30e épisode
Résumé de l’épisode précédent : Une trêve a été déclarée entre les combattants pour permettre à Ménélas et Pâris de régler leur conflit en un combat singulier. Mais Pâris a échappé au combat grâce à Aphrodite. La guerre a repris.
Où Ulysse rassemble
des amoureux
Un ciel gris plombé s’était installé sur la plaine de Troie. À nouveau, les jours de combat succédaient aux jours de combat. Les Troyens, vexés par l’abandon de Pâris, faisaient assaut de bravoure pour livrer bataille. Les Grecs résistaient péniblement et cédaient chaque jour du terrain. Les pertes en hommes étaient nombreuses. L’absence d’Achille ne pouvait plus durer. Un soir, devant le visage soucieux d’Ulysse à qui elle tendait son bol de lait de chèvre, la vieille Houmariaka dit : « J’ai entendu raconter qu’Achille prépare son départ. Il fait charger ses navires et s’apprête à rentrer chez lui avec ses troupes… » Ulysse sursauta, comme piqué par une guêpe : « En es-tu sûre, la vieille ? » Celle-ci lui répondit : « Tout à fait certaine. Je crois qu’il faut que tu interviennes, et vite. Sinon les Grecs perdront cette guerre… » Le roi d’Ithaque gratifia Houmariaka d’un sourire de remerciement et se précipita auprès d’Agamemnon.
Il trouva le chef des armées sous sa tente en galante compagnie. Mais ce n’était pas Briséis qu’il tenait dans ses bras, c’était Harpinna ! Devant le regard ahuri d’Ulysse, qui n’y comprenait plus rien, Agamemnon daigna lui donner une explication : « Eh oui, ainsi va la vie, mon ami… Une fois rendue à son père, Harpinna s’est aperçue que je lui manquais, que je l’avais toujours bien traitée, et elle a décidé toute seule de revenir auprès de moi ! » Le sourire triomphant d’Agamemnon n’irrita même pas Ulysse, car cette nouvelle lui donna une idée. « Alors, je peux aller dire à Achille que tu n’as jamais approché sa bien-aimée Briséis, et que tu es prêt à la lui rendre, n’est-ce pas ? » Agamemnon, que l’absence d’Achille au combat embarrassait, répondit avec empressement : « Eh bien, pourquoi pas ? Je rends sa liberté à Briséis. Et si tu arrives ainsi à ramener Achille parmi nous, bravo ! »
Parmi les femmes qui s’activaient autour des marmites, Ulysse n’eut aucun mal à trouver Briséis. Il ne l’avait pas revue depuis son enlèvement à Achille, et il la trouva amaigrie, le visage creusé par le chagrin. Il la contempla, un peu en retrait. Elle coupait des herbes et des oignons, qu’elle ajoutait à la viande qui mijotait sur le feu. Ses gestes étaient sûrs, précis, mais elle semblait absente. Ailleurs. Lorsqu’elle leva la tête pour saluer Ulysse, son regard semblait vide. « Briséis, je suis heureux de te voir, dit Ulysse. Je viens te chercher. Agamemnon t’autorise à retourner auprès d’Achille. » La jeune Troyenne haussa les épaules. D’un ton amer, elle répondit : « Quelle importance, maintenant, puisque Achille ne m’aime pas ? » Ulysse comprit quel feu intérieur la rongeait. Il s’exclama : « Tu te trompes ! Achille ne t’a jamais trahie volontairement. Il n’avait pas le choix : pour sauver les soldats de la mort, pour calmer la colère des dieux, il a été obligé d’accepter. » Briséis avait croisé les bras devant elle. Visage buté, fermé. Elle n’en était que plus belle. Ulysse posa la main sur son bras et lui dit : « Tu ne me crois pas ? Alors, suis-moi. Je veux te montrer quelque chose. Après, si tu n’es pas convaincue, tu seras libre de partir où bon te semble. » Briséis accepta.
Ulysse l’entraîna du côté du campement d’Achille. Un redoutable laisser-aller régnait parmi les hommes. Les armes étaient entassées dans un coin. Casques et armures traînaient un peu partout. Les soldats jouaient aux échecs, aux cartes. Tout était sale, presque à l’abandon. Tout respirait l’ennui et l’inaction. Briséis posa un regard interrogateur sur Ulysse. Que se passait-il donc ici ? « Achille a interdit qu’ils participent au combat, tu l’ignorais ? », dit Ulysse. Elle n’eut pas le temps de répondre, car il venait de poser un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence. Des sanglots se faisaient entendre. Puis des soupirs. Cela provenait d’une tente derrière laquelle ils se trouvaient. Deux hommes se parlaient. « Tu ne peux pas continuer ainsi à pleurer nuit et jour, disait l’un. Console-toi ! » L’autre, à la voix plus grave, répondait en soupirant : « Je n’y peux rien si je suis inconsolable. En perdant Briséis, j’ai perdu ce que j’avais de plus cher à mon cœur, à part toi, Patrocle. Toi qui es comme mon frère, tu peux le comprendre… » En entendant ces mots, Briséis avait sursauté. Ulysse lui lança un coup d’œil amusé. Son visage s’était transformé, éclairé de l’intérieur. Ainsi, l’homme qu’elle aimait l’aimait aussi ! « Je ne me le pardonnerai jamais », continuait Achille. Les larmes de son amant firent jaillir celles de Briséis. Elle regarda Ulysse avec reconnaissance. Le visage de Pénélope se superposa un instant à celui de la jeune Troyenne. Que faisait-elle en ce moment ? À quoi occupait-elle ses journées ? Qui parlait avec elle ? Qui riait avec elle ? « Je donnerais tout l’or du monde pour être l’oiseau perché sur la branche au-dessus de sa nuque, pour être le vent qui joue dans ses cheveux, pour être la vague qui lèche ses pieds lorsqu’elle se promène sur le rivage… » Mais il était là, enraciné dans cette plaine poussiéreuse… Et la femme en pleurs qui le regardait n’était pas la sienne. Ulysse caressa la joue de Briséis et lui fit signe d’entrer seule sous la tente. Puis il s’éloigna discrètement. Il avait réussi à rassembler ce couple, mais il restait inquiet. Le retour de Briséis suffirait-il à ramener Achille au combat ?
À SUIVRE