Il était une fois, dans un petit village de montagne, un enfant de dix ans qui s’appelait Tinet. Chaque soir, l’enfant rêvait en contemplant le ciel clouté d’étoiles depuis la fenêtre de sa chambre. Parfois, s’adressant à elle, il murmurait :
« Que vous êtes belles, petites étoiles ! Comme j’aimerais monter jusqu’à vous, tout là-haut ! Pourquoi ne venez-vous pas me chercher ? »
Mais les étoiles, toujours, restaient muettes.
Cependant, elles scintillaient.
Peut-être lui envoyaient-elles de la sorte un message qu’il ne savait malheureusement pas comprendre. C’était du moins ce qu’il croyait. Aussi ne se lassait-il pas, chaque soir, de lever les yeux au firmament et de recommencer, encore et encore, de les supplier.
Mais un soir où sa prière avait été particulièrement insistante, les étoiles finirent véritablement par l’entendre. Et il y eut un grand étincellement.
Des éclairs dorés parcoururent le firmament jusqu’à l’horizon. Un ballet de fées tourbillonna au zénith et une étoile tomba dans le jardin.
L’enfant demeura longtemps immobile, stupéfait, incrédule. Sur l’herbe, devant sa maison, la timide lueur persista et il la dévorait de son regard candide. Son cœur battait très fort, le clouant sur place, l’empêchant d’aller regarder de plus près. Puis les pulsations s’apaisèrent. Il finit par vaincre ses appréhensions. Il glissa lentement sur la rampe de l’escalier pour ne pas faire craquer les vieilles marches de bois, sortit pieds nus pour éviter le moindre crissement et, finalement, ramassa l’étoile encore tiède de son voyage avant de la transporter dans sa chambre.
Cette nuit-là, le sommeil fut long à venir, l’enfant ne pouvant détacher son regard de la petite boule verte et un rien phosphorescente posée sur la table de chevet. Lorsque ses paupières finirent par se fermer un peu avant l’aube, il fit un rêve merveilleux : son étoile vivait et lui parlait avec une tendresse infinie.
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Le lendemain et les jours suivants, Tinet dut essuyer de nombreux reproches : de sa maîtresse d’école qui le surprenait à dormir en classe, de sa maman dont il ne semblait plus apprécier les plats, de son père qui lui reprochait de retarder de menus travaux demandés. C’est vrai qu’il ne dormait guère, n’avait plus le moindre appétit et n’avait qu’une pensée en tête : pouvoir tirer l’étoile de sa cachette pour l’admirer tout à loisir.
Un soir, le garçon n’y tint plus. Il prit l’étoile entre ses mains et, inconsciemment, se mit à la modeler comme il le faisait parfois avec l’argile du ravin. La boule verte et brillante prit une forme insolite, attirante et tourmentée. Il travailla longtemps, la nuit passant sans qu’il s’en rende compte. Le coq de Mathieu, le voisin des Bagnettes, se mit à chanter alors même qu’il rangeait soigneusement son œuvre avant de s’endormir. Heureusement, c’était un dimanche et il pourrait s’assoupir à la messe de dix heures s’il devait y accompagner sa grande sœur.
La nuit suivante, il se remit à l’ouvrage avec une ardeur renouvelée. C’était comme si l’étoile le suppliait de lui donner une forme. Laquelle ? Il ne savait trop. Ses doigts creusaient, bosselaient, polissaient, étiraient, malaxaient, modifiaient, recommençaient encore. Cent fois il reprit la chair de son étoile dont l’aspect changeait sous ses doigts de plus en plus habiles. Et, peu à peu, naquit une figure, pas vraiment belle, grossière plutôt, mais étrangement vivante.
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Il lui fallut trois jours, ou plutôt trois nuits, pour compléter les yeux qui suivirent dès lors ses moindres mouvements de leur reflet profond et glauque. Le nez fut achevé au bout d’une semaine, légèrement busqué pour paraître sévère comme il sied à un haut personnage, et il ne fallut pas moins d’une autre huitaine pour dessiner des lèvres qui ne soient point trop charnues, ni trop moqueuses, à l’instar de celles de la marchande de jouets.
Là, l’enfant s’arrêta.
Il contempla longuement son incomplète création, écouta ce qui lui parut un ultime appel. Il ne restait plus que le menton à façonner, l’amorce du cou… qu’il remit au lendemain.
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Après le repas du soir, avant de monter dans sa chambre, Tinet embrassa longuement sa mère, effleura la joue mal rasée de son père, parcourut la cuisine d’un regard qui semblait vouloir en retenir les moindres détails, les moindres recoins. Puis il s’employa sans précipitation à l’achèvement de son œuvre. Vers minuit, satisfait, il porta la sculpture achevée vers la fenêtre pour mieux l’admirer sous la caresse des rayons de lune. Puis, saisi d’une impulsion soudaine, il approcha ses lèvres de celles de l’étoile…
… et l’étoile entrouvrit les siennes. Elle répondit à son baiser par un baiser plus impétueux, plus primitif peut-être, et l’enfant ressentit un grand apaisement au fur et à mesure que le baiser se prolongeait, que les lèvres de son étoile absorbaient les siennes avant de s’ouvrir encore, engloutissant toute sa tête ; avant de s’ouvrir démesurément pour engloutir son corps entier.
Lorsqu’il ne resta plus sur le sol de la chambre que le pyjama vide, l’étoile qu’était devenue Tinet franchit la fenêtre ouverte et retourna dans les cieux pour ne jamais en revenir.
Je ne me souviens plus pour quelle raison j’ai rédigé ce texte. Probablement, à l’origine, dans la vague intention d’écrire des contes pour enfants. Sauf que sa conclusion m’en a dissuadé. C’est mon unique intrusion dans le royaume de la féerie. Je préfère laisser à d’autres la succession des Andersen, Grimm, Perrault et autres.
Première publication :
Revue Atlanta n° 3 – juin 1964
Autres publications :
Italie – Revue Edizione speciale – décembre 1965
Italie – RevueVerso le stelle n° 2 – 1980
(traduction Vittorio Curtoni)
Revue Kimba n° 8 – novembre 1966
Version revue et corrigée à l’occasion de ce recueil.