Bordé comme un enfant, jusqu’au niveau des joues,
Dans un lit en métal posé sur quatre roues.
Installé douillettement, mais malade comme un chien,
Ne pouvant que par râles exprimer ses besoins.
Livide comme la mort, sans aucune vigueur.
Les médecins prédisaient : « Il lui reste quelques heures. »
Mais, quand Bortleby Yorgle vit paraître Morty,
Son visage s’éclaira d’un sourire ravi.
« Papa ! fit Mortimer, s’élançant vers son père.
J’ai vécu l’aventure la plus extraordinaire ! »
Il lui fit son récit avec fougue, comme en transe,
Mais son p’pa, d’un mouvement, demanda le silence.
« Je sais ce que t’as fait, et avec quel brio !
Ils ne parlent que de ça, tu sais, à la radio.
Tu as pris un chemin et, arrivé au bout,
Tu as sauvé les zorgles de Zorgamazoo ! »
« Les zorgles ! dit Morty. Et puis tous leurs compères !
Le bestiaire au complet des légendes de naguère !
Ils étaient des milliers, des myriades, des kyrielles
Secourus par mes soins et… Katrina Katrell. »
Alors Kat s’avança, surgissant du couloir,
Là où elle patientait, dans le sombre du soir.
Elle s’approcha du lit, avant de déclarer :
« C’est un réel honneur d’enfin vous rencontrer. »
Bortleby remua sous la lueur des néons
Et toussa à croire qu’il cracherait ses poumons.
Le vieillard murmura, nonobstant ses douleurs :
« C’est à moi, jeune fille, que revient tout l’honneur. »
La fillette sourit… et devint écrevisse !
Elle détourna les yeux vers le sol de l’hospice.
« Cher monsieur, vous avez bien observé, je crois,
Que Morty s’est montré aussi brave que moi.
Car il m’a secourue ! Et à deux occasions !
Apportant constamment soutien et affection.
Il m’a appris qu’une âme, lorsqu’elle est trop fougueuse,
Peut s’enferrer dans des circonstances fâcheuses…
Et puis qu’en général le goût de l’aventure,
S’il n’est pas mesuré, occasionne des blessures.
Sauf que moi, l’aventure… c’est ma grande passion !
Je peux même affirmer que c’est une obsession.
Mortimer, en revanche, aime la sécurité
Et le confort douillet d’un feu de cheminée.
Mais, contre son instinct, contre ses inquiétudes,
Mortimer a rompu avec ses habitudes.
Nous sommes donc différents, sur cet aspect au moins :
Le courage de votre fils, il dépasse le mien !
Tout cela pour vous dire, sans circonlocutions :
C’est Morty le héros, dans toute sa perfection ! »
Le vieux Yorgle sourit. « C’est vrai, c’est sa nature,
D’être un zorgle héroïque, d’ailleurs j’en étais sûr. »
Puis il dit à son fils, la voix pleine de chaleur :
« À mes yeux, tu as toujours été le meilleur. »
Il fit signe d’approcher, de ses doigts tout tremblants.
« Vous savez, mes enfants, il me reste peu de temps.
Je suis, comme on le dit, tout au bord de la tombe,
Et bientôt, sans nul doute, je quitterai ce monde.
Après quoi, mon fiston, tu seras esseulé.
Tout comme Katrina, sans personne pour t’aider.
Oui mais, les aventures, voilà qui crée des liens !
Des liens qui rendent unis comme les doigts de la main !
Alors promettez-moi, pupilles dans les pupilles,
Que vous vous soutiendrez comme le fait une famille. »
Katrina s’inclina et dit en acquiesçant :
« Monsieur Bortleby Yorgle, on en fait le serment. »
Soudain Morty cria : « P’pa ? Est-ce que tout va bien ? »
Car son père reposait, sans mouvement aucun.
Son fiston le fixait, confondu, pétrifié.
Y sommes-nous ? songeait-il. Son heure a-t-elle sonné ?
Alors Bortleby Yorgle sourit à Mortimer,
Un sourire révélant une lueur intérieure.
« Comme tu m’as rendu fier... », souffla-t-il, très ému.
Après quoi Bortleby… tranquillement mourut.
Il n’y a, cher lecteur,
nul besoin
d’être morose.
Le trépas, chez les zorgles, n’est pas une mauvaise chose.
Car en majorité, quand ils meurent très vieux,
Ils laissent le souvenir d’êtres gais et joyeux.
Ainsi les funérailles se déroulent dans la liesse,
À l’image de vies vécues dans l’allégresse ;
Et le père de Morty étant mort centenaire,
Ses obsèques ne furent ni déchirantes ni austères.
Au contraire, elles furent l’occasion de réjouissances,
À l’image de sa vie, dès l’heure de sa naissance !
Son cercueil fut couvert de fanions, de rubans
Et de longues guirlandes en guise d’ornement.
Ces parures colorées voletaient de partout
Quand on porta le corps jusqu’à Zorgamazoo.
Les convives s’étaient mis, de façon circulaire,
Autour de ce qu’on nomme « monticule funéraire ».
Et quelle foule, mes amis ! Des zorgles mais aussi
Le bestiaire au complet des mythes et récits !
Car, tous ayant appris qui était décédé,
Des quatre coins du monde ils avaient afflué !
Les elfes et les yétis escortaient les dragons
Et les ogres – qui venaient d’une autre direction.
Il y avait avec eux les monstres des rivières,
Et bien sûr les phénix, flamboyants dans les airs.
Winnifred était là – ainsi que tout son clan,
Arrivé de ses terres faites d’escarpements.
Les gorgones, les lutins, les faunes, les loups-garous,
Sans compter tous les zorgles de Zorgamazoo !
Chacune des créatures que Yorgle avait connues
À cette fête mortuaire avait vite accouru.
C’est ainsi que Morty, bien que dans le tourment,
Sut qu’il ne connaîtrait jamais l’isolement :
Ces êtres si nombreux… étaient tous ses amis !
Les liens d’affection semblaient s’être transmis !
Il essuya une larme, d’une main maladroite,
Se leva, ajustant sa fameuse cravate.
Alors il prononça la funèbre oraison,
Que la foule entonna, car c’était une chanson.
Quand la cérémonie eut tiré à sa fin,
Les convives, un à un, se remirent en chemin,
Après avoir, bien sûr, comme il est dans l’usage,
Présenté une dernière fois leurs hommages.
Dans une maisonnette, en bordure du sentier,
Faite de chaume, et de bois, et de tiges de blé,
Construite dans un arbre, ni trop large ni trop fin,
Un trio de copains se reposait enfin.
Dans un siège, un jeune zorgle, roulé dans son imper,
Portant autour du cou une cravate de travers.
La deuxième créature, coiffée de mille anglaises
Ornées d’autant de perles, se lovait sur sa chaise.
La troisième du trio – de loin la plus curieuse –
N’était ni très poilue, ni énorme, ni hideuse ;
Une fillette normale, sans rien de singulier,
Mais du genre qu’on ne saurait jamais ignorer,
Dont l’esprit est rempli de pensées inouïes,
De pirates, de gadgets, de monarques hardis !
Ils avaient des coussins et puis des oreillers,
Un bon chocolat chaud et de quoi grignoter.
Blottis au coin du feu, comme un soir de Noël :
Winnifred et Morty… et Katrina Katrell.
Nous voici,
cher lecteur,
au terme du récit.
quelques mots sur
ce qui s’ensuivit.
Winnifred retourna auprès de son troupeau
Diriger l’équipe de zorgleball windigo.
Car son premier amour – et aussi son point fort –
Était cet exigeant et ingénieux sport.
De retour dans les stades où elle aimait tant jouer,
Les terrains ombragés par temps ensoleillé,
Elle reprit l’entraînement au poste de lanceur,
Avec pour seul modèle : le mythique Sniper.
Lorsqu’il revint à son poste de reporter,
Ce fut une saga qu’écrivit
Mortimer :
Une chronique détaillée, révélant les dessous
De ses folles aventures à Zorgamazoo.
Chaque semaine, un nouveau chapitre paraissait,
Et l’histoire devint vite un immense succès !
Le public exprima un réel engouement
Pour l’histoire (et le style, tout aussi stupéfiant).
Les lecteurs de tous âges : les vieillards, les gamins,
Les mourants, les malades et ceux parfaitement sains,
Peu importe leur durée de vie sous le soleil,
Des litres d’Enchantium coulaient de leurs oreilles !
Car les histoires de zorgles, c’est une règle sacrée,
Sont écrites tout entières en rimes versifiées.
Certains crient au délire ! D’autres jugent magnifique
Un roman qui respecte une parfaite métrique !
Et cette fable, cher lecteur, entendons-nous bien :
C’est le livre qu’à présent vous tenez dans vos mains.
Mais enfin, Katrina ? Notre
Son destin fut celui des héros éternels :
Elle parcourut le monde au gré des aventures.
Elle en vécut tant d’autres ! Palpitantes, bien sûr !
Morty l’accompagnait dans ses péripéties
(Peu importe la distance, il disait toujours oui !)
Et, au fil des voyages, des périples, des virées,
Tous deux restèrent amis et unis à jamais…
Ils connurent une vie faite d’inattendu
Dans un monde fourmillant d’animaux incongrus,
Un monde merveilleux, plus même qu’auparavant,
Rempli d’esprits malins et d’autres bienfaisants,
Où les mers regorgeaient de monstres et de sirènes,
Et les forêts grouillaient de lutins indigènes.
Un monde où des êtres mystérieux parcouraient
Les tunnels et conduits serpentant sous nos pieds,
Des tréfonds de la terre jusqu’aux plus hauts summums :
Un monde balayé de
gaz
d’Enchantium !