60e épisode

Résumé de l’épisode précédent : Ulysse a rencontré aux Enfers des morts illustres, parmi lesquels Agamemnon. Grâce à une potion de Tirésias, il part avec Hermès dans le passé pour découvrir ce qui est arrivé à Agamemnon.

Qui voit le retour glorieux

d’Agamemnon à Mycènes

Ulysse était déjà venu à Mycènes. En route, il retrouva le même soleil, la même poussière soulevée par les sabots des chevaux, et puis soudain, au détour du chemin, la majestueuse porte aux lionnes de pierre apparut. Oui, Ulysse avait déjà vécu cela. C’était il y a quelques années, lorsqu’il était venu chercher Iphigénie sur ordre de son père, Agamemnon. Quelques années qui lui semblaient des siècles… Cette fois, Ulysse arrivait déguisé en marchand de miel ambulant. C’était une trouvaille d’Hermès pour que les deux visiteurs passent inaperçus. Pour ce qui était des ruses, déguisements et petits mensonges, Ulysse et Hermès formaient une sacrée paire de complices. Mais ce costume était bien inutile, car personne n’aurait pris garde à eux, ce jour-là. Une incroyable effervescence régnait en ville : le retour du roi Agamemnon avait été annoncé. Après dix ans d’absence, le chef de l’armée grecque revenait victorieux dans sa patrie ! On tuait cochons, volailles et moutons pour préparer un magnifique festin. Les deux faux marchands entrèrent au palais par les cuisines. Ils livrèrent leur miel. Comme le voulait la tradition de l’hospitalité en pareilles circonstances, ils furent invités à manger, puis on ne fit plus guère attention à eux. La voie était libre.

Au palais, tout le monde n’était pas joyeux à l’annonce de ce retour. La reine Clytemnestre ne desserrait pas les dents. En dix ans d’absence, elle aurait eu le temps d’oublier son mari, comme l’avaient fait de nombreuses femmes de guerriers. Mais elle ne l’avait pas oublié, non, elle avait pensé à lui chaque jour. Parce qu’elle l’avait haï chaque jour un peu plus. Et ce que voyait enfin arriver Clytemnestre, c’était le jour de satisfaire son implacable haine. Le jour de sa vengeance.

Sur la route poudreuse, la troupe d’Agamemnon avançait. Quelques heures plus tôt, lorsque son navire avait jeté l’ancre dans le port de Nauplie, Agamemnon avait sauté sur la terre ferme et avait embrassé le sol en pleurant. Maintenant, revêtu de son armure flamboyante, dressé sur son cheval, il essayait de hâter le pas. Il était impatient de serrer son fils Oreste dans ses bras. Durant toute cette guerre, il avait peu pensé à lui, ce bébé qu’il avait laissé en partant. Aujourd’hui, l’idée de rencontrer ce garçon de dix ans lui plaisait. Ses filles, Iphigénie et Électre, n’avaient jamais compté à ses yeux ; Oreste, c’était différent : il était son fils, son descendant. Mais ce qui excitait encore plus l’impatience du roi de Mycènes, malgré la fatigue du voyage, c’était d’être accueilli en héros par son peuple. Il savourait à l’avance son heure de gloire. Les chevaux étaient lourdement chargés du butin pris aux Troyens. Il était déjà un homme riche et puissant le jour de son départ. Il revenait encore plus riche et encore plus puissant. Il ne cessait de donner des ordres et de crier pour faire accélérer la troupe.

Parmi les esclaves troyennes qui marchaient dans la poussière, une jeune femme l’intéressait plus que les autres. Il l’avait choisie comme favorite dès la prise de Troie. Les yeux verts, le front haut, des nattes rousses aux reflets ambrés, tout en elle attirait Agamemnon. Mais ce qui lui plaisait le plus, c’était sa démarche presque féline. Il talonna son cheval pour arriver à sa hauteur, puis la fit monter en selle derrière lui. « Tu vas bientôt découvrir mon riche palais et mon peuple qui m’adore, Cassandre. Tu aimeras Mycènes et tu verras que j’en suis le plus heureux des rois. » Au loin, la haute silhouette de la ville venait d’apparaître sur sa colline. Des hourras s’élevèrent dans la troupe des soldats. Cassandre, la prophétesse que personne ne croyait, avait vu elle aussi les murailles de Mycènes. Mais ce qu’elle vit soudain, c’étaient des murailles ruisselantes de sang ! Elle ne put s’empêcher de pousser un cri. « Qu’y a-t-il, Cassandre ? », questionna Agamemnon. « Je vois… je vois… du sang qui coule sur les murailles de ta ville, ô grand roi ! Et ce sang, c’est le nôtre ! » « Tu es devenue folle ! », s’emporta Agamemnon. Cassandre s’était mise à trembler comme une feuille : « Je t’en supplie, Agamemnon, si tu tiens à la vie, n’y va pas !  N’entre pas dans ce palais aux marches rougies de ton sang, de mon sang… ! » Devant les yeux exorbités de Cassandre, tout s’obscurcissait. Elle ne voyait plus le soleil, l’herbe verte des collines autour d’elle, elle ne voyait plus que du noir et du rouge. Et c’était sa mort qu’elle découvrait, en plus de celle du roi. Mais Agamemnon, comme les autres, ne l’écouta pas. « Personne ne peut en vouloir à ma vie, sotte que tu es avec tes visions ! Puisque tu as peur de ma ville, descends de mon cheval ; tu y entreras à pied, comme toutes les esclaves ! »

Du haut des murailles, un couple observait l’avancée de la troupe. L’homme avait posé la main sur l’épaule de la femme. « Ne t’inquiète pas, je lui réglerai son compte, à ce monstre », dit-il. D’un geste brusque, elle se détacha de lui et répondit : « Pas question ! C’est moi, et moi seule qui lui ferai tout payer… Tout… Range ton épée, Égisthe, et laisse-moi agir. »

À SUIVRE