Préface

L’étude des finances publiques suppose aujourd’hui pour le candidat aux concours comme pour le spécialiste ou l’honnête homme d’adopter une démarche rigoureusement pluridisciplinaire. Cette démarche comporte nécessairement les éléments juridiques fondamentaux propres au droit des finances publiques afin de bien comprendre les éléments morphologiques et techniques des lois de finances, de la comptabilité publique ou du droit fiscal et de leurs contentieux respectifs. Elle impose de convoquer avec une force sans cesse grandissante des éléments de droit international public, de droit européen et de droit constitutionnel (surtout depuis l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité).

L’entreprise requiert également de ne pas négliger les aspects économiques et financiers des finances publiques tant sur leur volet budgétaire (fiscal policy) que sur leur volet fiscal (tax policy). En effet, plus que jamais la maîtrise des comptes publics suppose ab initio l’établissement de prévisions macro-économiques crédibles permettant de définir une trajectoire des finances publiques dans leur ensemble – toutes administrations confondues : APUC (administrations publiques centrales : État+opérateurs), APUL (administrations publiques locales), ASSO (administrations de sécurité sociale) permettant de rentrer en cohérence avec nos engagements européens (respect des fameux critères de Maastricht), conformité aux exigences nouvelles du TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance), etc. Enfin, le chercheur comme l’étudiant ne doit pas écarter a priori l’apport de la sociologie et de l’histoire des finances publiques. En effet, le nécessaire consensus sur l’équilibre de nos comptes publics comme les éventuelles résistances à l’impôt ou l’importance de la solidarité au fondement de notre système de protection sociale constituent des acquis de l’histoire et de la culture nationale.

Ces contraintes dictent en partie les choix retenus par les décideurs publics dans le cadre des ajustements budgétaires actuellement en cours. Elles expliquent en particulier pourquoi la France a structurellement pris du retard dans le redressement de ses comptes. Pourquoi par exemple elle a choisi pendant tant d’années de reporter les efforts d’assainissement inévitables tout en prônant en apparence l’application d’une stricte orthodoxie keynésienne de relance par la consommation1. En réalité la France a longtemps assumé une politique financière où les arbitrages ont trop souvent différé les coupes budgétaires en haut de cycle, alors que les stabilisateurs automatiques marchaient à plein régime en phase de récession. Cela a enclenché un processus en quatre temps : relance contra-cyclique (1) induisant des ajustements par la hausse des prélèvements obligatoires (2) ; concession de niches fiscales afin de ne pas ralentir l’investissement des particuliers ou le dynamisme des entreprises (3), puis baisses d’impôts en phase de croissance (4). Sur le plan strictement budgétaire, cette propension à la dépense a conduit les administrations publiques à présenter un déficit permanent depuis 1975 aboutissant à une augmentation continue de la dette publique (près de 96 % du PIB en 2016)2. Sur le plan des recettes fiscales, la préférence pour des taux marginaux élevés et des bases étroites a débouché sur la constitution d’un volume de dispositifs fiscaux dérogatoires (dépenses fiscales) inédit (jusqu’à près de 4 points de PIB) accroissant encore la complexité d’une législation fiscale particulièrement développée et mouvante.

Les présidences de Nicolas Sarkozy et de François Hollande ont adopté des politiques d’ajustement budgétaire relativement continues à partir de 2011 qui ont été bien formalisées dans le cadre du PLF 2013. Le constat a été fait que les ajustements devaient être les moins récessifs possibles (d’autant que la plupart de nos voisins européens étaient eux-mêmes engagés dans des processus de rééquilibrage comparables) tout en renforçant la reprise de la croissance à moyen terme. Ceci a débouché sur une synthèse que l’on peut qualifier de « Callegari/Alesina »3 du nom des deux principaux économistes dont elle s’inspire. Celle-ci préconise de débuter l’ajustement par une augmentation des impôts (effets en recettes plus rapides et moins récessifs que les coupes budgétaires), puis dans une seconde phase de poursuivre par une baisse des dépenses selon un ratio d’effort de 40 % en recettes et de 60 % en économies afin de conforter la reprise à moyen terme. Cette approche s’est ainsi traduite par une augmentation depuis 2012 de 30 milliards des prélèvements supplémentaires (après 22 milliards d’euros depuis 2011 sous le précédent gouvernement4) et l’engagement de pratiquer à partir de 2014 60 milliards d’économies. Assez logiquement en 2014, la perspective a été rectifiée afin de dégager 50 milliards d’économies entre 2015 et 2017, suivant une répartition de 18 milliards sur l’État et ses opérateurs, de 11 milliards sur les collectivités territoriales et de 21 milliards d’euros sur la sécurité sociale (dont 10 milliards sur l’assurance maladie).

Le bilan que l’on peut tirer de cette stratégie d’ajustement entre 2012 et 2017 est mitigé :

– En 2016, le déficit de la France est de 3,4 % du PIB, soit le deuxième plus élevé de la zone euro après l’Espagne, l’ensemble des autres pays européens étant à ou en dessous des 3 %.

– Depuis 2011, la croissance des dépenses publiques en France est supérieure à la moyenne de la zone euro, alors que son PIB augmente moins vite que celui de ses partenaires. La France occupe le premier rang quant au niveau de ses dépenses publiques en 2016 avec 56,2 %, devant la Finlande (56,1 %).

– Les prélèvements obligatoires décroissent après un pic en 2013 (44,8 %) pour atteindre 44,3 % en 2016, mais l’ajustement fiscal a été massif entre 2012 et 2017, et aurait rapporté en moyenne sur la période près de 50 milliards d’euros/an, dont 18 milliards imputables à des mesures prises sous le quinquennat de N. Sarkozy et 31,2 milliards sous celui de F. Hollande5.

Enfin le plan de 50 milliards d’économies promis par l’exécutif a été sérieusement révisé à la baisse. Les priorités gouvernementales dont la lutte contre le terrorisme et les revalorisations salariales dans la fonction publique à compter de 2016 (négociations PPCR, augmentation du point d’indice de 1,2 % entre mi-2016 et 2017) aboutissent à réviser l’objectif entre 40,5 et 41,8 milliards entre 2015 et 2017, dont seulement 10 milliards pour 2017.

Cependant, cette approche n’est pas unique. Elle se conjugue et gage en partie la recherche assumée d’une politique de « dévaluation budgétaire » (fiscal devaluation) se traduisant par une « dévaluation fiscale »6. Celle-ci est dictée par l’impossibilité de procéder à une dévaluation monétaire du fait de la monnaie unique et de l’indépendance de la BCE. La stratégie de la dévaluation fiscale cherche par des allégements de charges sur les entreprises à produire un choc de compétitivité coût (à court terme) et hors coût (à moyen terme) permettant de restaurer les marges et d’accélérer les chances de rebond de l’économie française (réduction du chômage et relance de l’investissement) en assumant une politique de l’offre. Cette dévaluation fiscale devrait se traduire par un déplacement de la pression fiscalo-sociale des entreprises vers les ménages (notamment au moyen de l’augmentation des taux de TVA et de la réduction des niches fiscales).

Ce volet croissance s’est traduit par l’annonce de quatre dispositifs. Les trois derniers étant exposés dans le cadre du discours de politique générale du Premier ministre Manuel Valls le 8 avril 2014 :

– un pacte de responsabilité de 10 milliards d’euros à compter de 20168 ;

– complété par un pacte de solidarité de 5 milliards d’euros9 ;

– et des allégements d’impôts sur les entreprises atteignant 20 milliards d’euros en 2017.

François Hollande a cependant souhaité procéder à une réorientation de la dernière étape du Pacte de responsabilité et de solidarité le 30 juin 2016 afin de dégager des marges de manœuvres budgétaires nouvelles (4 milliards environ en 2017) tout en en respectant le volume (5 milliards d’euros) mais en le décalant après 2017 : les 3,5 milliards de la dernière tranche de la C3S et la réduction d’IS de 33,33 % à 28 % (1,5 milliard) ont été remplacés par une baisse d’IS réservée en 2017 aux petites entreprises (0,4 milliard), une augmentation de 6 à 7 % du taux du CICE (3,1 milliards), ainsi qu’une baisse supplémentaire d’IR (1 milliard d’euros) pour 5 millions de ménages, et diverses autres mesures (0,5 milliard). Cet exemple illustre la difficulté pour l’exécutif à disposer de marges de manœuvres budgétaires suffisantes pour faire face au financement de dépenses imprévues ou jugées prioritaires.

Afin de faire face à une croissance plus faible que prévue dès 2014 (+0,4 point en LFI 2015 révisée à +0,2 point par l’INSEE le 13 mai 2015), et à une inflation également plus basse qu’anticipée en 2015 (+0 % dans le cadre du programme de stabilité 2015-2018 contre 0,9 % estimée en décembre 2014 dans la LPFP 2014-2019), la perspective d’un retour du déficit à 3 % du PIB dès 2015 a été repoussée avec l’accord du Conseil de l’Union européenne (recommandation du 10 mars 2015) à 2017. Il a par ailleurs été demandé à la France pour l’année 2015, un effort d’économies supplémentaires de 4 milliards d’euros en sus des 21 milliards d’euros d’économies tendancielles affichées dans le cadre du programme de 50 milliards d’économies à réaliser jusqu’en 2017, et un effort complémentaire de 5 milliards d’économies en 2016, qui s’ajoutera aux 14,5 milliards d’économies tendancielles attendues cette même année. Ces deux correctifs ont été acceptés par la France afin de corriger le ralentissement de la croissance de ses dépenses sous l’effet de la faiblesse de l’inflation.

La France est parvenue à respecter à peu près ces objectifs en 2015 et 2016, avec un solde public de 3,6 % et de 3,4 % du PIB alors que le programme de stabilité 2016-2019 annonçait 3,5 % et 3,3 % pour ces deux années. Le différentiel s’expliquant par la difficulté de l’exécutif à atteindre ses objectifs en matière de déficit de l’État et de déficits sociaux (les collectivités s’ajustant mieux que prévu dans le cadre de leur contribution au redressement des finances publiques (CRFP) initiée en 2014, se traduisant par une baisse substantielle de leurs dotations (3,67 milliards théoriques par an entre 2015 et 2017) devant aboutir à une baisse corrélative de leurs dépenses).

Si l’inflation basse, sur la période, fragilise mécaniquement le dégagement d’économies tendancielles, notamment s’agissant des économies par rapport à des dépenses indexées et frappées de gel (point de fonction public, revalorisation des retraites etc.), elle permet au contraire de produire des économies de « constatation » (la régulation budgétaire est facilitée parce que des dépenses notamment d’achat et de fonctionnement baissent mécaniquement en cours d’exécution), ce qui a permis par exemple d’atteindre un déficit 2014 définitif de 3,9 % au lieu des 4,4 % anticipés dans le cadre du PLF 2015.

Le pilotage des finances publiques est donc délicat car il suppose de prendre en compte les effets en sens inverse de variables macroéconomiques en partie exogènes sur les comptes publics (prix bas du pétrole, évolution de la parité euro/dollar, effets de la nouvelle politique d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) de la BCE initiée par Mario Draghi le 22 janvier 2015 etc.). Par ailleurs, la volonté de la France de ne pas brider la reprise de la croissance, l’a conduit à proposer une trajectoire des finances publiques dans le cadre du Programme de stabilité 2015-2018 sensiblement différente de celle arrêtée par la recommandation du Conseil du 10 mars 2015 et même de la loi de programmation des finances publiques 2014-2019 de décembre 2014. Tout en retenant des hypothèses prudentes et révisées en matière de croissance, d’inflation et d’élasticité des prélèvements obligatoires, la France a décidé de recalculer sa croissance potentielle en la réévaluant de +0,2 point à compter de 2016 où elle devait atteindre 1,5 %. De ce fait son ajustement structurel a voulu satisfaire au minimum requis par les traités européens (0,5 point par an), mais pas davantage. Il en a résulté cependant une absence de résorption préoccupante du déficit conjoncturel, stabilisé à 2,5 points de PIB en moyenne sur la période 2015-201810 d’après la Commission européenne, tandis que l’approche française présente un écart de production qui ne se referme jamais avant 2018.

On le voit, les marges de manœuvre sont fragiles s’agissant des finances publiques. Elles supposent des prévisions macro-économique et macro-budgétaire fiables et une stratégie claire et réactive. Plus largement, il s’impose à la France d’ores-et-déjà engagée dans une procédure pour déficit excessif, de résorber dans les meilleurs délais son déficit structurel sans aller au-delà de la troisième dérogation accordée par les instances européennes (équilibre prévu pour 2019). Il est nécessaire enfin, de veiller pour l’État à atteindre rapidement un solde stabilisant pour sa propre dette ; et pour cela, parvenir à dégager dans un premier temps un excédent primaire, c’est-à-dire réussir à ne plus financer ses propres dépenses courantes à crédit afin dans un second temps de se refinancer sans alourdir la charge de sa dette. Ainsi la France jusqu’en 2019 va devoir réaliser chaque année environ 0,6 % de PIB d’économies supplémentaires. Gageons que les écarts enregistrés par rapport à cette contrainte (entre – 0,1 et – 0,2 point par an) supposeront un effort volontariste du nouveau président de la République Emmanuel Macron dans le cadre du PLF 2018. Un effort qui devra nécessairement comporter des réformes structurelles car une fois l’équilibre atteint, le volet désendettement du TSCG européen rentrera alors en action, ce qui devrait imposer la réduction de la dette au-delà de 60 % d’au moins 1/12e/an impliquant un effort complémentaire de désendettement de 2 points de PIB/an.

La mise en place d’économies structurelles est donc prépondérante. Elle impose que, par rapport à la dynamique spontanée des dépenses publiques (le tendanciel), des économies soient réalisées qui l’infléchissent durablement. C’est en particulier à la réalisation de ce type d’économies que devraient concourir les réformes en cours de l’organisation des collectivités territoriales11 (lois MAPTAM et NOTRe du 27/01/2014 et 7/08/2015) : fusion des régions, suppression de la clause de compétence générale (à l’échelon départemental et régional), encouragement des fusions de communes, rationalisation des syndicats intercommunaux et réforme de la dotation globale de fonctionnement. Il appartiendra au prochain gouvernement de poursuivre cette politique : parvenir à une réforme de la DGF (repoussée après 2017), l’introduction d’un dispositif de bonus/malus après contractualisation de la baisse de leurs dépenses avec les collectivités, gestion par objectif etc. Le programme présidentiel d’Emmanuel Macron prévoyant près de 10 milliards d’économies à réaliser sur le bloc local dans les cinq ans à venir.

Il faudra pour cela résolument sortir des économies « conjoncturelles » réalisées à périmètre constant et qui tiennent de la politique du rabot : baisse de l’enveloppe sous norme des dotations aux collectivités territoriales, déremboursements dans le cadre de la maîtrise de l’ONDAM, gel du point d’indice des fonctionnaires jusqu’en 2016, report d’indexation des prestations sociales (hors minima sociaux) jusqu’en octobre 2015, effets de trésorerie au détriment des entreprises. Des dispositifs qui produisent un décalage dans le temps des dépenses sans véritablement toucher à leur tendanciel, ni interdire un éventuel rattrapage.

Le nouvel exécutif devra enfin sans doute ralentir la politique d’émission sur souches anciennes des titres de la dette publique qui permet de générer des primes d’émissions au bénéfice du Trésor. Cette approche offre conjoncturellement, en période de taux bas, la possibilité de faire baisser « facialement » la dette publique, bien que le coût en intérêt en soit plus important par la suite. La politique hyper-accommodante de la BCE ne pourra pas durer éternellement. Rééchelonner la maturité de dette et passer à une politique de désendettement (excédents primaires) doivent devenir des axes structurants de la stratégie de gestion de la dette publique pour les années à venir.

Hauts fonctionnaires, rompus aux questions budgétaires et fiscales (Direction de la législation fiscale, Conseil d’État, Budget, France Domaine, Sécurité sociale), les deux auteurs de l’ouvrage ont en outre été chargés d’enseignement des finances publiques à Sciences Po Paris et dans le cadre de préparations au concours de l’ENA, notamment à la Prep’ENA Paris I-ENS. Leur approche pragmatique vue de l’intérieur de l’Administration permettra à tout lecteur, désireux de bénéficier d’éclairages concrets et à jour, de comprendre au mieux les grands enjeux budgétaires et fiscaux liés à la programmation comme à l’exécution des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, mais également relatifs à la gestion des deniers publics, centraux, locaux comme sociaux et plus largement à la modernisation de l’action publique. La concision qui ne va pas sans clarté et précision du propos en même temps que l’exploitation de documents budgétaires de première main comme de la prise en compte des enjeux économiques pour les entreprises et les ménages font de cet ouvrage une entreprise unique en son genre. Nous lui souhaitons tout le succès qu’elle mérite dans le cadre des incertitudes et des opportunités budgétaires et financières qui nous entourent.

Fait à Meudon

Le 14 mai 2017

Samuel-Frédéric SERVIÈRE

Chercheur à la Fondation de l’institut français de recherche
sur les administrations et les politiques publiques