CHAPITRE 5

Le tirage au sort

Le lendemain soir,

à sept heures tapantes,
Devant l’entrée de la salle polyvalente,

Fut placée une affiche, rouge et liserée d’or :

« Bienvenue, disait-elle, au grand tirage au sort ! »

 

Dedans patientaient des zorgles par centaines,

De toutes les contrées, dont certaines lointaines,

Des types costauds, robustes comme des montagnes,

Dont chacun connaissait le goût pour la castagne.

 

Sur la scène se trouvait un orchestre symphonique,

Qui se mit à jouer pour chauffer le public.

Les rideaux se levèrent et tout le monde applaudit,

 

Découvrant sur l’estrade une chose inouïe :

L’engin le plus étonnant

qu’on ait jamais vu,

Comme un gros appareil tout de marbre conçu.

 

Des leviers, des tuyaux l’infiltraient de partout,

Suspendus par des câbles et fixés par des clous ;

 

Avec un entonnoir, un cylindre, des leviers,

Des rails, des passerelles, ainsi qu’un pédalier,

Des touches, des boutons, des tubes, des antennes,

Des balanciers récents, des pendules à l’ancienne,

Des moteurs et des treuils, des turbines et des rampes,

Des ampoules vacillantes attachées à des lampes,

Des attaches, des rivets, des crochets, des arceaux,

Des glissières, des poignées, des prises et des panneaux,

Deux hélices ou trois, actionnées par des manches,

Des cols de cheminée, des chaînes et des planches !

 

Le silence se fit. Comment oser parler ?

Une étrange ambiance venait de s’installer…

Lorsque soudain un homme – en fait : l’animateur –

Apparut sur la scène devant les spectateurs.

C’était un type petit et plutôt rondouillard,

Fébrile comme s’il avait des vers plein le costard.

 

« Bienvenue, lança-t-il, pour cette belle soirée !

Je vous devine tous impatients de commencer,

Car l’engin posé sur cette illustre tribune

Offrira, à l’un de vous, l’heureuse fortune !

N’est-il pas magnifique ? Est-ce qu’il n’est pas beau ?

C’est le Robot Devin Choisisseur de Héros ! »

 

Une ovation, alors, s’éleva du public !

Moins un seul spectateur : Mortimer le sceptique.

 

Le Monsieur Loyal attendit patiemment

Que le calme se fasse, suite aux applaudissements.

« Vos noms, reprit-il, sont inscrits sur des boules,

Au nombre de neuf cents – soit autant que cette foule.

Je n’ai qu’à actionner le levier du robot,

Et les rouages internes enclencheront les rouleaux.

 

Les boules glisseront dans ce tube au sommet,

Afin d’effectuer le circuit au complet.

Mais une seule de ces sphères émergera enfin

Au bout du mécanisme, dans le Bol du Destin. »

 

Ce « Bol du Destin » avait tout d’un tonneau,

Aussi épais que lourd – un baril, en plus gros –,

Avec, bien visible, sur l’un de ses côtés,

Et formée de rubis, une énorme lettre

image

Soudain, Morty cria : « Attendez, un instant !

Quand annoncerez-vous ce qu’emporte le gagnant ? »

 

Le bonhomme sur l’estrade inclina son chapeau.

« Mais, bien sûr, cher monsieur, j’y arrive bientôt :

C’est pour une aventure, que vous êtes réunis,

Or, comme certains l’ont lu dans la presse aujourd’hui,

Les zorgles de la campagne semblent avoir disparu…

Dissipés en pleine nuit, peut-être même perdus.

 

Ce soir, donc, le vainqueur gagnera une boussole,

Une carte, une torche et un tapis de sol,

Et d’autres accessoires nécessaires pour faire face

À une expédition qui s’annonce coriace.

 

Plus remarquable encore que tout cet outillage,

Le vainqueur gagnera un fabuleux voyage,

Pendant lequel il devra localiser où

Se dissimulent les zorgles de Zorgamazoo ! »

 

Pour Mortimer, ce prix était à l’évidence

Une corvée… qu’on faisait passer pour une chance.

 

Mais, de tergiverser, il n’y avait pas le temps :

Les tambours de l’orchestre commençaient leurs roulements !

Alors Monsieur Loyal alla pour se poster

 

À côté du robot, la main sur le levier.

 

« Surtout, conclut-il, quel que soit le gagnant,

Sachez que cette machine est fiable à cent pour cent !

Elle œuvrera, sans faute, à la désignation

Du zorgle le plus apte à cette expédition ! »

 

Il observa la foule, après quoi il sourit.

« À présent, cria-t-il, que commence la loterie ! »

Sa paume sur la manette d’un seul coup s’abaissa,

Et les boules tombèrent dans un grand

image
image
image

Au terme de ce circuit, la machine se tut,

Ne laissant aucun doute concernant son issue :

Un résultat limpide, authentique et certain,

Indiqué sur la boule dans le Bol du Destin !

 

Notre Monsieur Loyal fila d’un pas pressé

Vers cette caisse si précieuse où la boule attendait.

 

Il la prit dans sa main et lut le nom dessus…

Puis stoppa.

Réfléchit.

La mine peu convaincue.

 

« Ça alors… souffla-t-il. Difficile d’y croire…

Mais c’est Mortimer Yorgle le vainqueur de ce soir ! »

 

Tous les zorgles, aussitôt, fouillèrent la foule des yeux,

Tentant de reconnaître le gagnant parmi eux.

C’était lui, Mortimer, le champion légitime !

Le vainqueur de ce jeu, malgré ses chances infimes !

 

Impossible…, songea-t-il. Il y a une erreur !

Il se mit à trembler et eut un haut-le-cœur.

Il suait à grosses gouttes, au bord de défaillir.

« Me voir comme un héros – ça relève du délire !

Je n’suis qu’un reporter, sans rien de fantastique,

Et sujet, de surcroît, à des crises de panique ! »

 

Soudainement, il pensa à son pauvre papa,

Dont les maux et douleurs ne s’amélioraient pas.

Il pensa à son père sur son lit d’hôpital,

Recouvert de bandages des hanches aux cervicales.

 

Alors, malgré la peur et puis l’appréhension,

Morty soudain n’eut plus une seule hésitation.

 

Il quitta son fauteuil,

Et lentement parcourut

La salle jusqu’à la scène,

Pour y chercher son dû.

image

À ce moment précis, à Notre-Dame-de-Zorgle,

Dans l’esprit vif encore de Bortleby Yorgle,

Une question sans arrêt revenait en lubie :

Mortimer avait-il remporté la loterie ?

 

Aussi quand son fiston déboula brandissant

Une feuille de route accompagnée d’un plan,

Le vieux Bortleby sut, et sans ambiguïté,

Que son rêve le plus cher allait être exaucé !

 

« Voilà, dit Morty, comme un nœud dans la voix,

On m’a donné cette carte à rapporter chez moi.

C’est terrible… J’ai gagné, malgré mes prévisions,

Et voilà qu’on me charge d’accomplir une mission.

En d’autres circonstances, je la trouverais cocasse.

Mais voilà, cher papa, cette histoire me dépasse ! »

 

Son père le taquina : « Espèce de poule mouillée !

Tu vois comme je suis fier ? En plus d’être enchanté ?

Tu vas le faire pour moi – alors trêve d’inquiétude.

Ce voyage te fera prendre un peu d’altitude. »

 

Il observa son fils, puis poussa un soupir,

Car l’heure était venue pour Morty de partir.

 

Il ajouta doucement : « Je te souhaite bonne chance.

Si parfois tu sens poindre la désespérance,

Coincé en haut d’un arbre, dans la boue enlisé,

Rappelle-toi : ton père t’aime. Ça, ne l’oublie jamais ! »

 

Mortimer répondit : « Je t’aime aussi, papa !

Si je fais ce voyage, c’est seulement pour toi. »

 

Alors ils s’enlacèrent, s’embrassèrent de bon cœur,

Et Morty s’en alla… taraudé par la peur.