CHAPITRE 2

Un type bien

Selon vous,
cher lecteur, qui se dissimulait

dans l’ombre des passages reliant les deux quais ?

Contrairement à Krabone, qui était folle à lier,

Katrina, croyez-le, était une fille sensée.

Comment en être sûr ? Quelle est donc ma logique ?

C’est bien simple : sa vision… elle était authentique.

 

Si vous-même la croisiez malgré l’obscurité,

Vous lui diriez « Salut ! » sur un ton dégagé.

Et si j’ose l’affirmer d’un air sûr et certain,

C’est que Morty le zorgle, c’était un type bien.

 

Un zorgle ?! pensez-vous. Enfin, qu’est-ce que c’est qu’ça ?

Une totale invention ! Ce mot n’existe pas !

D’ailleurs, cette créature, à quoi ressemble-t-elle ?

C’est à sa description qu’à présent je m’attelle.

 

Les zorgles sont des êtres fantastiques et rares,

Arborant, sur la tête, bois et cheveux épars.

Ils ont le ventre gros et les épaules carrées,

Et des griffes pointues aux doigts et puis aux pieds.

 

Toutefois, malgré leur apparence redoutable,

Les zorgles sont censés être plutôt aimables.

 

Ils vivent sous la terre, dans des grottes, des galeries,

Où les racines s’emmêlent en apparent fouillis,

Alors qu’alimentées de ruisseaux et rigoles

Elles forment des cités aussi belles que folles.

 

Un zorgle ? songez-vous. C’est du n’importe quoi !

Je n’en ai jamais vu, donc ça n’existe pas !

 

Alors je vous réponds (et faites preuve d’honnêteté) :

Savez-vous, en tout cas, réellement observer ?

Les gens, le plus souvent, refusent ce qu’ils voient !

Songez-y… et vous en conviendrez avec moi.

 

S’ils repèrent une chose qui leur semble bizarre,

Ils se disent : « C’est truqué ! Je vais me faire avoir ! »

Ils se pensent victimes d’une hallucination

Affectant tous les sens, et surtout la vision.

 

L’explication est plus simple qu’on ne le soupçonne :

Rares sont ceux qui exploitent pleinement leurs neurones.

 

« Impossible ! disent-ils. Je suis trop occupé !

Pas le temps de me laisser aller à rêver ! »

 

Donc si vous êtes du genre blasé et insensible,

Votre esprit seulement limité au plausible,

Alors : évidemment qu’un visage zorguleux

Vous échapperait même s’il était sous vos yeux !

 

En quelques mots : si l’insolite vous ennuie,

Les pirates, les gadgets, les monarques hardis,

Et si vous contestez toute forme d’extraordinaire,

Alors

 

 

 

POSEZ

 

 

 

 

CE

 

 

 

 

LIVRE....

Dont vous n’aurez que faire

Toujours là ? Recevez toute ma reconnaissance.

(Un livre sans lecteurs… ça n’a plus aucun sens.)

Mortimer Yorgle – on l’appellera « Morty » –

Était un jeune zorgle, au style bien à lui.

Bien qu’il fût aussi doux et aimable que ses pairs,

Il avait une tendance à tout faire de travers.

 

Il portait, par exemple, ses cravates mal nouées

Sur un costume toujours défraîchi et froissé,

Et une gabardine antédiluvienne

Complétée par de tout aussi vieilles mitaines.

 

Enfouie sous la terre se trouvait sa maison :

Un presque taudis sur la rue Rombleton,

Dans un quartier sordide et très mal fréquenté :

« Vieux-Talus », c’est ainsi qu’on l’avait surnommé.

 

Le métier de Morty ? Il était reporter

Au sein de la rédaction de News et Rumeurs,

Dont les bureaux, en perpétuelle ébullition,

Ne connaissaient que cris et folle agitation.

« J’ai un scoop ! J’ai un scoop ! » criait-on sans arrêt.

(Où étaient les rotos ? Personne ne le savait.)

 

La rubrique à laquelle collaborait Morty

Était dédiée au sport, dans l’État de Zorglie.

Et sa discipline reine, parmi toutes préférée,

Était le zorgleball, qu’on pourrait qualifier

De jeu très élégant, comme une combinaison

Entre échecs, baseball et aussi natation.

 

Devant le moindre match, il pouvait s’émouvoir,

Et, après chaque partie – c’est-à-dire tous les soirs –,

C’était le « Panthéon » qu’il allait arpenter :

Un temple en hommage à son sport adoré.

 

Ce Panthéon, bien sûr, était un lieu magique

Pour Morty, qui ne parlait qu’en termes lyriques

De son parquet massif, ses coupes, ses récompenses,

Statuettes de joueurs au parcours d’excellence.

 

À chaque fois, il allait au bout de la galerie,

Là où un stand spécial avait été construit

En honneur de l’équipe du quartier de Talus

Que, plus qu’aucune autre, Morty portait aux nues.

 

Les Titans du Talus : c’était cela le nom

De ce club zorglien de haute réputation.

image

Bien que notre Morty aimât sa profession

Il manquait fréquemment à ses obligations…

 

Toujours en retard et jamais en avance,

Il manquait bien souvent toute la conférence

De rédaction – ce qui, vous l’imaginez bien,

Exaspérait son chef, ce jusqu’au dernier point.

 

Un jour notre Morty arriva tardivement,

Et son boss l’appela par-dessus le boucan :

« Yorgle ! cria-t-il. Espèce de sombre idiot !

Tu n’es qu’un imbécile… redoublé d’un nigaud !

Tu n’as donc pas vu l’heure ? On t’attend tous, ici !

Ça ne t’ennuie donc pas, qu’il soit bientôt midi ? »

 

Avec un grand sourire, Mortimer répliqua :

« Si mon travail est bon, alors l’heure ne compte pas… »

 

« Du temps, on en manque ! » rétorqua le patron,

Avachi sur son siège, avec l’air furibond.

Il le fixa alors un moment et se tut,

Puis dit : « Attends un peu… Tu n’as rien entendu ?! »

 

« Quoi donc ? fit Morty. Je viens de débarquer !

Cette nouvelle, comment aurais-je pu la capter ? »

 

Le rédacteur en chef, après un toussotement,

Expliqua : « C’est un scoop ! À traiter urgemment !

Ils ont tous disparu ! Partis on ne sait où !

Envolés, tous les zorgles de Zorgamazoo ! »

 

« Tiens, tiens…, fit Morty, l’air soudain captivé.

Le nom de ce lieu ne m’est pas étranger…

Mon père, autrefois, s’y est souvent rendu

Et m’a tout raconté… mais je n’m’en souviens plus.

Ils rentreront bientôt – alors pas d’inquiétude !

Ils ont juste voulu changer leurs habitudes. »

 

Le soupir que poussa le chef de rédaction

Résumait à lui seul sa préoccupation :

« Tu es un bon auteur, c’est pourquoi je t’emploie,

Mais encore un retard et je te vire – fissa ! »

 

Le jeune Mortimer jura d’être vigilant :

« Porterman, je te jure qu’à partir de maintenant

Je t’éviterai toute forme de mauvaise humeur :

J’arriverai le matin à, tout pile, huit heures ! »

 

« Je l’espère…, dit le chef. À présent, au turbin !

Et tu bosses sans relâche au moins jusqu’à demain ! »

 

Ni une ni deux, Mortimer déguerpit.

Mais, au lieu de faire tout comme il l’avait promis,

De la porte principale il prit la direction

Et, sur la pointe des pieds, quitta la rédaction.

 

Pourquoi donc s’était-il rapidement esquivé

Après être arrivé si tard dans la journée ?

La réponse, cher lecteur, elle est triste et cruelle…

Et pour bien tout comprendre, voyez son paternel.

 

Le prénom de son père, c’était Bortleby,

Un zorgle vieillissant, au crâne tout dégarni,

Et depuis que Morty avait le plus jeune âge,

Le père et le fils avaient tout en partage.

 

En commun, tout d’abord : cette allure chiffonnée,

Causée par des vêtements jamais bien ajustés.

Ils avaient tous les deux une voix de baryton,

Le zorgleball était leur commune passion.

 

Malgré leur ressemblance, il y avait un point

Sur lequel ils restaient résolument distincts :

image

L’aventure, c’était là une vraie divergence,

Les ayant opposés toute leur existence.

 

Morty, par sa nature, était plutôt frileux,

Contrairement à son père, vaillant et courageux,

Dont l’esprit d’aventure irriguait toutes les veines

Mais n’était, semble-t-il, pas passé dans les gènes.

 

On aurait dit Morty fait d’une autre matière,

D’une nature opposée à celle, téméraire,

De son « p’pa », qui aimait tant se laisser guider

Vers l’aventure, le risque, le hasard, le danger :

Au fin fond d’une grotte ou en haut d’un torrent,

Sur la trace des « pourquoi », des «  si » et des « comment ».

 

Voyageant, naviguant, et par monts et par vaux,

Il était vu par tous comme un genre de héros.

 

Seulement les choses changent – eh oui… c’est comme ça.

Et le temps comme la vie ne le ménagèrent pas.

Monsieur Yorgle, à présent, malade et affaibli,

N’avait plus pour destin que de rester au lit.

 

Il souffrait, voyez-vous, d’une atteinte aux poumons,

Qui nuisait gravement à sa respiration.

Il avait mal partout, du crâne jusques aux pieds,

Et trop souvent devait être hospitalisé.

Voilà pourquoi Morty passait pour négligent

Auprès de ses collègues, et pour inconséquent :

À la moindre occasion, il filait voir son père

À Notre-Dame-de-Zorgle – nom de son dispensaire.

Ils discutaient des heures, près des piles de radios,

Et de tout et de rien, et de trucs rigolos.

 

Quand les heures de visite touchaient à leur fin,

Mortimer annonçait : « Je reviendrai demain. »

Pour alléger l’ambiance, il tentait une boutade,

Puis, d’un geste maladroit, enlaçait le malade,

Redoutant, plus que tout, qu’avant la prochaine fois

Bortleby fût passé de la vie au trépas.

 

Et pourtant, bien que sachant son avenir scellé,

Le vieux Bortleby gardait un ton léger.

Il lançait joyeusement à son fils : « À bientôt !

Demain il fera beau, d’après la météo ! »

image

Mortimer, après ça, rentrait à la maison,

Se mettait au travail et, sans interruption,

Tapotait sur les touches de sa vieille machine,

Remuant les genoux et raidissant l’échine,

Il œuvrait dans la noirceur totale de la nuit,

Et pour s’encourager sifflait une mélodie.

Car Morty estimait, c’était sa conviction,

Qu’en chanson on fait mieux face à ses émotions.

 

C’était peut-être vrai, mais il y avait un hic :

Quand il œuvrait à son travail journalistique,

Loin de se contenter de siffler… il chantait

Sans effort pour rester un tant soit peu discret.

 

Ses voisins, forcément, s’énervaient aussitôt :

« On essaie de dormir et, en plus, tu chantes faux ! »

Le chanteur se forçait donc à baisser d’un ton,

Mais alors revenaient ses préoccupations

Sur son père, sur la mort, sur le sens de la vie…

N’empêche qu’au matin l’article était fini.

 

Ce rituel aurait pu encore longtemps durer

(Écriture la nuit ; hôpital la journée)

Si certains événements n’étaient pas survenus,

À l’origine d’une aventure imprévue…

 

Maintenant que sont faites les présentations,

Et qu’arrive le terme de mon introduction,

Il est temps, cher lecteur, que vous appreniez…

Que Morty et Katie,

leurs destins sont liés.