Pour l’amour du Ciel, fermez-la ! Cela ne vous fera aucun bien. Vous n’êtes pas important à ce point... Et puis de quoi diable parlez-vous ? C’est moi qui ai fait le briefing ! Je n’ai posé aucune condition sauf une : que vous nous teniez au courant de vos faits et gestes.

– Des conneries ! Il ne fallait pas que je quitte le campus, ni que je parle aux membres du corps enseignant ou de la direction. Mon domaine devait se restreindre aux investigations parmi les étudiants. Je pensais que ceux-ci devaient être les premiers à être disculpés ! A part ces quelques restrictions mineures, j’étais libre comme l’air ! Allons ! Vous avez vu Pat ! Vous savez ce qu’ils lui ont fait. Ce qu’ils ont commis, cela s’appelle un viol, Greenberg ! Vous vous attendiez à ce que je remercie Houston de se montrer si compréhensif ?

– Croyez-moi, dit Greenberg d’une voix blanche de colère retenue. On a ajouté ces conditions après mon briefing. Ils auraient dû m’en avertir, c’est vrai. Mais ils l’ont fait pour vous protéger. Vous êtes capable de saisir ça, n’est-ce pas ?

– Ça ne faisait pas partie de notre marché !

– Non. Et ils auraient dû me prévenir...

– Je me demande qui ils tiennent réellement à protéger. Eux ou moi.

– Bonne question. Ils auraient pu me le dire. Ils n’ont pas la possibilité de déléguer les responsabilités, cela réduit notre autorité. Ce n’est pas logique.

– Ce n’est pas moral. Laissez-moi vous dire une chose. Ma petite odyssée m’a de plus en plus rapproché de cette sublime question de moralité.

– J’en suis heureux pour vous, mais je crains que votre odyssée ne touche à sa fin.

– Essayez donc !

– Ils vont le faire. Peu importe votre déclaration déposée chez un avocat. Je leur ai dit que je voulais d’abord tenter ma chance... Si vous ne vous mettez pas sous leur protection dans les quarante-huit heures qui suivent, ils lanceront un mandat d’arrêt.

– Pour quels motifs ?

– Vous constituez un danger. Vous êtes mentalement déséquilibré. Vous êtes un dingue. Ils produiront votre dossier militaire – deux jugements en cour martiale, du trou, instabilité constante en situation de combat. Vous vous droguez. Vous vous soûlez aussi. Ils ont des témoins. Vous êtes raciste. Ils ont pris le rapport de Lumumba Hall chez Kressel. Et maintenant, d’après ce que j’ai compris, bien que je n’aie pas de données précises, vous fréquentez des criminels notoires. Ils ont des photos prises à Avon... Rendez-vous, Jim. Ils briseront votre vie.