CHAPITRE 10

Un récit effroyable

Afin,
mon cher lecteur, de lire convenablement

Les détails, les méandres et les rebondissements

Du récit effroyable que Winnie raconta,

Armez-vous de patience…

 

Et surtout de sang-froid !

Winnie, comme vous l’aurez peut-être deviné,

En narrant son histoire était décomposée.

Elle reniflait tout le temps et hoquetait sans cesse

Et s’essuyait le nez… sans grande délicatesse.

 

Pour vous épargner, donc, force crottes de nez

Mêlées de morve tiède, voici mon résumé :

 

Les monstres windigo se déplacent en clans

Et mènent leur existence des plus discrètement.

Ils vivent dans des montagnes aux sommets aiguisés

Et sillonnent les falaises lorsqu’ils partent chasser.

 

C’était là l’existence de Winnie, jeune fille

Qui vivait, bienheureuse, au sein de sa famille.

Ils étaient tous unis comme les doigts de la main :

Ses parents, leurs amis, ses oncles et ses cousins.

 

Winnifred Windigo Paluche de Chardonnière

(Un nom qu’en intégral personne n’employait guère)

Habitait aux confins d’une forêt de sapins,

Sur la rive d’un ruisseau, bleuté et serpentin.

 

L’onde de ce courant coulait dans un vallon,

Vous laissant imaginer sa destination :

Elle s’écoulait parmi les pierres et les cailloux,

Jusques à la lagune de Zorgamazoo.

 

Ainsi, après une longue matinée à chasser,

À écumer les monts aux parois escarpées,

La famille de Winnie, comme tous les windigo,

Entreprenait de suivre le trajet du ruisseau.

 

Car les zorgles campagnards et ces monstres nomades,

Ils étaient, on peut dire… excellents camarades !

Mais, le plus étonnant, le plus extraordinaire,

C’est la passion commune de tout ce bestiaire.

 

Au fil de mes recherches, depuis bien des années,

Sur les us et coutumes des sujets windigués,

La trouvaille que je considère la plus drôle…

C’est que les windigo raffolent du zorgleball !

 

Même la jeune Winnie (quand elle ne pleurait pas)

Maniait parfaitement l’art de la batte en bois.

Et c’était précisément son activité,

Le jour même où les zorgles avaient été enlevés.

 

L’équipe de Winnie, appelée Les Grogneurs,

Était venue pour jouer un match en amateur.

La jeune windigo, arrivée d’un pas leste,

Affichait l’air pugnace de la pire des pestes.

 

Elle était flanquée de son oncle et de sa tante,

Accueillis dans un stade à l’ambiance brûlante.

 

L’assistance patientait. L’arène était nickel,

Les maillots nettoyés, tout comme le matériel :

Les coussins des tribunes avaient été secoués,

Les gants des receveurs astiqués et huilés.

Les casques, étincelants, serrés sous les mentons

Annonçaient le début de la compétition.

 

En un mot : celle-ci n’eut rien d’une sinécure,

Et la balle, plus d’une fois, survola la clôture.

Les deux équipes menaient, chacune à tour de rôle,

Sillonnant l’immense terrain de zorgleball…

 

Quand enfin arriva le moment décisif,

Le public fit silence, captivé, attentif.

L’issue de la partie demeurait incertaine…

C’est alors que Winnie fit son entrée en scène.

 

Son adversaire : un zorgle d’immense renom,

Si célèbre que, vous-même, vous connaissez son nom :

C’était Cyril de Zorgle – surnommé « le Sniper » –,

Le lanceur le plus doué, en un mot : le meilleur.

 

Sauf que Cyril de Zorgle avait une faiblesse :

Il avait dépassé l’âge de la jeunesse.

Ses cheveux grisonnaient, ses os lui faisaient mal,

Il ne jouait plus guère en ligue nationale.

 

Pourtant… quand il lançait une balle dans les airs,

Comme son geste était beau ! Le mouvement d’un expert !

Et fulgurant toujours, d’après le chronomètre.

Le zorgleball était sa réelle raison d’être.

 

Le Sniper, de son pied, remua la poussière,

Il se mordit la lèvre et le bras en arrière,

Il leva une jambe en avisant sa cible,

Et lança la zorgballe aussi fort que possible !

Le projectile fusa – un boulet de canon…

Que Winnie arrêta d’un grand coup de bâton !

 

La balle jaillit plus haut, pareille à un missile –

Qui aurait bien pu croire qu’elle fût si volatile !

Elle monta tant et tant qu’enfin elle rencontra

Un nuage… sauf qu’ensuite elle ne resurgit pas.

 

En revanche, du nuage, vint un grondement profond,

Puis un fracas, comme provenant de percussions

(Mais, sans cadence aucune, ni musicalité,

On eût cru un moteur totalement détraqué).

 

Et le son, peu à peu, se fit assourdissant,

Provenant, semblait-il, du nuage surplombant.

Les joueurs regardèrent… et se couvrirent les yeux :

Le stratus s’étendait pour remplir tous les cieux !

 

Alors, soudainement, le nuage disparut,

Et dans le ciel d’été tout le monde aperçut,

Vrombissant, bourdonnant, dans l’éclat du soleil,

Une nuée de bêtes, comme un essaim d’abeilles !

 

Mais, à la différence des hyménoptères,

Ces bêtes avaient la taille d’énormes montgolfières !

Chacune avait l’aspect d’une pieuvre pourvue d’ailes,

Avec des tentacules s’agitant par kyrielles !

À chaque extrémité : une griffe incurvée

Destinée à nourrir des mâchoires affamées.

 

Elles se tinrent en suspens, et ensuite, d’un seul coup…

Elles fondirent, toutes ensemble, sur Zorgamazoo.

Elles assaillirent les joueurs, de l’un et l’autre camp,

Provoquant la panique et puis l’affolement.

 

Ces prédateurs, en somme, semblaient considérer

Le terrain comme un restaurant à volonté !

 

Ils attrapaient des zorgles, souvent deux plutôt qu’un,

Et les joueurs windigo pour varier les parfums.

Puis ils les éminçaient de leurs griffes crochues,

Avant de les jeter dans leur gosier goulu.

 

Winnie fut hameçonnée par une patte meurtrière...

Mais en fut libérée par la tante Chardonnière,

Qui hurla : « Winnifred, fais comme avec la balle :

Donne-lui un grand coup… puissant et magistral ! »

 

La jeune fille obéit à sa tante windigo

(Ayant gardé la batte utilisée plus tôt).

Ainsi, dès la seconde où elle fut soulevée…

L’œil jaune du prédateur, elle n’eut qu’à le viser !

 

La chose, stupéfaite, vacilla un moment,

Secouant Winnifred, qui tomba sur-le-champ

Et atterrit, par chance, sur un parterre de fleurs

Qui amortit sa chute (ça... et son postérieur).

 

« Bravo ! lui dit son oncle. À présent, écoute-moi !

Reste dans ce bosquet ! Ne t’en éloigne pas ! »

 

Winnie acquiesça et ne prit nulle part

À la lutte pour tenir les bestioles à l’écart.

 

Ce combat, néanmoins… était perdu d’avance.

Qui aurait pu faire face à une telle violence ?

C’est ainsi, cruellement, que Winnie survécut :

En voyant sa famille avalée toute crue !

 

Rassasiés, les barbares avaient redécollé…

Et Winnie Windigo s’était mise à pleurer.

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Pour Morty, cette histoire était invraisemblable,

Mais, avant d’objecter de façon implacable,

Il y avait un détail qu’il souhaitait vérifier :

« Un instant ! Car j’ai une question à te poser !

 

Ce Cyril de Zorgle, c’est le fameux champion ?

Tu jouais avec lui ? Quelle consécration !

Ses lancers : des éclairs ! C’était époustouflant !

Il jouait à l’époque pour l’équipe des Titans.

 

Chaque début de saison, mon papa m’emmenait

Aux matchs de cette équipe si longtemps au sommet.

Je connaissais, bien sûr, le moindre des joueurs…

Mais surtout la légende surnommée “le Sniper”. »

 

« C’est bien lui…, fit Winnie, les larmes au bord des yeux.

C’était un grand athlète, comme on n’en fait pas deux.

Mais pourquoi se réjouir ? À présent, il est mort !

Dévoré, je t’ai dit ! Et lacéré d’abord ! »

 

Après une seconde, Mortimer ajouta :

« Ton histoire, Winnifred, moi je n’y souscris pas…

Des monstres sanguinaires ? Descendus droit des cieux ?

Ça me semble bizarre… pour ne pas dire douteux. »

 

Katrina, en revanche, elle, était convaincue

Que tout ça était vrai, comme si elle l’avait vu.

Il n’y avait qu’à sonder l’expression sérieuse

De Winnie pour voir qu’elle n’était pas une menteuse…

 

« J’en suis sûre ! dit Katie. Winnie n’affabule pas !

Elle a suivi la scène ! Elle était cachée là !

Grâce à elle est levée une part du mystère :

Nous savons que des monstres trempent dans cette affaire ! »

 

« Des monstres ? fit Morty d’une voix étranglée

(Entre nous des monstres, il pouvait bien s’en passer !).

Pardonne-moi, Katrina, mais il faut que j’insiste :

De telles créatures, je doute qu’elles existent. »

 

Winnifred inspira, puis lentement reprit :

« Cher monsieur, je crains que vous n’ayez bien saisi… »

 

Mais Morty l’ignora, il secoua la tête

Et puis, croisant les bras, déclara : « Des sornettes !

Des machins farfelus, moi, j’en ai vu pléthore…

Mais jamais une pieuvre volante et carnivore ! »

 

Winnie, à cet instant, devint pâle comme un drap,

Et lui dit : « Dans ce cas, ne vous retournez pas… »

S’ensuivit un sinistre et puissant bourdonnement

Comme un rauque et lugubre tambourinement.

 

C’étaient les créatures, quoi qu’en pensât Morty !

Celui-ci pivota… et l’effroi le saisit.

Il était bien trop tard pour reconnaître enfin

Qu’il pourrait bien finir dans leur prochain festin !

 

Avant que Winnifred ou Morty puissent parler,

Avant que Katrina ait le temps de hurler,

Tous les trois furent saisis par un long tentacule…

Et jetés entre

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