64e épisode
Résumé de l’épisode précédent : Hermès a entraîné Ulysse huit ans plus tard sur la tombe d’Agamemnon. Ce jour-là, Oreste devenu grand vient rendre hommage à son père, lorsqu’une procession de femmes en deuil surgit.
Au cours duquel un frère
et une sœur se retrouvent
Les femmes arrivées en pleurs sur le tombeau d’Agamemnon se sont mises en cercle autour de la misérable sépulture, et elles chantent les louanges du roi assassiné. Elles versent du vin et de l’huile sur la tombe en répétant : « Ces offrandes pour toi, de la part de la reine Clytemnestre, ô grand roi ! » Derrière son buisson, Oreste n’en revient pas. Il contient sa colère avec peine. Il murmure à l’oreille de Pylade : « Elle a osé envoyer ses esclaves ici ! Elle a besoin d’apaiser le courroux du mort, sans doute… » L’une des femmes, peut-être la plus jeune d’entre elles, s’approche. Sous ses habits en lambeaux, et malgré la saleté qui macule son visage, on devine sa beauté. Elle pose son regard clair sur la tombe et implore : « Ô Hermès, je t’en prie, porte mon message aux dieux souterrains et aux ombres des Enfers ! Qu’ils m’aident à venger mon père mort d’une manière indigne ! Depuis sa disparition, je suis devenue une esclave. Ma mère sans cœur et son amant m’ont vendue à un paysan. Mais ils n’ont pas réussi à me briser. Je saurai résister jusqu’à ce qu’ils soient punis de leurs actes. » Puis elle s’effondre, en pleurs, sur la tombe de son père. Les autres femmes l’entourent en silence. Elles n’osent la réconforter. Comment pourraient-elles la réconforter ?
Oreste, lui, le peut. Il vient de reconnaître sa grande sœur, Électre. Des larmes de joie coulent sur ses joues. Il s’apprête à sortir de sa cachette lorsque Pylade le retient par le bras. Sur la tombe, Électre a découvert la boucle de cheveux. Une boucle très particulière, sombre avec des reflets roux. Elle s’en saisit en tremblant et cherche du regard autour d’elle : « Ces cheveux, ils ont la même couleur… Ils ne peuvent appartenir qu’à mon frère, Oreste. Et qui d’autre oserait honorer Agamemnon ? Où est-il ? Peut-il m’aider à venger notre père ? » Le jeune homme ne résiste pas. Il bondit : « Oui, ma sœur, c’est bien moi ! » Électre pousse un cri et se jette dans les bras d’Oreste.
Ils s’enlacent, s’étreignent, se touchent le visage, les cheveux, le corps. Ils se prennent les mains. L’intensité de leurs retrouvailles émeut profondément Ulysse. Tout son corps ressent cet appel. Il s’imagine dans les bras de Pénélope. Il s’imagine serrant contre sa poitrine un autre beau jeune homme, de l’âge d’Oreste : son fils Télémaque. Des êtres qui se sont tant manqué, affamés de cet amour.
Électre, elle, semble soudain prise de doute : elle repousse le jeune homme, le regarde, muette, en fronçant les sourcils. Puis, d’un geste brusque, elle arrache le bandeau qui lui tient les cheveux. Alors, le sourire refleurit sur son visage. D’un doigt, elle suit le parcours d’une cicatrice sur son front, que le bandeau dissimulait. Un petit rire presque enfantin lui échappe. « Le cerf ! Tu t’en souviens ? Tu es tombé en le poursuivant ! Tu le trouvais si beau, tu voulais l’attraper. Tes petites jambes se sont prises dans une racine. Tu en as gardé cette cicatrice au front, mon frère… Oui, aucun doute, tu es bien mon frère ! » Oreste sourit, lui aussi, au milieu de ses larmes : « Oui, j’étais petit, mais je n’ai pas oublié cette course et ma chute. Le sang avait coulé, je m’en souviens. »
Ces derniers mots résonnent soudain étrangement. Comme s’ils évoquaient un autre souvenir. Les sourires d’Oreste et d’Électre disparaissent. Ils tournent ensemble la tête vers la tombe de leur père. « Tu sais, ma sœur, qui est l’assassin de notre père ? », dit Oreste d’une voix hésitante. Électre acquiesce d’un signe de tête et murmure : « Elle nous a envoyées ici à cause d’un cauchemar qu’elle a fait cette nuit. Elle a rêvé qu’elle mettait au monde un serpent, qu’elle l’enveloppait dans ses langes, qu’elle l’allaitait et que, tout à coup, il lui mordait le sein et lui insufflait un venin mortel. Les devins ont interprété ce songe en disant que c’était l’ombre de notre père qu’il fallait calmer… Alors, elle nous a demandé de venir ici lui rendre hommage de sa part… » Les autres femmes entourent le frère et la sœur, qui ne se lâchent plus les mains. Les rayons brûlants du soleil les auréolent d’une blancheur irréelle. Leur sueur et leurs larmes se mêlent sur leur peau. « Comme ils se ressemblent ! », murmure Ulysse. Hermès lui jette un coup d’œil et dit doucement : « Ils m’ont invoqué tous les deux… Il va falloir que je me mette au boulot, moi ! »
Jamais le nom de leur mère n’a été prononcé entre les deux jeunes gens. En tuant leur père, Clytemnestre a perdu jusqu’à son nom aux yeux de ses enfants. Oreste répond à Électre : « Son rêve dit la vérité. Elle le sait bien, d’ailleurs. Le serpent qu’elle a mis au monde, le serpent qui va la tuer, c’est moi ! »
À SUIVRE