Inlassablement, il le répète, Monteverdi, ce Gloria de base, dans les Selva Morale, du début à la fin. Chaque voix seule, et les chœurs du haut, ceux du bas, ils en viennent tous là, dans la perte du sens en simple vibration d'après l'orgue. Donc :
GLORIA PATRI ET FILIO ET SPIRITUI SANCTO
SICUT ERAT IN PRINCIPIO ET NUNC ET SEMPER
ET IN SAECULA SAECULORUM AMEN
Chaque mot, ici, est une bibliothèque. Qu'est-ce que la gloire, le père, le fils, le Saint-Esprit, le commencement, le maintenant, le toujours, les siècles des siècles, le puisque-c'est-ainsi-ainsi-soit-il ? Qu'est-ce que tout cela veut dire ?
Trois et trois six et trois neuf. Gloria, sicut, amen. On s'occupe de la génération et du temps. On énonce la clé de l'anti-matière. Compte tenu que ça matrice indéfiniment, et de mère en fille, de serrure en serrure, d'ovule en bouture, et qu'il s'agit là du grand silence, de l'énorme tabou-réticence à propos duquel l'humanité entière ne peut que mentir, on chantonne seulement en passant le tour et le chiffre de la sortie hors du monde. L'infini étant dans l'espace comme dans le temps, encore faut-il en trouver le trou sous forme d'un nœud à l'envers.
Malheur à la mère à la fille et au matriciat
Ça n'arrive même pas à commencer ni maintenant ni jamais
Et voilà le reste traînant en dehors des siècles et des siècles
Pas ça !
La grande déesse et ses aides, c'est-à-dire finalement tout le monde, en reste baba. Elle n'a plus, quel ennui, qu'à gérer la circulation répétitive de la malveillance (téléphone, contorsions diverses, pubication et pubicité, confidences).
Adieu Jocaste et Laïus ! Adieu la Loi, adieu la Grèce ! Adieu Moïse et Isis ! Adieu théories, adieu critiques, adieu minuits et momies ! Adieu, adieu philosophie ! Adieu psychisme ! Adieu sexisme ! Adieu fanimisme engourdi ! Adieu fascisme et socialisme ! Adieu complots, adieu l'ourdi !
« Wo es war, soll ich werden », dit Freud. Là où c'était, je dois advenir. Vous remarquez que c'était est le seul temps qui se décline dans l'énoncé du principe du temps. C'était ainsi au commencement, c'était maintenant, c'était toujours, c'était dans les siècles des siècles. L'imparfait nous vient du futur. Le présent instantané, langage, verbe, se donne dans une trinité glorieuse qui coïncide avec sa célébration. Vous avez ce trois interne et externe, et la violation temporelle s'effritant, S'évanouissant sur ses bords. Soll : je dois. Je suis qui je suis, en trois personnes, précède et suit la péripétie du c'était. Je tombe de qui je suis dans le temps, je rentre dans qui je suis en comprenant l'imparfait du temps, ICH, je suis. J'adviens hors du c'était, lequel ne peut pas faire autrement que d'accoucher de moi si je me conçois.
Nous ne sommes que des lettres détournées, freinées, en souffrance. Peur de jouir, culpabilité d'avoir joui, terreur de passer à une jouissance infinie.
Ecoutez le nunc : comme un coup de poinçon de la voix, comme le point de fuite inscrit sous la voûte.
La jeune Anglaise déposant son bouquet sur la dalle de la chapelle de gauche, à Santa Maria dei Frari. Monteverdi. J'embrasse la pierre.
1981.