L'Assomption

 

Je ne me lasse pas de m'émerveiller de la logique que comporte la manie théologique. Je ne m'en lasse pas parce que, contrairement à ce que tout le monde pense, il ne s'agit pas d'affirmer dans cette logique quoi que ce soit mais de se livrer, à travers ce raisonnement, à une négation radicale. C'est pourquoi, contrairement à la fausse évidence commune, la seule preuve que l'on est rigoureusement athée doit passer par la démonstration théologique. Je le répète, au cas où il y aurait la moindre ambiguïté là-dessus, et les réactions à l'égard de cette preuve d'athéisme sont révélatrices de l'épouvantable religiosité qui sévit, plus que jamais, aujourd'hui, partout. Pour aller droit, une fois de plus, au maximum de connerie, afin, sans aucune illusion d'être suivi, d'en tracer la limite, je dirai qu'il faut revenir sur l'effet B.V.M., c'est-à-dire la Bienheureuse Vierge Marie.

Duns Scot, ça commence à peine à être un nom que l'on interroge à nouveau. Ne pas oublier que c'est contre Duns Scot principalement que Luther a cru pouvoir réformer la religion, c'est-à-dire la faire continuer alors qu'il est dans la logique théologique d'arriver à sa négation complète. On a bien raison de se méfier du catholicisme : il est la négation même de toutes les religions. Si j'arrive un jour à vraiment m'expliquer là-dessus et que ce soit admis par tout le monde, on aura fait un grand pas en avant... L'Immaculée Conception, c'est un effort de négation particulier qui porte du côté de la procréation. Il y a une autre négation très importante qui porte du côté de l'intérieur de la mort et, comme c'est le dernier dogme qui ait été promulgué par l'Eglise catholique, c'est de lui que je parlerai aujourd'hui, dans la mesure où, affirmée il y a à peine trente ans, cette négation, qui aura mis un très long temps avant de se formuler comme dogme, m'intéresse particulièrement. J'insiste sur le fait qu'un dogme est posé lorsque les conditions logiques d'une négation certaine sont remplies. C'est le contraire d'une dénégation. Ou d'une forclusion. Ou d'un désaveu pervers. C'est même le comble de la perlaboration et du dépassement de toute psychose et de toute perversion (raison pour laquelle les psychotiques et pervers en seront toujours épatés dans les siècles des siècles). Il aura fallu six siècles pour que l'Immaculée Conception, pourtant admirablement définie par Duns Scot, prenne la forme d'un dogme ; il aura fallu un siècle de plus pour que l'Assomption, qui découle logiquement de l'Immaculée Conception, prenne son envol définitif. Comme si tout ce long temps de la culture occidentale avait été une sorte de cure particulièrement sévère avant qu'on puisse arriver à la formulation de cette négation. J'essaierai de montrer que ce n'est pas, bien entendu, sans Freud, et je dirai même sans l'aveuglement de Freud qui vaut mieux que n'importe quelle croyance, qu'on peut arriver à y comprendre quoi que ce soit.

L'Assomption... Je rêve bien sûr que mon intervention soit illustrée par le tableau qui convient, L'Assomption de Titien qui se trouve à Venise. Je rêve qu'un jour il devienne clair que c'est à travers l'art que la logique théologique a eu sa force irrépressible de démonstration. Je rêve qu'à l'opposé de la négation philosophique faible, la négation théologique fasse mieux voir l'enjeu de l'art. En tout cas, en partant de ce Titien empourpré, j'affirme qu'à faire tourner en profondeur le langage, on en vient toujours à anticiper sur la logique de la théologie, c'est-à-dire sur ce qui met fin au fantasme de l'existence. Assomption, dans le dictionnaire français, se situe exactement entre le mot assommoir et le mot assonance. Pour une fois, ce qui arrive d'ailleurs assez souvent, le dictionnaire fait assez bien les choses, car pas moyen d'échapper à l'assommant et de comprendre ce qu'il en est de l'assonance sans passer par l'assomption. Assonance, ça veut dire faire écho. L'effet B.V.M. est un effet d'écho, de résonance. L'assomption répond à l'ascension de la résurrection. C'est un effet de doublure de l'effet majeur qui est l'effet P.F.S. E, Père, Fils et Saint-Esprit, lequel sans cet effet de doublure n'est pas audible. D'où l'enjeu brûlant dans l'histoire et dans la pensée de cet effet B.V.M. Sans écho, on ne peut pas être sûr d'un son. C'est le mérite, esthétique, de la folie catholique d'avoir voulu, je dirai acoustiquement, maintenir la possibilité de démonstration de l'écho... Assomption : du latin adsumere. Si je dis adsum, je dis que je suis là, présent. Mais adsumere c'est prendre pour soi avec soi user d'un bien pris à autrui et qui ne vous appartient pas en propre. Cicéron, par exemple, dit : « Sacra Cereris adsumpta de Graecia » : le culte de Cérès emprunté à la Grèce. Second sens : adsumere c'est s'approprier, se réserver. Tacite : « conservatoris sibi nomen adsumpsit », il se fit appeler Sauveur. Adsumere c'est aussi prétendre à, revendiquer, « quod est oratoris proprium, si id mihi adsumo », dit encore Cicéron : ce qui est le propre de l'orateur, si je me le réserve. Il y a un troisième sens : prendre en plus, joindre, adjoindre à ce qu'on avait ; et un quatrième sens : poser la mineure d'un syllogisme (entre parenthèses, s'il y a une mineure qui a fait du bruit c'est bien celle-là, la B.V.M.). Poser la mineure d'un syllogisme, c'est crucial, on appelle ça une assomption. Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme... « Or Socrate est un homme », c'est ce qu'on appelle l'assomption. Vous voyez le côté fragile de cet exemple fameux puisqu'il s'agit toujours de prouver que l'un est comme les autres. On ne peut ici que recourir à la mort, c'est-à-dire à la religion fondamentale, pour l'établir, et le nom propre intervient dans la mineure (l'assomption), pour lier ce nom à un ensemble qui n'en a pas. Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme... voilà un coup de force logique absolument fou si l'on veut bien y songer. Cinquième sens : c'est un terme de rhétorique qui définit la façon de prendre les mots dans un sens métaphorique ; « verba quae adsumpta sunt » (Quintilien), les mots qui sont pris métaphoriquement. Pour essayer de définir ce qu'est l'assomption, il faut comprendre que c'est une façon de juger de la force de la métaphore. L'énorme majorité des êtres parlants, vous le savez, sont enclins à juger tout à la lettre et c'est Freud lui-même qui nous dit que l'hystérie ça consiste à ne pas comprendre la dimension métaphorique d'un énoncé. Son érectibilité, en somme.

Donc, vous voyez que cette façon de prendre, d'emprunter, de dire en plus et de donner au discours sa fonction métaphorique ultime, passe par le mécanisme logique de l'assomption. Pourquoi mettre sous ce nom d'assomption l'effet B.V.M.? On ne va pas dire que Socrate est un homme pour le ramener à la mort, on dit, en théologique, qu'une femme au moins n'en est pas une comme les autres parce qu'elle a donné la vie triomphant de la mort. Disons les choses : un dogme c'est ce que tout le monde est tenu de croire pour n'avoir pas à réfléchir. Mais il n'est pas interdit de réfléchir, d'autant plus que si on réfléchit on s'aperçoit de la justesse des dogmes. Ceux qui y adhèrent comme ceux qui les rejettent sont l'objet d'une même paresse, pas tout à fait la même cependant : ceux qui y adhèrent reconnaissent par là même qu'ils sont incapables ou qu'ils n'ont pas le temps de réfléchir, prouvant par là une humilité estimable. Tandis que ceux qui les rejettent se supposent savoir de quoi il s'agit, et finissent d'habitude dans une vanité atroce qui les condamne à l'enfer de leur propre proximité. On ne dit pas que Socrate est un homme, on pose qu'il y en a une, et une seule, qui ne meurt pas. Que l'on renvoie. Dans le Nom. Subversion ! non seulement du syllogisme en tant que tel, mais de la religion humaine. La théologie n'est rien d'autre que la logique qui consiste : 1) à rappeler qu'il n'y a pas d'espèce humaine sans religion, la pire étant bien entendu celle qui ne se reconnaît pas comme telle ; 2) à montrer comment on peut arriver à la nier, cette religion. Pour la nier jusqu'au bout, il faut donc étrangement poser qu'il y en aurait une, et pas la, une qu'on nomme, Marie, conçue sans péché et qui, donc, ne meurt pas. Je parlais tout à l'heure de l'aveuglement de Freud..., cet aveuglement, ai-je dit, est bien préférable à toute voyance. Il vaut mieux s'aveugler sur quelque chose qui reste provisoirement incompréhensible que de prétendre y voir quoi que ce soit quand il fait noir. Freud préfère souvent fermer les yeux. Ça glose et ça va gloser encore longtemps sur l'affaire Jung-Freud, la Jungfraude, comme disait Joyce. Le stéréotype du méchant Jung et du bon Freud est déjà bien ancré dans les consciences mais la conscience ne nous sert pas à grand-chose, surtout pas la bonne, pour comprendre de quoi il s'agit vraiment. Il y a un livre qui vient de sortir qui s'appelle Sabina Spielrein entre Jung et Freud1, et c'est une fois de plus le témoignage de la passion entre Jung et Freud, entre Freud et Jung, passion dont nous devrions depuis longtemps être sortis de tous côtés... On voit dans ce témoignage de Sabina Spielrein, qui bien entendu est juive, son rêve d'obtenir de Jung, qui s'est laissé aller à la tripoter, un enfant représentant pour elle le comble du désirable : la mythologie germanique. Tout ça sur fond de Wagner et, bien entendu, l'enfant s'appellera Siegfried. Pour cela, elle n'hésite pas à entrer dans le vif du sujet, pas seulement dans Jung mais intellectuellement dans Freud, suivant en cela l'admirable stratégie hystérique qui consiste à adopter une plasticité indéfinie selon la conjoncture concrète. On aura fait un grand pas aussi le jour où on commencera à se douter que l'effet-femme doit sa plasticité extraordinaire au fait que cet effet repose sur une non-existence répétitive. Le fait qu'on tienne une femme pour existante n'étant dû qu'à l'extrême niaiserie qui consiste dans le fait qu'elle arrive à vous faire croire à sa mère. Ce à quoi, pourtant, rien ne vous oblige puisque, à y regarder de près, la mère il n'y en a jamais eu autrement que sous la forme d'une fille qui cherchait sa mère et qui ne la trouvait pas. Houhou ! Ce qui n'empêche pas l'effort forcené de faire consister de la mère-en-soi. Eh bien, Spielrein, par exemple, réussit au fond à faire écrire sa mère à Jung pour lui reprocher de pervertir sa fille. Le dérapage de Jung à ce moment-là est savoureux ; il écrit à la mère que si elle souhaite qu'il reprenne son activité d'analyste par rapport à sa fille, il faudra qu'elle, la mère, le paye, lui Jung (alors que la fille jusqu'alors ne le payait pas). Là-dessus tempête dans les bénitiers ! Jung proxénète du divan, dit-on. Soit, soit... N'empêche que la réponse de Jung n'est pas si bête, pourquoi serait-il tout le temps bête, ce Jung ?, ce n'est pas bête qu'il est, c'est trop physique. La preuve : il y touchait. C'est même ce qui intéressait Freud : qu'il y touchât. Qu'il fût en train d'engendrer. C'est la raison pour laquelle Freud, devant ce corps dit Jung, va jusqu'à s'évanouir. Le désir de Freud est là très émouvant, désir sexuel évident. Vous vous rappelez la petite anecdote de Freud demandant à Jung de lui promettre de ne jamais abandonner la théorie sexuelle et, dit Jung, « Freud avait alors le ton d'un père qui demande à son fils d'aller au Temple », et « pourquoi demande Jung ne faut-il pas abandonner la théorie sexuelle ? ». « Parce que, dit Freud, il faut éviter la marée noire de l'occultisme. » Très bien. Eviter la marée noire de l'occultisme..., ça consiste simplement à savoir quand on baise et à ne pas broder là-dessus. Freud s'évanouit, Jung brode. Sabina Spielrein a écrit un texte très intéressant, « La destruction comme cause du devenir ». On la donne comme l'inspiratrice de la pulsion de mort, disons plutôt qu'elle commence à faire sentir au champ analytique quelque chose qui ne va pas forcément de soi et qui est qu'en effet donner la vie, eh bien c'est donner la mort. Il est spectaculaire que cette évidence, qu'un poil de théologie suffit à établir, paraisse si obscure à l'être humain. Ce n'est pas en gérant le contracept qu'on pourra avoir devant les yeux que le fait de naître et de mourir c'est strictement équivalent du point de vue logique. Freud, que dit-il à cette Spielrein que Jung hésite à engrosser d'un Siegfried ? Il lui dit : assez de farfadaiseries ! (Elle se marie entre-temps...) Bien entendu, stratégiquement, elle prend parti pour Freud contre Jung, tout en aimant Jung quand même. Freud donc lui dit : très bien de vous être mariée, vous allez avoir un enfant, j'espère qu'il (car il est sûr que ce sera un garçon) sera brun et sera un sioniste inébranlable. Voilà comment Freud tranche ! Racialement ! Autrement dit : revenez à vous, à vous Spielrein, vous Juive, et mettez-vous un peu dans la Loi, et c'est tout, là ! L'enlèvement de Sabine ! Manque de chance : elle a une fille... et après elle disparaît tragiquement en... Russie, en 1937, au cours des purges staliniennes... Tout cela est en effet tragique. Si on fait un peu l'histoire du XXe siècle : on part ici de 1904-1905, Freud et Jung sont aux Etats-Unis en 1909 alors que l'affaire Spielrein est en train de se dénouer, et on arrive en Russie en 37, en passant par l'épisode wagnérien déchaîné. Puis, de nouveau, la guerre..., etc. Dès le début du siècle, tout est là. L'hébraïsme de Freud est sa bonne façon de fermer les yeux. Cela peut-il nous suffire ? Je ne pense pas, parce que ça ne nous donne pas vraiment l'issue de la non-existence ; ça consiste en effet à dire que, s'il y a lieu d'exister, il vaut mieux exister par cette façon-là de fermer les yeux, mais ça ne nous permet pas d'aller plus loin que le fait de maintenir une mère à sa place. Une mère qui se tient à sa place, c'est la Loi. Inutile de dire que Spielrein, dans son article, cite Nietzsche abondamment et va même jusqu'à s'intéresser à ce qui a pu se passer au Paradis, notamment au fait que, dans les mythologies s'y rapportant, Seth aurait rapporté une branche de l'arbre de vie et un anneau avec trois mots hébreux gravés dessus qui serait le même que l'anneau des Nibelungen... et tout, et tout... Elle est là pour ça : manifester la consistance occulte de la religion.

Mais revenons à Freud et à un de ses textes fameux qui s'appelle Grande est la Diane des Ephésiens, où il s'est posé la question du culte fondamental, celui de la Grande Déesse. Pourquoi d'ailleurs parler de religion sans parler de celle-là ? Elle est partout, c'est elle qui a le plus d'adhérents... Alors Freud ouvre un moment les yeux et se demande comment la déesse de l'amour qui se présente à la place de la déesse de la mort lui était autrefois identique. Il s'intéresse donc à ce culte fameux de la ville d'Ephèse. Ce n'est d'ailleurs pas loin de là qu'est née la famille maternelle d'Artaud... La mère d'Artaud s'appelait Euphrasie2... L'œuf rassis de cette Euphrasie a produit un très grand poète français qui a bien fait sentir (parce que, quand un poète français est grand, il fait vraiment sentir, voyez Villon, Baudelaire, Artaud, les mieux quoi !) ce qu'il en est de la religion primordiale. Artaud, cet œuf rassis qui n'arrêtait pas d'ovuler, de faire des fausses couches, ça l'a suivi dans son génie, au point que tout ce qu'il a écrit de façon fulgurante, bien en avance sur son temps, sur la marmite à faire de la religion, disons en passant qu'il a quelques petites affaires avec l'effet B.V.M., au point, dis-je, que, jusqu'à sa mort et longtemps après, Euphrasie ne va pas le lâcher comme ça. Euphrasie est toujours parmi nous, je l'ai rencontrée. Freud, donc, s'intéressant à ce culte antique qui lui aussi est toujours parmi nous – ce n'est pas à Ephèse que je suis, là, en ce moment, et pourtant de l'Ephèse j'en ai vraiment plein les poches ! –, Freud qui constate qu'avant le culte de Diane ou d'Artémis, il y avait le culte d'une antique déesse-mère, car il s'agit de faire croire qu'il y aurait une mère alors qu'il n'y en a jamais eu, enfin... c'était une certaine Oupis, qu'adoraient les peuplades asiatiques..., Freud se rend compte qu'il y a là une énormité. Pourquoi pas Isis avec l'effet I.V.G. ? Certes, il y a eu l'effort de Moïse : la Loi qui est là pour faire tenir tranquille la place de la mère. Un bon coup de Loi, personnellement je ne suis pas contre. J'ai dit que ça ne me suffisait pas. Freud, qui ouvre un peu les yeux, les referme aussitôt. Lui, il pense que la prolongation du culte de la déesse à Ephèse a été le fait de saint Jean. « L'église fondée par Paul à Ephèse ne lui resta pas longtemps fidèle, dit-il, elle passa sous l'influence d'un homme appelé Jean, dont la personnalité a posé à la critique de difficiles problèmes. Il était peut-être l'auteur de l'Apocalypse qui déborde d'invectives contre l'apôtre Paul... » Entre parenthèses : n'exagérons rien, l'Apocalypse n'est tout de même pas ça, voilà où nous surprenons Freud en pleine hystérie littéraliste-renaniste. « La tradition l'identifie avec l'apôtre Jean qui a écrit le quatrième Evangile » (oui, cet Evangile en effet est bien curieux, qui commence par la formulation : « Au commencement était le Verbe », autrement dit : l'origine n'a rien à voir avec une matrice). Pour Freud, Jean et Marie, à Ephèse, ça donnerait la relance du culte de Diane et d'Artémis. Voilà une erreur fabuleuse. Stupéfiante. Quelle ignorance ! Quel contresens ! C'est comme trop forcer sur le Père : Lacan, variant d'Arius... L'édition française du texte précise que Freud ne parle qu'une autre fois de la Vierge Marie, et c'est dans La Technique psychanalytique. En effet, on peut vérifier dans ce livre que, pour lui, l'effet B.V.M., selon son réflexe littéralisant, c'est Lourdes. C'est-à-dire des apparitions à des jeunes filles, qui s'accompagnent ensuite d'un certain marché local de superstitions. Freud à juste titre dit que, en se montrant très vigilant sur les garanties de ces apparitions, on finit par voir qu'elles disparaissent. En somme, la technique psychanalytique doit permettre de ne pas mettre de l'effet B.V.M. partout. C'est vrai qu'une petite fille, en train d'avoir à l'horizon quelque chose de l'ordre de la menstruation, peut se précipiter sur l'effet B.V.M. Bah, vous savez, moi, ce n'est pas parce qu'il y aurait eu des apparitions de la Vierge que je vais commencer à douter de sa non-existence. Je dirai même : au contraire. Pour ma part, je considère que l'effet B.V.M. il n'y a rien de plus génial pour traiter la religion fondamentale, celle de la Grande Déesse ; grattez, grattez le moindre rationalisme et vous la trouverez. Eh bien, il faut l'adsumer, l'emprunter, la retourner, s'en servir, la mettre non pas à sa place mais en plus ; il faut s'en débarrasser. Comment ? En la rendant à sa métaphore fondamentale, en la faisant disparaître, non pas mourir (elle ne meurt pas), mais en l'assomptant. C'est-à-dire quoi ? Qu'elle jouisse ! Ce qui devrait attirer notre attention, c'est qu'une femme qui jouit n'est pas du tout celle qui est en train de vivre. Elle n'est pas ce qu'elle était avant, ni ce qu'elle va redevenir tout de suite après. Cette une-là, Marie, faisant date dans le calendrier, n'est pas un lieu de fécondité (mais elle a engendré une fois « à l'envers » si l'on peut dire) ; elle n'est pas non plus la mère conçue par la Loi, c'est-à-dire celle qui doit perpétuer le fait qu'un jour une totalité sera touchée (judaïsme). C'est pour cela que le forçage qu'elle représente est un effet de trou. Coup dur pour la nature comme pour la lettre. Logique que cela vienne de la voix. Logique aussi que ça entraîne un « Ars Magna » pour reprendre ce titre au Doctor Illuminatus, Raymond Lulle. Poésie, chant, peinture, musique ; la musique, ici, comme par hasard occupant une fonction clé (pour ce qui est de l'écho, Monteverdi a la palme, il est d'ailleurs enterré pratiquement sous L'Assomption du Titien). Le jour où on me dira qu'une jeune personne dans une grotte a vu un trou, j'irai. D'ici là, ça peut attendre. D'ailleurs l'Eglise, avec subtilité, utilise les apparitions modérément. Ce n'est pas non plus qu'il faut refuser l'apparition, ce serait brutal. Il n'y a pas lieu de ne pas tenir compte du délire des gens : ils ont le droit d'entrer dans la vérité par le délire, ils ont droit à l'hallucination, il ne s'agit pas de leur dire aussitôt « allez vous faire voir ailleurs ». Tout ça se traite, c'est la cure, et la cure, je suis pour. Rendons-nous donc à cette évidence : du trou s'est produit là. Autrement dit : si vous proposez de la représentation des corps le maximum de consistance métaphorique, vous aboutissez au trou. La Bienheureuse Vierge Marie – c'est pourquoi, arrivé en ce point de mon discours, je la salue – est cet effet indispensable de trou dont on comprend bien pourquoi il a fallu si longtemps avant de le distinguer d'une conception naturelle et comment il a fallu encore un peu plus de temps pour que ce trou aille se faire couronner par la Trinité. Dans Le Paradis du Tintoret (issu, comme des tas de merveilles, du Concile de Trente), vous avez, dans le point de fuite lumineux en haut, le Père, le Fils et le Saint-Esprit couronnant ce quatrième terme si décisif. En effet, si vous n'avez pas ce quatrième terme en écho, en doublure, comme médiatrice, pour parler comme les théologiens, comme corédemptrice, si vous n'avez pas cet effet de réverbération, votre Trinité ne tiendra pas le coup. Sans le trou, vous n'aurez pas les Trois qui ne sont pas de ce monde. Il est à remarquer que, dans l'Histoire, ceux qui ont le mieux compris ça sont ceux qui sont partis dans le sens franciscain, celui de la stigmatisation séraphique. On s'aperçoit aussi que, dans cette longue cure pour faire aboutir la meilleure définition du trou comme tel, et surtout pas de corps comprenant un trou, les franciscains ont toujours trouvé appui, bien entendu, chez les jésuites. Les fils de saint François et les fils de saint Ignace ont toujours été alliés face, disons, à la lourdeur parfois papale, parce que le papal est pris souvent dans des compromis multiples, quelque chose comme la pression euphrasique se trouve là parfois dominant. Les franciscains et les jésuites, eux, deux catégories d'existants transitoires bien méconnus, ont tenu bon dans cette affaire, les uns à coups d'extase comme on dit, et surtout à coups d'art, et les autres à coups de mathématique et de subtilités dialectiques. Il est de fait que l'effet B.V.M. a fondé l'ampleur du phénomène esthétique occidental. C'est une banalité, mais précisons que nous ne sommes pas du tout à Ephèse, pas du tout dans le registre de l'art de la grande déesse (même si on l'emprunte), on est dans celui qui doit prouver comment tout ce qui est palpable est susceptible d'aller vers une disparition. C'est trop simple de penser que tout se reproduit dans le palpable ou que l'essentiel est, à jamais, invisible. La vérité est que c'est les deux à la fois. Il n'y a pas lieu de se rouler seulement dans les phénomènes, mais il n'y a pas lieu non plus de se reposer dans un principe qui les surplomberait à jamais.

Je parlais de jouissance... Pas de « la jouissance féminine » ! Dernier leurre... Que le trou jouisse, comme tel, la soi-disant jouissance féminine serait plutôt là pour le cacher. Quant aux hommes, on ne peut pas leur demander grand-chose sur la question, vu qu'ils se satisfont de presque rien. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur gros nez-nez, ils vont le mettre ici ou là, dans des faux trous, et le drôle c'est qu'ils se suspectent les uns les autres de ne pas savoir de quel bon faux trou il s'agit, alors ça fait des histoires d'envers et d'endroit, et la mécanique marche ! C'est précisément ce que la grande déesse indélogeable attend ; car, à gigoter dans les faux trous, à l'envers et à l'endroit, ça mène toujours à la reconduction de la reproduction et du Saint des Saints, ou encore du Sanctuaire, comme dirait Faulkner dont l'héroïne ne s'appelait pas par hasard Temple... Avec la B.V.M. vous avez le sanctuaire mais en même temps c'est fini ! Donc : Infini ! Eh bien, je souhaite bonne chance à ceux ou à celles qui auront l'audace de venir voir là si j'y suis.

Le Parlement européen,

– du fait que 1982 est le 800e anniversaire de la naissance de François d'Assise,

– considérant la haute valeur humaine et culturelle que représente le mouvement franciscain depuis sa naissance,

– considérant que le mouvement ne consiste pas uniquement en la recherche de traduction dans les actes des principes du christianisme, lesquels contrastaient avec la structure médiévale de la société de l'époque, mais également en une nouvelle conception de l'homme, de la nature et des formes de la connaissance, encore valable de nos jours,

– considérant que le mouvement franciscain englobe dans ses recherches la philosophie, le droit, la littérature, l'art, la politique et l'action sociale,

1. décide, à l'occasion du 800e anniversaire de la naissance de saint François d'Assise, de contribuer à la création d'une « bibliothèque franciscaine européenne » qui réunirait toutes les œuvres publiées au cours des siècles dans toutes les langues sur les divers et multiples aspects abordés par le mouvement franciscain ;

2. considère que cette bibliothèque devrait être installée dans l'un des bâtiments historiques importants, même à restaurer, existant à Assise, et aménagé comme il conviendra, sans qu'il soit porté atteinte au caractère historique et à l'architecture de cet édifice ;

3. propose que pareille bibliothèque fasse office de « Centre historique d'études franciscaines européennes » et jouisse d'un statut et d'un règlement appropriés la liant aux instituts d'histoire des universités européennes ;

4. invite la commission compétente à examiner la question en étroite collaboration avec le ministère italien des Biens culturels et la région de l'Ombrie ;

5. charge son président de transmettre la présente résolution à la Commission et au Conseil de ministres.


1 Aubier, 1981.

2 Antoine Roi Artaud et Euphrasie-Marie-Lucie Nalpas (famille originaire de Smyrne) eurent huit enfants après Antonin ; dont deux seulement survécurent.