27e épisode

Résumé de l’épisode précédent : Achille a été obligé de céder Briséis à Agamemnon. Il pleure de rage et de douleur. Sa mère Thétis supplie Zeus de donner la victoire aux Troyens tant qu’il ne sera pas vengé.

Où Ulysse aux mille
ruses tente d’infléchir
le cours de la guerre

Pendant que, sur l’Olympe, les dieux se disputaient, au pied des murailles de Troie l’inquiétude régnait chez les Grecs. Chacun devinait qu’en l’absence d’Achille sur le champ de bataille les pertes risquaient d’être terribles. Préoccupé, Ulysse circulait de tente en tente, écoutant distraitement les commentaires des hommes rassemblés autour des feux. Soudain, une conversation attira son attention. « Nous sommes des milliers retenus loin de chez nous, grondait un soldat. Des milliers à venir mourir ici parce qu’un homme a enlevé sa femme à un autre homme. Pourquoi ces deux-là ne règlent-ils pas leurs comptes tout seuls ? » « C’est vrai, s’exclamait un autre. Moi, je viens de Crète. Dans mon pays, celui qui a été trahi défie par les armes celui qui l’a trahi. L’un des deux gagne, et voilà ! » « Chez moi aussi cela se pratique ainsi ! », répondait un troisième. « Oui, mais nos nobles rois n’ont pas ce courage-là… », concluait le premier homme. « Regardez notre soi-disant chef, Agamemnon, vous l’avez déjà vu monter au combat à nos côtés, vous ? » Et il cracha par terre de mépris.

Ulysse s’éloigna, troublé. « Si quelqu’un t’avait enlevé Pénélope, que ferais-tu ? Tu n’irais pas le combattre ? », dit une voix tout près de lui. Ulysse, qui s’était accroupi près d’un feu, ne se retourna pas. Il savait que c’était la vieille Houmariaka. Et qu’une nouvelle fois elle était en train de lire dans ses pensées. Ulysse attisa machinalement le feu avec un bâton. Les braises rougeoyaient. Cette guerre ne pouvait plus durer. Elle allait se transformer en massacre. Il devait agir, et vite. « Oui, bien sûr, c’est cela que je dois faire, bien sûr… », murmura-t-il.

À l’aube, Ulysse aux mille ruses avait décidé de sa stratégie. Il entra sous la tente d’Agamemnon d’un pas décidé. Pour la première fois, il trouva le chef de l’armée grecque vieilli. Sa silhouette massive semblait affaissée sur son siège. Était-il inquiet ? Ulysse ne perdit pas de temps : « Bonsoir, toi, le chef de nos armées. Que dirais-tu de donner une chance à la paix ? Ne crois-tu pas que nous pourrions proposer une trêve aux Troyens ? Il suffirait de laisser Ménélas et Pâris s’affronter en un combat singulier. Le vainqueur repartirait avec Hélène, et nous pourrions tous rentrer chez nous… » Ulysse vit Agamemnon froncer les sourcils. Il enchaîna aussitôt : « Avec toutes les richesses et les captives que tu as pu amasser durant ces années de guerre, tu as le plus gros butin de tous. Si la guerre s’arrêtait maintenant, tu en sortirais le gagnant, quoi qu’il en soit ! » Le visage du roi de Mycènes s’éclaira immédiatement. « Comme je connais bien sa vanité et son avarice ! », pensa Ulysse, satisfait de sentir que sa proposition avait une chance d’aboutir. Il conclut : « Cette situation nous éviterait de montrer que nous avons perdu l’avantage en perdant Achille… » Agamemnon s’était redressé, piqué au vif. Surtout, ne pas laisser apparaître sa faiblesse à la face du monde. Personne ne devait savoir que, sans Achille, le grand Agamemnon ne valait plus grand-chose à la guerre… Il reprit son ton autoritaire et dit : « Va, Ulysse, et emmène Nestor avec toi. Vous conclurez ensemble cette trêve. Je vais prévenir Ménélas qu’il se prépare à ce duel. » Un homme regardait Ulysse partir, en se jurant de tout faire pour que cette trêve échoue. Cet homme, c’était Palamède, son vieil ennemi. Mais Ulysse ne l’avait pas vu.

Comme c’était étrange ! Plus Ulysse approchait des murailles de Troie, plus elles lui semblaient mystérieuses… Et pourtant, il campait sous ces remparts depuis neuf longues années. En vérité, il n’avait vraiment approché ce paysage devenu familier qu’une seule fois, au cours de son ambassade ratée auprès d’Hélène. La couleur chaude des pierres, leur aspect fier et noble, tout lui plaisait dans cette citadelle. Mais, à mesure qu’il s’en rapprochait, le mystère s’épaississait. « Cette ville ressemble à une île », murmura Ulysse à l’intention du vieux Nestor qui chevauchait à ses côtés. Nestor sourit : « Mon ami, roi d’Ithaque, tu vois des îles partout à rêver sans cesse à la tienne… » Une sentinelle, apercevant les deux Grecs qui approchaient seuls et sans armes, avait crié la nouvelle. Ulysse et Nestor avaient ôté leur casque et le portaient sous le bras pour que leurs intentions pacifiques soient bien claires. Ils n’eurent pas à attendre longtemps. Les immenses portes s’entrouvrirent pour les laisser pénétrer dans Troie. Nestor s’amusait devant l’émerveillement qu’il lisait dans le regard d’Ulysse : « Tu l’aimes, cette ville, toi ! Espérons seulement qu’elle ne soit pas notre tombeau… »

À SUIVRE