53e épisode
Résumé de l’épisode précédent : Les hommes partis en reconnaissance ont été transformés en cochons par la magicienne Circé. Ulysse essaie de les sauver. En chemin, il a reçu l’aide du dieu Hermès pour trouver un antidote au poison maléfique.
Où la situation tourne
à l’avantage d’Ulysse
Jamais aucun homme n’avait résisté aux sortilèges de Circé. Aussi, lorsqu’elle toucha de sa baguette magique l’épaule d’Ulysse en lui disant durement : « Va rejoindre tes compagnons dans la porcherie ! », sa surprise fut immense. Son visiteur continuait à boire tranquillement sa coupe de vin en la regardant d’un œil amusé ! Le visage de Circé pâlit. Elle saisit une autre baguette et recommença à lui frapper l’épaule. Mais aucune métamorphose ne se produisit : Ulysse restait un homme. Il se leva d’un bond, dégaina son épée et en posa la pointe sur la gorge de la magicienne. « Hypocrite que tu es ! s’exclama-t-il. Quelle belle hospitalité que la tienne, en vérité ! Mais tu ne me transformeras pas en cochon… Et, d’ailleurs, tu vas mourir de cette trahison ! » La pointe aiguisée de la lame commençait à égratigner la peau de la sorcière. Quelques gouttes de sang perlèrent à sa gorge. La jeune femme supplia Ulysse de l’épargner. D’un geste, elle désigna sa belle demeure, son riche mobilier, les plats remplis de nourriture, et dit d’une voix tremblante : « Laisse-moi la vie sauve, je t’en prie, et tout cela t’appartiendra. » Puis, redressant la tête entre ses larmes, elle ajouta : « Et moi aussi, je t’appartiens désormais… »
Ulysse, ému plus qu’il ne l’aurait voulu, abaissa son épée. Les yeux verts de la sorcière aux plantes magiques le fixaient intensément. Il se sentit désiré, et son orgueil d’homme en fut flatté. À cet instant, Circé devina qu’elle venait de renverser la situation. Elle se releva, s’approcha d’Ulysse et lui prit la main. En un sursaut, Ulysse, se souvenant des conseils d’Hermès, se dégagea. « Comment veux-tu que j’accepte les caresses d’une main qui a métamorphosé mes amis en pourceaux ? bougonna-t-il. Redonne-leur apparence humaine, et nous verrons… »
Sans répondre, Circé se dirigea vers le fond de la pièce, où des pots pleins de feuilles, d’herbes séchées, de liquides de couleurs variées étaient entreposés sur une étagère. Elle prit un pot dans lequel marinait une mixture verdâtre et sortit. Puis elle se dirigea vers la porcherie et libéra les vingt-deux cochons. En reconnaissant Ulysse, ils se pressèrent tous autour de lui en gémissant. Ulysse en eut les larmes aux yeux. Circé s’approcha d’un premier cochon, qui s’enfuit en courant. « Reviens, je vais te donner quelque chose qui te fera du bien ! », cria-t-elle. Peine perdue. Elle se tourna vers un autre, qui détala de toute la vitesse de ses petites pattes. Tous se méfiaient, désormais. Alors, Ulysse leur dit : « N’ayez crainte ! Circé ne vous fera pas de mal, cette fois… » Un seul, le plus mince et le plus fluet des cochons, se risqua à avancer vers la magicienne. Aussitôt, elle lui frotta le dos avec son baume, en marmonnant quelques paroles mystérieuses. Et voilà que celui-ci reprit sa forme humaine ! C’était le jeune Elpénor ! Il se précipita dans les bras d’Ulysse, qui le serra contre sa poitrine.
En un instant, ce fut la cohue dans la clairière… Tous les cochons entouraient Circé en grognant pour recevoir le baume et la formule magique qui annulaient la métamorphose. Circé riait de bon cœur devant cette bousculade. Vite, elle rendit à chacun sa forme humaine. « Et eux ? », fit Ulysse en désignant les lions et les loups. Circé reprit son sérieux et répondit : « Tu m’as demandé pour tes vingt-deux hommes seulement. Eux sont ici depuis trop longtemps… »
Les compagnons d’Ulysse étaient fous de joie. Quelques-uns partirent aussitôt chercher les autres restés à bord, et un immense banquet les réunit tous dans la clairière. Viandes, légumes et céréales, miel et fruits, et du vin à volonté. « Un vin qui est juste bon pour se régaler », disait Circé en les servant les uns après les autres. Elle les invita ensuite à s’allonger à l’ombre. Leur peau plissée par le sel et le vent de la mer respirait enfin. Ulysse était heureux de ce havre de paix offert à ses hommes. Son corps fatigué par toutes ces années de guerre et de mer aspirait lui aussi à un peu de repos. « Je suis guérisseuse, lui confia Circé en s’approchant. Avec mes plantes, je peux soigner les blessures de ton âme et de ton corps. » Elle lui prit à nouveau la main. Cette fois-ci, il la lui abandonna volontiers. Elle l’entraîna à quelques centaines de mètres dans les bois, derrière la maison.
Bientôt ils arrivèrent dans une autre clairière, toute petite, celle-là. Un puits s’y trouvait. Circé se pencha pour recueillir dans le creux de ses mains un peu d’eau fraîche qu’elle tendit à Ulysse. Il la but avec délice. Quelques gouttes d’eau s’accrochèrent à sa barbe. « Qu’y a-t-il au fond de ce puits ? », demanda-t-il. « Toi, magnifique et glorieux héros », murmura la magicienne en l’attirant sur un lit de mousse et de feuilles. Athéna, juchée sur un chêne au-dessus d’eux, soupira : « Aussi prévisible que décevant… » Hermès lui répondit : « C’est juste un homme qui a trop besoin d’être flatté et admiré. Les hommes sont souvent vaniteux, tu le sais bien... » Athéna battit des ailes : « Et certains dieux aussi, n’est-ce pas ? Tu lui as conseillé de la menacer de son épée pour obtenir qu’elle annule la métamorphose de ses compagnons, mais tu ne lui as pas conseillé de se méfier de ses autres sortilèges ? » Hermès haussa les épaules sans rien dire. Athéna soupira de nouveau : « C’est une fausse guérisseuse, tu le sais bien. Ce puits est un piège. Ulysse pourrait bien y perdre son âme et ne jamais en ressortir… »
À SUIVRE