4e épisode
Résumé de l’épisode précédent : La ruse d’Ulysse a été démasquée, il va devoir partir à la guerre de Troie. Il profite des derniers instants avec sa femme et se souvient de leur rencontre.
Où le couple d’Ulysse
et Pénélope se soude à jamais
Pour se protéger du soleil, Pénélope et sa cousine Hélène s’abritaient à l’ombre des eucalyptus, dans l’une des cours du palais. Un petit chien roux arriva brusquement en jappant, et les deux jeunes filles se mirent à jouer avec lui. Le chiot sautait, les jeunes filles riaient. Bientôt Hélène plongea les mains dans une fontaine et se mit à asperger Pénélope. Elles étaient si absorbées par leur jeu qu’elles ne remarquèrent pas l’arrivée de leurs pères, accompagnés d’un visiteur étranger. On ne pouvait qu’être frappé par la grâce et la fraîcheur de ces jeunes filles. Les voiles de leurs habits avaient glissé, laissant deviner des épaules, des rondeurs, des corps aussi parfaits que ceux de déesses. Hélène était d’une beauté incomparable, tout en elle était harmonieux : ses lèvres piment rouge, ses yeux couleur océan, son cou de cygne… Une vivacité incandescente se dégageait d’elle. Pénélope, plus menue, plus posée aussi, offrait l’image même de la sérénité. Sur son visage fin, piqué de taches de rousseur, des lambeaux d’enfance restaient attachés. Elle irradiait une lumière intérieure qui donnait confiance. « Un petit oiseau tombé du nid », se dit Ulysse, touché. C’était lui, le roi d’Ithaque, qui accompagnait Tyndare et Icarios.
En découvrant la présence des trois hommes, les jeunes filles rajustèrent rapidement leurs voiles et cessèrent aussitôt leurs espiègleries. Hélène avait pris une mine ennuyée, car elle supposait un nouveau prétendant, et un seul coup d’œil lui avait suffi : il ne lui plaisait pas. Pas assez grand, trop barbu, les muscles noueux d’un paysan, les mollets d’un montagnard et non d’un guerrier, et par-dessus tout aucun signe de richesse. Le regard d’Hélène partit se perdre au loin, au-delà des murailles du palais. Quand Tyndare, son père, cesserait-il de lui proposer tous les mini-rois de la Grèce ? Puisqu’on la disait la plus belle de toutes, elle devait épouser le plus riche et le plus beau.
Pénélope avait elle aussi détourné les yeux. Mais plus par timidité et réserve que par dédain. Cet étranger ne lui déplaisait pas du tout… Des cheveux épais et bouclés, un nez bien dessiné, un regard franc et droit, une barbe moussue, et de belles mains puissantes qui semblaient prêtes à parler et à caresser. « Ma cousine en a de la chance, se dit Pénélope. Je suppose qu’elle va encore trouver que celui-ci n’est pas à son goût ! Il a pourtant cette simplicité que j’aime, c’est rare. » Les pensées de Pénélope furent soudain bousculées par une phrase prononcée par son propre père, Icarios : « Ma fille, voici Ulysse, le roi du petit royaume d’Ithaque. Il est venu me demander ta main. » Le sang afflua aux joues de Pénélope. Elle n’osa relever les yeux. Hélène avait sursauté, comme piquée au vif : son charme n’opérait-il plus ? Elle jeta un regard amusé à Pénélope et comprit aussitôt que le prétendant était du goût de sa cousine. Le ton d’Icarios semblait presque suppliant lorsqu’il ajouta : « Tu as le droit de refuser. » Mais Tyndare prit aussitôt la parole et se lança dans un éloge des vertus et des mérites d’Ulysse.
Pénélope osait à peine respirer. Ulysse ne la quittait pas des yeux. Et Icarios se tordait nerveusement les mains. Le roi Tyndare s’aperçut que personne ne prêtait attention à ses paroles et bougonna : « Qu’on en finisse, alors ! Qu’en dis-tu, ma nièce ? » Hélène échangea un regard complice avec Ulysse et glissa à l’oreille de sa cousine : « Fonce, ma douce, il t’aimera comme tu l’aimeras. » Pénélope gardait encore le silence, hésitante. Alors, Ulysse se mit à parler : « On m’a raconté, noble Pénélope, que tu as été ainsi nommée en raison d’un miracle. Est-il vrai que tu t’appelais autrefois Arnacia ? Que tu fus précipitée dans la mer, et qu’une bande de canards tachetés de rouge te sauvèrent la vie et te ramenèrent à terre ? On dit que ton nom fut alors changé en Pénélope, qui signifie “canard”. Tu as gardé aux joues le rouge du plumage des canards, et leur élégance. En souvenir de ce prodige des dieux, je t’offre de partager mon nid. » Cette fois, Hélène adressa un discret clin d’œil à Ulysse. « Il est trop rusé, celui-ci », pensa la belle jeune fille. Sa cousine Pénélope venait de lever la tête et de dire en un beau sourire : « Oui, j’accepte. »
Quelques semaines plus tard, Ulysse, qui se languissait de sa patrie, décida de quitter Sparte avec Pénélope, devenue sa femme. Mais le père de Pénélope s’agrippait à leur char : « Ulysse, Pénélope, je vous supplie de demeurer à Sparte. J’ai trop de chagrin à l’idée de me séparer de ma fille bien-aimée. » Ulysse regarda sa femme : elle avait des larmes plein les yeux. Il sentit monter en lui une de ses fameuses colères. Il lui arrivait souvent de se mettre en furie, brutalement. Aussitôt après, il regrettait ses paroles excessives. Ce jour-là, devant l’insistance d’Icarios, Ulysse s’emporta contre Pénélope : « Si tu viens à Ithaque, il faut que ce soit ton choix. Si tu préfères ton père, eh bien, reste ici ! » La jeune femme lui lança un regard de reproche et, sans un mot, elle rabattit son voile sur son visage. Ce geste signifiait qu’elle quittait définitivement son père et la ville de son enfance. Qu’elle liait son destin à Ulysse et à Ithaque pour toujours.
À SUIVRE