12e épisode
Résumé de l’épisode précédent : Héra et Athéna sont furieuses qu’Alexandre ait désigné Aphrodite comme étant la plus belle. Hermès les emmène découvrir l’histoire de ce jeune berger.
Où l’on assiste à une
bien étrange naissance
« Comme ces remparts sont hauts ! » Hécube ferma les yeux, prise d’un soudain vertige. Ses servantes se précipitèrent, l’entourant de leur attention. L’une suggéra doucement : « Viens donc te reposer, reine de Troie, il a fait si chaud aujourd’hui. » Une autre murmura : « Tu as besoin de toutes tes forces, le bébé ne va pas tarder à venir au monde… » La sueur coulait sur le visage de la reine Hécube. Ses cheveux collaient sur ses tempes. Elle connaissait bien cet état, oui, c’est ainsi lorsque l’enfant s’apprête à naître. Déjà pour son premier fils, Hector, les rougeoiements du soleil couchant sur les murailles de la ville l’avaient étourdie. Depuis, d’autres enfants lui étaient nés. C’était sa fierté. Elle offrait une longue descendance à son époux, le roi Priam. Son malaise s’estompait, Hécube jeta un dernier regard au mont Ida qui dominait la plaine au loin de ses hauteurs escarpées. Elle en aimait les forêts et les vallons plus que tout. Hécube rentra au palais à petits pas, les mains encerclant son gros ventre. Elle ne prêta pas attention au colibri et au papillon qui voletaient non loin d’elle. Pas plus qu’elle ne prêta attention à la chouette juchée au sommet d’un if devant sa fenêtre. Elle sombra dans un profond sommeil.
Mais soudain, elle vit tout brûler. Des serpents de feu se tordaient en tous sens ! Des flammèches volaient dans l’air ! La ville de Troie était en proie aux flammes ! Les lueurs rouges déchiraient la nuit et teignaient les murs d’une couleur de sang. Au-delà des murailles en train de s’écrouler, Hécube aperçut les forêts du mont Ida, elles aussi transformées en un immense brasier. Un long cri de désespoir sortit du fond de ses entrailles. Une plainte monstrueuse. Elle hurla sa peur et sa douleur.
Les cris de la reine avaient réveillé tout le palais. Les servantes accoururent, portant de grosses torches. Hécube, haletante, ouvrait de grands yeux épouvantés. « Calmez-vous, ma reine, calmez-vous… Ce n’était qu’un cauchemar », dit Polymnie, la préférée de la reine. À cet instant, le roi Priam, lui aussi réveillé par les hurlements de sa femme, entra dans la chambre. Il était accompagné par plusieurs hommes. L’un d’entre eux, petit, chauve et boiteux, avait une longue barbe qui lui dévorait le visage. Par la fenêtre ouverte, une chouette ne perdait rien de ce qui se passait. Juché sur la même branche, un colibri siffla : « Hécube, tu devrais te méfier. C’est le devin Calchas qui vient d’arriver. » Un papillon voltigeait autour d’eux : « Tais-toi, Hermès, tais-toi. La reine vient de raconter son cauchemar, mais si tu bavardes trop, on n’entendra pas comment le devin l’interprète… »
Celui-ci caressa distraitement son crâne, puis dit : « L’enfant que la reine va mettre au monde causera la ruine de la ville de Troie. C’est ce que le rêve d’Hécube signifie. Les dieux exigent que le bébé soit mis à mort aussitôt né. » « Les dieux ! Les dieux ! bougonna le colibri sur sa branche. Parle pour toi, vieux bonhomme ! » « Chut, Hermès ! », gronda le papillon. Mais Priam s’inclina devant le devin et répondit : « Ainsi en sera-t-il fait, devin. » La reine Hécube venait seulement de comprendre la terrible décision prise par son mari. Elle poussa un gémissement étouffé dans un sanglot. Déjà d’autres gémissements lui échappaient, bientôt transformés en cris de douleur : l’accouchement venait de commencer. Le roi et sa suite quittèrent la chambre ; les femmes s’affairèrent toute la nuit autour de la reine.
À l’aube, un petit garçon était né. Hécube le serra tendrement dans ses bras. Elle déposa un doux baiser sur son front en disant : « Tu t’appelleras Pâris… », puis elle le confia à sa chère Polymnie : « Vite, il faut faire vite ! » La jeune fille s’éclipsa discrètement dans les couloirs du palais. Par un passage secret, elle se faufila en dehors des remparts. Mais, à la sortie de la ville, un homme surgit devant elle. Un homme qui connaissait les mêmes passages secrets qu’elle pour quitter la ville sans se faire voir. C’était un serviteur du palais. Lorsque Polymnie, toute petite, était venue à Troie, son père l’avait confiée à ce serviteur. Celui-ci l’avait élevée comme sa propre fille. C’est lui qui lui avait appris tous les passages secrets de la ville. Il aimait tendrement Polymnie, mais il était au service du roi Priam, et un ordre est un ordre : « Donne-moi ce bébé. Le roi m’a ordonné de le mettre à mort. » Sans un mot, mais le visage baigné de larmes, Polymnie le laissa emporter le nouveau-né. Il sauta sur son cheval et partit au galop en direction du mont Ida. Polymnie suivit longtemps des yeux la crinière du cheval qui flottait comme un drapeau. Le bébé avait-il une chance de survivre ?
À SUIVRE