11e épisode

 

Résumé de l’épisode précédent : Hermès a accompagné les trois déesses auprès du jeune berger Alexandre. Celui-ci doit décider laquelle est la plus belle. Pour bien juger, il ose demander aux déesses de se déshabiller.

 

Où les dieux s’en remettent au jugement d’un petit berger

À une demande aussi incroyable, les déesses auraient dû répondre par la colère. Eh bien, pas du tout ! Aphrodite et Athéna semblaient hésiter, mais Héra avait aussitôt accepté, à la grande stupéfaction du jeune berger. Hermès riait sous cape : il savait bien pourquoi la femme de Zeus était si conciliante. Si Athéna se déshabillait, elle devrait ôter son casque et perdrait ainsi beaucoup de sa beauté. Si Aphrodite se déshabillait, elle devrait ôter sa ceinture magique qui rendait tous les hommes amoureux fous. Sentant qu’il avait l’avantage, Alexandre insista : « Ce que vous me demandez de faire est très difficile. Je ne peux pas juger sans cela ! » Alors, Aphrodite et Athéna acceptèrent. Et l’on vit la scène la plus incroyable se dérouler dans cette clairière du mont Ida : les déesses ôtèrent leurs vêtements pour permettre au petit berger devenu juge d’arbitrer entre elles !

À partir de cet instant, Hermès préféra s’éloigner. Il tourna le dos à cette situation qu’il trouvait ridicule. Mais, s’il ne vit pas les déesses nues, il entendit en revanche tout ce qu’elles promirent à Alexandre pour gagner sa préférence. Car aucune d’entre elles ne joua le jeu avec loyauté : chacune tenta d’acheter la décision du juge par un cadeau.

En réalité, Alexandre aurait été bien en peine de désigner la plus belle des trois, tant les déesses qui s’offraient à ses regards étaient magnifiques. Mais il tendit l’oreille à chacune de leurs propositions. La première, Héra, s’exprima ainsi : « Si tu me désignes comme la plus belle, tu régneras en maître sur toute l’Asie Mineure. Tu seras le plus puissant des puissants ! » La deuxième, Athéna, s’avança et dit : « Si tu me choisis pour ma beauté supérieure aux autres, je t’offrirai la sagesse et la victoire sur tous les champs de bataille. Tu seras couvert de gloire ! » Mais la troisième, Aphrodite, avait un avantage certain : elle connaissait bien la nature des hommes. Plus que les honneurs et le pouvoir, l’homme rêve d’amour… « Si je gagne ce concours, promit-elle, tu seras aimé par la plus belle femme de la terre… »

Hermès était dégoûté. Il marmonnait entre ses dents : « Elles soudoient Alexandre, c’est tout simplement de la tricherie ! » Mais le berger, flatté par ces propositions, commençait à trouver sa situation bien avantageuse. Il prit le temps de détailler les trois déesses des pieds à la tête, faisant mine de réfléchir, d’hésiter même. Formes parfaites, corps gracieux, visages harmonieux : quel régal pour les yeux ! Athéna se mordillait les lèvres nerveusement. Héra ne cessait de rajuster des mèches de son chignon. Aphrodite multipliait les sourires enjôleurs. Alexandre, qui avait fait son choix depuis longtemps, semblait s’amuser de faire patienter les déesses. Après un temps de silence qu’Hermès trouva très long, il finit par annoncer : « Je choisis l’Amour. Je déclare que la plus belle d’entre vous est Aphrodite. » Mais, en disant ces paroles, il pensait, lui, à la plus belle des femmes qui serait bientôt sienne, puisque la déesse de l’Amour le lui avait promis en échange.

Aphrodite émit un petit soupir de contentement et attrapa la pomme d’or, les yeux brillant de joie. Héra poussa un cri de rage, ramassa sa robe rapidement et se rhabilla, en proférant insultes et menaces à l’attention du berger. Athéna pinçait les lèvres de fureur. Elle remit casque et armure tout aussi rapidement, foudroyant Alexandre du regard. On vit alors Héra saisir le bras d’Athéna, et c’est bras dessus bras dessous que les deux déesses perdantes entreprirent de quitter le mont Ida. Hermès les vit s’éloigner ainsi à l’horizon, stupéfait. D’ordinaire, ces deux-là étaient plutôt ennemies. « Quand chien et chat font la paix, c’est suspect… Si j’étais à la place d’Alexandre, je me méfierais… », se dit-il. Et il s’envola à leurs trousses.

« Mais qui est donc ce petit abruti ? », pestait Héra. « Tu as une idée d’où vient ce freluquet, toi, Hermès ? Après tout, c’est toi qui as suggéré son nom ! », gronda Athéna. « Ça y est, bougonna Hermès, ça va encore me retomber dessus… D’abord, il ne s’appelle pas Alexandre, en fait, ce berger. Mais il ignore lui-même que son vrai nom est Pâris. Tout comme il ignore l’histoire de sa naissance. » Voyant la curiosité des deux déesses soudain éveillée, Hermès eut une idée pour les détourner de leur colère. « Ça vous dirait de venir avec moi assister à sa naissance ? Allez, hop ! suivez-moi ; retournons dans le passé ! Mais nous allons vivre quelques heures terribles… »

À SUIVRE