CHAPITRE 18

Le quoid’Enchantium ?

« Le quoi d’Enchantium ?!

se récria Dulbert.

Tu me prends pour un sot ? Dépourvu de tout flair ?

Le Gaz d’Enchantium – quelle mystification !

Une arnaque, une fraude, sous forme d’émanations ! »

 

« Archifaux, dit Katie. Je suis prête à parier

Que ce gaz, en puissance, surclasse le premier ! »

 

« Impossible ! Des couleurs : rien n’est plus inutile !

Leur énergie, c’est sûr, ne peut qu’être stérile ! »

Il se tourna alors vers son tableau de bord.

« Regarde un peu ces jauges, tu verras : tu as tort. »

 

Sauf que, tout au contraire, Katie avait raison !

Comme l’observa Dulbert (avec satisfaction) :

Les jauges d’énergie tournaient rapidement !

Plus encore, c’est certain, qu’elles ne tournaient avant.

 

Dulbert poussa un cri : « Incroyable ! C’est donc vrai !

Il y a plus d’énergie que je ne le pensais ! »

Il ajouta tout bas : « Mais, Katie, explique-moi…

Qu’as-tu fait pour atteindre ce glorieux résultat ? »

 

La fillette répondit, en connaissance de cause,

Qu’elle n’avait, à vrai dire, pas accompli grand-chose :

Un coup de lame par-ci, et un autre par-là,

Un câble déplacé (et puis deux, et puis trois).

 

Inversant le courant, elle était arrivée

À tout faire fonctionner de manière opposée !

À la place d’un brouillard grisâtre et déprimant,

L’appareil s’emplissait d’un nuage flamboyant !

 

(Si jamais vous doutez de l’authenticité

De ce genre de vapeur, brillante et chamarrée,

Alors fermez les yeux ! Et baissez vos paupières !

 

Vous verrez des couleurs éclairées de lumière !

Le processus commence quand on a dans la tête

Des pensées, des idées, qui tournent et pirouettent.

Un peu comme le tedium, elles s’écoulent de l’esprit…

Cette fois non par ennui – mais parce qu’on réfléchit !)

 

Dulbert dit : « Désolé pour mes agissements…

Ce gaz paraît être un excellent carburant.

 

Kat, tu m’as convaincu ! Et je dois bien l’admettre :

Pour tous, l’enchantement est la clé du bien-être !

C’est la joie, la gaieté et puis l’imaginaire

Que nous devons puiser sur la planète Terre ! »

 

Il se tourna alors vers son banc de contrôle.

« En avant » ! lança-t-il aux monstres dans leurs geôles.

Une à une, il ouvrit les trappes des guérites,

Et conduisit les bêtes vers un lieu insolite.

 

Dans ce lieu se tenaient, telles d’énormes cheminées,

Telle une plantation de géants peupliers,

Les fusées gritonniennes, prêtes pour l’allumage,

Tous moteurs vrombissant en vue du décollage.

 

« Nous voilà ! dit Dulbert, avec un grand sourire.

Entrez donc, mes amis ! Le convoi va partir ! »

 

La première à monter fut la jeune Katrina,

Puis les êtres mythiques (et les zorgles de surcroît).

Au bout d’un certain temps, ils eurent tous pris un siège,

Y compris Béhémoth, le dernier du cortège.

 

On cria : « Trois, deux, un ! » puis les navettes spatiales

S’envolèrent vers les cieux, en ligne verticale…

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Sur la Terre, entre-temps, rien n’avait trop changé.

On exportait des biens, on rangeait des papiers.

La plupart des personnes faisaient tout comme avant,

Menant leur existence automatiquement,

Coincées entre bureau et centre commercial

Sans jamais regarder dans le sens des étoiles.

 

(Pour la plupart des gens, la Terre était rasoir…

On aurait dit Griton, à de nombreux égards !)

 

Alors, imaginez leur ébahissement

Quand un soir apparut, haut dans le firmament,

Une armée de vaisseaux, une pluie de fusées,

Transperçant les nuages à vitesse grand V !

 

Pourtant ils atterrirent avec délicatesse,

Comme des plumes sur un lit – la douceur d’une caresse.

La poussière retomba et les portes s’ouvrirent,

Alors les créatures commencèrent à sortir.

 

Les humains se massèrent, frémissant de frayeur.

« Pas possible..., pensaient-ils. Pas les envahisseurs ! »

 

Quand les marches s’abaissèrent, de grands cris retentirent :

« Des montres ! hurlait-on. Venus nous conquérir ! »

 

Les hommes perçurent soudain une chose inopinée,

Qui stoppa toute angoisse. Et les fit gamberger.

Ils virent une petite fille, une enfant ordinaire,

Qui sourit et salua, une main dans les airs.

 

À sa gauche, une bête recouverte de poils :

Un ours ? un sanglier ? un nouvel animal ?

Elle était singulière, cette espèce de bison,

Avec sa barbe drue et ses cornes sur le front.

 

Les reporters d’images accoururent aussitôt :

« Que s’est-il donc passé ? Parlez dans le micro ! »

 

Des perches, des caméras entourèrent Katie…

On l’aurait dite cernée, assiégée, assaillie !

 

Les journalistes criaient : « Qui ? pourquoi ? et comment ?

Nous voulons des infos ! Et immédiatement ! »

 

D’une voix assurée, cette fille jeune et frêle

Dit : « Je me nomme Katrina

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Ces bêtes qui m’accompagnent ne sont pas des aliens !

Elles sont nées sur la Terre ! C’est d’ici qu’elles proviennent. »

 

La foule retint un cri et puis, sans se gêner,

Observa et scruta les nouveaux arrivés.

Et soudain, pour chacun, ce fut une évidence :

Tous avaient vu ces bêtes dans leurs livres d’enfance !

 

Ils bondirent de bonheur ! Quelle joie formidable !

Ces monstres appelés « mythes »… ils étaient véritables !

Mais, en plus de la joie, ce qui se produisit

Fut une révolution dans chacun des esprits.

 

Car l’émerveillement coulait dans leurs vaisseaux,

Irriguant les artères, les veines jusqu’au cerveau,

Où la pression montait, comme dans un caisson...

Avant de détoner, tel un tir de canon !

 

Le gaz se propulsa ! En un quart de seconde !

Il jaillit des humains aux quatre coins du monde !

Pour la première fois, en quatre à cinq cents ans,

Le Gaz d’Enchantium coulait de leurs tympans !

 

Puis la foule assista à la grande dispersion

De ces monstres rentrés de l’astrale prison.

Les sirènes, d’abord, regagnèrent la mer,

L’écume et les poissons qui leur étaient si chers.

 

Les phénix s’embrasèrent et montèrent vers les cieux

– Quelle vision, cette nuée consumée par le feu !

Puis ce furent les ogres, les gnomes et les lutins,

Qui regagnèrent les bois et les forêts, enfin.

Les yétis, pour leur part, s’en allèrent vers les cimes

En gonflant leur toison d’une blancheur sublime.

 

Les griffons et gargouilles remuèrent leurs ailes,

Puis avec un « adieu » s’envolèrent dans le ciel.

Les sphinx et les gorgones, les satyres, les centaures,

Les dragons et les fées, et bien d’autres encore,

Tous rentrèrent, promettant de prendre des nouvelles

De leur chère sauveuse – leur Katrina Katrell.

 

Béhémoth fut le dernier des monstres à partir

(Mais où allait-il donc ? Personne n’aurait su dire…).

Katrina, à son tour, salua les Windigo,

Sentant dans leur étreinte le cuir tiède de leur peau.

Winnifred la serra si vigoureusement

Qu’elle se crut au bord de l’évanouissement.

 

Vint ensuite le tour de Cyril le Sniper

(Qui avait fait la preuve de son rang supérieur).

« Gamine ! lui dit-il d’une voix affectueuse,

Essaye le zorgleball… tu serais une winneuse ! »

Puis, entouré des zorgles, sautillant de partout,

Il se remit en route pour Zorgamazoo.

 

Dulbert fut le suivant à vouloir saluer

Katrina et lui dit : « Je promets d’essayer

De sauver ma planète du cafard, de l’ennui…

Il est temps, je crois bien, que nous changions de vie !

Voici dorénavant mon proverbe principal :

“Prendre un peu de plaisir, ça ne fait pas de mal !”

Telle sera ma mission : encourager la joie !

Une parole de sagesse, ou je n’m’y connais pas ! »

 

À son grand étonnement, Katie crut alors voir

Une petite étincelle éclairer son regard,

Une touche de couleur réchauffer son visage

Alors qu’il s’embarquait… direction : les nuages.

 

Les fusées envolées, et Dulbert avec elles,

Morty demeura seul avec Katie Katrell.

 

Tout en hochant la tête, la fillette murmura :

« L’aventure se termine… C’est la fin, cette fois. »

Elle fixa son ami, souriant légèrement,

Puis tendit une main… qui resta en suspens.

 

Morty tendit la sienne, mais, au lieu de serrer,

Il tira sur son bras pour pouvoir l’enlacer.

Il recula ensuite, et l’air un peu chagrin,

Annonça qu’il rentrait dans son monde souterrain.

 

Parce que les aventures, ça, il n’en voulait plus !

Son unique ambition : regagner son Talus !

Il lui fallait passer aussi au dispensaire

Pour prendre des nouvelles de l’état de son père.

 

Une larme affleurant dans chacun de leurs yeux,

Katrina et Morty durent se faire leurs adieux.

Puis le zorgle se tourna afin de s’éloigner,

Et Katie, désolée, ne put que l’observer.

 

Les épaules tombantes, clairement abattu,

Il s’approcha des marches conduisant sous la rue,

Il descendit chacune, d’un pas toujours plus lourd,

Jusqu’au monde des ombres, la fin de son parcours.

 

À ce stade, cher lecteur, il n’y avait plus personne,

Sauf le souffle de la brise et le vent qui marmonne.

Katrina prit conscience, avec lucidité,

Qu’elle n’avait, à vrai dire, nulle part où aller.

 

Alors qu’elle absorbait cette pensée dramatique,

Quelque chose tout près d’elle fit des « cliquetis clics ».

Comme le bruit d’une poubelle qu’on pousse dans un coin,

À l’aide de coups de pied et de grands coups de poing.

« Bien le bonsoir,

ma chère

fit une voix dans la nuit.

 

Je te retrouve enfin !

Nous voilà réunies ! »

 

Et ce ton plein de hargne, ce timbre de matrone,

Katie le reconnut :

c’était madame Krabone !

 

Elle surgit des ténèbres où elle s’était cachée.

« Si tu savais,

dit-elle,

comme tu m’as manqué ! »

Son expression, pourtant, était inattendue :

Elle paraissait hagarde, hésitante et perdue.

« J’ai été odieuse ! Une vraie brute épaisse !

Détestable, malveillante… En un mot : une diablesse !

Mais, à voir ces bestioles, ces êtres insolites,

Ça a touché mon cœur, qu’on prétend de granit.

 

Ces créatures mythiques ont levé mes blocages !

Elles m’ont illuminée ! Et quel bel éclairage !

J’ai changé pour de bon, et pour l’éternité !

Au diable la malice… En avant la bonté ! »

 

Elle déploya les bras. Elle les ouvrit très grand.

Et fit signe à Katie de se lover dedans.

 

La fillette, forcément, ne savait trop que faire.

Ces paroles surprenantes… étaient-elles sincères ?

Elle espérait, bien sûr, que Krabby ait changé !

Qu’elle ait fait une mue ! De la cave au grenier !

 

Le désir de Katie, entre tous le plus fort,

C’était qu’on lui procure amour et réconfort,

Des liens familiaux ou d’autres ressemblants…

Ces attaches essentielles quand on est un enfant.

 

Elle avança d’un pas, le cœur rempli d’espoir :

 

 

Cet

 

instant

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