CHAPITRE 6

Le Gang des Filous

En surface, dans ce monde qui vous est familier,

La jeune Katrina s’était donc échappée.

Mais vers où fuyait-elle ? Elle n’aurait su le dire…

Elle n’avait qu’un seul but : continuer de courir !

 

Sauf qu’une pluie torrentielle s’était abattue,

Inondant les boulevards, les carrefours et les rues,

Et trempant jusqu’aux os la pauvre Katrina…

Mais elle devait poursuivre ! Elle n’avait pas le choix !

 

Car, madame Krabone, elle était sur sa trace,

Faisant peser sur elle sa terrible menace,

Accompagnée, bien sûr, du doc Lobotomie,

Qui promettait de faire de son crâne du hachis !

 

Ce dont la jeune fille avait le plus besoin,

C’était juste un abri, au sec et clandestin.

 

Elle aperçut alors une possible cachette,

Au bout d’une ruelle, comme une trappe discrète

Dans un mur – à vue d’œil, une porte oubliée

Ou l’entrée d’un passage plus guère fréquenté.

 

Sur la droite du mur était une planche en bois

Accrochée à la brique par un bout de raphia.

Sur ce panneau, des mots écrits négligemment,

Comme tracés par la main maladroite d’un enfant.

 

Mais, en regardant bien, on pouvait déchiffrer

Un message

menaçant

(et mal orthographié) :

 

« Hé, vous ! Oui, vous qui lizez ! D’où ke vous soyez,

D’ici ou bien encore d’un tout autre kartier,

Votre nom ? Croyez-nous : on veut pas le savoir !

Fichez-nous donc la paix ! Et allez vous faire voir !

 

(Et si, par pur hazard, vous z’auriez pas compris :

En un mot comme en cent, FICHEZ

LE CAMP D’ICI !)

 

Pauvre chien égaré ! Retournez à la niche !

Cet endroit, c’est chez nous ! Alors filez ! Capiche ?

Vous insistez, vraiment ? Pour QUI vous prenez-vous ?!

À vot’ place, on s’méfierait du GANG DES FILOUS ! »

 

Au-dehors, la ruelle, elle, était inquiétante,

Et du ciel s’écoulait toujours une pluie battante,

Les rafales soufflaient fort, à décorner les bœufs,

Et le panneau, ma foi, était bien poussiéreux.

 

Alors Katie, bien sûr, ne vit pas le message

Et décida d’entrer dans le grossier passage.

 

Pataugeant dans les flaques, elle saisit la poignée,

La tourna… pour découvrir que la porte s’ouvrait !

Elle tira le battant et vit qu’à l’intérieur

Une échelle conduisait au niveau inférieur.

 

Sauf que les barreaux étaient tout de guingois,

Susceptibles de céder sous le plus faible poids.

Katrina descendit précautionneusement,

Surveillant les degrés ainsi que les montants.

 

Tout en bas, sur les murs sales et dénudés,

Des ombres, telles que des spectres, partout semblaient flotter.

 

Alors, sondant la pièce, Katrina découvrit

Comme un guichet d’entrée et un autre de sortie,

Les anciens rails rouillés d’un réseau souterrain

Et les plans d’autrefois du métropolitain.

Katie n’eut pas besoin d’une longue réflexion

Pour comprendre que c’était… une gare à l’abandon.

Sauf que, Kat, à ce stade, était exténuée,

Incapable de poursuivre, même contrainte et forcée.

Il lui fallait très peu : rien qu’un petit recoin

Afin de se reposer pour une heure au moins.

 

Après bien des recherches, elle trouva un endroit,

Un peu moins encombré d’ordures et de fatras.

La fillette se lova dans cette alcôve de pierre,

Épuisée, abattue… et surtout solitaire.

 

Mais pile au moment où elle allait sombrer,

À l’instant où ses paupières allaient se fermer,

Où son corps tout entier glissait dans le sommeil…

Un martèlement de pas parvint à ses oreilles !

 

« Tiens, tiens…, fit une voix tranchante comme une scie,

On dirait que quelqu’un a commis un délit !

Si la loi en question, elle n’est pas officielle

Nous autres, ici-bas, nous ne connaissons qu’elle ! »

 

De quelle loi s’agit-il ? Je vous la remémore ?

Elle dit, sans façon :

 

TOUT LE MONDE

DEHORS !

 

Katie de son grabat se releva d’un coup,

Et se vit entourée d’un trio de voyous !

Deux garçons et une fille, plus âgés qu’elle n’était,

Bande de durs à cuire, à l’air sale et mauvais !

 

La jeune fille arborait des bottes de moto,

Et un chignon tenu par des lames de couteau.

Son surnom, dans la rue :

« Miss Selena Tranchette »,

Le canif étant son instrument de racket.

 

À sa gauche, un vaurien et ancien polisson,

Fagoté de guenilles complétées de haillons,

Son pseudo : « LE MORVEUX »

– c’est ainsi qu’on l’appelait,

Car la morve, de son nez, sans cesse dégoulinait.

 

Le dernier garnement était grand et costaud :

Robuste comme un roc, puissant comme un taureau.

Avec une expression maussade et grimaçante

(Le genre que vous provoquent des toilettes odorantes).

En un unique coup d’œil à sa face de voyou,

Katie le reconnut :

 

« Bugsy le Filou » !

 

 

(Cette bande constituée de trois odieux mioches

N’avait qu’une obsession : celle de vous faire les poches.

On connaissait leurs crimes, leur violence, leurs délits,

Leurs méfaits, leur appétit pour la barbarie :

Incendies volontaires, braquages, détournements,

Vol d’une mascotte de foot au cours de la mi-temps,

Une effraction, encore, chez un vétérinaire…

Mais le tri sélectif – ils n’en avaient que faire !)

 

« Je sais bien qui vous êtes ! lança Kat aux crapules.

Une mafia de gamins, voleurs et sans scrupule ! »

« Très flatté, dit Bugsy en s’inclinant bien bas.

À présent, chère amie : qu’est-ce qu’on va faire de toi ? »

 

« Moi, je sais ! dit la fille aux allures de gangster.

On la force à manger des fruits remplis de vers !

On l’assoit sur une ruche en pleine activité !

On lui râpe les genoux comme on râpe du comté !

On la pique de bâtons, et puis on l’aiguillonne…

Et en cas de survie, d’un coup, je l’éperonne ! »

 

LE MORVEUX acquiesça tout en se pourléchant.

« Tranchette, t’es un génie ! Rien n’est plus évident !

Elle aurait loupé la pancarte explicative ?

Pour ça, elle va souffrir jusqu’à c’que mort s’ensuive ! »

 

« Attendez ! Une minute ! s’écria Katrina.

Juste un mot… avant de vous défouler sur moi,

Avant de m’estropier et encore de plus belle,

Laissez-moi vous apprendre comment je m’appelle ! »

 

« C’est d’accord…, dit Bugsy, quoique l’air irrité.

Mais rapide ! Car après, je te mets ta raclée ! »

Katrina releva son visage doux et frêle :

« Je me nomme Katrina

image

Ensuite elle poursuivit, d’une voix adorable :

« Et j’ajoute de bon cœur : allez tous trois au diable ! »

 

Alors, telle une chatte, elle bondit prestement,

Se soustrayant au cercle de ses assaillants.

 

Mais elle eut le loisir, pendant son évasion,

D’infliger au MORVEUX un coup au pantalon !

 

Par un simple croche-pied, elle projeta Selena

La face la première dans une pile de gravats.

 

Elle se rua alors vers l’archaïque échelle…

Mais sentit soudain deux mains s’abattre sur elle !

 

C’était le Filou, qui, rapide comme une flèche,

Attrapait la fillette par une de ses mèches.

 

Katrina, d’un coup d’œil, regarda en arrière :

Tranchette gisait au sol, cette amère vipère,

Les bottes de traviole, les cheveux en pagaille,

Et sa robe de cuir pleine d’accrocs et d’entailles.

 

LE MORVEUX, pour sa part, semblait franchement sonné

Et, d’un air plein d’aigreur, frictionnait son fessier.

 

« Très bien, clama Bugsy, on laisse tomber la ruche,

Et la râpe pour mettre ses genoux en peluche.

Finalement, il suffit d’aller à l’essentiel :

Un coup précis et franc avec mon Opinel.

 

Alors, chère Katrina, tu peux dire au revoir

À la vie, car maintenant c’est… l’heure du poignard ! »

 

Le couteau fut fourni par l’infâme Selena,

Orné d’une lame brillante et d’un long manche en bois.

La mine de Bugsy ? C’était celle d’un requin,

Terrible et menaçante – une vraie tête d’assassin.

Mais, avant même d’avoir affûté son canif

Et infligé à Katie le coup décisif,

 

Il entendit un son s’élever des ténèbres

Et emplir toute la pièce de son écho funèbre.

 

Un sifflement d’abord percuta le bitume,

Proche du cri qu’un loup adresserait à la lune.

Sauf qu’en plus le siffleur, il battait la mesure

D’un claquement de doigts, à régulière allure.

 

Ce bruit se rapprochait, il devenait plus fort…

Morty buta, alors, contre un vieux garde-corps.

 

 

« Euh… pardon ! lança-t-il. J’ai trébuché, je crois…

Vous m’en excuserez : ça m’arrive parfois. »

 

le Filou se figea, clairement confondu

Par l’arrivée soudaine de cette bête inconnue.

 

« Bonjour, dit Morty, l’air toujours débonnaire.

Pardon de débarquer – ce n’sont pas des manières…

Mais je me suis perdu, ajouta-t-il enfin.

Je sais plus où je suis. J’ai perdu mon chemin. »

 

Bugsy resta muet, les yeux écarquillés…

Le gangster malfaisant était terrorisé !

Son menton se crispa et sa lèvre frémit.

Il voulut s’exprimer… sauf que rien ne sortit !

Rien mis à part un cri, dépourvu de bravoure,

Un infime, inaudible, ridicule :

« Au secours ! »

 

 

Aussitôt, sa main droite relâcha la machette,

Et la fripouille prit… la poudre d’escampette !

 

Ses fidèles laquais, Miss Tranchette, LE MORVEUX

(Dont le nez dégageait un liquide visqueux),

Avaient tout aussi peur et s’échappèrent aussi :

Ils filèrent comme si c’était affaire de survie !

 

Kat se retrouva seule, face à la créature,

Sans savoir ce que leur réservait le futur.

Mais s’enfuir ? Pour Katie, ç’aurait été abject…

Après tout, la chose, elle, s’était montrée correcte.

 

Kat tendit donc la main (pendant un certain temps),

Sourit d’un air timide quoique reconnaissant.

 

« Je m’appelle Katrina, et je vous remercie

D’avoir, pour me sauver, votre route infléchie.

Ces voyous voulaient tous trois me faire la peau.

Sans vous, à cet instant, je serais en lambeaux. »

 

Morty regarda Kat, et lui serra la paume

(Sentant bien qu’il lui faisait l’effet d’un fantôme

Avec ses mains hors normes, de même que ses doigts,

Aussi drues que griffues… bien que chaudes par endroits).

 

« Qui, moi ? lança-t-il. Il y a confusion !

Je passais seulement en sifflant une chanson.

Enchanté, néanmoins. Je m’appelle Mortimer.

Et, bien que je n’aie guère l’âme d’un baroudeur,

On m’a envoyé pour accomplir une mission…

Et je me suis perdu, faute de concentration. »

 

Enfin il ajouta, ajustant sa cravate :

« Comment vais-je me sortir de cette passe délicate ? »

 

La cravate ! Mais bien sûr ! se rappela Katie.

Le visage aperçu dans le train : c’était lui !

« Pas possible ! lança-t-elle, dans un cri formidable.

J’en étais persuadée : vous êtes véritable ! »

En la reconnaissant, l’autre à son tour sourit.

« Dans une rame de métro ! Je m’en souviens aussi ! »

 

C’est ainsi que débuta leur belle amitié !

Déjà ils conversaient, en toute simplicité.

Et pour Katie qui l’écoutait, c’était certain :

Mortimer le zorgle était un type bien.

 

La fille et ce dernier se racontèrent leur vie :

Leurs bonheurs, leurs souffrances ainsi que leurs soucis.

Katrina expliqua, en choisissant ses mots,

Les terribles menaces pesant sur son cerveau.

Comment madame Krabone avait convié un fou

Pour lui percer le crâne au premier rendez-vous !

 

Mortimer, quant à lui, relata la loterie,

Le grand tirage au sort et ce qui s’ensuivit.

Il parla de son père, malade comme un chien,

Bouclé à l’hôpital sur ordre du médecin.

 

Mais il y avait un thème qui semblait l’obséder :

C’est ce tirage au sort qu’il avait remporté.

« Quelle blague ! geignait-il. Je n’ai aucun atout

Pour retrouver les zorgles de Zorgamazoo ! »

 

Katrina, pour sa part, écoutait pleine d’ardeur

Cette histoire que Morty vivait comme un malheur :

Une aventure remplie de frissons délicieux !

La fille se tenait coite, pour s’en imprégner mieux.

 

Dans son ventre, en revanche, c’était l’agitation.

Sa tension s’emballait – comme sa respiration !

Mais, alors que son corps brûlait à l’intérieur,

Son visage affichait… un sourire rêveur.

 

Katie se dit soudain, car c’était sa nature :

Moi aussi, je veux vivre une grande aventure !

 

« Cher monsieur Mortimer, sans vouloir m’imposer,

Votre expédition, moi, pourrait m’intéresser !

Je rêve depuis toujours de nouveaux horizons,

Mais Krabby n’a qu’une phrase : “Tu restes à la maison !”

J’ai donc saisi ma chance et je me suis enfuie…

Je suis prête pour une vie pleine de péripéties ! »

 

Mortimer ne dit rien pendant plusieurs secondes,

Absorbé, semblait-il, dans des pensées profondes.

Enfin il demanda : « Vraiment, es-tu bien sûre ?

Nul ne sait ce que nous réserve cette aventure… »

 

« Certaine ! jura avec entrain notre Katie.

Je t’aiderai à atteindre la Zorgamalie !

Les cartes, ça me connaît ! En plus je suis agile !

Pour partir avec toi, j’ai le parfait profil ! »

 

« C’est bon, admit Morty, quittant son air sévère.

Te voir si enthousiaste me rappelle mon père.

C’est d’accord, nous ferons le voyage tous les deux

Jusqu’à Zorgamazoo – le vrai nom de ce lieu. »

 

« Bien noté ! fit Katie. Maintenant, passe-moi le plan ! »

Ce qu’il fit, et la jeune fille se plongea dedans.

 

La carte détaillait des routes et des passages,

Des tunnels, des chemins et un drôle de codage

À toute première vue, impossible à saisir…

Énigme que Katie s’empressa d’éclaircir.

 

Au bout de cinq minutes, cette carte pourtant dense

N’opposa plus aucun fragment de résistance.

« J’ai compris ! cria Kat. C’est limpide, pour moi !

Il doit y avoir une porte…

 

Pile poil…

 

 

À cet endroit. »

 

 

Elle désigna une fente au beau milieu d’un mur,

Une sorte de crevasse, au mieux une fissure,

Donnant sur un tunnel, long et enténébré :

« Le voilà, le chemin sur lequel s’engager ! »

 

N’empêche qu’en abordant ce périlleux parcours

Kat savait que c’était… le point de non-retour.