24e épisode

Résumé de l’épisode précédent : La guerre de Troie dure depuis neuf ans, meurtrière et sans vainqueur. Ulysse a découvert qu’Achille et sa captive troyenne Briséis sont amoureux.

Au cours duquel
une pluie de flèches décime le camp des Grecs

Depuis longtemps, Achille et Briséis avaient quitté la plage. Il ne restait plus que les pas des amants sur le sable. Et Ulysse rêvant. Il songeait à Pénélope, là-bas, si loin. À sa vie sans lui. « Elle doit m’oublier. Peut-être qu’un autre partage ses nuits. Peut-être qu’un autre fait rire et grandir Télémaque. » Et ces pensées douloureuses étaient autant de flèches qui lui transperçaient le cœur. « Chasse tes sombres inquiétudes. Pénélope est liée à toi comme le lierre au tronc de l’arbre. Regarde ! » La vieille Houmariaka avait surgi de la nuit. Elle avait posé son chaudron sur un feu et lui tendait un bol de soupe.

Ulysse ne chercha pas à comprendre. Il se pencha sur le liquide fumant. Peu à peu, le visage de Pénélope apparut à la surface de la soupe. Elle était couchée, endormie. Ulysse reconnut le lit qu’il avait construit de ses mains dans la souche d’un olivier. L’or, l’argent et l’ivoire qu’il avait incrustés dans les montants du lit. Les grosses pierres qui l’entouraient. Le toit qu’il avait posé au-dessus, comme un couvercle pour cacher leurs amours au reste du monde. Et voici que Pénélope murmurait dans son sommeil. Que disait-elle ? « Ulysse, reviens… Reviens… » Ulysse était bouleversé. Mais quelqu’un semblait couché auprès de Pénélope. Oui, oui, le corps d’un autre dormeur bougeait aux côtés de sa femme ! Ulysse avait les mains qui tremblaient. Il manqua de laisser échapper le bol de soupe fumante. Qui l’avait remplacé dans le lit conjugal ? Là-bas, loin, Pénélope se réveilla. D’une main tendre, elle attira contre elle le dormeur, puis se rendormit aussitôt. Mais Ulysse avait eu le temps de voir celui qui prenait sa place dans le lit de sa femme : la tête ébouriffée d’un petit bonhomme qui ne devait pas avoir dix ans… Télémaque, son fils…

Cette fois, Ulysse pleurait. Comment avait-il pu douter ? « Bois la soupe pendant qu’elle est chaude, ça va te faire du bien », dit la vieille Houmariaka. Ulysse s’apprêtait à lui obéir, quand soudain une pluie de flèches s’abattit autour de lui. On entendit immédiatement des cris de douleur. Une attaque en pleine nuit ? Cela ne s’était encore jamais produit… Que se passait-il donc dans le camp des Grecs ? Ulysse se mit à courir en direction des hurlements. Et ce qu’il découvrit était terrible. Des hommes, atteints par ces flèches mystérieuses, gisaient sur le sol. À peine touchés, seulement blessés, ils mouraient pourtant aussitôt ! « Attention ! Ces flèches sont empoisonnées ! », hurla une voix. Dans le camp, ce fut la panique. Chacun tentait de se mettre à l’abri, en attendant que le jour se lève.

Mais, lorsque Hélios, le Soleil, sortit sur son char, la pluie de flèches meurtrières ne cessa pas. Tirées d’on ne sait où, par on ne sait qui. Les hommes mouraient, les uns après les autres. Par dizaines d’abord, puis par centaines.

 

 

Au bout de neuf jours de cette mortelle averse, un conseil de guerre se réunit sous la tente d’Agamemnon. Ulysse s’y rendit avec appréhension. Le devin Calchas avait été convoqué. En le voyant, Ulysse grimaça : les prédictions du petit devin avaient toujours de terribles conséquences. Agamemnon ne tenait pas en place. Il marchait de long en large sous la tente. Dès que le devin entra, il lui ordonna : « Cette pluie de flèches empoisonnées ne peut venir que des dieux ; dis-nous quelle est la raison de leur courroux ! » Comme à son habitude, Calchas passa lentement la main sur son crâne chauve avant de répondre : « C’est Apollon qui est en colère. L’une des captives qui partage ton lit, Agamemnon, s’appelle bien Harpinna, n’est-ce pas ? » Surpris, Agamemnon répondit : « Oui, et alors ? Où veux-tu en venir ? » Le devin à la silhouette de sauterelle répondit : « Elle est la fille d’un prêtre d’Apollon. Pour la récupérer, son père est prêt à te verser une forte rançon. Mais tu as refusé son or et ses bijoux, et tu as gardé ta prisonnière pour toi. Voilà pourquoi Apollon est furieux, et il se venge ainsi sur tous les Grecs. »

Un murmure de désapprobation parcourut l’assemblée des chefs. Puis ils parlèrent tous en même temps. « Pourquoi nous mets-tu tous en danger ? », cria l’un. « Nos hommes tombent comme des mouches à cause de tes désirs personnels ! Tu ne te comportes pas en chef de notre armée », s’exclama un autre. « Il est de ton devoir, Agamemnon, de calmer la colère d’Apollon et de rendre Harpinna à son père », s’emporta un troisième.

Surpris par cette levée de boucliers contre lui, Agamemnon commença par se mettre en colère. Il n’était pas question qu’il se fasse dicter sa conduite par quiconque, fût-il un dieu ! Puis, se souvenant de son erreur lorsqu’il avait provoqué Artémis, il se radoucit et, s’adressant aux seuls conseillers dont il écoutait un peu les paroles, il demanda : « Nestor et Ulysse, mes compagnons les plus sages, qu’en pensez-vous ? » Ulysse n’hésita pas une seconde. Il regarda ce roi capricieux et, d’un ton sec, il répondit : « Tu devrais rendre cette captive, roi Agamemnon, tu trouveras d’autres femmes à mettre dans ton lit… » Aussitôt, le sage Nestor renchérit : « Je suis du même avis qu’Ulysse. Il y a déjà des centaines de morts, bientôt ce seront des milliers… Apollon va décimer entièrement ton armée, tu n’auras plus un combattant debout. » Ulysse conclut : « Notre victoire ou notre défaite dépend désormais de toi. » Quelle décision Agamemnon allait-il prendre ?

À SUIVRE