Le discours de Krabby n’était guère qu’un leurre.
« Je t’ai eue ! » cria-t-elle, cette cruelle mégère,
Promettant à Katie toutes les peines de l’enfer.
Les choses, par la suite, ne devinrent que pires,
Car, depuis la pénombre, s’éleva un soupir,
Puis ce furent des silhouettes, crasseuses et cabossées,
Qui encerclèrent Katie comme des loups affamés.
« Bonjour, mademoiselle, dit le docteur Lagriffe.
J’ai croisé en chemin ce charmant collectif. »
Kat regarda à gauche… puis observa à droite.
De chacun des côtés : des figures ingrates.
Car ils étaient bien là : le MORVEUX, premièrement,
Les narines débordantes, le nez dégoulinant.
Miss Selena Tranchette s’était roulé les manches
Pour prendre sur Katie – finalement ! – sa revanche.
Comme à leur habitude, ces deux sombres voyous
Étaient pendus aux basques de Bugsy le Filou !
Celui-ci arborait son air rogue habituel,
Alors il fit un pas et dit d’un ton cruel :
« Je vois que tes copains t’ont délaissée sans honte…
Il est grand temps, je crois, que l’on solde les comptes ! »
La bande de vauriens serra encore l’écart…
Pour Katie, pas de doute : c’était un traquenard !
MORVEUX et Selena s’approchèrent par l’arrière,
Ils attrapèrent Katie façon « clé circulaire »,
Ils maintinrent ses bras, pendant que, devant elle,
Se plantait le docteur – ce dément criminel.
Dans sa main se trouvait son engin diabolique :
Sa machine à trancher et percer à l’oblique.
Sous l’éclat de la lune, la lame reluisit
Comme le croc d’une bête embusquée dans la nuit.
Il brandit l’éminceuse assez haut dans les airs.
« Je vais percer ici, au niveau des paupières.
Ne bouge pas d’un pouce ou tu auras bobo…
À présent, tu peux
dire adieu à
ton cerveau ! »
Mais une voix, brusquement, s’écria :
«Arrêtez !»
Elle venait de la rue… même de sous la chaussée.
Une plaque d’égout s’ouvrit… et telle une jeune pousse,
Mortimer émergea ! Morty à la rescousse !
« Bande de nazes ! lança-t-il. Quel que soit votre plan,
Arrêtez sans délai ! Stoppez ça sur-le-champ ! »
Sauf que, cette fois-ci, tous s’étaient préparés.
Aucun d’eux n’avait peur. Bugsy, même, souriait.
« Encore toi ? cria-t-il, la mine patibulaire.
Alors, écoute bien, je vais être très clair :
L’autre jour dans notre antre, on a fui illico…
Mais cette fois, mon grizzli, on te fera la peau ! »
le Filou s’avança, d’un air sûr, combatif,
Talonné de tout près par le docteur Lagriffe,
Qui observait Morty (disons plutôt sa tête) :
« Quelle vision fantastique ! Quelle incroyable bête !
Comme j’aimerais avoir ne serait-ce qu’une parcelle,
Une infime portion d’une si rare cervelle ! »
« Désolé, dit Morty, de vous désappointer…
Mais mon cerveau me sert, voyez-vous, pour penser !
Quant à toi, mon Bugsy, je ne te fais plus peur…
Mais mon pote, qu’en dis-tu ? » questionna Mortimer.
Tout autour vacilla, à cet instant précis
(Y compris l’assurance de l’ignoble Bugsy).
Les immeubles, les voitures, les rues et les carrefours :
Tout vibra au rythme d’un pas pesant et lourd.
(et sa carrure hors pair),
Dont la seule démarche claquait comme le tonnerre.
Les deux mains sur les hanches, il entra dans l’impasse,
Se léchant les babines comme un genre de rapace.
Il observa la scène, puis il hurla : « J’ai faim !
Et mon plat préféré, c’est le steak de vauriens !
J’aime leur sang bien salé, leur chair en abondance,
J’aime qu’en les avalant ils bougent dans tous les sens !
De leur peau, il s’élève un parfum de gruyère,
Ils croustillent sous la dent – tels des chips de gangsters !
On peut les cuisiner en quiche ou en soufflé,
Ou encore en dessert : vaurien-sauce-vanillée !
Quant aux plus gringalets, je les avale tout rond,
Les avale et digère comme on gobe un bonbon ! »
« Béhémoth ! fit Morty, le visage rayonnant.
Tu es venu, je crois, au plus parfait moment ! »
Bugsy le Filou, et sa bande friponne,
Et le docteur Lagriffe ainsi que miss Krabone :
Tous restèrent immobiles, figés, au garde-à-vous...
Puis, une seconde plus tard, prirent leurs jambes à leur cou !
Béhémoth, forcément, ce géant insatiable,
Se lança sur leurs traces, criant comme un beau diable :
« Revenez donc ici, mes voyous succulents !
Sans vous, je n’ai plus rien à me mettre sous la dent ! »
Mais aucune réponse de l’odieux groupuscule…
Tous les cinq s’évanouirent, loin dans le crépuscule,
Hurlant comme des putois, tremblotant comme des feuilles,
Le nez dégoulinant et puis la larme à l’œil.
On n’entendit plus que leurs gémissements bientôt
Et, la peur s’étant propagée dans tous leurs os,
Ils couraient bizarrement, sautant et trébuchant,
Enchaînant les faux pas et puis se bousculant.
Sans cesser de crier, la bande disparut,
La mine reconnaissante, Kat regarda Morty.
« Tu sais quoi ? lança-t-elle. Tu m’as sauvé la vie !
Un vrai acte héroïque ! Réellement valeureux !
L’œuvre, indéniablement, d’un type aventureux ! »
Mortimer répondit : « C’est vrai, tu n’as pas tort.
J’ai su ferrailler contre ces esprits retors.
Mais je n’ai pas tout fait ! précisa-t-il sans fard.
Béhémoth, disons-le, a fait plus que sa part !
En matière de courage, je voudrais ajouter :
Ce que j’ai accompli… tu me l’as enseigné. »
Katrina fut flattée, n’empêche qu’elle protesta :
« Pas du tout, lui dit-elle. Tu avais tout en toi.
Ton courage, ton audace et ton instinct vaillant :
Ils te viennent de ton père. Tu les as dans le sang. »
Ces paroles, pour Morty, agirent comme un réveil,
Et la joie l’envahit, des cornes jusqu’aux orteils.
Katrina, en revanche, se sentait déprimée,
Car elle n’avait toujours nulle part où aller.
Elle observa Morty d’un regard fraternel…
Elle aurait tant aimé qu’il demeure avec elle !
Mais, loin de demander, elle baissa le regard.
C’est la fin, songea-t-elle, le terme de notre histoire.
Elle releva les yeux et pensa en souriant :
Je lui rendrai visite, sans doute, de temps en temps.
« Haut les cœurs ! dit le zorgle d’une voix pleine d’entrain.
N’oublie jamais ceci : moi, je reste
ton copain !
Alors pourquoi ne pas venir vivre sous la terre ?
Avec nous autres zorgles, qui sommes comme tes frères ? »
Quel bonheur pour Katie ! Et elle hocha la tête.
« Ce serait un plaisir », dit-elle d’une voix fluette.
« Entendu ! fit Morty. Alors, c’est décidé !
Viens que je présente mon monde et mon foyer !
Déjà, je nous y vois : toi, moi et puis mon père !
Notre premier arrêt sera le dispensaire !
Alors, dépêchons-nous, ou il sera trop tard,
Les visites se terminent à huit heures moins le quart ! »