31e épisode

Résumé de l’épisode précédent : Ulysse a obtenu d’Agamemnon la libération de Briséis. Celle-ci découvre qu’Achille ne l’a pas trahie, l’aime toujours, et elle accepte de le retrouver.

Où Achille refuse
de reprendre le combat

Le lendemain soir, Ulysse retourna au campement d’Achille. Sa joie fut grande de découvrir le visage rayonnant des deux amoureux. Ils sortirent ensemble de leur tente pour venir à sa rencontre. « Ulysse, mon ami, comment puis-je te remercier de m’avoir rendu ma bien-aimée ? », lui dit Achille. Briséis avait fidèlement raconté le rôle d’Ulysse dans sa libération. Une chance existait donc, Ulysse s’en saisit aussitôt : « Tu le peux facilement, grand Achille. Nous avons besoin de toi au combat. Nos hommes ne gagneront pas sans toi… » À ces mots, le sourire heureux d’Achille s’était figé. « Tu ne peux pas me demander cela, dit-il. J’ai juré de ne plus jamais servir sous les ordres de cette fripouille d’Agamemnon, je tiendrai ma promesse. » Ulysse insista : « Écoute... Ce matin, de nouvelles troupes sont venues rejoindre le camp des Troyens, celles de Rhésos. Elles sont venues avec leurs fameux chevaux – tu en as déjà entendu parler ? » Achille fit signe que oui. Ulysse poursuivit : « Donc, tu sais que les chevaux de Rhésos sont blancs comme neige et rapides comme le vent. Mais ce que tu ne sais pas, c’est que le devin Calchas a prédit que, si les chevaux de Rhésos boivent l’eau du fleuve Scamandre, alors nous perdrons la guerre. Il faut agir vite ! Viens nous aider avant qu’il ne soit trop tard, je t’en conjure ! » Le Scamandre coulait exactement au milieu des lignes grecques et des lignes troyennes ; les chevaux iraient forcément s’y désaltérer à l’aube. Mais Achille s’obstinait dans son refus : « Ce combat n’est pas le mien. Pour moi, la guerre de Troie n’a pas eu lieu… » Il serra affectueusement Ulysse dans ses bras : « Je pars cette nuit. Aucune de tes belles paroles ne pourra me faire changer d’avis, je suis désolé. » Ulysse tenta un dernier argument, presque désespéré : « Achille, je t’ai rendu ta femme. Aide-moi à retrouver aussi la mienne ! » Mais Achille ne l’entendit même pas. Il avait déjà fait demi-tour et était rentré sous sa tente. Briséis esquissa une grimace pour signifier son impuissance à faire changer d’avis son homme, puis elle saisit les mains d’Ulysse, y déposa furtivement un baiser et suivit Achille.

Ulysse resta seul face au soleil qui se noyait dans la mer. Il rêvait nuit et jour au moment où il pourrait prendre Pénélope dans ses bras. Il fut envahi par une vague de désespoir. Cette maudite guerre ne finirait donc jamais ? Il ne reverrait jamais son île, ni sa femme, ni son fils… Soudain, un héron surgit sur sa droite. L’oiseau magnifique décrivit un vol parfait. « C’est un présage envoyé par Athéna, un bon présage… », murmura une voix derrière Ulysse. Il savait que c’était Houmariaka. Pourquoi les dieux se jouaient-ils ainsi des hommes ? Tantôt ils les transformaient en pantins, juste bons à servir leurs intérêts dans leurs querelles. Tantôt ils les protégeaient, les accompagnaient, les aimaient même. Quel rôle jouait donc Athéna, sa déesse protectrice ? N’était-ce pas de sa faute à elle si la trêve avait été rompue ? Ulysse ne se sentait pas d’humeur à accueillir les présages des dieux, fussent-ils de bons présages. « Fais confiance, dit la voix d’Houmariaka. Fais confiance… Tu n’as rien à perdre à t’en remettre aux dieux. » Ulysse soupira. Le héron majestueux repassa sous ses yeux, si près, comme indifférent à sa présence. Peu à peu, quelque chose se dénoua en lui. Il s’allongea sur le sable et contempla les étoiles qui s’allumaient une à une. C’est alors qu’une idée folle le traversa. Une idée que seul le désespoir pouvait engendrer : lui, Ulysse, allait tenter de s’infiltrer dans le campement ennemi. Il déroberait les chevaux blancs de Rhésos avant que le jour ne se lève et qu’ils ne boivent l’eau du Scamandre.

Quelques heures plus tard, Ulysse rampait en direction des lignes troyennes. C’était une nuit sans lune. Une de ces nuits d’un noir si profond que le moindre frisson d’une branche nous fait tressaillir. Ulysse restait tapi dans l’ombre. À ses côtés, Palamède retenait son souffle. Ulysse aurait préféré partir seul dans cette folle expédition nocturne, mais Palamède, ayant appris sa tentative, s’était imposé pour l’accompagner. Ulysse n’avait pas eu le choix. Sans doute Palamède redoutait-il qu’une réussite couvre son ennemi de gloire. Ils étaient en tout cas embarqués ensemble dans cette entreprise déraisonnable. Pour le meilleur et pour le pire.

Les soldats grecs, aux aguets, épiaient l’obscurité. Ils avaient étouffé les feux. « Quelle folie de se glisser ainsi dans les lignes troyennes pendant la nuit ! », chuchota l’un. « Non, quel courage ! », rectifia un autre. « Si par miracle Athéna les protège, ils s’en sortiront, mais reviendront les mains vides », murmura un troisième. « Ils ne reviendront jamais vivants », conclut le premier.

À SUIVRE