CHAPITRE 4

Dévoré par les flammes

Ainsi commença l’histoire de Katrina

Échappant à Lagriffe – ce docteur scélérat.

À l’inverse, le début de l’histoire de Morty

Arriva à la suite d’une étrange loterie.

Qu’avait-elle d’étrange ? En deux mots : son gros lot,

Qui n’était ni un loft, ni un luxueux bateau,

Pas de mets délicieux, ni de coûteux vêtements,

Ce lot-là était résolument différent.

 

Vous voulez connaître la nature de ce lot ?

Vous le saurez, mon cher lecteur, bien assez tôt…

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Au quartier de Talus, il était tard la nuit,

Et Morty rouspétait en retournant chez lui.

Il avait passé toute la journée en tension

Pour finir ses articles avant l’heure d’impression.

 

Épuisé, il marchait d’un pas lent, asthénique,

Le moral à zéro, l’humeur mélancolique.

Il n’avait, pour tout dire, qu’une seule obsession :

Celle de se mettre au lit, retrouver sa maison.

 

Mais, avant de pouvoir être à l’horizontale,

Il devait, comme promis, passer à l’hôpital.

 

C’est alors qu’il perçut une brise odorante,

Une senteur prononcée et assez déplaisante :

Âcre, pourrait-on dire, tirant vers le brûlé,

Comme un plat sur le feu qu’on aurait oublié.

Cette odeur chatouilla ses moustaches et son nez.

Il s’arrêta alors… et resta bouche bée.

 

Pas possible… pensa-t-il. Un feu ?

Mais où ça ?

Il huma l’atmosphère et encore renifla.

Le parfum le guida jusqu’au bout de la rue…

Et là Mortimer Yorgle crut avoir la berlue.

 

Car le Panthéon qu’il aimait tant arpenter…

Était, de toutes parts, par les flammes dévoré !

« À l’aide ! Au secours ! s’exclama Mortimer.

Il faut absolument empêcher ce malheur ! »

Il agitait les bras et courait de partout.

« Appelez les pompiers ! Vite, dépêchez-vous ! »

 

À ses cris, ses appels, personne ne répondit,

Car il était tout seul – en plus d’être ébahi.

Ce lieu dont il connaissait chacun des méandres...

Il était sur le point d’être réduit en cendres !

 

C’était trop pour Morty, au bord de défaillir

En voyant que personne n’allait intervenir.

Quand, soudain, il prit une étonnante décision :

C’est à moi, dans ce cas, de passer à l’action…

 

Il se leva, malgré une peur effroyable

Et par-dessus sa tête mit son imperméable.

Puis, voyant une fenêtre exempte de fumée,

Il inspira une fois… avant de s’élancer.

 

De plus en plus vite, rapide comme l’éclair,

Il plongea vers la vitre… et en brisa

      le verre !

 

À l’intérieur, c’était proprement terrifiant :

La fumée, la chaleur et cet air étouffant !

Les parois, elles, luisaient d’une teinte orangée,

Et les nobles parures : transformées en brasiers !

 

Il faisait, disons-le, une chaleur de fou,

Et Morty décida de se mettre à genoux.

Puis se mit à ramper, tel un alligator,

Parcourant, à plat ventre, l’immense corridor,

Et, dès qu’il le pouvait, d’une main attrapait

Une statuette, une coupe, ou toute sorte d’objet.

 

Sauf qu’au bout du couloir la chaleur était pire,

Suffocante au point que Morty crut s’évanouir.

C’est là que se trouvait, derrière une vitrine,

Une relique plus précieuse encore que ses voisines :

 

La balle de zorgleball, la première lancée

Lors du tout premier match, quand ce sport était né,

Par Cyril de Zorgle – surnommé « le Sniper » –,

Alors que les équipes étaient toutes amateurs.

 

Morty ouvrit la vitre et préleva la balle,

L’incendie progressant à l’allure d’un cheval

Lancé au grand galop, projetant de toutes parts

Des éclairs, des éclats et un épais brouillard.

 

Le jeune Yorgle sut alors, comme on dit couramment,

Qu’il fallait se tirer tant qu’il en était temps !

 

Sauf qu’il ne voyait rien, dans cette fumée dense !

Et la chaleur ambiante était bien trop intense !

Se traînant sur le ventre, il mit cap sur la porte

Avant que l’incendie pour de bon ne l’emporte !

 

Mais, encore loin du but, il se mit à tousser,

Inspirant malgré lui quantité de fumée.

Plus le moindre effort n’était possible dès lors…

Il était, disons-le, à deux doigts de la mort.

 

La nausée au ventre et la vision floutée,

Il n’était plus possible pour Morty de bouger.

Mais c’est à cet instant que lui parvint un son,

Comme le bruit d’une hache martelée sur un tronc.

Puis résonnèrent des pas – le bruit de nombreuses bottes :

Une armée de zorgles… et leurs compatriotes !

 

Ils formèrent un cercle tout autour de Morty,

Qui était, à ce stade, pratiquement évanoui.

Mais il n’eut aucune crainte avant de se pâmer,

Car les bottes…

étaient celles d’une escouade de pompiers.

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Quand Morty s’éveilla, il était étendu

Dans un lit avec un maigre coussin dessus.

Les cloisons de la pièce étaient peintes tout en blanc

Et l’éclairage si cru qu’il était aveuglant.

 

Il sourit car, enfin, n’était-ce pas ironique

Qu’à son tour il put être admis dans une clinique ?

Ensuite il s’observa, et puis se rembrunit :

Son corps était blessé, ses cheveux pleins de suie.

 

Pauvre nul ! songea-t-il. Tu n’as rien dans la tête !

Qu’imaginais-tu donc ? Fallait-il être bête ?!

 

C’est alors qu’une voix soudain l’interrompit

(Il avait visiblement de la compagnie) :

« Tu es donc revenu ! » Et Morty percuta

Qu’il était dans la chambre d’hôpital de son p’pa !

 

Mais le fils répondit : « J’ai fait n’importe quoi…

Il n’y a qu’à regarder : je suis tout de guingois. »

 

« Comment ça ?! dit son père, pris de stupéfaction

(Tout au fond de ses yeux brillait l’admiration),

Ne te laisse pas miner par quelques cicatrices !

Tu connais le dicton qui dit : tel père… tel fils ! »

 

Mais l’autre grommela : « Toi, tu trouves ça génial !

Moi, je me sens stupide, et puis surtout j’ai mal.

Pire encore, je me sens ridicule et idiot…

On ne m’y reprendra vraiment pas de sitôt ! »

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« Chut ! » fit son père, désignant du menton

Une ombre se tenant dans la chambre, vers le fond.

Un zorgle à l’allure respectable et soignée,

En manteau de cachemire recouvrant un gilet.

« Qui êtes-vous ? dit Morty. Vous êtes là depuis quand ?

Nul besoin d’embaumeur… car je suis bien vivant ! »

 

L’inconnu ignora cette note d’ironie,

Mais passa une main sous sa cape à longs plis

Et en sortit une feuille enroulée avec soin,

Ressemblant à un vieux et précieux parchemin.

 

Le manuscrit se déroula jusqu’à ses pieds,

Révélant un graphisme aussi fin qu’appliqué.

 

« Cher Monsieur,

dit le zorgle, débutant la lecture

De ce long document à la noble écriture.

Sachez que le BUREAU DES HÉROS ET PROUESSES

A bien enregistré l’exceptionnelle hardiesse

Dont vous avez fait preuve, ainsi que la vaillance,

Le courage, la bravoure qui forment votre essence.

 

Grâce à votre combat au cœur même du brasier,

Le Panthéon pourra être en tout rénové !

Un tel héroïsme est plus rare qu’on ne le pense,

Aussi nous vous offrons, en guise de récompense… »

 

L’inconnu se pencha alors vers le blessé

Et prononça ces mots en tendant un billet :

« En vertu des pouvoirs qui me sont impartis,

Je vous remets, monsieur, ce ticket de loterie. »

 

Sur le coupon s’inscrivaient des lettres grenat :

« NOUS CHERCHONS UN HEROS… ALORS POURQUOI PAS TOI ? »

Mortimer lut ces mots – son regard se voila :

« Merci bien, mais héros… ça n’me ressemble pas.

 

Je connais vos techniques : vous donnez instruction

À de pauvres personnes d’accomplir une mission,

Qui s’avère, à chaque fois, dangereuse et risquée,

Mais n’ayant ni intérêt ni utilité.

À leur soi-disant cran vous voulez leur faire croire…

Eh bien, moi, cher monsieur, je n’me fais pas avoir !

 

À ce jeu, le vainqueur est en fait le vaincu,

Envoyé à la mort – quelles que soient ses vertus !

Pour terminer et sans vouloir vous injurier :

Me voir comme un héros ?! Vous vous illusionnez ! »

 

Le zorgle, cependant, déclara aussitôt :

« J’insiste, cher monsieur ! Et je m’inscris en faux !

C’est un honneur immense ! Et un grand privilège !

Reporter ? Décliner ? Enfin, quel sacrilège !

Et sachez que vous êtes dans l’obligation

D’accepter – c’est écrit dans la législation ! »

 

Alors, avec respect, il s’inclina bien bas.

« Vous êtes un héros, que ça vous plaise ou pas. »

Puis il quitta la pièce, avec le menton haut,

Son précieux parchemin et son somptueux manteau.

 

« Tu parles ! fit Morty. Il n’y a aucun espoir

Que je serve, dans une loterie, de faire-valoir ! »

Alors il se tourna et vit son paternel

Qui souriait à pleines dents, et encore de plus belle.

 

« Quelle chance, cria-t-il, tu ne le vois donc pas ?

Tu peux sauver le monde, en restant vraiment toi !

C’est cela que veut dire d’avoir été choisi,

Si j’avais été jeune, c’est moi qu’ils auraient pris ! »

Il y avait dans ses yeux tant d’espoir, de croyance…

« Oh, Morty ! C’est une magnifique récompense ! »

 

« Pour toi, p’pa, qui aimes les défis de la sorte…

Mais, moi, je fais quoi si vraiment je l’emporte ? »

Le vieux Bortleby doucement répliqua :

« Nous sommes différents, je ne l’ignore pas.

Mais moi, tu le sais, je suis bien mal en point,

Plus malade chaque soir, pire encore le lendemain. »

 

Il regarda alors son fils droit dans les yeux.

« Un jour, lui prédit-il, je monterai aux cieux,

Mais avant cette date je voudrais, mon enfant,

Que tu vives l’aventure… et un peu d’amusement ! 

 

Tes chances sont faibles, ça, bien sûr, je le sais…

Tu vas sans doute perdre, oui, mais si tu gagnais ?

Ma demande… vois-la comme ma dernière volonté,

Ma dernière requête avant de succomber. »

 

Il n’y eut plus un mot pendant un long moment,

Le regard de Morty perdu dans le néant.

Puis il posa les yeux sur son père épuisé,

Sa mine pleine d’espoir… et de douleur mêlés.

 

Et sa main sur le fameux coupon se serra.

« D’accord, admit-il. Je le ferai pour toi.

Seulement, il y a un point que je n’ai pas compris :

Si je gagne… en quoi donc consistera le prix ? »

 

Le vieux Bortleby esquissa un sourire,

Et dit que la réponse… finirait par venir.