14e épisode
Résumé de l’épisode précédent : Le bébé nommé Pâris par sa mère a été sauvé par une ourse. Le vieux serviteur du roi qui n’a pas eu le courage de le tuer l’appelle Alexandre. Un jour, Alexandre décide de participer aux joutes de la ville de Troie.
Où Alexandre
redevient Pâris
Comme cette ville était grande ! Et bruyante ! Une foule de gens à droite, à gauche, des cris, des claquements de sabots, de métal, marmites et boucliers, des bruits plus sourds, portes qui battent et roues qui grincent. Et tout un bourdonnement de conversations. Le jeune berger n’avait jamais vu autant de monde, et la tête lui tournait. Il se retrouva dans l’arène où se déroulait la compétition sans même s’en apercevoir. À peine les jeux furent-ils commencés qu’Alexandre se fit remarquer. Qui était ce berger aux allures sauvages qui se présentait pour la course de chars ? Dans le public, on riait en le voyant tenir maladroitement les rênes. Il n’était manifestement jamais monté sur un char, ce jeune homme vêtu d’une peau de mouton ! La course démarra, et très vite les moqueurs cessèrent de rire… Alexandre se tenait debout, fouettant son cheval sans aucune crainte, inconscient du danger. Son char bondissait. Il doubla bientôt les autres concurrents. La foule retenait son souffle. Dans la dernière ligne droite, le char du berger dépassa ceux des fils du roi. La foule hurla de joie lorsque cet inconnu franchit le premier la ligne d’arrivée ! Le roi Priam s’était levé de son trône et, du haut de sa tribune, il observait ce jeune téméraire avec attention. À ses côtés, une très belle jeune fille s’était elle aussi levée. Ses cheveux tressés descendaient dans son dos. Son regard vert, aussi lisse et profond qu’un lac en hiver, se perdait au loin.
L’épreuve de course à pied débuta aussitôt. Le berger la remporta sans effort. Les Troyens poussaient des cris de joie. Mais les fils du roi, très irrités, commençaient à se montrer mauvais joueurs. Ils avaient l’habitude d’être les vainqueurs, tantôt l’un, tantôt l’autre, et ce nouveau venu les agaçait fort. Ruisselant de sueur, encore essoufflé par l’effort, Alexandre ne vit pas l’un d’eux tirer nerveusement son épée. Mais le geste n’avait pas échappé à la jeune fille, du haut de la tribune royale. Elle poussa un petit cri étouffé par le son de la trompette qui annonçait la troisième épreuve : le combat de boxe. Hector, le fils aîné de Priam, avait posé sa main sur le bras de son frère pour lui faire ranger son épée. Déjà les adversaires s’empoignaient rudement. Le combat était acharné. Bientôt il ne resta plus qu’un fils du roi face à Alexandre. C’était justement celui qui avait tiré son épée avant de la rengainer quelques instants plus tard. Quelque chose d’étrange semblait se jouer. Comme si l’enjeu de ce combat dépassait la simple joute sportive. Le public, galvanisé par cette lutte, poussait des cris d’encouragement, la plupart en faveur du berger. Priam était tendu. Alexandre bombardait son adversaire de coups de poing, poussé par le désir nouveau de se faire applaudir. Il ne voulait plus seulement gagner son taureau, il voulait vaincre, briller et être reconnu ! Il voulait la place du fils du roi contre lequel il se battait.
Lorsqu’il remporta la victoire, un flot de joie l’envahit. Lui, le petit berger du mont Ida, était acclamé par les Troyens ! Mais il n’eut pas le temps de savourer son triomphe, car les fils de Priam, furieux, se ruaient sur lui, l’épée en avant ! De la tribune, la jeune fille à la tresses hurla : « Pâris ! Pâris ! Prends garde à toi ! » Mais Alexandre ne se retourna pas : ce cri ne lui était pas destiné. Seul Priam, qui avait entendu, soupira : « Quelle bêtise dis-tu encore, Cassandre, ma fille ? Pâris est mort depuis plus de vingt ans, et nous pleurons justement sa disparition avec ces jeux ! » Priam connaissait bien sa fille et ses visions. Ses yeux verts tournés vers l’intérieur devenaient presque transparents, sa main tremblait, son visage si pâle apparaissait encore plus blanc, elle entrait en communication avec les dieux. « C’est Pâris, ton fils ! Il n’est pas mort ! », dit-elle de sa voix de prophétesse. Comme d’habitude, Priam haussa les épaules et ne prit pas au sérieux ce qu’elle disait. Ni lui ni personne ne croyait jamais Cassandre lorsqu’elle parlait.
En quelques secondes, le chaos régna sur la piste des jeux. Alexandre tentait d’échapper à ses poursuivants. Il était sans arme, les autres le menaçaient de leurs épées. Personne n’osait intervenir. Aucune issue pour le jeune berger affolé. Il ne lui restait que quelques minutes à vivre. C’est alors que le vieux serviteur qui avait désobéi aux ordres et avait sauvé le bébé se jeta aux pieds du roi : « Priam, je t’en supplie, épargne le berger ; Cassandre dit vrai, c’est ton fils Pâris ! »
À SUIVRE